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AFFAIRE :N° RG 22/00640
ARRÊT N°
NLG
ORIGINE : DECISION en date du 02 Mars 2022 du Tribunal de Commerce de CAEN CEDEX
RG n° 2021004175
COUR D’APPEL DE CAEN
DEUXIEME CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE
ARRÊT DU 08 FEVRIER 2024
APPELANTE :
S.A.S. SELIMA
N° SIRET : 411 495 369
[Adresse 9]
[Localité 3]
prise en la personne de son représentant légal
Représentée par Me Jérémie PAJEOT, avocat au barreau de CAEN,
Assistée de Me François KOPF et Me Mathieu DELLA VITTORIA, avocat au barreau de PARIS
INTIMES :
Maître [W] [Y] Mandataire Judiciaire de la SARL SOVALVIP
[Adresse 1]
[Localité 2]
S.A.R.L. SOVALVIP
N° SIRET : 517 993 069
[Adresse 7]
[Localité 6]
prise en la personne de son représentant légal
S.E.L.A.R.L. TRAJECTOIRE, prise en la personne de Maître [P] Commissaire à l’exécution du plan de sauvegarde de la SARL SOVALVIP
N° SIRET : 838 30 8 6 17
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 2]
prise en la personne de son représentant légal
Représentés et assistés de Me Franck THILL, avocat au barreau de CAEN
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame EMILY, Président de Chambre,
Mme COURTADE, Conseillère,
M. GOUARIN, Conseiller,
MINISTERE PUBLIC :
Auquel l’affaire a été régulièrement communiquée.
DÉBATS : A l’audience publique du 14 décembre 2023
GREFFIER : Mme LE GALL, greffier
ARRÊT prononcé publiquement le 08 février 2024 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame EMILY, président, et Mme LE GALL, greffier
*
* *
Le 28 septembre 2009 a été constituée la SARL Sovalvip entre les époux [E], associés majoritaires, et la SAS Selima, détenant 26 % des parts sociales et filiale à 100 % de la société Profidis, elle-même filiale de la société Carrefour SA, avec pour objet social l’acquisition et l’exploitation d’un fonds de commerce de type supermarché sis à [Localité 4] sous l’enseigne Marché plus ou toute autre enseigne appartenant au groupe Carrefour, à l’exclusion de toute autre.
Au cours de l’année 2011, un premier contrat de location-gérance portant sur le fonds de commerce situé à [Localité 4] a été résilié, puis, le 12 septembre 2011, la SARL Sovalvip et la société Carrefour proximité France (CPF), filiale du groupe Carrefour, ont conclu un contrat de location-gérance portant sur un fonds de commerce exploité sous l’enseigne Carrefour City, situé [Adresse 7] à [Localité 5] (anciennement [Localité 6]).
Par acte authentique en date du 4 juillet 2014, la société CPF a cédé à la société Sovalvip le fonds de commerce situé à [Localité 5], moyennant un prix de 370.000 euros, sous la condition expresse que Sovalvip poursuive son exploitation sous l’enseigne Carrefour pour une période de dix ans.
A l’occasion de cette cession de fonds, les statuts de Sovalvip ont été modifiés d’un commun accord entre les associés pour définir l’objet social de Sovalvip, consistant dans ‘l’exploitation d’un fonds de commerce de type supermarché sis [Adresse 7], sous enseigne Carrefour City ou tout autre enseigne appartenant au Groupe Carrefour, à l’exclusion de toute autre’, et les pouvoirs du gérant, l’accord préalable des associés représentant plus des 3/4 des parts sociales étant requis pour toute décision visant à modifier l’enseigne du fonds de commerce.
Dans le cadre de l’exploitation de ce fonds de commerce, la société Sovalvip a conclu, le 4 juillet 2014, un contrat de franchise avec la société Carrefour Proximité France (CPF) pour une période de 7 ans et un contrat d’approvisionnement avec la société CSF de la même durée, renouvelables par tacite reconduction, à défaut de dénonciation intervenue 1 an avant l’échéance de chaque période.
