Péremption d’instance : 14 septembre 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 21/00241

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Péremption d’instance : 14 septembre 2023 Cour d’appel d’Angers RG n° 21/00241
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COUR D’APPEL

d’ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/00241 – N° Portalis DBVP-V-B7F-E2B5.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANGERS, décision attaquée en date du 14 Avril 2021, enregistrée sous le n° F20/00477

ARRÊT DU 14 Septembre 2023

APPELANT :

Monsieur [E] [J]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Me Arnaud BARBE de la SCP PROXIM AVOCATS, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 2020122

INTIMEE :

S.A.S.U. AGIR RECOUVREMENT

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Gilles PEDRON de la SELARL AD LITEM AVOCATS, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 171945

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Avril 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller chargé d’instruire l’affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Mme Marie-Christine DELAUBIER

Conseiller : Madame Estelle GENET

Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN

ARRÊT :

prononcé le 14 Septembre 2023, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller pour le président empêché, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

La Sasu Agir Recouvrement est spécialisée dans le secteur d’activité du recouvrement de créances. Elle applique à ses salariés la convention collective nationale des prestataires de services dans le domaine du secteur tertiaire et emploie plus de onze salariés.

M. [E] [J] a été engagé par la société Agir Recouvrement dans le cadre d’un contrat d’attaché commercial pour une durée indéterminée à compter du 22 mars 1999.

En dernier état de la relation contractuelle, M. [J] occupait les fonctions de délégué commercial, statut cadre, coefficient 330, niveau VII de la convention collective précitée, et percevait un salaire moyen de 11 780,29 euros, composé d’une partie fixe de 1 982,33 euros brut et d’une partie variable composée de commissions.

Suite aux plaintes de huit salariées relatives au comportement de M. [J] caractérisant des faits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral, la société Agir Recouvrement l’a reçu en entretien le 2 mars 2004 à l’issue duquel a été signé un document intitulé ‘protocole transactionnel’. Aux termes de cet acte, les parties ont convenu de la suspension du contrat de travail sans rémunération de M. [J] jusqu’au 2 avril 2004 inclus et de l’obligation pour le salarié de ‘consulter les praticiens afin de suivre les soins lui permettant de rétablir sa santé physique, psychique et mentale’. Il est également mentionné que la société Agir Recouvrement ne ‘tolérera aucune dérive, incartade ou récidive et que tout manquement sera sanctionné par un licenciement immédiat pour faute grave’.

Par courrier du 18 mars 2004, M. [J] est revenu sur les circonstances de cet entretien, relevant son caractère soudain et sans ‘signe annonciateur’, indiquant qu’il avait été très surpris de se voir accuser de harcèlement sexuel et de harcèlement moral, et contestant formellement tout comportement harcelant de sa part.

Par lettre du 23 mars 2004, la société Agir Recouvrement a maintenu ses accusations de harcèlement à l’encontre de M. [J], lesquelles ont de nouveau été contestées par le salarié par courrier du 6 avril 2004 aux termes duquel il demandait, pour prouver sa bonne foi, de voir détailler ‘clairement et précisément’ ce qui lui était reproché.

Par lettre du 9 avril 2004, sans répondre à la demande du salarié, mais en annonçant avoir des lettres écrites par les intéressées, la société Agir Recouvrement a proposé à M. [J] soit de se rétracter et de contester la validité du protocole, auquel cas elle organiserait une confrontation avec les plaignantes, soit de confirmer ‘les faits reconnus et les engagements’ de ce protocole.

Par courrier du 15 avril 2004, M. [J] a contesté une nouvelle fois les accusations portées à son encontre tout en refusant la confrontation avec les plaignantes, arguant que l’employeur tenait leurs propos pour acquis et qu’à l’évidence, celles-ci ne renieraient pas leurs accusations écrites dont lui-même ignorait toujours la teneur.

Aux termes d’une visite médicale réalisée le 19 avril 2004, le médecin du travail a déclaré M. [J] apte à la reprise de son poste.

Par acte d’huissier du 21 avril 2004, la société Agir Recouvrement a fait signifier à M. [J] un courrier daté du 20 avril 2004 le convoquant à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé le 30 avril suivant. Cette convocation était assortie d’une mise à pied à titre conservatoire.

Suite à une sommation de restituer du 21 avril 2004, M. [J] a restitué une clef d’entrée principale orange, une clef de son bureau et une clef de l’alarme, et a indiqué conserver ‘pour le moment’ le téléphone portable et le véhicule de fonction.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 3 mai 2004, la société Agir Recouvrement a notifié à M. [J] son licenciement pour faute grave en raison de son comportement indélicat à l’encontre de certaines salariées de la société et de faits de harcèlement moral et sexuel.

Par requête déposée au greffe le 6 juillet 2004, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes de Cholet aux fins de contester le bien-fondé de son licenciement et voir condamner la société Agir Recouvrement à lui verser diverses sommes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il sollicitait également que soit prononcée la nullité de la clause de non-concurrence insérée à son contrat de travail.

Le 10 septembre 2004, la société Agir Recouvrement a déposé plainte avec constitution de partie civile à l’encontre de M. [J] pour harcèlement sexuel et moral, et appels téléphoniques malveillants réitérés.

Une information judiciaire a été ouverte le 2 novembre 2004.

Par jugement du 13 juillet 2005, le conseil de prud’hommes de Cholet a décidé de surseoir à statuer dans l’attente du résultat du procès pénal pour toutes les demandes relatives au bien-fondé du licenciement et a débouté M. [J] de toutes ses autres demandes.

Par décision du 17 mars 2006, le magistrat instructeur a rendu une ordonnance de non-lieu laquelle a fait l’objet d’un appel de la société Agir Recouvrement.

