Parts sociales : décision du 8 février 2024 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/10385

·

·

Parts sociales : décision du 8 février 2024 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 22/10385
Je soutiens LegalPlanet avec 5 ⭐

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-6

ARRÊT AVANT DIRE DROIT

(réouverture des débats)

DU 8 FEVRIER 2024

N°2024/36

N° RG 22/10385

N° Portalis DBVB-V-B7G-BJY6V

[S] [V]

C/

FONDS DE GARANTIE DES ASSURANCES OBLIGATOIRES DE DOMMAGES FGAO

CPAM DES BOUCHES DU RHONE

Copie exécutoire délivrée le :

à :

-Me Elsa VALENZA

-SELARL VIDAPARM

Décision déférée à la Cour :

Jugements du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de MARSEILLE en date des 10 Janvier 2022 et 04 Juillet 2022.

APPELANT

Monsieur [S] [V]

Assuré [Numéro identifiant 1]

né le [Date naissance 2] 1978 à [Localité 6],

demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Elsa VALENZA, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, postulant et assisté par Me Jacques-Antoine PREZIOSI de l’ASSOCIATION PREZIOSI CECCALDI ALBENOIS, avocat au barreau de MARSEILLE.

INTIMEES

FONDS DE GARANTIE DES ASSURANCES OBLIGATOIRES DE DOMMAGES – FGAO

Signification de conclusions en date du 06/01/2023 par voie électronique.,

demeurant [Adresse 4]

représenté et assisté par Me Louisa STRABONI de la SELARL VIDAPARM, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Laure BARATHON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE.

CPAM DES BOUCHES DU RHONE,

Assignation par voie électronique portant signification de la DA en date du 08/09/2022 à personne habilitée. Signification de conclusions en date du 12/10/2022 par voie électronique. Significtion de conclusions en date du 06/01/2023 par voie électronique,

demeurant [Adresse 3]

Défaillante.

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 Novembre 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président, et Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre, chargés du rapport.

Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre, a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président

Madame Elisabeth TOULOUSE, Présidente de chambre

Monsieur Jean-Marc BAÏSSUS, Premier président de chambre.

Greffier lors des débats : Madame Charlotte COMBARET.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 11 Janvier 2024, prorogé au 08 Février 2024.

ARRÊT

Réputé contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Février 2024,

Signé par Monsieur Jean-Wilfrid NOEL, Président et Madame Charlotte COMBARET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 22 mars 2013, M. [S] [V] a été victime d’un accident de la circulation à [Localité 6] dans les circonstances suivantes : alors qu’il circulait au guidon de son véhicule deux roues, il a été percuté à l’arrière par un véhicule qui a pris la fuite et qui n’a jamais été identifié.

Il a été transporté aux urgences et a présenté selon certificat initial :

une fracture de l’humérus distal gauche associée à une fracture sus malléolaire externe droite et de nombreuses plaies sur son membre inférieur droit.

une ITT médico-légale de 15 jours.

une ITT ou inaptitude à toute activité rémunératrice de 60 jours sauf complications.

Il a été immobilisé, puis ensuite a été pris en charge en rééducation.

Saisi par M.[V] le juge des référés de [Localité 6] par ordonnance du 16 décembre 2015, lui a alloué une provision d’un montant de 25 000 euros, ce dernier ayant reçu par ailleurs, des provisions à titre amiable d’un montant de 75 000 euros.

Une expertise extrajudiciaire mandatant le docteur [F] a été mise en place par l’assureur de M.[V] et ce dernier a rendu un rapport définitif le 20 avril 2016 dont les conclusions suivantes :

Hospitalisation : jusqu’au 08/04/2013

Gênes temporaires constitutives d’un déficit fonctionnel temporaire :

Total : jusqu’au 08/04/2013

Partiel : Classe IV du 09/04 au 19/09/2013

Classe III du 20/09/2013 au 11/03/2015, prenant en compte l’infection, le traitement par 01-IB,

Classe II au-delà, jusqu’à la consolidation.