Le 17 juin 2020, la société Sovalvip a dénoncé ces deux contrats à effet au 25 juin 2021.
Le 24 septembre 2020, la société Sovalvip a demandé l’ouverture d’une procédure de sauvegarde à son profit.
Par jugement en date du 30 septembre 2020, le tribunal de commerce de Caen a ouvert une procédure de sauvegarde à l’égard de la SARL Sovalvip désignant la SELARL Trajectoire en la personne de Me [C] [P] comme administrateur judiciaire et Me [W] [Y] comme mandataire judiciaire.
La société Selima a formé une tierce-opposition à l’encontre de ce jugement.
Par arrêt du 28 septembre 2023, infirmant le jugement rendu le 26 mai 2021 par le tribunal de commerce de Caen, la cour d’appel de Caen a déclaré recevable la tierce opposition formée par la société Selima et par la société Carrefour proximité France contre la décision d’ouverture de la procédure de sauvegarde, mais considéré que la société Sovalvip justifiait de difficultés insurmontables et rejeté par conséquent la demande de rétractation du jugement d’ouverture du 30 septembre 2020.
Par requête en date du 21 mai 2021, la société Sovalvip et son administrateur judiciaire ont saisi le juge-commissaire d’une demande aux fins d’être autorisés à accomplir un acte étranger à la gestion courante de la société.
Par ordonnance du 8 juin 2021, le juge-commissaire a fait droit à cette demande, autorisant la conclusion de nouveaux contrats d’enseigne et d’approvisionnement avec la société Segurel, le changement de l’enseigne du fonds de commerce de ‘Carrefour City’ en ‘Coccinelle supermarché’ et la constitution d’un dépôt de garantie de 40.000 euros entre les mains de la société Segurel.
Par jugement du 12 janvier 2022, le tribunal de commerce de Caen a rejeté le recours formé par la société Selima contre l’ordonnance du juge-commissaire du 8 juin 2021.
Par un arrêt du 12 octobre 2023, la cour d’appel de Caen, infirmant partiellement le jugement du 12 janvier 2022, a annulé l’ordonnance du juge-commissaire en date du 8 juin 2021 en ce qu’elle a autorisé la conclusion d’un nouveau contrat d’enseigne et a autorisé le changement d’enseigne en Coccinelle supermarché.
Parallèlement, par requête du 2 juin 2021, Sovalvip et son administrateur judiciaire ont saisi le tribunal de commerce de Caen sur le fondement de l’article L. 626-3 du code de commerce, aux fins de permettre à l’assemblée générale des associés de statuer sur des modifications statutaires relatives à l’objet social à des règles de majorité réduite en dérogation à la majorité prévue aux statuts.
Suivant jugement du 16 juin 2021, le tribunal de commerce de Caen a fait droit à cette demande et autorisé le gérant de la société Sovalvip à convoquer une assemblée générale extraordinaire afin de modifier l’objet social de cette société, autorisant le vote à la majorité simple des voix dont disposent les actionnaires présents ou représentés dès lors que ceux-ci possèdent au moins la moitié des parts ayant droit de vote.
Le 13 juillet 2021, la société Selima a formé tierce opposition à ce jugement.
Le 19 juillet 2021 s’est tenue une assemblée générale extraordinaire conformément au jugement du tribunal de commerce de Lisieux du 16 juin 2021. Par acte d’huissier du 22 septembre 2021, la société Selima a contesté la validité de cette assemblée ; cette instance est en cours et a donné lieu à un sursis à statuer.
Entre temps, par jugement du 4 août 2021, le tribunal de commerce de Caen a arrêté un plan de sauvegarde à l’égard de la société Sovalvip pour une durée de 8 ans. Par jugement du 12 janvier 2022, le tribunal de commerce de Caen a sursis à statuer sur le recours formé à l’encontre du jugement arrêtant le plan de sauvegarde.