Par arrêt du 25 juillet 2006, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Angers a confirmé le non-lieu relatif au harcèlement sexuel tout en ordonnant la poursuite de l’instruction quant aux faits de harcèlement moral et d’appels téléphoniques malveillants.

Par ordonnance du 12 février 2010, M. [J] a été renvoyé de ces chefs devant le tribunal correctionnel d’Angers.

Par jugement du 29 juillet 2011, le tribunal a relaxé le salarié pour les faits de harcèlement moral contre trois salariées mais l’a déclaré coupable d’appels téléphoniques malveillants et réitérés contre trois salariées, et de harcèlement moral à l’encontre de cinq autres salariées.

M. [J] a formé un appel général suivi par le Ministère public et les parties civiles.

Par arrêt du 5 avril 2012, la cour d’appel d’Angers a infirmé le jugement du tribunal correctionnel du 29 juillet 2012 et relaxé M. [J] de tous les chefs d’accusation portés à son encontre. Elle a en outre débouté les parties civiles dont la société Agir Recouvrement de leurs demandes.

Suite à un pourvoi formé par la société Agir Recouvrement, la Cour de cassation a, par arrêt du 25 juin 2013, cassé l’arrêt de la cour d’appel d’Angers considérant que les agissements de M. [J] avaient déstabilisé deux salariées, et renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Poitiers.

Par arrêt du 14 avril 2014, la cour d’appel de Poitiers a retenu le harcèlement moral de M. [J] à l’encontre de deux salariées et l’a condamné à leur verser des dommages et intérêts, retenant une attitude ‘particulièrement désagréable et même vexatoire et déstabilisante’ impliquant pour ces deux victimes des répercussions psychologiques de nature à dégrader leurs conditions de travail.

M. [J] a formé un pourvoi en cassation considérant qu’il avait été définitivement relaxé sur le plan pénal par l’arrêt de la cour d’appel d’Angers du 5 avril 2012.

Par arrêt du 1er septembre 2015, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de M.'[J] en relevant que l’arrêt retenait à tort la constitution du délit du harcèlement moral, mais qu’il résultait des constatations de la cour d’appel de Poitiers que ‘M. [J] a commis une faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits de harcèlement moral, objet de la poursuite, qui a entraîné un préjudice direct et personnel pour (les deux salariées) ouvrant droit à réparation’.

L’affaire a été réinscrite au rôle du conseil de prud’hommes d’Angers le 24 avril 2017, mais n’étant pas en état d’être jugée, elle a été retirée du rôle le 5 décembre 2018 avant d’être de nouveau inscrite le 23 juin 2020.

En dernier état de ses prétentions, M. [J] sollicitait la requalification de son licenciement en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et subsidiairement la constatation des manquements de la société Agir Recouvrement à ses engagements contractuels. Il demandait en conséquence la condamnation de son employeur, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, à lui verser divers rappels de salaire, une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, des dommages et intérêts pour suppression des avantages durant l’exécution du préavis, une indemnité conventionnelle de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Agir Recouvrement s’est opposée aux prétentions de M. [J] et a sollicité sa condamnation au paiement d’une indemnité pour procédure abusive et d’une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 14 avril 2021, le conseil de prud’hommes a :

– rejeté l’exception de péremption opposée par la société Agir Recouvrement ;

– dit que M. [J] est recevable en ses demandes ;

– rejeté l’ensemble des demandes de M. [J] ;

– rejeté la demande de la société Agir Recouvrement au titre de la procédure abusive ;

– condamné M. [J] à payer à la société Agir Recouvrement 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– mis les dépens à la charge de M. [J].

M. [J] a interjeté appel de ce jugement par déclarations transmises par voie électronique au greffe de la cour d’appel le 22 avril 2021 et le 26 avril 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu’il énonce dans ses déclarations respectivement enregistrées sous les numéros RG 21/241 et RG’21/252.

La société Agir Recouvrement a constitué avocat en qualité de partie intimée le 4’mai 2021 dans le dossier RG 21/241 et le 12 août 2021 dans le dossier 21/252.

Par ordonnance du 17 mars 2022, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des dossiers RG 21/241 et RG 21/252 sous le numéro RG 21/241 et a renvoyé le dossier à l’audience d’incident de la mise en état du 12 mai 2022.

Par une seconde ordonnance du 12 juillet 2022, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable la demande de M. [J] de suppression de passages des conclusions de la partie intimée et de retrait de certaines pièces produites par cette dernière.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 22 mars 2023 et le dossier a été fixé à l’audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale du 13 avril 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

M. [J], dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 29 août 2022, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

À titre liminaire :

– ordonner par arrêt distinct et avant dire droit :

– que les écritures adverses soient expurgées de toutes références aux auditions suivantes :

* Page 14/27 des écritures adverses avec l’évocation du témoignage de Mme [I] [X] épouse [B], puis épouse et veuve de M. [Y] [R] dirigeant de la société Agir Recouvrement, laquelle se prétend victime directe également’;

* Pages 4/27 et 15/27 des écritures adverses avec l’évocation du témoignage de Mme [G] [T] ;

* Page 4/27 des écritures adverses « d’autres salariées sont évoquées ”»’; * Page 4/27 des écritures adverses avec le témoignage de Mme [A] [Z] prétendument victime d’appels malveillants et répétitifs pour lesquels la relaxe est intervenue dès le stade de l’arrêt de la cour d’appel d’Angers du 5 avril 2012 ;

* Page 18/27 des écritures adverses avec l’évocation du témoignage de Mme [A] [Z] ;

* Page 4/27 et 18,19/27 des écritures adverses avec l’évocation du témoignage de Mme [D] [S] ;

– que soient retirées des débats les pièces correspondantes n°22-23-25-27-28 ;