Arrêt temporaire des activités professionnelles : jusqu’au 08/11/2015

Date de consolidation : 08/12/2015.

Souffrances endurées : 5/7

Dommage esthétique temporaire : 3/7 jusqu’en mars 2015

Dommage esthétique définitif : 2,5/7.

AIPP évaluée par référence au barème indicatif d’évaluation des taux d’incapacités en Droit Commun : 25%.

Répercussions :

Sur les activités professionnelles : nous avons consigné le retentissement professionnel en relation avec l’arrêt de travail dans la fonction qui était la sienne. Il n’est pas inapte à cette activité… mais elle n’existe plus. Il y a une incidence importante de l’arrêt de travail sans qu’il y ait de modification de la compétence. Il a repris dans une autre activité qui lui est moins agréable et dans laquelle il se sent moins valorisé.

Sur les activités d’agrément : retentissement sur les activités de tennis.

Sur la vie sexuelle, néant.

Aides humaines avant consolidation :

– Pendant la classe IV : 15 heures par semaine.

– Pendant la classe III : 2 phases :

Jusqu’au 31/05/2014 : 10 heures par semaine. Ceci correspond à la reprise d’une certaine indépendance avec la conduite automobile à cette période.

Jusqu’au 11/03/2015 : 5 heures par semaine.

Pas de besoin ultérieur ou viager.

Soins médicaux après consolidation et frais futurs : néant.

Une nouvelle provision d’un montant de 20 000 euros lui a alors été versée par le Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires de Dommages (FGAO) le 26 juillet 2016.

Le 4 août 2017, le FGAO a proposé une offre d’indemnisation que M. [V] n’a pas acceptée.

En désaccord sur l’évaluation de son préjudice professionnel notamment, M. [V] a saisi, le juge des référés aux fins de désignation d’un expert judiciaire expert-comptable et par ordonnance du 7 février 2018, Mme [H] [B] a été désignée avec pour mission de déterminer les préjudices professionnels, économiques et financiers consécutifs à l’accident.

A réception du rapport d’expertise judiciaire déposé le 25 novembre 2019, le FGAO a notifié une nouvelle offre d’indemnisation le 26 décembre 2019 que M. [V] n’a pas non plus acceptée.

Par acte du 29 avril 2020, M. [V] a assigné le FGAO pour qu’il soit condamné à réparer, sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985, le préjudice subi à la suite de cet accident de la circulation.

Par acte du 29 avril 2020, il a également appelé en cause la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) des Bouches du Rhône, afin de lui rendre commune la procédure.

Par ordonnance du 5 octobre 2020, le juge de la mise en état a condamné le FGAO a versé une nouvelle provision de 60 000 euros.

Par jugement en date du 10 janvier 2022, le tribunal a :

– dit que le droit à indemnisation de M. [V] des suites de l’accident de la circulation survenu le 22 mars 2013 est entier ;

-condamné le FGAO à payer à M. [V] les sommes suivantes, en deniers ou quittances, provisions non déduites, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour :

– 310, 50 euros au titre des dépenses de santé

– 5 449, 61 euros au titre des frais divers

– 16 508, 57 euros au titre de l’assistance par tierce personne

– 2 672, 79 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels

– 12 906 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire

– 35 000 euros au titre des souffrances endurées

– 2 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire

– 5 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent

– 5 000 euros au titre du préjudice d’agrément

et sursis à statuer sur la perte de gains professionnels futurs et le déficit fonctionnel

permanent ;

– débouté M. [V] de ses demandes au titre de la perte de la valeur vénale des parts sociale, des sommes dues aux créanciers en tant que caution et de l’incidence professionnelle ;

– déclaré le présent jugement commun à la CPAM des Bouches du Rhône ;

– ordonné la capitalisation des intérêts, sous réserve des strictes conditions d’annualité prévues par les dispositions de l’article 1343-2 du Code civil ;

– dit que les dépens comprendront notamment les frais d’expertise comptable pour un montant de 9 101, 16 euros et seront mis à la charge du Trésor public ;

– ordonné l’exécution provisoire ;

– débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire ;

– renvoyé l’affaire à la de mise en état pour production par M. [V] de la créance définitive de la CPAM des Bouches du Rhône.