Par jugement du 2 mars 2022, le tribunal de commerce de Caen a :
– déclaré irrecevable le recours formé par la société Selima contre le jugement rendu par le tribunal de commerce de Caen le 16 juin 2021,
– déclaré irrecevable la demande incidente de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Selima,
– confirmé en tous points le jugement rendu le 16 juin 2021 par le tribunal de commerce de Caen,
– dit n’y avoir lieu de statuer sur l’ensemble des demandes, fins et conclusions de la société Selima,
– débouté la société Sovalvip de sa demande de dommages-intérêts,
– condamné la société Selima à payer à la société Sovalvip la somme de 15.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens comprenant les frais de greffe d’un montant de 142,73 euros.
Par déclaration du 11 mars 2022, la société Selima a interjeté appel de cette décision.
Dans le cadre de cette instance, par ordonnance d’incident du 11 janvier 2023, le conseiller de la mise en état s’est déclaré compétent pour statuer sur la demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité, a déclaré recevable la demande de transmission de question prioritaire de constitutionnalité formée par la société Selima, mais dit n’y avoir lieu de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité ainsi libellée : ‘L’article 99 IV 6° de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 (codifié au premier alinéa de l’article L. 626-3 du code de commerce) porte-t-il atteinte aux principes garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en tant qu’il permet au tribunal saisi d’une procédure de sauvegarde d’ordonner que l’assemblée générale des associés appelée à statuer sur les modifications statutaires prévues dans le projet de plan vote à la majorité simple, sans que les intéressés puissent exercer un recours utile à l’encontre de ce jugement ‘ Cette même disposition porte-t-elle en outre une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre de ces mêmes personnes intéressées ”.
Par dernières conclusions déposées le 20 novembre 2023, la société Selima demande à la cour de :
– Infirmer le jugement entrepris statuant sur tierce-opposition,
En conséquence, statuant à nouveau,
– Déclarer recevable la tierce-opposition de Selima à l’encontre du jugement du 16 juin 2021 statuant sur requête du débiteur et de l’administrateur judiciaire,
– Déclarer irrecevable la demande présentée par la société Sovalvip, son commissaire à l’exécution du plan et son mandataire judiciaire,
– Annuler en toutes ses dispositions le jugement du 16 juin 2021,
– Retracter en toutes ses dispositions le jugement du 16 juin 2021,
En tout état de cause,
– Débouter la société Sovalvip, son commissaire à l’exécution du plan et son mandataire judiciaire de l’intégralité de leurs demandes, fins, moyens et prétentions,
– Condamner la société Sovalvip à payer à Selima la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner la société Sovalvip aux entiers dépens.
Par dernières conclusions déposées le 20 novembre 2023, la SARL Sovalvip, la SELARL Trajectoire, prise en la personne de Me [C] [P] ès qualités d’administrateur judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société Sovalvip et Maître [W] [Y] ès qualités de mandataire judiciaire de Sovalvip, demandent à la cour de :
– Rejeter l’appel de la société Selima et le dire mal fondé,
En conséquence,
– Débouter la société Selima de l’intégralité de ses demandes,
– Confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté la société Sovalvip de sa
demande indemnitaire,
– Le reformer du chef du rejet de la demande indemnitaire de la société Sovalvip,
Y additant,
Statuant dans les limites de l’appel incident,
– Condamner la société Selima à verser à la société Sovalvip une indemnité de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée,
En tout état de cause,
– Condamner la société Selima à verser à la société Sovalvip, à Me [P] ès qualités
ainsi qu’à Me [Y] ès qualités, et à chacun, une indemnité qu’il n’apparaît pas inéquitable de fixer à 20.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner la société Selima aux entiers dépens.
Par conclusions du 15 novembre 2023, le ministère public s’en rapporte.