– que les conclusions adverses soient expurgées de l’intégralité des développements pris sur le prétendu harcèlement sexuel commis par M. [J] ;

– tarder à statuer, en l’attente de l’arrêt avant dire droit à intervenir ;

– renvoyer à une date ultérieure pour examen au fond de l’affaire ;

– en outre, vu l’atteinte commise, condamner la société Agir Recouvrement à réparer le préjudice subi en lui versant la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé ;

Sur le fond :

– déclarer mal fondé l’appel incident de la société Agir Recouvrement en ce qui concerne le moyen tiré de la péremption d’instance ;

– déclarer bien jugé, mal appelé, incidemment sur ce point ;

– confirmer le jugement en ce qui concerne ce moyen ;

– le déclarer recevable et bien-fondé en son appel principal ;

– dire mal jugé, bien appelé ;

– réformer la décision querellée dans les limites de l’appel exercé par ses soins ;

– condamner en conséquence la société Agir recouvrement comme suit :

À titre principal

– déclarer que sa mise à l’écart le 2 mars 2004 doit s’analyser en une mise à pied disciplinaire ;

– déclarer que, dans ces conditions, son licenciement prononcé le 3 mai 2004 est dépourvu de cause réelle et sérieuse puisque prononcé en violation de la règle de non-cumul des sanctions ;

À titre subsidiaire

– déclarer que la société Agir Recouvrement a manqué à ses propres engagements contractuels ;

– déclarer que ces manquements ouvrent droit à réparation équivalente à la perte injustifiée de l’emploi ;

À titre infiniment subsidiaire

– déclarer que les faits reprochés dans la lettre de licenciement ne reposent sur aucune cause réelle et sérieuse au regard de l’analyse du juge répressif ;

En conséquence :

– condamner la société Agir Recouvrement à lui payer avec intérêt au taux légal entre un particulier et une société à compter de la saisine :

* à titre de rappel de salaire pour la journée du 20 avril 2004 et de congés payés y afférents, la somme brute de 431,72 euros ;

*à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire injustifiée du 21 avril au 3 mai 2004 et de congés payés y afférents, la somme brute de 5 615,26 euros’;

* à titre d’indemnité de préavis, la somme brute de 38 874,95 euros ;

* à titre de congés payés sur préavis, la somme de 3 887,49 euros ;

* à titre de dommages et intérêts pour suppression des avantages durant le préavis, la somme nette de 5 000 euros ;

* à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement, la somme de 19 633,85 euros’;

* à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la somme de 283 000 euros ;

* au titre des frais irrépétibles (article 700 du code de procédure civile), la somme de 15 000 euros ;

– ordonner la délivrance de l’attestation Pôle emploi, du certificat de travail et d’un bulletin de salaire rectifié dans les 15 jours de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé ce délai ;

– condamner la société Agir Recouvrement aux entiers dépens.

M. [J] fait valoir que la procédure pénale a abouti à sa relaxe intégrale sur le volet pénal et a seulement permis d’établir l’existence d’une faute civile à l’égard de deux salariées, Mmes [N] et [O], sur les huit initialement citées. Il considère alors que la production aux débats des procès-verbaux de l’enquête pénale et la mention des témoignages de Mme [F], Mme [I], Mme [T], Mme [Z] et Mme'[S] dans les écritures de la société Agir Recouvrement, se heurtent au principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil.

M. [J] affirme ensuite qu’aucune péremption d’instance ne peut lui être opposée dans la mesure où le résultat du procès pénal n’a été définitivement acquis qu’à l’issue de la décision de la Cour de cassation du 1er septembre 2015. Il indique alors que ses conclusions du 19 avril 2017 visant à réinscrire l’affaire au rôle ont été déposées au greffe du conseil de prud’hommes dans le délai légal des deux ans mentionné à l’article 386 du code de procédure civile. En tout état de cause, il fait observer que ni le jugement du conseil de prud’hommes de Cholet du 13 juin 2005, ni l’avis de retrait du rôle du 5’décembre 2018 n’ont expressément mis de diligences à sa charge alors que les dispositions spéciales de l’article R.516-3 du code du travail alors applicables en matière prud’homale conditionnaient la péremption d’instance à l’abstention des parties pendant deux ans d’accomplir les diligences mises à leur charge par la juridiction.

M. [J] soutient par ailleurs avoir subi une contrainte morale aux fins qu’il signe, à l’issue de quatre heures d’entretien, sans négociation possible, et sans avoir pu bénéficier d’un délai de réflexion, le protocole transactionnel conclu le 2 mars 2004, lequel constitue en réalité une mise à pied disciplinaire dans la mesure où son contrat de travail a été suspendu et qu’il a été privé de rémunération pendant la durée de cette suspension. Il assure alors que la société Agir Recouvrement a épuisé son pouvoir disciplinaire et qu’elle ne pouvait le licencier pour les mêmes faits en application de la règle ‘non bis in idem’. Il ajoute que, dans l’hypothèse où cet acte serait considéré comme un accord transactionnel, il ne pouvait davantage être licencié dans la mesure où ce protocole clôt le litige quant aux faits reprochés, qu’il a été licencié pour ces mêmes faits et qu’aucun fait nouveau n’est intervenu par la suite. A cet égard, il conteste l’avoir dénoncé, mais prétend s’être simplement expliqué sur la qualification de harcèlement sexuel et de harcèlement moral des faits qui lui étaient imputés dans cet acte.

En dernier lieu, M. [J] rappelle qu’il a été définitivement relaxé des faits de harcèlement moral par la décision de la Cour de cassation du 1er septembre 2015 et que ces faits ne peuvent dès lors servir de fondement à son licenciement. En tout état de cause, il fait observer qu’il a déjà été condamné à indemniser le préjudice des victimes dont la société Agir Recouvrement ne fait pas partie alors qu’elle était constituée en tant que partie civile.