Le tribunal a notamment jugé que la perte de gains professionnels future s’élevait suivant rapport de Mme [B] expert comptable à la somme de 64 956 euros jusqu’au 31 décembre 2019 acceptée par le FGAO, étant précisé que pour le restant sollicité il a retenu que M. [V] ne subissait aucune inaptitude au travail et avait d’ailleurs repris une activité avant la date de consolidation, que la rentabilité de son ancien travail à la date de l’accident était loin d’être acquise aux débats et que M. [V] n’établissait pas d’autre perte de gains professionnels future que celle acceptée par le Fonds.

Il a rejeté également toute incidence professionnelle et a sursis à statuer sur les postes de perte de gains professionnels future et déficit fonctionnel permanent, assiette du recours de la CPAM en l’état du versement d’une rente AT.

M. [V] a communiqué cette créance par la voie éectronique le 11 février 2022.

Par jugement du 4 juillet 2022, le tribunal a vidé sa saisine et a :

-débouté M. [V] de sa demande au titre de la perte de gains professionnels future, ce poste de préjudice ayant été entièrement absorbé par la créance de la CPAM des Bouches du Rhône ;

-condamné le FGAO à verser à M. [V] la somme de 4 518,12 euros, en deniers ou quittances, provisions non déduites, en réparation du déficit fonctionnel permanent ; cette somme avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;

-dit le présent jugement commun à la CPAM des Bouches du Rhône ;

-rappelé que les dépens sont à la charge du Trésor public ;

-ordonné l’exécution provisoire ;

Débouté les parties de toute demande plus ample ou contraire.

Par déclaration du 19 juillet 2022 M. [V] a interjeté appel des deux décisions rendues et a limité son appel en ce que les jugements ‘ont débouté M. [V] de ses demandes de se voir allouer les sommes de :

– au titre de la tierce personne avant consolidation : 21160,00 euros, en lui allouant celle de 16 508,57 euros

– au titre des pertes de gains professionnels futurs échus au 31 décembre 2019 : 64 956 euros,

– au titre des pertes de gains professionnels futursà échoir à compter du 1er janvier 2020 : 339 775 euros,

– au titre de la perte de la valeur vénale des parts sociales : 27 500 euros,

– au titre des sommes dues aux créanciers de la société Eds Bagatelle en sa qualité de caution : 43 313,79 euros,

– au titre de l’incidence professionnelle et ce y compris la perte de droits à la retraite : 180 000,00 euros,

– au titre du déficit fonctionnel permanent : 65 000,00 euros,

– au titre du préjudice d’agrément : 15 000,00 euros.’

La clôture de l’instruction est en date du 31 octobre 2023.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 10 octobre 2022, M.[V] demande à la cour de :

-infirmer les décisions entreprises en ce qu’elles l’ont débouté de ses demandes de voir mettre à la charge du FGAO les sommes de :

au titre de la tierce personne avant consolidation : 21 160,00 euros,

au titre des pertes de gains professionnels futurs échus au 31 décembre 2019 : 64 956 euros,

au titre des pertes de gains professionnels futurs à échoir à compter du 1er janvier 2020 : 339 775 euros,

au titre de la perte de la valeur vénale des parts sociales : 27 500 euros,

au titre des sommes dues aux créanciers de la société Ed Bagatelles en sa qualité de caution : 43 313,79 euros,

au titre de l’incidence professionnelle et ce y compris la perte de droits à la retraite : 180 000,00 euros

au titre du déficit fonctionnel permanent : 65 000,00 euros,

au titre du préjudice d’agrément : 15 000,00 euros

Statuant à nouveau de :

-condamner le FGAO à lui payer :

au titre de la tierce personne avant consolidation : 21 160,00 euros,

au titre des pertes de gains professionnels futurs échus au 31 décembre 2019 : 64 956 euros,

au titre des pertes de gains professionnels futurs échus du 1 er janvier 2020 au 31 décembre 2022 : 64 683,98 euros,

au titre des pertes de gains professionnels futurs à échoir à compter du 1er janvier 2023 : 424 698,53 euros ,

au titre de la perte de la valeur vénale des parts sociales : 27 500 euros,

au titre des sommes dues aux créanciers de la société Ed Bagatelles en sa qualité de caution : 50 874,67 euros,

au titre de l’incidence professionnelle et ce y compris la perte de droits à la retraite : 300 000 euros,

au titre du déficit fonctionnel permanent : 7 750 euros,

au titre du préjudice d’agrément : 15 000,00 euros.