L’ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 22 novembre 2023.
Il est renvoyé aux dernières conclusions pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
SUR CE, LA COUR
Sur la recevabilité de la tierce opposition formée par Selima
L’appelante critique le jugement entrepris en ce qu’il a jugé irrecevable sa tierce opposition alors :
– qu’aucun texte ne ferme la voie de la tierce opposition contre un jugement rendu en application des dispositions de l’article L. 626-3 du code de commerce ;
– que la tierce opposition n’a pas été formée hors délai dans la mesure où cette décision prévoyait dans son dispositif l’obligation de publication et qu’en application de l’article R. 661-2, alinéa 2 du code de commerce, pour les décisions soumises aux formalités d’insertion dans un support d’annonces légales et au BODACC, le délai de recours de dix jours ne court que du jour de la publication de l’insertion dans un support d’annonces légales ou de la publication du jugement, que le jugement entrepris n’ayant pas fait l’objet d’une publication au BODACC, l’instance initiée par Selima n’est pas tardive et qu’en outre, en l’absence de notification du jugement à Selima, le délai pour former tierce opposition n’a pas couru ;
– que Selima n’a pas été représentée à l’instance par le représentant légal de la société, qu’elle dispose d’un intérêt à former tierce-opposition à l’encontre du jugement du 16 juin 2021 et de moyens propres à faire valoir.
Les intimés font valoir l’irrecevabilité de la tierce opposition formée par Selima à l’encontre du jugement du 16 juin 2021 aux motifs :
– qu’il n’existe aucun recours ouvert aux tiers à l’encontre des décisions prononcées sur le fondement de l’article L. 626-3 du code de commerce, faute pour ces décisions d’être visées aux articles L. 661-2 et L. 661-3 du code de commerce qui énoncent de façon limitative les décisions susceptibles de tierce opposition ;
– que la tierce opposition régularisée par Selima 13 juillet 2021 a été formée hors délai, étant postérieure au délai de 10 jours à compter du prononcé de la décision ; que par ailleurs ce jugement n’est pas soumis aux formalités de publicité légale, ni à l’exigence de notification ;
– que Selima, associée minoritaire, est réputée avoir été représentée à l’instance par la société qui agit régulièrement par l’intermédiaire de son gérant, de sorte qu’elle n’est plus recevable à former tierce-opposition en application de l’article 583 du code de procédure civile ;
– que la société Selima se contredit puisqu’elle a déposé une question prioritaire de constitutionnalité visant à voir déclarer l’article L626-3 inconstitutionnel en ce qu’il ne prévoit pas la possibilité d’un recours.
Selon l’article 583 du code de procédure civile, tout jugement est susceptible de tierce opposition si la loi n’en dispose autrement.
Selon l’article L661-2 du code de commerce, les décisions mentionnées aux 1° à 5° du I de l’article L. 661-1, à l’exception du 4°, sont susceptibles de tierce opposition. Le jugement statuant sur la tierce opposition est susceptible d’appel et de pourvoi en cassation de la part du tiers opposant.
Il résulte de l’article L661-1 1°, 2°, 3° et 5°, que sont susceptibles d’appel ou de pourvoi en cassation, les décisions statuant sur l’ouverture des procédures de sauvegarde ou de redressement judiciaire, les décisions statuant sur l’ouverture de la liquidation judiciaire, les décisions statuant sur l’extension d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ou sur la réunion de patrimoines et les décisions statuant sur le prononcé de la liquidation judiciaire au cours d’une période d’observation.
Pour autant, aucune disposition spéciale du code de commerce n’exclut que la décision prise par le tribunal en application des dispositions de l’article L626-3 du code de commerce ne puisse faire l’objet d’un recours.
Dès lors, les voies de recours de droit commun sont ouvertes et la tierce opposition est possible.
La demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité dans les termes ci-dessus rappelés ne peut être analysée en l’espèce comme une volonté de la société Selima de se contredire au préjudice de la société Sovalvip dès lors qu’elle ne constituait pas un changement de position en droit de nature à induire cette dernière en erreur sur ses intentions.
Selon l’article R661-2 du code de commerce, sauf dispositions contraires, l’opposition et la tierce opposition sont formées contre les décisions rendues en matière de mandat ad hoc, de conciliation, de sauvegarde, de redressement judiciaire, de rétablissement professionnel et de liquidation judiciaire, de responsabilité pour insuffisance d’actif, de faillite personnelle ou d’interdiction prévue à l’article L. 653-8, par déclaration au greffe dans le délai de dix jours à compter du prononcé de la décision.
Toutefois, pour les décisions soumises aux formalités d’insertion dans un support d’annonces légales et au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, le délai ne court que du jour de la publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales. Pour les décisions soumises à la formalité d’insertion dans un support d’annonces légales, le délai ne court que du jour de la publication de l’insertion.
L’appelante indique, sans être contredite, que le jugement du 16 juin 2021 a ordonné des mesures de publicité légales qui n’ont pas été faites et que donc le délai de 10 jours n’a pu commencer à courir.
Toutefois, il n’est pas précisé sur quel fondement la publicité légale du jugement devait être ordonnée alors qu’en matière de sauvegarde de justice, les formalités de publicité sont prévues pour le jugement d’ouverture de la procédure et pour les décisions de clôture du plan de sauvegarde ou de conversion en redressement judiciaire ou liquidation judiciaire.
Elle précise par ailleurs que ce jugement ne lui a pas été notifié, ce que ne contestent pas les intimés. Or,si le délai de 10 jours s’ouvre à compter du prononcé de la décision, il n’en est pas ainsi, en l’absence de notification, lorsque la décision rendue à l’insu de l’auteur de la tierce opposition concerne directement ses droits et obligations. ( Cass. Com., 7 février 2006)
En l’espèce, il doit être constaté que le jugement du 16 juin 2021 concernait directement les droits de la société Selima en tant qu’associée minoritaire détenant une minorité de blocage. Il ne lui a pas été notifié.
Le délai de 10 jours pour former une tierce opposition n’a donc pas pu commencer à courir à son encontre et son recours n’est pas tardif.
Selon l’article 583 du code de procédure civile, est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque.
Les créanciers et autres ayants cause d’une partie peuvent toutefois former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s’ils invoquent des moyens qui leur sont propres.
Si l’associé est, en principe, représenté dans les litiges opposant la société à des tiers, par le représentant légal de la société, il est néanmoins recevable à former opposition contre un jugement auquel celle-ci a été partie s’il invoque une fraude à ses droits ou un moyen propre.
la société Selima,holding détenue par la société Profidis elle-même filiale de la société Carrefour, qui est associée minoritaire, détenant une minorité de blocage et ayant des intérêts antagonistes avec la société Sovalvip , justifie ainsi de moyens propres rendant recevable sa tierce opposition.
Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a jugé irrecevable le recours formé par la société Selima à l’encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Caen le 16 juin 2021.
Sur l’annulation du jugement pour inobservation du principe du contradictoire
L’appelante fait valoir la nullité de plein droit du jugement rendu le 16 juin 2021 pour inobservation du principe du contradictoire considérant qu’elle était intéressée au jugement et aurait dû être entendue dans ce cadre, le jugement ne comportant aucune justification de la dérogation au principe du contradictoire.
Aux termes de l’article 493 du code de procédure civile, l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.
En l’espèce dans le cadre de la requête déposée le 2 juin 2021 par l’administrateur judiciaire et contresignée par le représentant légal de la société Sovalvip, la société Selima, associée de la société Sovalvip, ne peut prétendre qu’elle était une partie et qu’elle devait de ce fait être appelée sur la cause en vertu du principe du contradictoire.