*

La société Agir Recouvrement, dans ses dernières conclusions, adressées au greffe le 1er mars 2023, régulièrement communiquées, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

Avant tout autre moyen :

– infirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Angers du 14 avril 2021 en ce qu’il a rejeté l’exception de péremption d’instance ;

– en conséquence, déclarer que la péremption d’instance est acquise ;

À titre subsidiaire,

– débouter M. [J] de ses demandes en expurgation de ses conclusions et en retrait de ses pièces n°22-23-25-27 et 28 ;

– confirmer qu’il a été définitivement jugé sur le plan civil que M. [J] a commis une faute civile, démontrée à partir et dans la limite des faits de harcèlement moral constitutive d’une faute grave au sens du droit du travail et qu’en toutes hypothèses les comportements indélicats et les attitudes inconvenantes qu’il a adoptés de façon répétée sont constitutifs d’une faute grave ;

– en conséquence débouter M. [J] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions’;

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Angers du 14 avril 2021 en ce qu’il a rejeté l’ensemble des demandes de M. [J] ;

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Angers du 14 avril 2021 en ce qu’il a condamné M. [J] à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner M. [J] à lui payer la somme de 5 000 euros pour procédure abusive en application des dispositions de l’article 559 du code de procédure civile et la somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner M. [J] aux dépens y compris ceux qui seraient engagés dans le cadre d’une éventuelle procédure d’exécution forcée de la décision à intervenir.

In limine litis, la société Agir Recouvrement soulève la péremption d’instance, soulignant que le point de départ du délai de péremption se situe au 5 avril 2012, date de l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Angers relaxant définitivement M. [J] de tous les chefs d’accusation portés à son encontre. Elle estime dès lors que le réenrôlement de l’affaire par M. [J] le 19 avril 2017 par dépôt de ses conclusions a été effectué hors délai dans la mesure où plus de deux ans se sont écoulés depuis le 5 avril 2012.

La société Agir Recouvrement fait ensuite observer que la production des pièces dont M. [J] sollicite le rejet ne porte pas atteinte au principe de l’autorité de la chose jugée au pénal dans la mesure où celles-ci ont permis de caractériser une faute civile à son encontre et la preuve de ses comportements inappropriés à l’égard de ses collègues, lesquels justifient son licenciement pour faute grave.

En toute hypothèse, l’employeur soutient que le licenciement pour faute grave de M. [J] est justifié par ses comportements indélicats et ses attitudes inconvenantes à l’égard de plusieurs salariées de l’entreprise ainsi que par des faits de harcèlement moral et sexuel. Il précise à cet égard que M. [J] a exercé des pressions de toute nature sur ces salariées afin d’obtenir des faveurs de nature sexuelle. Il assure encore que ses agissements ont créé une ambiance pénible et provoqué la dégradation des conditions de travail au sein de l’entreprise.

La société Agir Recouvrement conteste ensuite les moyens développés par M.'[J].

En premier lieu, elle estime que le protocole transactionnel conclu le 2 mars 2004 ne s’analyse pas en une sanction disciplinaire dans la mesure où la suspension de son contrat de travail a été décidée d’un commun accord.

En second lieu, elle indique que M. [J] ne peut soutenir à titre principal que l’acte du 2 mars 2004 ne serait pas une transaction, et à titre subsidiaire qu’il constituerait en fait une transaction, soulignant qu’il n’en sollicite au demeurant pas la nullité. En tout état de cause, elle fait observer que le salarié n’a pas respecté les engagements pris dans ce protocole en s’abstenant de consulter les praticiens afin d’améliorer son état psychique et moral.

Enfin, la société Agir Recouvrement s’appuie sur la décision de la Cour de cassation du 1er septembre 2015 pour rappeler que les faits commis par M. [J] à l’encontre de Mme [N] et Mme [O] constituent ‘une faute civile à partir et dans les limites des faits de harcèlement moral’ et que dès lors, les faits de harcèlement moral au sens du droit du travail sont définitivement établis et ne peuvent plus être remis en cause.

MOTIVATION

Sur la péremption d’instance

Aux termes de l’article 386 du code de procédure civile, l’instance est périmée lorsqu’aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans.

L’article 392 du même code précise que l’interruption de l’instance emporte celle du délai de péremption, mais que ce délai continue de courir en cas de suspension de l’instance ‘sauf si celle-ci n’a lieu que pour un temps ou jusqu’à la survenance d’un événement déterminé ; dans ces derniers cas, un nouveau délai court à compter de l’expiration de ce temps ou de la survenance de cet événement’.

Par ailleurs, l’article 378 du même code dispose que ‘la décision de sursis suspend le cours de l’instance pour le temps et jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine’.

Il résulte de la combinaison de ces articles que lorsque la suspension de l’instance est la conséquence d’une décision de sursis à statuer jusqu’à la survenance d’un événement déterminé, un nouveau délai de péremption de deux ans court à compter de la réalisation de cet événement.

Par jugement du 13 juillet 2005, le conseil de prud’hommes de Cholet a décidé de surseoir à statuer ‘dans l’attente du résultat du procès pénal, pour toutes les demandes relatives au bien fondé du licenciement de M. [J] pour faute grave ‘.

La société Agir Recouvrement soutient que le point de départ du délai de péremption se situe au jour de la survenance de l’événement déterminé mettant fin au sursis à statuer, selon elle constitué par l’arrêt rendu le 5 avril 2012 par la cour d’appel d’Angers relaxant M. [J] des fins de la poursuite.