Il fait valoir en substance que :

-il était gérant et détenteur de parts à hauteur de 50% d’une société d’édition de magazines publicitaires de luxes axée sur l’art et la culture, promise à une évolution florissante notamment pour l’année 2013 ([Localité 6] capitale européenne de la culture) que son accident a compromis ;

-la société a été mise en liquidation judiciaire et il a été confronté aux créanciers de la société dont il était caution ;

-il n’a pas retrouvé de travail avec un handicap fonctionnel de 25% ;

-il précise que le tribunal a commis une erreur en déduisant la rente AT de la perte de gains future sur la période du 8 décembre 2015 au 31 décembre 2019 puisque l’expert l’avait déjà déduite ;

-pour la perte de gains professionnels future à échoir, l’expert a considéré que sans l’accident il aurait continué à percevoir 30 000 euros annuels net ; au-delà du 1er janvier 2023, il subit une perte sur la base du salaire qui aurait été le sien jusqu’à 65 ans déduction faite de la rente AT pour 4 084,68 euros et un revenu effectif de 4 634,64 euros annuels, puisqu’il n’a pas pu retrouver un emploi pérenne et a plongé dans une dépression sévère qui a conduit à la déclaration d’invalidité en avril 2022 ;

-il a subi une perte de valeur des parts de sa société à hauteur de 27 500 euros appréciées par l’expert ;

-il a du assumer en qualité de caution personnelle les dettes de la société et payer les créanciers et peu importe qu’il puisse disposer d’un recours contre les autres cautions ;

-il subit un incontestable préjudice au titre de l’incidence professionnelle puisqu’il était destiné à une belle carrière et a perdu la chance d’occuper un poste valorisant et se retrouve sans aucune possibilité de retrouver un tel emploi ; à cela s’ajoute une perte de droits à la retraite qu’il estime à 15 000 euros par an à capitaliser à partir de 65 ans ;

-pour les autres préjudices, le tribunal les a sous évalués.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 6 décembre 2022, Le FGAO demande à la cour de :

-confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Marseille en

date du 10 janvier 2022 ;

-confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Marseille en

date du 4 juillet 2022 ;

-débouter M. [V] du surplus de ses demandes ;

-statuer ce que de droit sur les dépens.

Il soutient essentiellement que M. [V] ne présente aucune inaptitude professionnelle médicalement constatée même partielle.

Il ajoute qu’il a d’ailleurs repris une activité avant la date de consolidation et qu’il ne peut être établi de lien direct entre la liquidation de la société et l’accident.

Il ne démontre donc pas de perte de gains future au-delà de décembre 2019 et il rappelle que la situation de cette société était déjà très fragile au regard notamment des dettes à hauteur de 55 631 euros.

Enfin, il soutient que la solidarité nationale n’a pas à garantir les dettes de caution solidaire.

La CPAM des bouches du Rhône n’a pas constitué avocat mais a adressé un courrier réceptionné le 29 novembre 2022 faisant état de ses débours se décomposant en frais médicaux, indemnités journalières et rente AT pour un montant total de 326 264,57 euros.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux dernières écritures déposées conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1-Sur l’indemnisation du préjudice corporel

Le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit, sans qu’il n’en résulte pour elle ni perte ni profit.

La cour n’examinera que les postes contestés, sauf à rappeler en conclusion et pour la meilleure compréhension de la décision les autres postes de préjudice.