Elle est un tiers dont les droits et obligations sont affectés par la décision du tribunal, ce qui lui ouvre un recours lui permettant de faire valoir ses arguments et de faire rétracter ou réformer la décision le cas échéant, recours qu’elle a d’ailleurs exercé.
La décision du 16 juin 2021 n’est donc pas contraire à l’article 16 du code de procédure civile ni à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et la demande d’annulation de ce jugement sera rejetée.
Sur l’irrecevabilité pour défaut d’intérêt à agir de la demande formée par Sovalvip
L’appelante soutient que la société Sovalvip n’a pas d’intérêt légitime à agir dès lors que la modification des statuts est préconisée par le plan de sauvegarde pour faire approuver l’élargissement de l’objet social statutaire et que la société Sovalvip a d’ores et déjà changé d’enseigne en violation des clauses statutaires , que la demande ne vise qu’à tenter de faire ratifier par le tribunal et la cour d’appel une situation illicite, l’ordonnance du juge-commissaire qui a autorisé le changement d’enseigne ayant de surcroît été annulée.
Les intimés font valoir que l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action, que l’intérêt à agir s’apprécie au jour de l’introduction de la demande en justice et que l’intérêt à agir de la société Sovalvip découle de l’impossibilité d’arborer l’enseigne Carrefour du fait de la dénonciation du contrat de franchise et du nouveau contrat d’approvisionnement conclu avec une enseigne concurrente.
Aux termes de l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L’intérêt au succès d’une prétention s’apprécie au jour de l’introduction de la demande en justice et ne peut dépendre de circonstances postérieures qui l’auraient rendu sans objet.
La requête de l’administrateur judiciaire et de la société Sovalvip a été présentée le 2 juin 2021.
A cette date, le contrat de franchise et le contrat d’approvisionnement avaient été dénoncés et la procédure de sauvegarde était ouverte.
L’ordonnance du juge-commissaire autorisant la conclusion d’un nouveau contrat d’enseigne a été rendue postérieurement à savoir le 8 juin 2021.
L’intérêt à agir de la société Sovalvip est établi au 2 juin 201 et ne saurait à cette date être qualifié d’illégitime.
L’annulation partielle de l’ordonnance du juge-commissaire qui a commis un excès de pouvoir est rétroactive et renforce l’intérêt à agir de la société Sovalvip et de son administrateur judiciaire dans le cadre de l’article L626-3 du code de commerce puisque comme le soulignent les intimés, le contrat de franchise et le contrat d’approvisionnement conclus avec Carrefour ont été résiliés, qu’un nouveau contrat d’approvisonnement a été autorisé par le juge-commissaire et que la modification des statuts prévue dans le projet de plan pour élargir l’objet social statutaire était nécessaire pour une exploitation du magasin sous une autre enseigne.
La demande n’est donc pas irrecevable.
Sur le fond
La société Selima soutient que la tenue d’une assemblée générale n’était pas possible à raison de la dissolution de plein droit de la société Sovalvip du fait de l’extinction de son objet social, que le recours aux dispositions de l’article L626-3 du code de commerce ne peut de surcroît permettre l’adoption de résolutions ayant pour effet de modifier les éléments fondamentaux du contrat de société et qui porteraient atteinte de manière disproportionnée aux droits des actionnaires, que le gérant ne disposait pas en l’espèce, sans l’accord préalable de Selima, du pouvoir de modifier l’objet social, que la procédure de sauvegarde ne peut réorganiser ou adapter l’activité que dans le respect du cadre intangible que constitue l’objet social, que le tribunal, en ne subordonnant pas les modifications statutaires soumises au vote de l’assemblée générale à la majorité simple à l’adoption effective du plan, a porté une atteinte injustifiée aux droits des associés minoritaires.