Il apparaît cependant que la société Agir Recouvrement et les salariées plaignantes ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt les ayant déboutées de leurs demandes suite à la relaxe de M. [J] des chefs de harcèlement moral et appels téléphoniques malveillants. Ce pourvoi a par conséquent repoussé l’issue du procès pénal dans la mesure où l’instance pénale est constituée de la procédure sur l’action publique, mais également le cas échéant de la procédure sur l’action civile engagée par une partie civile pour la défense de ses droits.

Dès lors, la suspension de l’instance prononcée par le conseil de prud’hommes de Cholet le 13 juillet 2005 dont la reprise était conditionnée par le résultat du procès pénal, a pris fin non pas par l’effet de l’arrêt de la cour d’appel d’Angers du 5 avril 2012, ayant statué définitivement sur l’action publique, mais par la décision du 1er septembre 2015 de la Cour de cassation ayant mis un terme au procès pénal en statuant définitivement sur l’action civile.

Moins de deux années se sont écoulées entre le 1er septembre 2015 qui a marqué la fin de l’instance pénale et les diligences effectuées par M. [J] qui, par conclusions déposées au greffe du conseil de prud’hommes le 19 avril 2017 a sollicité le réenrôlement de l’affaire.

En tout état de cause, il sera souligné que l’article R.516-3 du code du travail, codifié depuis 2008 à l’article R.1452-8, prévoyait qu’ ‘en matière prud’homale, l’instance n’est périmée que lorsque les parties s’abstiennent d’accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l’article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction’.

L’article R.1452-8 a été abrogé par le décret nº2016-660 du 20 mai 2016, lequel prévoit toutefois en son article 45, que cette abrogation ne vaut que pour les instances introduites devant les conseils de prud’hommes à compter du 1er août 2016.

En l’espèce, M. [J] a saisi le conseil de prud’hommes le 6 juillet 2004, soit antérieurement au 1er août 2016, de sorte que l’article R. 516-3 devenu l’article R.1452-8 est applicable à la présente instance.

Force est de constater que le conseil de prud’hommes n’a mis aucune diligence à sa charge, ni même à la charge de la société Agir Recouvrement.

Dès lors, la péremption de l’instance n’est pas acquise.

Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur la demande de retrait de cinq pièces et d’expurgation des conclusions de la société Agir Recouvrement

L’autorité de la chose jugée au pénal s’impose au juge civil relativement aux faits constatés qui constituent le soutien nécessaire de la décision pénale. En conséquence, les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont au civil autorité absolue, à l’égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé, et il n’est pas permis au juge civil de méconnaître ce qui a été jugé par le tribunal répressif.

L’autorité de la chose jugée au pénal s’étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision, elle s’impose au juge civil relativement aux faits constatés qui constituent le soutien nécessaire de la condamnation pénale. Mais l’autorité au civil de la chose jugée au pénal ne s’attache qu’à ce qui a été nécessairement et certainement jugé.

M. [J] s’appuie sur les articles 29 et 35 bis de la loi du 29 juillet 1881 pour solliciter le rejet des pièces adverses n° 22, 23, 25, 27 et 28 constituées par les procès-verbaux d’audition de Mme [F], Mme [I], Mme [T], Mme [Z] et Mme [S], et le retrait des écritures adverses de toutes références à leurs auditions et témoignages. Il considère d’une part que ces pièces sont diffamatoires, et d’autre part que leur mention ainsi que la production aux débats des procès-verbaux de l’enquête pénale se heurtent au principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil dans la mesure où il a été définitivement relaxé par les juridictions pénales lesquelles ont seulement établi l’existence d’une faute civile dans la limite des faits de harcèlement moral à l’égard exclusivement de Mme [N] et de Mme [O].

En premier lieu, la cour constate l’absence d’action en diffamation de M. [J] intentée à l’encontre des salariées à l’origine des témoignages précités. En second lieu, la plupart de ces témoignages abordent les relations entre M. [J] et Mmes [N] et [O] et ont permis de retenir l’existence d’une faute civile à l’égard de ces dernières. Enfin, ces éléments ne portent pas atteinte à l’autorité de la chose jugée au pénal dans la mesure où il appartient à la cour d’en apprécier la portée en tenant compte de la décision de relaxe définitivement acquise.

Dès lors, M. [J] doit être débouté de ses demandes d’expurgation des conclusions de la société Agir Recouvrement et de retrait des pièces adverses n°22, 23, 25, 27 et 28.

Sur la règle ‘non bis in idem’

1. Sur le protocole transactionnel du 2 mars 2004

Aux termes de l’article 2044 du code civil dans sa version antérieure à la loi du 18 novembre 2016, ‘la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître’. Dès avant l’entrée en vigueur de la loi précitée, il était acquis que la transaction implique des concessions réciproques.

Aux termes de l’article 122-40 du code du travail dans sa version applicable du 6 août 1982 au 1er mai 2008 et désormais codifié à l’article L.1331-1 du code du travail, ‘constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération’.

M. [J] considère que le document signé le 2 mars 2004 s’analyse en une sanction disciplinaire en ce que la suspension de son contrat de travail et la privation de sa rémunération pendant un mois ont été décidées unilatéralement par la société Agir Recouvrement. Il indique avoir été particulièrement surpris d’être subitement convoqué en fin d’après-midi ce jour-là, sans aucun signe annonciateur, à un entretien ‘matraquage’ qui a duré quatre heures, et de se voir accuser de faits qui ne lui ont au demeurant pas clairement été précisés. Il ajoute que cet acte était pré-rédigé, qu’il n’y a eu aucune négociation, qu’il n’a bénéficié d’aucun temps de réflexion et qu’il n’a pas pu être conseillé, contrairement à l’employeur qui avait préalablement pris l’attache d’un conseil. C’est la raison pour laquelle, quelques jours plus tard, le 18 mars 2004, il est revenu sur les circonstances ayant entouré cet entretien et contesté tout comportement harcelant, contestation qu’il a réitérée dans son courrier du 6 avril 2004. Subsidiairement, dans l’hypothèse où ce document serait considéré comme un accord transactionnel, il fait valoir qu’il ne s’est jamais rétracté dans la mesure où ses courriers ne contiennent aucune mention de cet ordre, qu’il a respecté son engagement de se soigner et que dès lors, seuls de nouveaux faits auraient été susceptibles d’entraîner un licenciement, ce qui n’a pas été le cas.

