Parts sociales : décision du 7 février 2024 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 22/02135

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Parts sociales : décision du 7 février 2024 Tribunal judiciaire de Paris RG n° 22/02135
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TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

1/1/2 resp profess du drt

N° RG 22/02135 –
N° Portalis 352J-W-B7G-CWF2G

N° MINUTE :

Assignation du :
22 Janvier 2020

JUGEMENT
rendu le 07 Février 2024
DEMANDEUR

Monsieur [Z] [F]
[Adresse 8]
[Localité 6]

représenté par Maître Gérard TCHOLAKIAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0567

DÉFENDERESSES

S.C.P. [J] LEPARLIER CARTIER MENIER
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Thomas RONZEAU de la SCP RONZEAU & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0499

Caisse Centrale de Garantie de la Responsabilite des Notaires
[Adresse 5]
[Localité 7]

Caisse Régionale de Garantie des Notaires de la cour d’appel de Besançon
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentées par Maître Thierry KUHN de la SCP KUHN, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0090

Décision du 07 Février 2024
1/1/2 resp profess du drt
N° RG 22/02135 – N° Portalis 352J-W-B7G-CWF2G

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Benoît CHAMOUARD, Premier Vice-Président adjoint,
Président de formation,

Monsieur Eric MADRE, Juge
Madame Lucie LETOMBE, Juge
Assesseurs,

assistés de Samir NESRI, Greffier

DEBATS

A l’audience du 10 Janvier 2024
tenue en audience publique

JUGEMENT

– Contradictoire
– En premier ressort
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– Signé par Monsieur Benoît CHAMOUARD, Président, et par Monsieur Samir NESRI, greffier lors du prononcé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par acte du 10 janvier 2013, reçu par la SCP [J] Leparlier, Cartier, Menier représentée par Maître [V] [J], Monsieur [Z] [F] a acquis 750 parts de la SARL Société Immobilière & Promotion (SIP) à Madame [X] [B] et 750 parts à Monsieur [G] [B] pour un montant de 15 000 €, devenant ainsi associé avec 50% des parts de la société.

Le 11 janvier 2013 et le 25 janvier 2013, Monsieur [F] a remis à la société SIP les sommes de 200 000 € et de 800 000 € aux fins d’investissement dans trois projets immobiliers, ces sommes devant lui être remboursées avec intérêts dans un délai de deux ans.

En décembre 2015, Monsieur [F] a déposé plainte expliquant que les fonds ne lui avaient pas été restitués, à l’exception d’un montant de 20 000 €, et une enquête préliminaire fut ouverte.

Selon citation directe en date du 4 décembre 2018, Monsieur [F] a engagé des poursuites pénales à l’encontre de Maître [J] et de la SCP [J] et associés, des chefs de complicité d’escroquerie aggravée, de complicité d’abus de confiance, de complicité d’abus de biens sociaux, de blanchiment, de complicité de recel et d’association de malfaiteurs.

Par jugement du 13 décembre 2019, le tribunal correctionnel de Besançon a relaxé Maître [V] [J] des chefs de la poursuite. Monsieur [F] a interjeté appel.

C’est dans ce contexte que, par acte du 22 janvier 2020, Monsieur [F] a fait assigner la SCP [J] Leparlier, Cartier, Menier devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir engager sa responsabilité civile professionnelle, et la Caisse centrale de garantie de la responsabilité des notaires et la Caisse régionale de garantie des notaires de la cour d’appel de Besançon, en garantie.

Par ordonnance du 8 octobre 2020, le juge de la mise en état a prononcé le sursis à statuer de la présente instance dans l’attente d’une décision définitive dans le cadre de la procédure pénale pendante devant la cour d’appel de Besançon.

Par ordonnance du 25 mars 2021, l’affaire a été radiée, puis l’instance a repris le 11 février 2022.

Par arrêt du 3 février 2022, la cour d’appel de Besançon a confirmé la relaxe de Maître [J] et a condamné pour abus de biens sociaux Monsieur et Madame [B].

Aux termes de ses conclusions notifiées le 29 décembre 2022, Monsieur [F] demande au tribunal de :
– condamner la SCP [J], Leparlier, Cartier, Menier au paiement de la somme de 1 500 000 € en réparation du préjudice subi à titre principal et de la somme de 50 000 € au titre du préjudice moral,
– condamner solidairement la Caisse centrale de garantie de la responsabilité des notaires et la Caisse régionale de garantie des notaires de la cour d’appel de Besançon au paiement des mêmes sommes en garantie,
– dire que cette condamnation sera assortie d’intérêts légaux à compter du 25 janvier 2015, et subsidiairement, à compter de l’assignation du 22 janvier 2020, intérêts qui seront capitalisés,
– condamner les défendeurs à lui verser une indemnité de 10 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens qui seront recouvrés selon les modalités prévues à l’article 699 du même code.

