Parts sociales : décision du 8 février 2024 Cour d’appel de Grenoble RG n° 22/02354

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Parts sociales : décision du 8 février 2024 Cour d’appel de Grenoble RG n° 22/02354
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N° RG 22/02354 – N° Portalis DBVM-V-B7G-LNEZ

C4

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

Me Pascale HAYS

Me Alain GONDOUIN

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 08 FEVRIER 2024

Appel d’un jugement (N° RG 2012J00478)

rendu par le Tribunal de Commerce de ROMANS SUR ISERE

en date du 04 mai 2022

suivant déclaration d’appel du 16 juin 2022

APPELANTE :

S.A.R.L. CHRIS AND COME au capital de 8.000 euros, immatriculée au RCS de Romans-sur-Isère sous le numéro 499 949 212, représentée par l’un de ses co-gérants, Monsieur [P] [B],

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Pascale HAYS, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me Martin VALLUIS, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

Me [N] [V] ès qualité de « Mandataire liquidateur » de la société « ETABLISSEMENT [K] [B] », suite au jugement de liquidation rendu le 2 août 2017

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 1]

M. [B] [K]

né le 20 Janvier 1958 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentés par Me Alain GONDOUIN, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Mme Raphaële FAIVRE, Conseillère,

Assistés lors des débats de Alice RICHET, Greffière,

DÉBATS :

A l’audience publique du 23 novembre 2023, M. BRUNO, Conseiller, a été entendu en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,

Puis l’affaire a été mise en délibéré pour que l’arrêt soit rendu ce jour, après prorogation du délibéré,

Faits et procédure :

1. La société Etablissements [K] [B] exploite un magasin sous l’enseigne « Expert» ayant pour activité le négoce, la vente et le dépannage de mobiliers et matériels électro-ménagers. [P] [B] est salarié de cette société depuis 1998, en qualité de technicien de maintenance audiovisuel électronique.

2. En 2007, le gérant de la société Etablissements [K] [B], [B] [K] a conseillé à [P] [B] de créer, avec deux autres collègues [T] [C] et [X] [J], la société Chris and [P] dans le but d’acquérir 49% du capital social de la société Etablissements [K] [B], leur employeur, pour la somme totale de 245.000 euros payable au travers d’un crédit-vendeur dont les 84 mensualités seront remboursées au moyen des prestations de services rendues par la société Chris and [P] à la société Etablissements [K] [B] dans le cadre d’une convention à intervenir.

3. Par acte du 1er juillet 2007, [B] [K] a ainsi cédé à la société Chris and [P] la pleine propriété de 490 parts sociales de la société Etablissements [K] [B], représentant 49% du capital social et des droits de vote.

4. La convention de prestations de services, devant permettre à la société Chris and [P], grâce aux sommes perçues chaque mois, de verser la mensualité due au titre de la cession, n’a jamais été régularisée. Des prestations ont cependant été fournies par la société Chris and [P] à la société Etablissements [K] [B].

5. A compter du 1er août 2012, Ia société Etablissements [K] [B] a cessé de régler les sommes dues à la société Chris and [P] au titre des «’prestations de services». [P] [B] a cependant continué de travailler dans cette entreprise, sous la direction de [B] [K].

6. Se prévalant d’un harcèlement moral de la part de [B] [K] au courant de l’année 2012, lui reprochant de soustraire une partie des outils de travail, et lui présentant l’absence de rémunération comme la conséquence directe de sa mise en cause, objet de la sommation interpellative du 8 août 2012, lui reprochant d’être responsable de pertes financières, [P] [B] a déposé deux plaintes successives pour harcèlement moral contre son employeur. Il a également saisi le conseil de prud’hommes de Montélimar.

7. Concomitamment, l’avocat de [P] [B] ès-qualité de cogérant de la société Chris and [P], a mis en demeure [B] [K] de régler les sommes dues à la société Chris and [P] au titre des prestations réalisées pour le compte de la société Etablissements [K] [B], et de lui restituer la totalité du prix d’achat des parts de la société Etablissements [K] [B] déjà perçu. Par exploit en date du 9 octobre 2012, la société Chris and [P] a assigné [B] [K] devant le tribunal de commerce de Romans sur Isère afin de solliciter la résolution de l’acte de cession du 1er juillet 2007 aux torts exclusifs de ce dernier, la restitution de l’intégralité des sommes versées au titre de la cession ainsi que la réparation des préjudices subis.

8. Par ailleurs, [P] [B] a engagé une action à l’encontre de la société Etablissement [K] [B] et de [B] [K] devant le conseil de prud’hommes, pour voir constater la poursuite de la relation contractuelle de travail entre les parties.

9. Le tribunal de commerce a sursis à statuer sur l’action de la société Chris and [P] dans l’attente de la décision du conseil de prud’hommes. Par arrêt du 12 novembre 2020, rendu sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Chambéry a constaté la poursuite de la relation contractuelle de travail entre la société Etablissement [K] [B] et [P] [B], ayant permis à l’employeur, grâce aux prestations de services effectuées par la société Chris and [P], de faire l’économie de ses obligations d’employeur. La cour a condamné la société Etablissements [K] [B] à payer la somme totale de 191.415.25 euros au titre des rappels de salaire, d’indemnités pour licenciement abusif et travail dissimulé. L’affaire opposant la société Chris and [P] à la société Etablissements [K] [B] a été reprise devant le tribunal de commerce.

