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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 2
ARRÊT DU 08 FÉVRIER 2024
(n° , 5 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/03386 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CHUZ7
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 19 Avril 2023 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 23/00272
APPELANT :
Monsieur [C] [N]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Gaëtan DMYTROW, avocat au barreau de PARIS, toque : C2478
INTIMÉE :
S.A.R.L. LE PAPILLE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité à son siège
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Nathan IFERGAN, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, Madame Marie-Paule ALZEARI, présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Marie-Paule ALZEARI, présidente
Eric LEGRIS, président
Christine LAGARDE, conseillère
Greffière lors des débats : Madame Sophie CAPITAINE, en présence de Madame [L] [Y] et Madame [A] [F], greffières stagiaires,
ARRÊT :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
– signé par Marie-Paule ALZEARI, présidente et par Sophie CAPITAINE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M. [C] [N] a été embauché par la société Le Papille par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 23 avril 2012 en qualité de chef cuisinier.
Il est associé dans l’entreprise à hauteur de 49 %.
Il prétend n’avoir jamais pris de congé durant la relation contractuelle.
Par courrier daté du 23 février 2023, il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement assorti d’une mise à pied à titre conservatoire.
Dans ce contexte, il a saisi le conseil de prud’hommes en sa formation de référé quant à un solde de congés payés qui lui seraient dus.
Par ordonnance de référé en date du 19 avril 2023, le conseil de prud’hommes de Paris a dit n’y avoir lieu à référé sur l’ensemble des demandes de M. [C] [N] et dit n’y avoir lieu à référé sur la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Selon déclaration du 24 mai 2023, M. [C] [N] a interjeté appel à l’encontre de cette décision.
Par dernières conclusions du 13 décembre 2023, M. [C] [N] demande à la cour de :
‘ Juger M. [C] [N] recevable en son action,
‘ Infirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a dit n’y avoir lieu à référé sur les demandes de condamnation suivantes formulées par le salarié à l’encontre de la société Le Papille :
*15’234,27 euros bruts au titre du solde des congés payés et reportés dus au salarié
*1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Et statuant de nouveau, réformant l’ordonnance entreprise,
‘ Condamner la société Le Papille à payer à M.[N] les sommes suivantes :
*16’200,80 euros bruts au titre du solde et du report des congés payés lui étant dus
*3000 euros au titre de l’art 700 du code de procédure civile,
‘ Condamner la société Le Papille aux entiers dépens de l’instance.
Selon dernières écritures du 11 décembre 2023, la société Le Papille demande à la cour de :
‘ Dire et juger que M.[C] [N] ne disposait pas d’intérêt à agir pour solliciter une provision au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés lors de la saisine du conseil de prud’hommes de Paris en date du 10 mars 2022,
‘ Constater l’existence d’une contestation sérieuse sur la qualité de gérant de fait de M.[C] [N] et donc sur la validité de son contrat de travail et l’existence d’un lien de subordination,
‘ constater l’existence d’une contestation sérieuse sur le quantum des sommes sollicitées,
En conséquence :
‘ Déclarer irrecevables les demandes de M.[C] [N] faute d’un intérêt à agir au jour de la saisine du conseil de prud’hommes de Paris,
‘ Confirmer l’ordonnance de référé du 19 avril 2023 en ce qu’elle a relevé l’existence de contestation sérieuse et dit n’y avoir lieu à référé,
‘ Condamner M.[C] [N] à payer à La société Le Papille la somme de 3.800 euros titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
L’ordonnance de clôture est en date du 15 décembre 2023.
Pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code procédure civile.
MOTIFS :
Sur l’intérêt à agir de M. [C] [N]
La Société Le Papille rappelle que l’article L. 3141-28 du code du travail prévoit que la transformation du droit aux congés payés du salarié en une indemnité compensatrice suppose la rupture du contrat de travail.
Ainsi, tant que le contrat de travail est en cours d’exécution, le salarié ne peut prétendre à une indemnité compensatrice mais uniquement à la prise de ses congés payés.