Il soutient que le notaire a manqué à l’obligation d’information et de conseil qui pesait sur lui dans le cadre de sa mission de rédacteur d’acte, et n’a pas défendu ses intérêts alors qu’il :
– connaissait l’état de déconfiture financière de la société SIP, l’acquisition sans recours à un prêt et l’utilisation des fonds prêtés pour régler les dettes de la société au lieu d’investir dans les projets immobiliers convenus,
– était ami de Monsieur [B], était caution solidaire et intéressé dans l’achat d’un bien immobilier avec ce dernier,
– était complice de Monsieur [B] et avait, par la suite, en opérant des actes de cession d’autres biens immobiliers, contribué à faire péricliter la société SIP en organisant des opérations de création de sociétés et de vente conduisant à vider la société SIP de son actif.

Il expose que la SCP notariale avait pour devoir de préparer les actes et de s’assurer de ses intérêts notamment en vérifiant la solvabilité de l’entreprise, de sa situation financière, de ses droits, de la sécurité de l’investissement et d’une façon générale de la bonne réalisation de l’opération et de ses conséquences futures.

Il indique que la SCP rédactrice des actes avait une obligation de résultat en amont de la réalisation à l’égard de l’acheteur des parts sociales et de l’apporteur de fonds, et qu’il s’agit donc bien d’un préjudice qui lui est propre, en tant que client de la SCP défenderesse.

Il allègue que son préjudice est considérable puisque l’apport en compte courant de 980 000 € n’a pas été remboursé, et les fruits de l’investissement projeté s’élevant à 250 000 € n’ont pas été remis, de sorte que les défendeurs seront condamnés au paiement de la somme de 1 500 000 € en réparation de son préjudice principal et de la somme de 50 000 € au titre de son préjudice moral.

Il conclut que les caisses de garantie de notaires ont pour objet statutaire de garantir les défaillances des notaires au visa des articles 11 et suivants du décret du 20 mai 1955 relatif aux officiers publics ou ministériels, et assurent la sécurité et l’indemnisation des opérations réalisées par les notaires défaillants.

Suivant conclusions signifiées le 10 janvier 2023, la SCP [J] Leparlier, Cartier, Menier demande au tribunal de :
– débouter Monsieur [F] de l’ensemble de ses demandes,
– le condamner à lui verser une indemnité de 8 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens qui seront recouvrés selon les modalités prévues à l’article 699 du même code.

La SCP notariale fait valoir que Maître [J] n’a commis aucune faute, en ce que :
– l’acte de cession de parts sociales, seul acte diligenté par le notaire, n’est pas en soi critiquable,
– les détournements du compte courant d’associé opérés par Monsieur et Madame [B] ont été effectués hors l’intervention et la comptabilité du notaire,
– les abus de biens sociaux commis par les dirigeants de la société SIP ont été commis au seul préjudice de cette société, et au non au préjudice du demandeur,
– Maître [J] a été relaxé par les juridictions pénales et le demandeur échoue à démontrer que le notaire avait connaissance des détournements effectués,
– le demandeur aurait pu, en qualité d’actionnaire, exercé l’action ut singuli qui est désormais prescrite,
– il a déjà obtenu la condamnation de la SARL SIP à lui verser la somme de 980 000 € en remboursement par le tribunal de commerce de Besançon par jugement du 17 mars 2021, tel qu’il en ressort de l’arrêt de la cour d’appel de Besançon.

Elle souligne que le demandeur ne justifie pas du préjudice matériel invoqué, ayant déjà un titre exécutoire contre la société SIP d’un montant de 980 000 €, et ne produisant aucune explication ou justificatif sur le complément de dommages et intérêts sollicité à hauteur de 520 000 €.

Elle conclut enfin qu’aucun préjudice moral n’est caractérisé, en raison de la mauvaise foi du demandeur tout au long de la procédure.

Suivant conclusions signifiées le 8 février 2023, la Caisse régionale de garantie de la responsabilité professionnelle des notaires de la cour d’appel de Besançon demande au tribunal de :
– prononcer sa mise hors de cause,
– condamner Monsieur [F] à lui verser une indemnité de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens qui seront recouvrés selon les modalités prévues à l’article 699 du même code.

Elle fait valoir qu’elle n’a pas vocation à intervenir au litige en vertu de l’article 11 du décret du 20 mai 1955 puisque que la créance alléguée par le demandeur n’est pas exigible, la responsabilité de la SCP notariale n’est pas établie, et qu’en tout état de cause, les manquements reprochés sont couverts par le contrat d’assurance civile professionnelle du notaire.