La société Agir Recouvrement soutient pour sa part, que cet acte ne constitue nullement une sanction disciplinaire en ce qu’il n’émane pas de façon unilatérale de l’employeur, mais s’analyse en une convention par laquelle les parties se sont accordées pour suspendre la relation contractuelle pour une durée déterminée. Elle affirme que cette convention a été librement négociée en ce que le projet a été amendé manuscritement, à la demande du salarié, sur la durée de deux mois de la suspension initialement envisagée et sur la date de reprise du travail, en ce qu’elle mentionne expressément que M. [J] reconnaît avoir bénéficié d’un temps de réflexion pour se renseigner sur ses droits, en ce qu’il a déclaré le signer librement, sans contrainte et en toute connaissance de cause, et en ce qu’il a signé ce document après l’avoir ‘lu et approuvé’. Elle considère que M. [J] s’est rétracté et ne l’a pas respecté, et elle a alors repris ses droits. Enfin, elle soutient que M. [J] ne peut soutenir à la fois que cet acte s’analyse en une sanction disciplinaire et en une transaction.

Le protocole transactionnel du 2 mars 2004, est rédigé ainsi :

I. Historique de la relation contractuelle

M. [J] a été engagé par la société Agir Recouvrement à compter du 22 mars 1999 et il occupe les fonctions de délégué commercial.

A la date du 1er mars 2004, huit salariées de l’entreprise ont exprimé leurs doléances sur le comportement de M. [J] et lui ont reproché des agissements caractérisant un harcèlement moral et sexuel.

Toutes ces salariées, sans exception, font grief :

– de paroles menaçantes et désobligeantes,

– d’appels téléphoniques insistants et déplacés,

– d’avances irrespectueuses,

– de harcèlement moral et physique avec menace sur l’emploi,

– de harcèlement téléphonique.

Aux termes de l’article L.230-2 du code du travail ‘le chef d’établissement est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs’.

Ces mesures comprennent l’action de prévention ainsi que la mise en place de moyens adaptés.

L’employeur doit veiller à l’adaptation de ces mesures pour parvenir à l’amélioration des situations existantes.

L’article L.122-49 rappelle qu’ ‘aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel’.

En l’espèce, la situation créée par les agissements de M. [J] est insupportable, dès lors qu’elle participe à une dégradation des conditions de travail des salariées et qu’elle altère leur santé physique, psychique et mentale.

De tels agissements caractérisent indiscutablement une faute grave et justifieraient un licenciement immédiat sans préavis et sans indemnité.

Par ailleurs, des présomptions précises, graves et concordantes confirment que les agissements reprochés à M. [J] ne sont pas le résultat d’une cabale, d’une vengeance, mais que tout au contraire, ils sont la représentation de la réalité vécue et subie par les salariées.

II. Sur les mesures de prévention

M. [J], après avoir eu connaissance des doléances exprimées par les salariées ne conteste pas la matérialité des faits, même s’il considère que certaines accusations sont exagérées.

Il fait valoir qu’il traverse une période dépressive en raison de difficultés familiales.

Il déclare qu’il est prêt à s’amender et prend l’engagement de consulter le médecin du travail et éventuellement tout praticien à même de pouvoir le suivre dans cette période difficile, de lui apporter un soutien psychique et moral et de lui dispenser les soins nécessaires à l’amélioration durable de son état.

La société prend acte des engagements de M. [J] et constate qu’il est effectivement nécessaire que l’intéressé suspende pendant une durée de deux mois son contrat de travail pour effectuer toute démarche utile permettant le rétablissement de son état de santé physique, psychique et mental.

Il a donc été convenu ce qui suit, après pourparlers et discussions :

1 – Le contrat de M. [J] le liant à la société Agir Recouvrement est d’un commun accord entre les parties suspendu jusqu’au 30 avril 2004 (date rayée et remplacée par la mention manuscrite ‘2 avril 2004 inclus’) ;

2 – M. [J] ne percevra aucune indemnité ni salaire du fait de la suspension de son contrat et il devra restituer ce jour l’intégralité des clés des locaux de la société Agir Recouvrement actuellement en sa possession, la clé du véhicule ainsi que le téléphone mobile accompagné de sa carte SIM qui sont mis à sa disposition pour l’exercice de ses fonctions ;

3 – M. [J] mettra à profit cette période pour consulter les praticiens afin de suivre les soins lui permettant de rétablir sa santé physique, psychique et mentale ;

4 – A compter du 1er mai 2004 (date rayée et remplacée par la mention manuscrite ‘5 avril’) M. [J] reprendra normalement ses activités.

5 – M. [J] est dès à présent officiellement informé que la société Agir Recouvrement ne tolérera aucune dérive, incartade ou récidive et que tout manquement sera sanctionné par un licenciement immédiat pour faute grave.

Avant signature du présent document, M. [J] reconnaît avoir bénéficié d’un temps de réflexion pour se renseigner sur la nature et l’étendue de ses droits.

M. [J] déclare signer le présent accord librement, sans contrainte et en toute connaissance de cause.

Il reconnaît avoir été avisé de ce que tout manquement futur entraînera de façon nécessaire, dans l’intérêt de l’entreprise et de ses salariées, la rupture de son contrat de travail pour faute grave.’