10. Par jugement du 4 mai 2022, le tribunal de commerce de Romans sur Isère a’:

– dit que l’action en nullité de l’acte de cession du 1er juillet 2007 de la société Chris and [P] est recevable’;

– dit que les éléments constitutifs du dol ne sont pas réunis’;

– dit que l’action de la société Chris and [P] est mal fondée’;

– en conséquence, débouté la société Chris and [P] de ses demandes en nullité de l’acte et de restitution’;

– rejeté l’ensemble des demandes de la société Chris and [P]’;

– débouté [B] [K] et la société Etablissements [K] [B] de leurs demandes formées au titre de la résiliation de l’acte de cession du 1er juillet 2007 aux torts de la société Chris and [P], ainsi que de leur demande à hauteur de 200.000 euros de dommages et intérêts’;

– dit recevable et bien fondée la demande reconventionnelle de [B] [K] et de la société Etablissements [K] [B] en paiement du solde du prix des parts sociales’;

– en conséquence, condamné la société Chris and [P] à payer à [B] [K] la somme de 78.081 euros au titre du solde du prix des parts sociales, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision’;

– débouté [B] [K] et la société Etablissements [K] [B] de leurs demandes subsidiaires’;

– débouté maître [V], ès-qualités de mandataire judiciaire de la société Etablissements [K] [B], de ses prétentions formées à l’encontre de la société Chris and [P] «’au titre de dommages et intérêts pour le paiement des prestations devenues indues en répétition’», à défaut d’en justifier’;

– condamné la société Chris and [P] à payer à [B] [K] et à la société Etablissements [K] [B] représentée par maître [V] mandataire judiciaire, la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;

– liquidé les dépens visés à l’article 701 du code de procédure civile, pour être mis à la charge de la société Chris and [P].

11. La société Chris and [P] a interjeté appel de cette décision le 16 juin 2022, en ce qu’elle a’:

– dit que les éléments constitutifs du dol ne sont pas réunis’;

– dit que l’action de la société Chris and [P] est mal fondée’;

– rejeté les demandes en nullité de l’acte et de restitution de la société Chris and [P]’;

– rejeté l’ensemble des demandes de la société Chris and [P]’;

– dit recevable et bien fondée la demande reconventionnelle de [B] [K] et de la société Etablissements [K] [B] en paiement du solde du prix des parts sociales’;

– condamné la société Chris and [P] à payer à [B] [K] la somme de 78.081 euros au titre du solde du prix des parts sociales, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision’;

– condamné la société Chris and [P] à payer à [B] [K] et à la société Etablissements [K] [B] représentée par maître [V] mandataire judiciaire, la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile’;

– liquidé les dépens visés à l’article 701 du code de procédure pour être mis à la charge de la société Chris and [P].

L’instruction de cette procédure a été clôturée le 26 octobre 2023.

Prétentions et moyens de la société Chris and [P]’:

12. Selon ses conclusions n°3 remises le 25 mai 2023, elle demande à la cour, au visa des articles 1116, 1117, 1134 alinéa 3, 1184, 1131, 1133, 1289 1382 et 2222 du code civil dans leur version applicable au litige, des articles L. 223-26 et L. 611-2 du code de commerce’; de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à titre principal, sur l’action en nullité pour dol’:

– de confirmer le jugement déféré en ce qu’il dit que l’action en nullité de l’acte de cession du 1er juillet 2007 est recevable ;

– d’infirmer ce jugement en ce qu’il a dit que les éléments constitutifs du dol ne sont pas réunis;

– d’infirmer ce jugement en ce qu’il a dit que l’action de la concluante est mal fondée ;

– de l’infirmer en ce qu’il a débouté la concluante de ses demandes de nullité de l’acte et de restitution ;

– de l’infirmer en ce qu’il a rejeté l’ensemble des demandes, fins et conclusions de la concluante’;

– statuant à nouveau, de déclarer nul l’acte de cession du 1er juillet 2007 pour dol’;

– en conséquence, de condamner [B] [K] à restituer à la concluante la somme principale de 174.999 euros, assortie des intérêts de retard au taux légal, courant à compter de la mise en demeure du 12 septembre 2012.

13. L’appelante sollicite, à titre subsidiaire, sur l’action en nullité pour cause illicite et fraude’:

– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit que l’action de la concluante est mal fondée ;

– de l’infirmer en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes en nullité de l’acte et de restitution ;

– de l’infirmer en ce qu’il a rejeté l’ensemble des demandes, fins et conclusions de la concluante’;

– statuant à nouveau, de déclarer nul l’acte de cession du 1er juillet 2007 pour cause illicite et fraude’;

– en conséquence, de condamner [B] [K] à restituer à la concluante la somme en principal de 174.999 euros, assortie des intérêts de retard au taux légal, courant à compter de la mise en demeure du 12 septembre 2012.

14. La société Chris and [P] demande, en toute hypothèse, sur la responsabilité délictuelle de [B] [K] :

– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit que l’action de la concluante est mal fondée ;

– de l’infirmer en ce qu’il a rejeté l’ensemble des demandes, fins et conclusions de la concluante’;

– statuant à nouveau, de juger que le préjudice moral de la concluante est caractérisé à hauteur de 30.000 euros’;

– en conséquence, de condamner [B] [K] à payer à la concluante la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice matériel et moral subi par elle.

15. Elle sollicite, en toute hypothèse, sur le paiement du solde du prix des parts sociales’:

– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a dit recevable et bien fondée la demande reconventionnelle de [B] [K] et de la société Etablissements [K] [B] en paiement du solde du prix des parts sociales’;

– d’infirmer ce jugement en ce qu’il a condamné la concluante à payer à [B] [K] la somme de 78.081 euros au titre du solde du prix des parts sociales, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision de première instance ;

– statuant à nouveau, de rejeter l’ensemble des demandes, fins et conclusions des intimés’;

– à titre subsidiaire, de réformer le jugement déféré en ce qu’il a condamné la concluante au paiement de la somme de 78.081 euros.

16. En toute hypothèse, sur l’appel incident, la société Chris and [P] demande’:

– de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté [B] [K] et la société Etablissements [K] [B] de leurs demandes au titre de la résiliation de l’acte de cession du 1er juillet 2007 aux torts de la concluante ainsi que de leurs demandes de dommages et intérêts ;

– de confirmer ce jugement en ce qu’il a débouté la société Etablissements [K] [B] représentée par maître [V] mandataire judiciaire de ses demandes fondées sur l’enrichissement injustifié et le paiement indu ;

– de le confirmer en ce qu’il a débouté la société Etablissements [K] [B] représentée par maître [V] mandataire judiciaire de ses demandes fondées sur une procédure abusive ;

– de confirmer ce jugement en ce qu’il a débouté [B] [K] et la société Etablissements [K] [B] de leurs demandes subsidiaires.