Il sera rappelé que M. [V] était âgé de 34 ans au moment de l’accident, de 36 ans au moment de la consolidation, de 45 ans au moment de la présente décision.

Afin d’assurer la réparation intégrale du préjudice en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 05/07/1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s’exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge, à l’exclusion de ceux à caractère personnel sauf s’ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage, l’évaluation du dommage doit être faite au moment où la cour statue.

Par ailleurs s’agissant des préjudices futurs, la cour retiendra le barème de capitalisation établi par la Gazette du palais du 15 septembre 2020 (+ 0,30).

Enfin, le rapport du docteur [F] et le rapport de Mme [B] serviront de base à la liquidation des préjudices contestés.

Sous le bénéfice de ces observations, les préjudices contestés d’assistance par tierce personne temporaire, de perte de gains professionnels future, de perte de valeurs des parts sociales, de paiement des dettes des créanciers de la société, d’incidence professionnelle, de déficit fonctionnel permanent et d’agrément, seront évalués comme suit.

I. Préjudices patrimoniaux contestés

a) préjudices patrimoniaux temporaires

Assistance par tierce personne temporaire

Ce poste de préjudice correspond au coût de l’assistance temporaire d’une tierce personne lorsque la victime a besoin du fait de son handicap et de sa perte d’autonomie d’être assistée dans les actes de la vie quotidienne.

L’octroi de cette indemnité ne peut être subordonnée à la production de justificatifs de dépenses et ne peut-être réduit en cas d’aide familiale.

Ce besoin est établi par le rapport d’expertise [F].

M.[V] conteste le taux horaire alloué par le tribunal qui n’est pas en accord avec la réalité du coût de l’emploi d’une tierce personne et sollicite une indemnisation à hauteur de 23 euros.

Au regard du besoin non spécifique d’aide et des tarifs pratiqués par les sociééts prestataires de services à la personne de la région où demeure M. [V], la cour retient un taux de 23 euros de l’heure et fixe l’indemnisation de ce poste de préjudice de la manière suivante :

-période du 9 avril au 19 septembre 2013 : 15h /semaine soit (164j/ 7 j) x 15 h x 23= 8 082,86 euros;

-période du 20 septembre 2013 au 31 mai 2014 : 10h /semaine soit (254j/7j) x 10 x 23 = 8 345,71 euros;

-période du 1er juin 2014 au 11 mars 2015 : 5h/semaine soit (284j/7j) x 5 x 23 =4 665,43 euros ;

soit un total de : 21 094 euros.

La décision de première instance sera infirmée de ce chef.

b) préjudices patrimoniaux permanents après consolidation

Perte de gains professionnels futurs

Ce poste est destiné à indemniser la victime de la perte ou de la diminution directe de ses revenus à compter de la date de consolidation, consécutive à l’invalidité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable. Cette perte ou diminution des gains professionnels peut provenir soit de la perte de son emploi par la victime, soit de l’obligation pour elle d’exercer un emploi à temps partiel à la suite du dommage consolidé. Ce poste n’englobe pas les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste qui ne sont que des conséquences indirectes du dommage.

Adossé au montant du revenu antérieur à l’accident, le chiffrage de la perte de revenus annuels doit permettre le calcul des arrérages échus payables sous forme de capital jusqu’à la décision fixant l’indemnisation du préjudice, et le calcul des arrérages à échoir à compter de cette date, capitalisés selon un euro de rente variant selon l’âge de la victime.

Il ressort des conclusions de l’expertise comptable que M. [V] était détenteur de 50% des parts sociales de la société les Editions Bagatelle et son gérant.

La revue culturelle qu’elle promouvait et dont la dimension régionale lui offrait des perspectives d’évolution avec la désignation de [Localité 6] comme capitale européenne de la culture en 2013, n’a plus pu être éditée à partir de l’ accident de M. [V]. L’expert [B] relève que l’accident de M.[V] est intervenu au moment le plus critique pour la société mais elle a également précisé qu’en 2012 le chiffre d’affaires de la société était en pleine évolution lié au travail de M. [V], ce qui permet de retenir que la déconfiture de la société en suite de l’accident, est bien en lien direct et certain avec l’incapacité dans laquelle M. [V] s’est trouvé de poursuivre l’activité.