(suivent la date du 2 mars 2004, la mention ‘lu et approuvé’ apposée par chacune des parties, et leur signature).

A titre liminaire, il convient de relever que M. [J] ne conteste pas la validité de ce protocole transactionnel en ce qu’il n’en demande pas la nullité, mais sollicite de la cour d’en apprécier la portée.

Force est de constater en premier lieu que les accusations des huit salariées sont présentées dans ce document comme un constat dans la mesure où elles sont tenues pour acquises par l’employeur et où le salarié est mentionné comme les reconnaissant, le litige né ou à naître tenant aux ‘mesures de prévention’ à prendre par l’employeur et non à la reconnaissance de ces faits par le salarié.

On constate en second lieu que s’il mentionne que, selon la société, ces agissements caractérisent une faute grave qui justifierait un licenciement immédiat, celle-ci a accepté de suspendre le contrat de travail de M. [J] pour une durée d’un mois avec privation de rémunération et restitution des matériels mis à sa disposition. Cette mesure, en ce qu’elle affecte la présence et la rémunération du salarié, s’analyse incontestablement comme une sanction disciplinaire desdites accusations prise par l’employeur au titre des mesures de prévention, en contrepartie de l’engagement de M. [J] de se soigner, l’accord de ce dernier sur cette mesure n’étant pas de nature à modifier sa qualification.

A cet égard, on relève que M. [R], gérant de la société Agir Recouvrement, indique dans son audition par les services de police suite à la plainte pénale déposée à l’encontre de M. [J], que ‘voyant la situation, je me rapproche de (mon avocat) pour avoir un conseil. Il m’est répondu de lui faire signer un accord transactionnel reconnaissant les faits avec une mise à pied d’un mois’.

Il ressort ensuite des deux courriers adressés par le salarié les 18 mars et 6 avril 2004 que quelles que soient les circonstances dans lesquelles le protocole est intervenu, M. [J] ne s’est pas rétracté dans la mesure où il ne remet en cause ni la mise à pied ni son engagement de se soigner, et se contente de contester les accusations portées contre lui, étant précisé qu’il justifie avoir rempli son engagement de se soigner par un certificat médical de son psychiatre attestant l’avoir vu régulièrement en consultation à son cabinet du 19 mars 2004 au 15 janvier 2008.

Il résulte enfin des bulletins de paie de M. [J] des mois de mars et avril 2004 que la mise à pied a été mise en oeuvre, puisqu’il a effectivement été placé en ‘absence non rémunérée’ du 3 mars au 4 avril 2004 et privé de sa rémunération pendant cette durée, étant précisé qu’aucune régularisation à ce titre n’est intervenue suite au licenciement.

En conséquence, ce document démontre que M. [J] a fait l’objet d’une mise à pied disciplinaire d’un mois avec privation de rémunération sanctionnant des faits de harcèlement sexuel et moral dont se sont plaintes huit salariées, en contrepartie de l’engagement de se soigner, et il est établi que ce protocole a été appliqué par les deux parties.

2. Sur le licenciement

Un même fait ne peut être sanctionné deux fois par application de la règle non bis in idem. Ainsi, l’employeur qui sanctionne un salarié pour une faute commise par celui-ci épuise son pouvoir disciplinaire au regard de cette faute, et un licenciement prononcé ensuite pour les mêmes faits fautifs est dépourvu de cause réelle et sérieuse

La lettre de licenciement du 3 mai 2004 est motivée ainsi :

‘Le 1er mars 2004, huit salariées de l’entreprise ont dénoncé votre comportement et vous ont reproché des agissements caractérisant un harcèlement moral et sexuel.

Elles vous ont fait grief :

– de paroles menaçantes et désobligeantes ;

– d’appels téléphoniques insistants et déplacés ;

– d’avances irrespectueuses ;

– de harcèlement téléphonique ;

– de harcèlement moral et physique avec des menaces sur leur emploi (…)

En conséquence nous avons décidé de vous notifier un licenciement pour faute grave avec effet immédiat, sans indemnité et sans préavis en raison :

1 – de comportements indélicats :

Les témoignages recueillis établissent que vous avez eu des attitudes inconvenantes à l’égard des salariées.

2 – harcèlement moral :

Vous avez abusé de votre autorité en créant une ambiance particulièrement pénible qui a provoqué une dégradation des conditions de travail et les doléances du personnel féminin.

Vous avez adopté des attitudes négatives et menaçantes à l’égard de vos collègues de travail.

3 – harcèlement sexuel :

Vous avez abusé de votre autorité en imposant des contraintes ou en exerçant des pressions de toute nature sur des salariées dans le but d’obtenir à votre profit des faveurs de nature sexuelle (…)’.

Il apparaît ainsi que les faits reprochés dans la lettre de licenciement sont identiques à ceux présentés dans le protocole du 2 mars 2004, et qu’ils ont déjà été sanctionnés par une mise à pied disciplinaire d’un mois.

En conséquence, l’employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire de sorte que les mêmes faits ne peuvent valablement justifier le licenciement qui doit dès lors être considéré sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse

1. Sur la mise à pied à titre conservatoire

Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, M. [J] doit percevoir le rappel de salaire dont il a été privé compte tenu de la mise à pied conservatoire notifiée par la société Agir Recouvrement et dont le montant n’est pas contesté subsidiairement.

L’employeur sera condamné à payer à M. [J] la somme de 5 615,26 euros brut à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire du 21 avril au 3 mai 2004.

Le jugement est infirmé de ce chef.