17. Elle sollicite, en tout état de cause’:

– d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné la concluante à payer à [B] [K] et la société Etablissements [K] [B] représentée par maître [V] mandataire judiciaire, la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– de l’infirmer en ce qu’il a liquidé les dépens visés à l’article 701 du code de procédure pour être mis à la charge de la concluante’;

– statuant à nouveau, de condamner [B] [K] à payer à la concluante la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– de condamner [B] [K] aux entiers dépens lesquels pourront être recouvrés par maître Martin Valluis, avocat, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

La société Chris and [P] expose’:

18. – concernant les man’uvres dolosives de [B] [K], qu’il a surpris le consentement des associés de la concluante en leur proposant un montage juridique destiné à leur faire croire qu’ils seraient leur propre patron, qu’ils percevraient des revenus identiques outre des dividendes, avec leur succession lors de son départ en retraite, alors qu’il n’a eu pour dessein que de contourner le droit du travail’; que dans les faits, comme retenu par la cour d’appel de Chambéry, [B] [K] est resté l’employeur des trois associés de la concluante’; qu’aucun pacte d’associés n’a été conclu, de sorte que ses salariés n’ont eu aucune possibilité de pouvoir prétendre lui succéder’; qu’aucun dividende n’a été versé malgré une situation solide, puisque [B] [K], en sa qualité d’actionnaire majoritaire, était seul à pouvoir décider d’une distribution’; qu’il avait déjà proposé à d’autres salariés un tel montage comme attesté par monsieur [H], ancien salarié entre 1998 et 2006′;

19. – que ces man’uvres dolosives ressortent des stipulations de l’acte de cession, en raison de la cession de 49’% du capital de la société Etablissements [K] [B], de l’absence de toute promesse de cession et de tout pacte d’associés’;

20. – que [B] [K] a profité de l’état d’infériorité de ses salariés pour leur imposer ce montage, puisque les associés de la concluante sont restés salariés de la société Etablissement [K] [B] et se trouvaient nécessairement dans un lien de subordination, alors que la concluante avait pour seul client cet établissement’; que [B] [K] dirigeait trois sociétés commerciales et deux sociétés civiles immobilières et était ainsi rompu à la vie des affaires, ce qui n’était pas le cas des associés de la concluante’; qu’il leur avait assuré que ses experts-comptables habituels s’étaient occupés de créer le montage, alors qu’il gérait le secrétariat juridique de la concluante’;

21. – que si les intimés affirment que l’approbation des comptes de la concluante viendrait valider ce montage, cela est cependant indépendant du vice du consentement affectant l’acte de cession, alors que [B] [K] était associé majoritaire’; qu’aucun acte n’est venu confirmer l’acte de cession’;

22. – concernant une prétendue mauvaise foi des associés de la concluante dans l’exécution de l’acte de cession, que celui-ci étant vicié dès son origine, les manquements contractuels ultérieurs invoqués n’ont eu aucun impact sur la validité de cet acte’; qu’en outre, les associés de la concluante n’ont jamais agi de mauvaise foi à l’encontre de [B] [K], ayant seulement demandé à la juridiction prud’homale de constater que leurs contrats de travail avaient été maintenus’; qu’en raison de l’effet relatif des contrats, les intimés ne peuvent invoquer le comportement des associés de la concluante, qui seule forme une demande de nullité de l’acte de cession, même si l’argument tiré du dol est soulevé par les associés’; que les attestations émanant de salariés de la société Etablissements [K] [B] concernant l’absence de litige prud’homal sont sans objet’;

23. – s’agissant de l’intention dolosive de [B] [K], qu’il n’est pas nécessaire de démontrer la volonté de causer un préjudice, mais uniquement celle de tromper’; que l’intention dolosive se déduit ainsi des man’uvres employées’; qu’en la cause, l’acte de cession a prévu que [B] [K] conserve le contrôle de la concluante, grâce à la détention de 51’% du capital’; que la cession a eu pour but de maintenir le lien de subordination avec ses anciens salariés et d’éluder l’application du droit du travail, avec une dépendance économique de la concluante’; que cette intention frauduleuse résulte également des pressions exercées par [B] [K] et du fait qu’il avait, antérieurement, tenté de tromper certains de ses salariés en leur proposant un montage identique’; qu’elle résulte en outre des bénéfices personnels procurés par ce montage, au titre du remboursement du crédit-vendeur, lui permettant d’être rembourser de la cession de ses parts grâce au prix des prestations réalisées par la concluante et payées par la société Etablissements [K] [B]’;

24. – que si ces man’uvres n’avaient pas été déployées, la concluante n’aurait pas consenti au montage proposé’;

25. – concernant le point de départ de la prescription, que le tribunal a justement retenu qu’il remonte à la date de la connaissance effective des associés de la concluante des man’uvres commises par [B] [K], soit au mois d’août 2012, conformément à l’article 1304 du code civil, cette date correspondant à la cessation du paiement des sommes dues à la concluante au titre des prestations de services’; que suite à ce fait, [P] [B], privé de sa rémunération et sommé de quitter son lieu de travail, a pris contact avec ses avocats qui ont découvert l’ampleur du montage; que par courriers des 31 août et 12 septembre 2012, il a mis en demeure la société Etablissements [K] [B] et [B] [K] de le rétablir dans ses droits de salarié et de régler les sommes dues à la concluante’au titre des prestations de services et de restituer la totalité du prix perçu au titre de la cession des parts’;

26. – qu’en tout état de cause, [X] [J] n’est devenue associée de la concluante que le 24 décembre 2008, de sorte que la prescription la concernant n’est pas acquise, pas plus que contre la concluante, puisque madame [J] a été sa représentante légale’;

27. – s’agissant des effets de l’annulation de l’acte de cession, qu’elle impose la restitution de l’intégralité des sommes versées à [B] [K] à la concluante, pour 174.999 euros, somme versée à la date du mois de juillet 2012′; que la procédure collective ouverte à l’encontre de la société Etablissements [K] [B] n’a pas d’effet sur cette restitution’; que le jugement déféré doit ainsi être infirmé en ce qu’il a débouté la concluante de cette demande’;