L’expert énonce en effet que le revenu de M.[V] à hauteur de 2 500 euros mensuels pouvait être maintenu et cela malgré les difficultés financières rencontrées par la société.

En retenant le principe d’une indemnisation de la période échue sur la base de l’offre faite par le FGAO, le tribunal a cependant commis une erreur en déduisant de ce montant la rente AT que l’expert comptable avait pour obtenir le montant retenue par le Fonds, déjà déduite.

Par ailleurs, M.[V] a tenté des reprises de travail mais n’est pas parvenu à une situation perenne et a été placé en invalidité catégorie 1 à compter d’avril 2022.

Au regard de ces éléments et des conclusions de l’expert qui doivent servir de base au calcul de ce poste de préjudice, le revenu de référence retenu de 30 000 euros annuels et du versement d’une rente AT de 4 085 euros par an, l’indemnisation sur la période échue de la consolidation du 8 décembre 2015 au 8 février 2024 se décompose comme suit :

-il aurait du percevoir la somme de (1935 euros (décembre 2015)) + (30 000 euros x 8 ans) + (8/28 j x 30000/12)= 241 149,28 euros ,

-il a perçu des revenus jusqu’au 31 décembre 2019 de 40 639 euros et ensuite a été allocataire du RSA qui ne peut être pris en compte dans le calculde ses ressources,

-il a perçu des indemnités journalières et pension d’invalidité pour 13 061,98 euros + 9 765,85 euros de pension d’invalidité (à compter de janvier 2023 et jusqu’au 8 février 2024),

-il a également perçu (4 085 x 8) + (8/28 x 4 085 )= 33 847,14 euros de rente AT qui s’impute sur le montant de la perte de gains échues.

Sa perte de gains professionnels future sur la période échue s’établit donc à la somme de 241 149,28 -40 639 – 13 061,98 -9 765,85- 33 847,14 = 143 835,31 euros

Sur la période à échoir :

M. [V] soutient qu’il est dans l’incapacité de travailler et que sa perte à échoir est totale. Il demande que sa perte de gains soit capitalisée sur l’euro de rente à temps jusqu’à l’âge de 65 ans, âge auquel il entend partir à la retraite.

Le Fonds de garantie s’y oppose indiquant que l’expert médical n’a pas retenu d’incapacité totale et définitive de travail.

L’expert judiciaire retient en effet qu”il n’est pas inapte à cette activité… mais elle n’existe plus. Il y a une incidence importante de l’arrêt de travail sans qu’il y ait de modification de la compétence. Il a repris dans une autre activité qui lui est moins agréable et dans laquelle il se sent moins valorisé.’

Toutefois, M.[V] a été placé comme évoqué ci-dessus en invalidté de catégorie 1 conservant une capacité de travail certes, mais forcément amoindrie. Il a par ailleurs démontré que ses recherches de travail et les reprises successives d’activités ne lui permettaient pas d’accéder à un emploi aussi rémunérateur que celui qu’il occupait avant l’accident. Enfin, sa fragilité reconnue au titre de la pension d’invalidité, rend difficile la conservation de l’emploi et donc de la rémunération.

La cour estime que si M.[V] conserve une capacité au travail, il a perdu une chance directe et certaine de maintenir son niveau de rémunération antérieur à l’accident.

Cette question n’ayant pas fait l’objet d’un débat contradictoire, il est nécessaire de rouvrir les débats pour recueillir les observations des parties à ce titre.

Ainsi, il sera sursis à statuer sur la demande au titre de la perte de gains professionnels future sur la période à échoir.

Incidence professionnelle

Ce chef de dommage a pour objet d’indemniser non la perte de revenus liée à l’invalidité permanente de la victime mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle en raison, notamment, de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle, de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe imputable au dommage, ou de l’obligation de devoir abandonner la profession exercée au profit d’une autre en raison de la survenance de son handicap, de la perte des droits à retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, ou de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail. Ont vocation à être inclus dans ce poste de dommage les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste assumés par le tiers payeur ou la victime, et de façon générale tous les frais nécessaires à un retour de la victime dans la vie professionnelle, qui seraient imputables au dommage corporel subi.