Elle fait valoir que M.[N] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris d’une demande au titre du solde de congés payés dus, reconnaissant ainsi être toujours salarié de la Société.
Elle prétend qu’à la date de la saisine le 10 mars 2023, M. [N] ne disposait d’aucun droit né et actuel à solliciter une indemnité compensatrice de congés payés.
M. [N] reconnaît que tant que le contrat de travail est en cours d’exécution, le salarié ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés pour l’exercice en cours.
Toutefois, il maintient qu’il est recevable à réclamer le solde du report des congés payés non pris.
L’article 122 du code de procédure civile dispose ainsi :
« Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en ses demandes, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. »
En application des dispositions de l’article L. 3141-28 du code du travail, il est non contesté que tant que le contrat de travail est en cours d’exécution, le salarié ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de congés payés pour l’exercice en cours.
Toutefois, tant que le contrat de travail est en cours d’exécution, ce qui était le cas au moment de la saisine du conseil de prud’hommes le 10 mars 2023, il était parfaitement recevable à former une réclamation au titre du solde et du report des congés payés lui étant dûs à cette date, alors que M. [N] n’a jamais sollicité une indemnité compensatrice de congés payés.
L’existence d’une fin de non-recevoir n’est donc pas retenue.
Sur le bien-fondé de la demande :
M.[N] fait valoir qu’il est établi qu’un solde très important de report des congés payés lui est dû.
Il précise que les éléments financiers, comptables et de paie ont été établis par l’employeur sous sa seule responsabilité et qu’il est donc vain d’affirmer, sans le démontrer, qu’il aurait lui-même établi ses bulletins de paie.
La société Le Papille prétend à l’existence d’une contestation sérieuse sur le principe et sur le quantum de la demande.
Sur le principe, elle estime qu’il existe une contestation sérieuse sur la validité du contrat de travail et la réalité d’un lien de subordination soit, sur la qualité de dirigeant de fait de l’appelant.
Sur le quantum, elle indique que M. [N] avait autorité sur le cabinet comptable en charge de l’établissement des bulletins de paie et donnait des instructions pour l’établissement de sa propre paie.
Elle soutient que les bulletins de paie trahissent les manipulations et les stratégies de M.[N] pour cacher la prise de ses congés payés afin d’aboutir à un solde totalement erroné en février 2023.
Elle ajoute qu’en cause d’appel, il est réclamé des congés payés jusqu’au terme du contrat de travail le 11 avril 2023 sans qu’il soit pris en compte la période de mise à pied à titre conservatoire entre le 23 février et le 11 avril 2023.
M. [N] fonde ses prétentions sur l’article R. 1455-5 du code du travail qui dispose ainsi :
« Dans tous les cas d’urgence, la formation de référé peut, dans la limite de la compétence des conseils de prud’hommes, ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend. »
En l’espèce, force est de considérer qu’une demande en paiement ne saurait constituer une mesure au sens des dispositions de l’article précité.
Au demeurant, il n’est ni justifié ni d’ailleurs allégué d’une situation d’urgence en application de la même disposition.
La demande ne peut donc utilement prospérer sur ce fondement.
La partie défenderesse, au regard de l’existence d’une contestation sérieuse, invoque les dispositions de l’article R. 1455-7 qui dispose ainsi :
« Dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »
Il est non contesté et établi par la production des statuts que la Société a été créée le 22 septembre 2011 par M.[C] [N] et M. [M] [K], mandat ayant été donné à ce dernier pour accomplir , pour le compte et au nom de la société en formation, tous actes nécessaires à l’établissement.
M.[N] détenait 49 % des parts sociales de la société.
Il est tout aussi constant et non contesté que le gérant de droit, Monsieur [K] vivait en Italie depuis plus de sept ans alors que M.[N] avait la gestion quotidienne du restaurant, de la caisse, des salariés au nombre de 2, lui compris.