28. – subsidiairement, que l’acte de cession est nul en raison de sa cause illicite, en raison de la fraude à la loi utilisée afin de contourner les obligations de la société Etablissements [K] [B] en matière de salaires et de cotisations sociales, et en permettant à [B] [K] de bénéficier personnellement du paiement des prestations de services lui permettant d’obtenir le remboursement du crédit-vendeur consenti pour l’acquisition de ses parts sociales, alors que les associés de la concluante n’ont jamais perçu de dividendes’;

29. – en tout état de cause, que la responsabilité délictuelle de [B] [K] doit être retenue’; qu’en raison de la date de l’acte de cession en 2007, la prescription de cette action était de 10 ans sous le régime de l’ancienne loi, alors qu’avec la réforme du droit de la prescription, elle s’est trouvée acquise le 19 juin 2013′; que l’action engagée est ainsi recevable’;

30. – que la manipulation des associés de la concluante a causé à cette dernière un préjudice moral puisque son fonctionnement a été déstabilisé, ce qui justifie l’octroi de dommages et intérêts à hauteur de 30.000 euros’;

31. – s’agissant de la demande reconventionnelle de [B] [K] visant l’exécution forcée de l’acte de cession pour 78.081 euros, correspondant au solde du prix des parts, qu’elle est prescrite puisque formée pour la première fois par conclusions du 21 avril 2021, [B] [K] n’ayant sollicité antérieurement que la résolution de la cession et l’octroi de dommages et intérêts’dans ses conclusions remises en 2016 ;

32. – sur le fond, que la concluante était fondée à arrêter le remboursement du crédit-vendeur en raison de l’arrêt brutal par la société Etablissements [K] [B] du paiement des prestations de services rendues par la concluante, étant sa seule source de revenus, ce que savait [B] [K], qui ne peut se prévaloir de sa propre turpitude’;

33. – subsidiairement, concernant le montant de cette demande, que la concluante a réglé 174.999 euros, de sorte qu’elle ne peut être condamnée qu’au paiement de 70.001 euros’;

34. – concernant l’appel incident de [B] [K] visant le paiement de 200.000 euros en réparation du préjudice subi par la perte de ses parts sociales en raison de la liquidation judiciaire de la société Etablissements [K] [B] induite par le comportement des associés de la concluante, que le tribunal a justement rejeté cette demande, puisque la concluante n’a commis aucune faute à l’égard de ce concluant’; qu’il ne peut être reproché à la concluante le «’comportement’» de ses associés ayant engagé des procédures prud’homales’; que l’intimé ne permet pas d’évaluer le préjudice invoqué, alors qu’il n’existe aucune causalité entre la faute prétendue et ce préjudice’;

35. – s’agissant de la demande au titre d’un paiement indu ou d’un enrichissement sans cause, formée par la société Etablissements [K] [B] afin d’obtenir le paiement de 300.000 euros, que les paiements des prestations de services étaient dus’; que les associés de la concluante n’ont pas bénéficié d’une double rémunération du fait des condamnations prud’homales et des paiements effectués au titre des prestations de services, puisque les condamnations prononcées par la cour d’appel de Chambéry correspondent à l’absence de respect par la société Etablissements [K] [B] de ses obligations d’employeur à l’égard de ses salariés’;

36. – que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, alors que le montage opéré résulte du choix de [B] [K] et de la société Etablissements [K] [B] d’échapper à leurs obligations d’employeurs par le biais d’une fausse sous-traitance’;

37. – que la concluante n’a reçu aucune somme dans le cadre de l’instance prud’homale, mais qu’elle a seulement bénéficié des rémunérations prévues dans les conventions de prestations de services, de sorte qu’elle n’a bénéficié d’aucun enrichissement sans cause’;

38. – qu’une décision judiciaire définitive ne donne pas lieu à indemnisation sur le fondement de l’enrichissement sans cause, puisqu’elle justifie l’enrichissement allégué qui n’est pas ainsi injustifié’;

39. – que la société Etablissements [K] [B] n’a pas été appauvrie par les condamnations prud’homales versées en définitif par l’Ags’;

40. – que l’action de la concluante étant justifiée, le jugement déféré doit être confirmé en ce qu’il a rejeté la demande des intimés fondée sur une procédure abusive.

Prétentions et moyens de maître [V], ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société Etablissement [K] [B], et de [B] [K]’:

41. Selon leurs conclusions remises le 22 mars 2023, ils demandent à la cour, au visa des article 2224 et suivants, 1116 et suivants, 1134, 1404, 1382 du code civil, 112 à 122 du code de procédure civile’:

– de juger prescrite l’action en nullité de l’appelante, plus de cinq ans s’étant écoulé entre l’acte de cession des parts et l’assignation délivrée le 9 octobre 2012 ;

– ainsi, de réformer sur ce point le jugement déféré’;

– de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné l’appelante à payer la somme de 78.081 euros au titre du solde du prix des parts sociales, outre intérêts au taux légal à compter du jugement, et d’ordonner la capitalisation des intérêts’;

– de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté de toutes ses demandes en nullité pour dol ou en cause illicite la société Chris and [P], la cession des parts sociales étant parfaitement valable et aucun dol n’ayant été commis par [B] [K]’;

– de débouter l’appelante de toutes demandes formées à l’encontre des concluants’;

– faisant droit aux prétentions des concluants, de débouter la société Chris and [P] de ses nouvelles prétentions tendant à vouloir voir annuler la cession pour cause illicite ou immorale qui n’existe pas en l’espèce, l’objet de la convention étant parfaitement licite et moral’;

– de juger que [B] [K] n’a jamais menti en quoi que ce soit’;

– de débouter l’appelante de ses demandes subsidiaires en responsabilité délictuelle formées contre [K] [B]’;

– de débouter la société Chris and [P] de toutes ses demandes de condamnation à l’encontre de [B] [K]’;

– statuant sur l’appel incident, de réformer le jugement déféré en ce qu’il n’a pas alloué la somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts à [B] [K]’;