Les intimés font valoir :
– que la cour d’appel n’est pas compétente pour prononcer ou constater la dissolution de la société Sovalvip et qu’aucune procédure en ce sens n’a été engagée,
– que la modification des statuts a eu lieu dans le cadre de la procédure de sauvegarde et sous le contrôle des organes de la procédure,
– qu’il y a lieu de considérer l’activité réelle de la société,
– que seule une impossibilité absolue de continuité de l’exploitation et la volonté exprimée par les associés à l’unanimité peut conduire à constater la dissolution de la société alors qu’en l’espèce l’activité de la société Sovalvip est l’exploitation d’un supermarché alimentaire et que les associés majoritaires souhaitent poursuivre cet objet, la référence à l’enseigne n’étant qu’un accessoire,
– que la société ne peut être considérée comme dissoute dès lors qu’une procédure de sauvegarde a été ouverte pour permettre de continuer l’activité principale, que cette volonté des associés a précédé le changement d’enseigne qui a été entériné par l’assemblée générale,
– qu’il n’existe pas d”entreprise commune’ comme évoqué par Selima et que le projet présenté lors de la création de la société consistait en une relation commerciale avec Carrefour qui pouvait être remise en cause après une durée de 7 ans, ce qui a constitué un élément déterminant de l’engagement de M. [E],
– que l’objet social d’une société n’est pas immuable,
– que les statuts modifiées tiennent compte de l’élargissement de l’objet social mais n’ont pas repris la résolution votée par l’assemblée générale relative à l’élargissement des pouvoirs du gérant dont les intimés reconnaissent que le vote n’a pas été autorisé par le tribunal de commerce.
Les contrats de franchise et d’approvisionnement conclus avec la société Carrefour l’ont été pour une durée de 7 années et prévoyaient une possibilité de résiliation à l’issue de cette période.
La société Sovalvip a usé de la faculté de résiliation desdits contrats en les dénonçant le 17 juin 2020 avec effet au 25 juin 2021.
Lors de l’ouverture de la procédure de sauvegarde de justice, les contrats étaient toujours en cours et le magasin était toujours exploité sous l’enseigne Carrefour de sorte qu’il n’y avait pas d’extinction de l’objet social.
Le projet de plan de sauvegarde établi le 15 juillet 2021 était subordonné à une modification des statuts pour permettre une exploitation du fonds de commerce sous une autre enseigne que Carrefour, étant précisé que la sauvegarde de justice est destinée à faciliter la réorganisation de l’entreprise afin de permettre la poursuite de l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif.
L’article L626-3 du code de commerce énonce que lorsque le projet de plan prévoit une modification du capital ou des statuts, l’assemblée générale extraordinaire ou l’assemblée des associés ainsi que, lorsque leur approbation est nécessaire, les assemblées spéciales mentionnées aux articles L. 225-99 et L. 228-35-6 ou les assemblées générales des masses visées à l’article L. 228-103 sont convoquées dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat. Le tribunal peut décider que l’assemblée compétente statuera sur les modifications statutaires, sur première convocation, à la majorité des voix dont disposent les associés ou actionnaires présents ou représentés dès lors que ceux-ci possèdent au moins la moitié des parts ou actions ayant le droit de vote. Sur deuxième convocation, il est fait application des dispositions de droit commun relatives au quorum et à la majorité(…).
Les engagements pris par les actionnaires ou associés ou par de nouveaux souscripteurs sont subordonnés dans leur exécution à l’acceptation du plan par le tribunal.
L’article L626-3 ne limite pas la possibilité de modification des statuts.
Il est constant que les statuts d’une société ne sont pas immuables et peuvent être modifiés et donc que l’objet social n’est pas intangible et qu’il peut être modifié afin de s’adapter à l’activité d’une société.
Il ne peut être soutenu que l’objet social de la société Sovalvip était immuable dès lors que le contrat de franchise pouvait être résilié à l’issue d’une période de 7 années et que la dénonciation d’un contrat de franchise ne signifie pas que la société prend fin.