2. Sur l’indemnité compensatrice de préavis

Aux termes de l’article 19 du Titre III – Dispositions communes de la convention collective applicable, M. [J] a droit, au vu d’une ancienneté supérieure à deux ans, à une indemnité compensatrice de préavis équivalente à trois mois de salaire, soit la somme de 35 340,87 euros brut, outre la somme de 3 534,08 euros brut au titre des congés payés afférents.

Le jugement est infirmé de ce chef.

3. Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement

En application de l’article 3.1 de l’avenant cadre de la convention collective applicable, M. [J], licencié alors qu’il comptait 5 ans et 5 mois d’ancienneté ininterrompus au service de la société Agir Recouvrement, est en droit d’obtenir une indemnité conventionnelle de licenciement d’un montant de 5 x (3/10ème x 11 780,29) + 5/12ème x (4/10ème x 11 780,29), soit 19 633,85 euros .

Le jugement est infirmé de ce chef.

4. Sur les dommages et intérêts pour suppression des avantages durant le préavis

M. [J] sollicite des dommages et intérêts compte tenu de la suppression de ses avantages pendant la durée du préavis sans pour autant justifier d’un préjudice à ce titre.

Par conséquent, M. [J] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour suppression des avantages pendant la période de préavis.

Le jugement est confirmé de ce chef.

5. Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

En application de l’article L.122-14-4 du code du travail en vigueur au moment du licenciement et applicable à la cause, le salarié licencié sans cause réelle et sérieuse alors qu’il a plus de deux ans d’ancienneté et que l’employeur emploie plus de dix salariés a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

À la date de la rupture du contrat de travail, M. [J] avait une ancienneté de cinq ans, et l’entreprise employait vingt huit salariés. Il ne donne aucun élément sur sa situation avant le 1er juin 2006, date à laquelle il a été nommé directeur général de la société AFR.

Par conséquent, la cour est en mesure d’évaluer son préjudice à la somme de 71 000 euros qu’il convient de lui allouer à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur la demande de rappel de salaire pour la journée du 20 avril 2004 et de congés payés afférents

M. [J] sollicite un rappel de salaire et de congés payés au titre de la journée du 20 avril 2004. Il apparaît qu’il a été déclaré apte par le médecin du travail le 19 avril 2004 suite à un arrêt de travail du 5 au 18 avril 2004, puis mis à pied à titre conservatoire par acte d’huissier du 21 avril 2004 lui signifiant un courrier du 20 avril 2004.

Le bulletin de salaire de ce mois mentionne que le 20 avril 2004, il est en absence non rémunérée ce que M. [J] conteste. La société Agir Recouvrement ne conclut pas sur ce point.

Dès lors, la société Agir Recouvrement sera condamnée à verser à M. [J], la somme non contestée subsidiairement, de 431,72 euros brut comprenant un rappel de salaire de 392,67 euros (sur la base d’un salaire mensuel brut de 11 780,29 euros) outre 39,26 euros de congés payés afférents.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur la remise des documents sociaux

Au vu de ce qui précède, il convient d’ordonner à la société Agir Recouvrement de remettre à M. [J] une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et bulletin de paie conformes au présent arrêt, sans qu’il soit nécessaire d’ordonner une astreinte.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive

M. [J] étant fondé dans ses demandes, à tout le moins partiellement, la procédure engagée par ses soins n’est pas abusive.

Par conséquent, le jugement est confirmé en ce qu’il a débouté la société Agir Recouvrement de ce chef.

Sur les intérêts

Conformément aux articles 1153, 1153-1 et 1344-1 anciens devenus 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l’employeur devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonne.

Sur le remboursement des indemnités chômage

En vertu de l’article de L.122-14-4 ancien applicable à la cause, le tribunal ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes concernés de tout ou partie des indemnités de chômage payées au salarié licencié du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé par le tribunal, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié concerné.

Les conditions d’application de ces dispositions étant réunies, il convient d’ordonner à la société Agir Recouvrement de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage effectivement versées à M. [J] dans la limite de trois mois.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement sera infirmé s’agissant des dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile.

Il est justifié d’allouer à M. [J] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile qui vaudra pour ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.

La société Agir Recouvrement, partie perdante, doit être déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Angers le14 avril 2021 sauf en ce qu’il a :

– rejeté la péremption d’instance opposée par la société Agir Recouvrement ;

– débouté M. [E] [J] de sa demande de dommages et intérêts pour suppression des avantages pendant la durée de préavis ;

– débouté la société Agir Recouvrement de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

DÉBOUTE M. [E] [J] de sa demande en expurgation des conclusions de la société Agir Recouvrement et de retrait des pièces n°22-23-25-27 et 28 ;

DIT que le licenciement de M. [E] [J] est sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Agir Recouvrement à verser à M. [E] [J] les sommes suivantes :

– 5 615,26 euros brut à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire du 21 avril au 3 mai 2004 ;

– 35 340,87 euros brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 3 534,08 euros brut à titre de congés payés afférents ;

-19 633,85 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

– 71 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 431,72 euros brut à titre de rappel de salaire pour la journée du 20 avril 2004, congés payés inclus ;

ORDONNE à la société Agir Recouvrement de remettre à M. [J] une attestation Pôle emploi, un certificat de travail et bulletin de paie conformes au présent arrêt, sans qu’il soit nécessaire d’ordonner une astreinte ;

DIT que les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l’employeur devant le conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonne ;

ORDONNE à la société Agir Recouvrement de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage effectivement versées à M. [E] [J] par suite de son licenciement et ce dans la limite de trois mois d’indemnités ;

CONDAMNE la société Agir Recouvrement à payer à M. [E] [J] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile qui vaudra pour ses frais irrépétibles de première instance et d’appel ;

DÉBOUTE la société Agir Recouvrement de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Agir Recouvrement aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER, P/LE PRÉSIDENT empêché,

Viviane BODIN C. TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

 


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