– en conséquence, de condamner l’appelante à payer 200.000 euros de dommages et intérêts à [B] [K] en réparation du préjudice lié à la perte de valeur des 51 % de parts sociales qu’iI restait détenir’;

– de réformer le jugement déféré en ce qu’il n’a pas retenu le caractère indu de la partie des versements effectués au titre de la convention de prestations de services, d’un montant de 300.000 euros devenue indue en l’état des condamnations prud’homaIes pour le même travail de madame [C] et de [P] [B]’;

– de faire droit en conséquence à l’action de maître [V] qui se fonde sur les pièces produites aux débats à savoir les relevés bancaires de la société Chris and [P] et les décisions prud’homaIes, ainsi que les bordereaux de paiement des AGS’;

– en conséquence, de condamner sur le fondement de l’enrichissement sans cause et du paiement indu la société Chris and [P] à lui payer la somme de 300.000 euros’;

– de réformer le jugement qui n’a pas alloué à maître [V] ès-qualités la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice subi par la liquidation du fait de procédures abusives intentées’;

– de juger les procédures de la société Chris and [P] abusives’;

– en conséquence, de la condamner à payer à maître [V] ès-qualités la somme de 10.000 euros à ce titre et du fait de son appel abusif’;

– de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Chris and [P] au paiement de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens’;

– y ajoutant, de condamner en sus en cause d’appel la société Chris and [P] à payer la somme complémentaire de 6.000 euros’;

– de juger que les entiers dépens de la première instance et de l’appel seront mis à la charge de la société Chris and [P].

Les intimés soutiennent’:

42. – concernant le point de départ de la prescription, que la société Chris and [P] a été constituée en toute liberté et avec l’aide de son propre expert-comptable, sans intervention ou comportement dolosif de [B] [K], qui envisageait de céder progressivement son entreprise à ses salariés’; que la valorisation des parts sociales n’a pas été contestée’; qu’en l’absence de dol, le tribunal n’a pu retenir que c’est le litige survenu entre associés en juillet 2012 qui constitue le point de départ de la prescription’;

43. – sur le fond, que le dol ne peut se déduire du lien de subordination existant entre le cédant et le cessionnaire’; que la preuve d’un vice du consentement de l’appelante ou de [P] [B] et de madame [C] n’est pas rapportée’; que le fait que [P] [B], madame [C] et leurs collègues soient restés salariés de la société Etablissements [K] [B] et qu’ils aient réalisé des prestations dont la nature était identique à celles résultant de leurs contrats de travail n’est pas un élément de tromperie’; que c’est à la demande de [P] [B] et de madame [C] que la société Chris and [P] a été constituée’;

44. – qu’il n’existe aucune cause illicite, puisque la cession des parts a été opérée à un prix qui n’a jamais été contesté, alors que l’acte a été exécuté pendant plus de cinq ans par l’appelante sans difficulté et que l’appelante dégageait des résultats positifs’; que comme retenu par le tribunal, les versements effectués dans le cadre des prestations de services permettaient d’assurer l’intégralité du paiement des rémunérations et des charges sociales des associés de la société Chris and [P], de sorte que l’opération était équilibrée, cette société ayant perçu 705.042 euros TTC au titre des prestations de services; que le fait qu’aucune distribution de bénéfices ne soit intervenue n’est pas

constitutif d’un dol, puisque les assemblées générales ont validé la mise en réserve des bénéfices’; que le crédit-vendeur a été remboursé à hauteur de 83,3’% et de façon indolore’; que les trois cogérants ont vu leurs rémunérations augmentées par rapport à celles perçues lorsqu’ils étaient salariés, outre le bénéfice d’avantages sociaux’puisque monsieur [B] et madame [C] ont fait assurer par la société le paiement de leurs cotisations sociales;

45. – que les décisions prud’homales n’ont pas statué sur un prétendu caractère frauduleux de la constitution de la société Chris and [P], mais uniquement sur la cause de la rupture du contrat de travail’; qu’il ne peut être retenu aucun argument des relations salariales, puisqu’elles sont distinctes de celles résultant de la qualité d’associés, en raison de l’effet relatif des conventions’; que la société Etablissements [K] [B] n’a pas eu d’autres contentieux prud’homaux’;

46. – que le tribunal a justement débouté l’appelante de sa demande de dommages et intérêts en l’absence de faute de [B] [K], d’un lien de causalité et d’un préjudice’;

47. – concernant la demande reconventionnelle de [B] [K] en paiement du solde du prix de la cession, que le tribunal a exactement retenu la somme de 78.081 euros, puisque la société Chris and [P], alors qu’elle disposait d’une trésorerie suffisante, a cessé d’exécuter l’acte de cession à compter du mois de février 2012 selon ses relevés bancaires;

48. – s’agissant de la demande de [B] [K] au titre de l’indemnisation de la perte de la valeur de ses parts sociales en raison de la liquidation judiciaire de la société Etablissements [K] [B], que le tribunal n’a pas statué sur cette demande’; que le comportement de [P] [B] et de madame [C] a occasionné un préjudice de 200.000 euros’;

49. – concernant les demandes de maître [V] au titre de paiements devenus indus, que les condamnations prud’homales qu’il a dû assumer font double emploi avec les sommes versées au titre des prestations de services’; que la somme de 300.000 euros correspond à ce qui a été perçu par les trois cogérants au titre de l’Ags’; qu’en demandant les mêmes rémunérations que celles perçues dans le cadre des prestations de services, l’appelante a provoqué un paiement indu à hauteur des salaires que finalement la société Etablissements [K] [B] a dû exposer’; que la responsabilité quasi délictuelle de l’appelante est engagée du fait de ses associés’;

50. – que la procédure dirigée contre la liquidation judiciaire étant abusive, maître [V] est fondé à solliciter le paiement de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.