Dans la mesure où les contrats de franchise et d’approvisionnement conclus avec Carrefour avaient été régulièrement dénoncés, l’objet social devait être modifié dans l’intérêt social pour que la société puisse continuer à exploiter le fonds de commerce et pour lui permettre de survivre sans que cela n’ait pour conséquence de créer une personne morale nouvelle dès lors qu’en l’espèce les associés restent les mêmes avec la même répartition des parts et que l’activité principale n’est pas modifiée.
Par décision du 16 juin 2021, la société Sovalvip a été autorisée par le tribunal de commerce à convoquer une assemblée générale pour faire voter à la majorité simple la modification de statuts et l’élargissement de l’objet social afin de permettre la réalisation du plan de sauvegarde.
A cette date, les contrats conclus avec Carrefour étaient toujours en cours.
L’assemblée générale a été réunie le 19 juillet 2921 et a voté la modification des statuts, l’objet social étant désormais : ‘L’exploitation d’un fonds de commerce de type supermarché sis à [Localité 5]’.
Contrairement à ce que soutient Selima, ce n’est pas le gérant qui a modifié l’objet social de la société.
La modification des statuts a eu lieu alors qu’aucune décision, judiciaire ou de l’assemblée générale, prononçant ou constatant la dissolution de la société n’avait été prise.
La modification des statuts ne peut par ailleurs être considérée comme portant gravement atteinte aux droits de la société Selima qui n’a pas perdu sa qualité d’associée minoritaire et alors que cette modification permet la continuation de l’activité de la société Sovalvip et doit permettre avec la mise en oeuvre du plan de sauvegarde l’amélioration de sa situation financière.
Le jugement du 16 juin 2021 a été rendu au visa de l’article L626-3 du code de commerce et précise que le plan de sauvegarde prévoit une modification statutaire.
Il s’en déduit nécessairement que les engagements pris par les associés sont subordonnés dans leur exécution à l’acceptation du plan par le tribunal.
Au vu de ces éléments, le jugement du tribunal de commerce de Caen du 16 juin 2021 sera confirmé.
Ils sera constaté que le jugement du 16 juin 2021 ne prévoit pas que l’assemblée générale statue sur les pouvoirs du gérant et qu’il n’y a donc pas lieu à rétractation de ce chef.
Sur la demande de dommages et intérêts
Le droit d’exercer une action en justice ou une voie de recours ne dégénère en abus que s’il révèle de la part de son auteur une intention maligne, une erreur grossière ou une légèreté blâmable dans l’appréciation de son droit qui ne saurait résulter du seul rejet de ses prétentions.
Faute pour les intimés d’établir un tel abus, leur demande de dommages et intérêts sera rejetée.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes accessoires
Les dispositions du jugement entrepris relatives à l’indemnité de procédure et aux dépens, exactement appréciées seront confirmées.
La société Selima, qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel, à payer aux intimés, unis d’intérêt, la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel et sera déboutée de sa demande formée à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contraditoire, mis à disposition au greffe ;
Confirme le jugement entrepris, dans les limites de l’appel, sauf en ce qu’il a jugé irrecevable le recours formé par la SAS Selima à l’encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Caen le 16 juin 2021 ;
Statuant à nouveau du chef de la disposition infirmée et y ajoutant ;
Juge recevable la tierce opposition formée par la SAS Selima à l’encontre du jugement rendu par le tribunal de commerce de Caen le 16 juin 2021 ;
Juge recevable la demande présentée par la société Sovalvip, son commissaire à l’exécution du plan et son mandataire judiciaire ;
Rejette la demande d’annulation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Caen le 16 juin 2021 ;
Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Caen le 16 juin 2021 ;
Condamne la société Selima à payer à maître [Y] ès qualités de mandataire judiciaire de la SARL Sovalvip, à la SARL Sovalvip et à la SELARL Trajectoire , unis d’intérêt, la somme de 7000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;
Condamne la société Selima aux dépens d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
N. LE GALL F. EMILY