Le docteur [F] mentionne le retentissement professionnel de l’accident.

M. [V] a perdu la possibilité de valoriser son savoir- faire dans la relation avec les annonceurs et de développer son activité. S’il conserve sa compétence, il a été privé d’une ascension professionnelle dans un secteur d’activité qu’il connaissait bien. Son désintérêt actuel pour une autre activité qu’il n’arrive pas à conserver en résulte.

L’incidence professionnelle est indemnisée en fonction de l’analyse de chacune des composantes de ce poste et non à compter d’une perte annuelle de revenus ou d’un taux donné de déficit fonctionnel permanent.

Âgé de 36 ans à la consolidation, M. [V] n’en était qu’au début de sa vie professionnelle.

Il souligne à juste titre avoir été contraint de chercher un nouvel emploi du fait de la liquidation de sa société.Il est également fondé à invoquer le sentiment de dévalorisation et la difficulté à poursuivre une carrière valorisante.

M.[V] demande aussi que sa perte de retraite soit prise en compte mais ne produit aucun élément telle qu’une simulation de carrière.

Ce poste de préjudice est par ailleurs, étroitement lié à celui de perte de gains professionnels à échoir et notamment sur le montant de l’imputation de la créance des tiers payeurs.

Par voie de conséquence, il y a également lieu de sursoir à statuer sur ce poste de préjudice et de demander à M. [V] de produire une simulation de sa carrière et de ses droits à la retraite.

II. Préjudices extrapatrimoniaux contestés

Déficit fonctionnel permanent

Ce poste de préjudice indemnise la réduction définitive (après consolidation) du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l’atteinte à l’intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s’ajoute les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d’existence (personnelles, familiales et sociales).

Il s’agit, pour la période postérieure à la consolidation, de la perte de qualité de vie, des souffrances après consolidation et des troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence (personnelles, familiales et sociales) du fait des séquelles tant physiques que mentales qu’elle conserve.

L’expert a retenu un déficit fonctionnel permanent de 25% compte tenu des séquelles liées à l’enraidissement de son épaule gauche et de son coude, de la cheville et d’un pseudarthrose fibulaire. Agé de 36 ans à la consolidation, l’indemnisation due au titre de ce poste de préjudice sera fixé à : 25 x 2830 (2 830 euros du point) = 70 750 euros qui reviennent intégralement à M.[V], la créance du tiers payeur au titre de la rente AT ne pouvant être déduite de ce poste de préjudice.

Le jugement de première instance sera infirmé de ce chef.

Préjudice d’agrément

Le préjudice d’agrément ne peut être indemnisé distinctement de la gêne dans les actes de la vie courante, déjà indemnisée au titre du déficit fonctionnel, que si la victime justifie de la pratique antérieure d’une activité sportive ou de loisir exercée régulièrement avant l’accident.

Ce poste n’est pas circonscrit à l’impossibilité absolue pour la victime de poursuivre la pratique d’une activité spécifique sportive ou de loisir; il inclut en effet l’impossibilité de poursuivre ladite activité dans les mêmes conditions qu’avant l’accident. Ce poste inclut en effet la limitation de la pratique antérieure.

Le docteur [F] a admis l’existence d’une gêne pour les activités de tennis que M. [V] et dont elle justifie par la production d’attestations convergentes. Ce poste sera évalué à la somme de 6 000 euros.

Le jugement sera infirmé de ce chef de préjudice.

III-Sur les préjudices économiques

La perte de valeur des parts sociales

M.[V] fait valoir que l’accident a eu pour conséquence de précipiter la société dans un gouffre financier conduisant à sa liquidation judiciaire car il en était le principal acteur et était dans l’incapacité de travailler pendant plus de deux années.