*****

51. Il convient en application de l’article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.

MOTIFS D E LA DECISION:

1) Concernant la prescription de l’action de la société Chris and [P]’fondée sur un dol de [B] [K]:

52. Selon le tribunal de commerce, sur la prescription de l’action en nullité pour dol, l’article 1304 code civil dispose que l’action en nullité se prescrit par cinq ans et ce temps ne court, dans le cas du dol, que du jour où les man’uvres ont été découvertes. L’acte de cession dont la nullité est soulevée a été conclu le 1er juillet 2007, alors que l’assignation a été délivrée le 9 octobre 2012. Le tribunal a constaté qu’en août 2012, la société Etablissements [K] [B] a cessé brutalement de régler à la société Chris and [P] les sommes dues au titre des prestations de services, que [P] [B] a fait l’objet de sommations interpellatives et a été privé de ses principaux outils de travail’; que des lettres de mise en demeure ont été adressées à la société Chris and [P] courant août et septembre 2012 afin de rétablir les droits des associés et de restituer les sommes réglées au titre de la cession intervenue en juillet 2007. Le tribunal en a retiré que le point de départ du délai de prescription, reposant sur la connaissance effective par les associés de la société Chris and [P] des man’uvres commises ou provoquée par leur cocontractant, remonte au mois d’août 2012 et qu’ainsi, la prescription n’est pas acquise.

53. Concernant la nullité pour dol, le tribunal, après avoir rappelé les dispositions des articles 1116 et 1315 du code civil, a dit qu’il n’est pas démontré que le vendeur disposait d’information que les acquéreurs n’étaient pas en mesure d’obtenir, qu’il n’est pas prouvé que les salariés qui ont créé la holding l’ont fait sous la contrainte de [B] [K], ni qu’il avait volontairement l’intention de tromper les acquéreurs. Il a indiqué qu’aucune faute de la part de [B] [K] n’est rapportée, qu’aucun élément ne permet de retenir qu’il aurait eu un comportement dolosif ayant vicié le consentement des cocontractants, et engagé sa responsabilité.

54. La cour constate que selon l’ancien article 1304 du code civil, en vigueur lors de la cession des parts, dans tous les cas où l’action en nullité ou en rescision d’une convention n’est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans. Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé; dans le cas d’erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts.

55. Selon l’extrait K-bis de la société Chris and [P], elle a été immatriculée le 17 septembre 2007, avec pour gérant [P] [B] et [T] [C], ses fondateurs. Selon les statuts signés le 14 juin 2007, son objet social est la prise de participations, l’actionnariat, l’exploitation de toutes entreprises de négoce, vente de matériels électro-ménagers, Hifi, décoration, meubles, matériel électrique et électronique, et plus généralement toutes opérations industrielles, commerciales, financières, mobilières ou immobilières pouvant se rattacher directement ou indirectement à l’objet social. Ces statuts ne font aucune référence à l’acquisition d’une partie des parts sociales détenues par [B] [K] dans la société Etablissements [K] [B] qui va intervenir postérieurement, ni à un accord concernant des prestations de services. Il ne résulte pas des statuts que l’appelante a été constituée à cette fin.

56. La société Chris and [P] a acquis, selon acte sous seing privé enregistré le 19 septembre 2007, 490 parts sur les 1.000 parts constituant le capital de la société Etablissements [K] [B], détenues par [B] [K], au prix de 245.000 euros, devant être réglé par le crédit-vendeur accordé par le cédant, au moyen de 84 mensualités de 2.916,65 euros chacune. Un taux d’intérêt de 1’% a été stipulé. Cet acte ne renferme en lui-même aucun élément permettant de retenir l’existence de man’uvres dolosives émanant du cédant. Le prix de la cession des parts n’a jamais été remis en cause. L’acte de cession ne contient aucune stipulation faisant référence à un accord afin que des prestations de services soient réalisées par la société Chris and [P] au profit de la société Etablissements [K] [B], afin que les mensualités du crédit-vendeur puissent être honorées.

57. Cependant, le siège social de la société Chris and [P] se trouve être situé à la même adresse que celui de la société Etablissements [K] [B]. En outre, il résulte de la sommation interpellative délivrée par la société Etablissements [K] [B] à [P] [B] le 6 août 2012 que la première est en relation avec la société Chris and [P] concernant des prestations qui comprennent, entre autres, la gestion des rayons du magasin, que [P] [B] est en charge de la gestion du rayon multi média et de son service après-vente. Selon le certificat de travail délivré par la société Etablissements [K] [B] à [P] [B], ce dernier avait quitté l’entreprise le 30 juin 2007, soit après la constitution de la société Chris and [P]. Il en résulte qu’il a continué à oeuvrer pour la société Etablissements [K] [B] sous le couvert de la société Chris and [P].

58. En outre, l’analyse des comptes bancaires de la société Chris and [P] indique que celle-ci n’a retiré ses revenus que des paiements effectués par la société Etablissements [K] [B], pour des montants identiques’: 8.970 euros par mois du 10 novembre 2007 au 10 décembre 2008, puis 11.362 euros par mois au cours de l’année 2009 jusqu’au début du mois d’avril 2012, et enfin 12.558 euros de la fin du mois d’avril jusqu’au 3 juillet 2012.

59. La cour constate ainsi que dès l’origine, la création de la société Chris and [P] a eu pour but de permettre à la société Etablissements [K] [B] de contourner la législation sociale, alors que [P] [B] continue à travailler dans l’entreprise, non plus comme salarié de la société Etablissements [K] [B] mais sous le couvert de la société Chris and [P]. C’est le sens de l’arrêt de la cour d’appel de Chambery du 12 novembre 2020, intervenu sur renvoi après cassation, dans l’instance opposant [P] [B] et maître [V] ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société Etablissements [K] [B]. Il résulte de cette décision que [P] [B] n’a jamais démissionné de son emploi occupé au sein de la société Etablissements [K] [B], laquelle a fait l’économie des salaires et prestations sociales pour des travaux réalisés par ses propres salariés dans des conditions identiques. La cour en a retiré que l’employeur a entendu poursuivre la relation contractuelle de travail en ne respectant pas ses obligations, et en essayant de faire croire à une relation commerciale qui n’est pas démontrée, de sorte que le travail dissimulé est avéré.