Dans ce cadre, il résulte également des pièces versées aux débats que M.[N] était personnellement en rapport avec le Cabinet d’expertise comptable notamment, pour l’établissement des bulletins de paie.
Ainsi, la salariée en charge de l’établissement des bulletins de paie au sein du cabinet d’expertise comptable atteste en ces termes :
« Je soussignée, SL, gestionnaire de paie au cabinet d’expertise comptable EG Audit et Conseil certifie :
‘ que j’étais en charge d’établir les bulletins de paie pour le compte de la société Le Papille,
‘ que les instructions de paie m’étaient fournies à travers des communications téléphoniques avec M.[C] [N],
‘ que M.[C] [N] me rappelait s’il souhaitait des modifications sur les bulletins de paie ; bulletins renvoyés modifiés dans la foulée, en copie à Monsieur [K].
J’atteste également que :
‘ lundi 6 janvier 2020 je m’aperçois que le compteur des congés payés de M.[C] [N] est très élevé. Je me permets de le mettre à jour sur son bulletin de paie de décembre 2019 et le lui envoie. M.[C] [N] m’appelle plus tard pour me demander de modifier son bulletin de paie et de lui rajouter ses congés payés déduits à tort selon lui. Je lui renvoie donc sa paie modifiée le mercredi 8 janvier 2020. »
Il résulte de cette attestation que si, effectivement, les bulletins de paie ont été établis sur les indications téléphoniques de M.[N], il n’en reste pas moins qu’ils étaient également communiqués au gérant de la Société.
D’autre part, ce témoignage ne fait nullement ressortir des manipulations ou des mensonges qui seraient strictement imputables au salarié.
Il s’en déduit que les éléments comptables et de paie ont été établis par l’employeur sous sa responsabilité ainsi que celle du cabinet comptable.
En effet, bien que communiqués au gérant, ils n’ont jamais été remis en cause par celui-ci durant toute la relation de travail.
À l’opposé, il doit être constaté qu’au titre de la mise à pied conservatoire, la prise d’un certain nombre de congés payés a finalement été refusée par l’employeur.
La Société ne rapporte nullement la preuve inverse de la prise de congés payés par le salarié durant toute la relation de travail.
Les bulletins de paie produits et qui n’ont pas été contestés sur la période permettent de constater la prise de congés sur certaine période en 2015, 2016, 2017, 2021 et 2022.
Dans cette mesure, et compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il doit être considéré que la demande en paiement au titre du solde des congés payés reportés ne se heurte à aucune contestation sérieuse sur la période antérieure à la rupture du contrat et à la mise à pied à titre conservatoire.
En effet, il est tout aussi constant que la demande de congé durant la mise à pied conservatoire a été refusée par la Société.
Enfin, il doit être rappelé que, s’agissant du report du solde de congés payés, la prescription ne peut courir qu’à compter de la date d’exigibilité des congés soit, la date du report et celle du bulletin de paie sur lequel ils figurent.
Il sera donc fait droit à la demande en paiement à titre provisionnel à hauteur de la somme de 15’234,27 euros à valoir sur le solde des congés payés et reportés dus à M.[N], la Société étant condamnée au paiement de cette somme.
L’ordonnance déférée est donc infirmée en toutes ses dispositions.
La société Le Papille, qui succombe, doit être condamnée en tous les dépens et déboutée en sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.
Il sera fait application de cet article au profit de l’appelant.
PAR CES MOTIFS,
Contradictoire, dernier ressort, publiquement
DÉCIDE qu’est recevable la demande de M.[C] [N],
INFIRME l’ordonnance déférée,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE la société Le Papille à payer à M.[C] [N] la somme provisionnelle de 15.234,27 euros à valoir sur le solde des congés payés et reportés dus antérieurement à la mise à pied à titre conservatoire,
CONDAMNE la société Le Papille aux dépens d’appel et de première instance et la déboute en sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Le Papille à payer à M. [C] [N] la somme de 3.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La Greffière La Présidente