La cour a retenu supra que la liquidation judiciaire de la société était en lien avec l’accident de M. [V] de sorte que la perte de valeur estimée par l’expert comptable doit être effectivement retenue. Elle a ainsi valorisé la société à 75 000 euros et la valeur des parts de M.[V] à la somme de 27 500 euros au regard des dettes de la société (emprunt).

Contrairement à ce qui a été jugé, M. [V] est en droit de réclamer la réparation de cette perte de valeur au Fonds de garantie et l’indemnisation de ce poste de préjudice économique (perte patrimoniale sera retenue à hauteur de 27 500 euros.

Le jugement sera infirmé de ce chef de demande.

Sur la perte économique au titre des engagement de caution

M. [V] en qualité de gérant s’est porté caution solidaire des emprunts contractés par la société.

Le fait que les banques l’aient appelé en paiement ne suffit pas à établir que ces dettes de la société resteront définitivement à sa charge. Par ailleurs, une partie pourra être supportée par M.[C] associé également caution solidaire. Enfin la cour ignore si la société a été définitivement liquidée (clôture pour insuffisance d’actif’).

Il s’en déduit que M.[V] qui n’établit pas un préjudice certain doit être débouté de sa demande de chef et la décision de première instance mérite confirmation.

****

Au total, le préjudice corporel de M.[V] sera désormais établit comme suit :

– dépenses de santé actuelles : 310,50 euros

– frais divers : 5 449,61 euros

– assistance par tierce personne temporaire :21 094 euros

– perte de gains professionnels actuels : 2 672,79 euros

– perte de gains professionnels futurs :

*période échus : 143 835,31 euros revenant à M. [V]

*à échoir : sursis à statuer

– incidence professionnelle : sursis à statuer

– déficit fonctionnel temporaire : 12 906 euros

– souffrances endurées : 35 000 euros

– déficit fonctionnel permanent : 70 750 euros

– préjudice esthétique temporaire : 2 000 euros

– préjudice esthétique permanent : 5 000 euros

– préjudice d’agrément : 6 000 euros

Préjudice corporel global de la victime : sursis à statuer

Prestations servies par le tiers payeur :

Montant d’indemnisation revenant à la victime : sursis à statuer

2-Sur les demandes accessoires

La demande au titre des dépens d’appel et des frais irrépétibles que M. [V] a formulé seront réservées.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme les jugements déférés en ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

Fixe désormais le préjudice corporel de M.[S] [V] de la manière suivante :

– dépenses de santé actuelles : 310,50 euros

– frais divers : 5 449,61 euros

– assistance par tierce personne temporaire : 21 160 euros

– perte de gains professionnels actuels : 2 672,79 euros

– perte de gains professionnels futurs :

*période échus : 143 835,31 euros revenant à M.[V] (les débours de la CPAM ayant été imputés)

*à échoir : sursis à statuer

– incidence professionnelle : sursis à statuer

– déficit fonctionnel temporaire : 12 906 euros

– souffrances endurées : 35 000 euros

– déficit fonctionnel permanent : 70 750 euros

– préjudice esthétique temporaire : 2 000 euros

– préjudice esthétique permanent : 5 000 euros

– préjudice d’agrément : 6 000 euros,

-perte économique : perte de valeur des parts sociales : 27 500 euros

Préjudice corporel global de la victime : sursis à statuer,

Total des prestations servies par le tiers payeur : sursis à statuer,

Montant total d’indemnisation revenant à la victime : sursis à statuer ;

Condamne d’ores et déjà le FGAO à payer les postes liquidés non soumis à recours tel que fixé ci-dessus à M.[S] [V] ;

Réserve la demande au titre des dépens d’appel et au titre des frais irrépétibles formée par M.[V] des frais irrépétibles ;

Invite les parties à présenter leurs observations sur les questions soulevées par la cour au titre de la perte de chance s ‘agissant du poste de perte de gains professionnels future à échoir et invite M.[V] à produire aux débats une simulation de carrière et de droits à la retraite ;

Renvoie l’examen de l’affaire à l’audience de plaidoiries du 2 juillet 2024 à 8 h30.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x