Suivant conclusions signifiées le 8 février 2023, la Caisse centrale de garantie de la responsabilité professionnelle des notaires demande au tribunal de :
– débouter Monsieur [F] de ses demandes à son encontre,
– condamner Monsieur [F] à lui verser une indemnité de 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens qui seront recouvrés selon les modalités prévues à l’article 699 du même code.

Elle fait valoir que le défaut de conseil reproché au notaire est couvert par le contrat d’assurance civile professionnelle de ce dernier, qui ne serait pas défaillant en cas de condamnation, de sorte que les conditions de son intervention ne sont pas réunies, en vertu de l’article 11 du décret du 20 mai 1955.

La clôture de la mise en état a été prononcée le 16 mars 2023 par ordonnance rendue le même jour par le juge de la mise en état.

A l’audience du 10 janvier 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 7 février 2024, date du présent jugement.

MOTIVATION

Sur la responsabilité du notaire

Engage sa responsabilité civile à l’égard de son client, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, le notaire qui commet un manquement dans l’exercice de sa mission légale d’authentification des actes juridiques, tant à raison de son obligation d’assurer la validité et l’efficacité des actes reçus, qu’au titre de son devoir d’information et de conseil dont il n’est pas dispensé par les compétences personnelles de son client ou l’intervention d’un autre professionnel.

Le notaire n’est pas tenu d’une obligation de conseil concernant l’opportunité économique d’une opération (Civ. 1re, 21 mars 2006, n° 04-12.734).

Le notaire a l’obligation de s’assurer de la validité et de l’efficacité des actes qu’il dresse, mais cette obligation ne s’étend pas aux opérations réalisées sans son concours (Civ. 1re, 15 mars 2005).

Il appartient au client qui entend voir engager la responsabilité civile de son notaire de rapporter la preuve du préjudice dont il sollicite réparation ; qu’il soit entier ou résulte d’une perte de chance, ce préjudice, pour être indemnisable, doit être certain, actuel et en lien direct avec le manquement commis.

Au cas présent, il ressort des éléments du dossier que Maître [J] n’a instrumenté que l’acte de cession de parts sociales du 10 janvier 2013 dont la validité et l’efficacité n’est pas contestée et qui était conforme aux intentions des parties.

Le versement postérieur à cet acte notarié de la somme d’un million d’euros prêtée par le demandeur à la société SIP et l’utilisation qui en a été faite ensuite par les dirigeants de la société SIP sont réputés s’être déroulés hors l’intervention et la connaissance du notaire, sauf à démontrer une collusion entre ce dernier et les dirigeants de la société SIP, ce à quoi échoue le demandeur puisque Maître [J] et la SCP [J] et associés ont été relaxés par la cour d’appel de Besançon des chefs d’association de malfaiteurs, de complicité d’escroquerie, ce complicité d’abus de confiance et blanchiment aggravé.

Dès lors, à défaut de démontrer une quelconque faute du notaire, Monsieur [F] sera débouté de ses demandes.

Il n’y a donc pas lieu de se prononcer sur les demandes en garantie formées à l’encontre de la Caisse centrale de garantie de la responsabilité des notaires et de la Caisse régionale de garantie des notaires de la cour d’appel de Besançon.

Sur les demandes accessoires

Monsieur [F], partie perdante, sera condamné aux dépens, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile qui seront recouvrés selon les modalités prévues à l’article 699 du même code.

Il convient d’allouer à la SCP [J] et associés une indemnité au titre des dispositions de l’article 700 du même code d’un montant de 3 000 €.

Il convient en outre d’allouer à Caisse centrale de garantie de la responsabilité des notaires et à la Caisse régionale de garantie des notaires de la cour d’appel de Besançon une indemnité au titre des dispositions de l’article 700 du même code d’un montant de 1 500 € chacune.
L’exécution provisoire de la présente décision est de droit, conformément à l’article 514 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,

Déboute Monsieur [Z] [F] de ses demandes ;

Condamne Monsieur [Z] [F] aux dépens qui seront recouvrés selon les modalités prévues à l’article 699 du code de procédure civile ;

Condamne Monsieur [Z] [F] à payer à la SCP [J] Leparlier, Cartier, Menier la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Monsieur [Z] [F] à payer à Caisse centrale de garantie de la responsabilité des notaires la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Monsieur [Z] [F] à payer à la Caisse régionale de garantie des notaires de la cour d’appel de Besançon la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

Rappelle que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Fait et jugé à Paris le 07 Février 2024

Le GreffierLe Président

S. NESRIB. CHAMOUARD

 


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