60. La cour retire de ces éléments que dès la création de la société Chris and [P], il a été convenu entre [B] [K], [P] [B] et madame [C], que [P] [B] poursuivrait, sous le couvert de la société Chris and [P], les mêmes tâches financées par les prestations de services. Les gérants de la société Chris and [P] connaissaient ainsi dès l’origine de l’opération son but. Il en résulte que le point de départ de la prescription de l’action reposant sur un dol de [B] [K] dans la signature de l’acte de cession d’une partie de ses parts se situe à la date de la signature de cet acte en juillet 2007. En conséquence, l’action engagée le 9 octobre 2012 est prescrite. L’arrêt des prestations de services, nécessaires au paiement des échéances du crédit-vendeur, n’a pas été l’élément ayant permis à la société Chris and [P] de se rendre compte qu’elle avait été victime d’un dol. Le fait qu’une troisième personne ait été ensuite associée dans la société Chris and [P] est inopérant.

61. Le jugement déféré sera ainsi infirmé en ce qu’il a dit que l’action en nullité de l’acte de cession pour dol est recevable. Statuant à nouveau, la cour jugera que l’action reposant sur ce motif est prescrite et qu’elle est irrecevable. En conséquence, le jugement déféré sera également infirmé en ce qu’il a dit que les éléments constitutifs du dol ne sont pas réunis.

2) Sur l’existence d’une cause illicite’:

62. Concernant l’annulation de la cession pour clause illicite et intention de frauder, le tribunal a constaté que la holding pouvait régler chaque mois le crédit vendeur sachant que l’impôt a été payé lors de la cession et qu’ainsi, le caractère illicite n’est pas établi.

63. La cour constate que selon les anciens articles 1131 et 1133 du code civil, dans leur rédaction applicable lors de la signature de l’acte de cession de parts, l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet. La cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes moeurs ou à l’ordre public.

64. En l’espèce, l’acte de cession des parts n’a pas eu pour but d’éluder les obligations reposant sur la société Etablissements [K] [B] en sa qualité d’employeur. Cet acte était en effet sans intérêt pour atteindre un tel but, puisqu’il suffisait de créer la société Chris and [P], afin que [P] [B] travaille ensuite en qualité de gérant de cette société pour la société Etablissements [K] [B], avec une rémunération assurée par les prestations de services. Il ressort ainsi de l’analyse des relevés du compte bancaire de la société Chris and [P] développée plus haut que les sommes versées à celle-ci dans le cadre de ces prestations ont été bien supérieures au montant des mensualités de remboursement du crédit-vendeur consenti par [B] [K]. Il doit être également retenu la durée de ce remboursement, s’échelonnant sur 84 mois, et il est acquis que la société Chris and [P] a toujours connu une situation bénéficiaire, tout en assumant le règlement de ses charges et du crédit-vendeur.

65. Selon les statuts de la société Chris and [P], [B] [K] n’a pas été l’un des associés de cette personne morale. Le fait qu’il ait conservé 51’% des parts de la société Etablissements [K] [B] est sans incidence, de même que l’absence de distribution de dividendes résultant des bénéfices réalisés par cette société. [B] [K] a expliqué avoir voulu, par cette cession, anticiper un départ à la retraite, étant né en 1958. Si la licéité du but de la constitution de la société Chris and [P] peut être discutée, tel n’est pas le cas de la cession d’une partie des parts de [B] [K] dans la société Etablissements [K] [B], dont le prix n’a jamais été remis en cause. Cette cession permettait ainsi un transfert progressif d’une partie de l’entreprise, peu important l’absence d’un pacte d’associés qui n’était pas un préalable obligatoire. Aucun élément n’interdisait à la société Chris and [P] de réorienter ses activités afin de ne pas être dépendante économiquement des seules prestations réalisées au profit de la société Etablissements [K] [B] et il n’est pas établi que cette dernière et [B] [K] aient empêché l’appelante de réaliser son objet social rappelé plus haut.

66. En conséquence, le jugement déféré ne peut qu’être confirmé en ce qu’il a dit que l’action de la société Chris and [P] est mal fondée et en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes en nullité et de restitution.

3) Sur l’action de l’appelante reposant sur la responsabilité délictuelle de [B] [K]’:

67. La cour ne peut que constater que l’appelante opère une certaine confusion entre ses intérêts propres et ceux distincts de ses associés. En l’espèce, si elle invoque un préjudice moral et sollicite une indemnité de 30.000 euros à ce titre, il n’est justifié d’aucun préjudice la concernant personnellement au titre de la cession d’une partie des parts sociales de la société Etablissements [K] [B] par [B] [K]. Il a été relevé plus haut que cette cession avait une cause licite. Elle avait pour but un objet réel, et le prix de cette cession n’a jamais été remis en cause. L’appelante n’a pas été partie aux décisions prud’homales précitées, ayant été mises en ‘uvre par [P] [B] seul, se prévalant de sa qualité de salarié de la société Etablissements [K] [B], et il n’est pas soutenu que la société Chris and [P] ait subi un préjudice résultant de ces décisions. Il n’est pas établi que le fonctionnement de l’appelante ait été déstabilisée par une manipulation de ses associés. Le jugement déféré sera ainsi confirmé en ce qu’il a débouté la société Chris and [P] de l’ensemble de ses demandes.

4) Concernant la demande reconventionnelle de [B] [K] relative au paiement du solde du prix de la cession:

68. Sur la demande reconventionnelle de la société Etablissement [K] [B] et de [B] [K], le tribunal a considéré qu’il est bien fondé à conserver les sommes légitimement reçues au titre de l’acte qui prévoyait qu’en cas de résiliation pour non-paiement, l’intégralité des sommes restait due jusqu’à la fin. Le tribunal a constaté que [B] [K] a supporté la fiscalité de l’opération de cession, sur la plus-value, et qu’il apparaît que les sommes perçues au titre du crédit-vendeur était en franchise d’impôt. Il en a déduit que le solde est dû et que [B] [K] est recevable et bien fondé en sa demande concernant le paiement de 78.081 euros.

69. La cour relève qu’ainsi qu’énoncé au paragraphe 31 du présent, arrêt, la société Chris and [P] a soutenu, dans ses conclusions, que la demande reconventionnelle de [B] [K] visant le paiement du solde du prix de la cession de ses parts est prescrite, et a sollicité dans le dispositif de ces conclusions le rejet de la demande. Il n’est pas contesté que la demande reconventionnelle de cet intimé n’a été présentée que dans ses conclusions du 21 avril 2021, alors que les mensualités de remboursement du crédit-vendeur ont été suspendues à compter du mois de février 2012 selon les intimés.

70. En conséquence, cette action en paiement est prescrite. Le jugement déféré sera ainsi infirmé en ce qu’il a dit recevable et bien fondée la demande reconventionnelle de [B] [K] et de la société Etablissements [K] [B] en paiement du solde du prix des parts sociales’et, en conséquence, a condamné la société Chris and [P] à payer à [B] [K] la somme de 78.081 euros au titre du solde du prix des parts sociales, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision. Statuant à nouveau, la cour déclarera l’action de [B] [K] irrecevable.

5) Concernant la demande de [B] [K] formée au titre de la valeur de ses parts sociales’:

71. Cette prétention, formée à hauteur de 200.000 euros, repose sur la perte de valeur des parts sociales conservées par [B] [K] dans le capital de la société Etablissements [K] [B]. En la cause, il n’est justifié d’aucun fait imputable à la société Chris and [P] expliquant la déconfiture de la société Etablissements [K] [B]. Le fait qu’elle n’ait pas assuré le remboursement de la valeurs des parts qu’elle a acquise dans le capital de cette société est sans incidence sur la liquidation judiciaire, puisque ce remboursement devait intervenir au profit de [B] [K] et non de la société Etablissements [K] [B]. Cette dernière n’a ainsi subi aucune perte de ce chef. Enfin, il est constant que [B] [K] a conservé 51’% des droits de vote et il avait ainsi la maîtrise de la gestion de la société Etablissements [K] [B]. Ajoutant au jugement déféré qui n’a pas statué sur ce point, la cour déboutera [B] [K] de cette demande. La cour observe au demeurant que [B] [K] n’a pas remis en cause le jugement déféré en ce qu’il l’a débouté de sa demande de résiliation de l’acte de cession de ses parts aux torts de la société Chris and [P].

6) Concernant la demande de restitution formée par maître [V] ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société Etablissements [K] [B]’:

72. S’agissant de la demande de maître [V] au titre de la convention de prestations de services, le tribunal a énoncé qu’après examen des pièces produites aux débats, maître [V] ne justifie pas sa demande et qu’elle est mal fondée.

73. La cour ne peut que confirmer cette appréciation. Il n’est en effet pas établi que les sommes versées à l’appelante dans le cadre des prestations de services étaient sans cause, au regard des travaux effectivement réalisés par la société Chris and [P]. L’effet de l’arrêt de la cour d’appel de Chambéry ne bénéficie qu’à [P] [B], dont les intérêts sont distincts de ceux de la société Chris and [P], maître [V] opérant également une confusion entre les intérêts de la société et ceux de ses associés. Cet arrêt s’est fondé sur le fait qu’aucune démission de [P] [B] n’est intervenue, qu’aucune décision de licenciement n’a été prononcée par la société Etablissements [K] [B] alors que les salaires dus à [P] [B] n’ont plus été réglés à compter du 1er juillet 2007, bien qu’il soit resté sous la subordination de cette société. La cour a en conséquence requalifié la prise d’acte de la rupture du contrat de travail en licenciement abusif, en raison du comportement grave de l’employeur et a confirmé l’existence d’un travail dissimulé. Cette décision constitue la cause de l’appauvrissement de la société Etablissements [K] [B], cause qui n’est pas le fait de l’appelante, qui n’a pas été partie devant les diverses juridictions prud’homales. La société Etablissements [K] [B] a été à l’origine de son préjudice, constaté par la cour d’appel de Chambéry. Le jugement déféré sera ainsi confirmé sur ce point.

7) Concernant la demande de maître [V] ès-qualités concernant le paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive’:

74. Il résulte de l’ensemble des motifs développés plus haut que l’action de la société Chris and [P] ne saurait être considérée comme abusive. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté cette prétention.

8) Sur les demandes accessoires’:

75. Le tribunal de commerce a fait une exacte application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, et le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a condamné l’appelante sur ces points.

76. Il ressort du présent arrêt que la société Chris and [P] succombe en ses demandes principales, et que [B] [K] succombe en son appel incident, de même que maître [V] ès-qualités de liquidateur de la société Etablissements [K] [B]. En conséquence, il est équitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais et dépens qu’elle a exposés en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Vu les articles 1116 et suivants, 1131 et suivants, l’article1304 du code civil (anciens) ;

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a dit que l’action en nullité de l’acte de cession du 1er juillet 2007 de la société Chris and [P] est recevable’et que les éléments constitutifs du dol ne sont pas réunis ;

Infirme le jugement déféré en ce qu’il a dit recevable et bien fondée la demande reconventionnelle de [B] [K] et de la société Etablissements [K] [B] en paiement du solde du prix des parts sociales’et, en

conséquence, condamné la société Chris and [P] à payer à [B] [K] la somme de 78.081 euros au titre du solde du prix des parts sociales, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision’;

Confirme le jugement déféré en ses autres dispositions soumises à la cour ;

statuant à nouveau’;

Déclare l’action en nullité de l’acte de cession du 1er juillet 2007 de la société Chris and [P] reposant sur le dol prescrite, et déclare la société Chris and [P] irrecevable en ses demandes de ce chef’;

Déclare l’action de [B] [K] en paiement du solde du prix des parts sociales’prescrite’et ainsi irrecevable’;

y ajoutant’;

Déboute [B] [K] de sa demande de dommages intérêts formée à hauteur de 200.000 euros en réparation du préjudice lié à la perte de valeur des 51’% des parts sociales qu’il restait détenir dans le capital de la société Etablissements [K] [B]’;

Laisse à la charge de chacune des parties les frais et dépens qu’elle a exposés en cause d’appel, et admet maître Martin Valluis, avocat, au bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile’;

SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente

 


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