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1ère Chambre
ARRÊT N°45
N° RG 23/00123 – N° Portalis DBVL-V-B7H-TM6A
M. [E] [Y]
C/
Me [D] [K]
SELARL NEMESIS CONSEIL
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 06 FÉVRIER 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre entendu en son rapport,
Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 28 novembre 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 06 février 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANT :
Monsieur [E] [Y]
né le [Date naissance 2] 1947 à [Localité 7] (35)
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représenté par Me Christophe TATTEVIN de la SCP TATTEVIN-DERVEAUX, avocat au barreau de VANNES
INTIMÉS :
Maître [D] [K]
né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 9] (44)
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représenté par Me Sylvie PÉLOIS de la SELARL AB LITIS / PÉLOIS & AMOYEL-VICQUELIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représenté par Me Julien CHAINAY, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
La société NÉMÉSIS CONSEIL, SELARL agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représentée par Me Sylvie PÉLOIS de la SELARL AB LITIS / PÉLOIS & AMOYEL-VICQUELIN, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Julien CHAINAY, Plaidant, avocat au barreau de RENNES
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M.'[E] [Y] et la société Separis ont constitué, suivant acte sous seing privé du 7’novembre 2012, la société par actions simplifiée Enercat dans la perspective de reprendre certaines activités de l’association Institut Régional des Matériaux Avancés (ci-après IRMA) dont M. [Y] était le directeur général, ce aux fins de les adjoindre à celles de la société CTI dont le dirigeant, M.'[V] [Z], était également celui de la société Separis.
M. [Y] a été nommé directeur général avec mandat social non rémunéré de la société Enercat.
Le même jour, M.'[Y] et la société Separis ont conclu un pacte d’associés.
En septembre 2016, M. [Y] a pris attache avec le cabinet Némésis Conseil, société d’exercice de Me'[D] [K], avocate au barreau de Rennes, afin qu’elle l’accompagne et le conseille dans la cession au profit de la société Separis des parts sociales qu’il détenait (33 %) dans le capital de la société Enercat.
Ayant été placé par l’association IRMA en retraite en mars 2017, il était contraint, en exécution combinée des statuts de la société Enercat et du pacte d’associé, de céder ses parts dans le capital de cette dernière société à la société Séparis.
Après négociations, M. [Y] cédait, suivant acte du 4 mai 2017, la totalité des parts qu’il détenait dans le capital de la société Enercat à la société Separis moyennant le prix de 685’000’euros et démissionnait de ses fonctions de directeur général.
En janvier 2019, l’administration fiscale procédait à un contrôle de la situation fiscale de M.'[Y] et lui adressait le 26 mars 2019 une proposition de redressement de 130’877’euros au titre de ses revenus de l’année 2017′:
– lui refusant le bénéfice de l’abattement de 500’000’euros prévu par l’article 150-0 D ter du code général des impôts édicté au profit des dirigeants de PME ayant de manière continue exercé leurs fonctions de direction et détenu les titres pendant les cinq années précédant la cession, au profit de l’abattement de droit commun,
– et remettant en cause la réduction d’impôt de 5’940’euros dont il avait bénéficié en 2012 lors de la constitution de la société Enercat en application de l’article 199 terdecies-0 A du code général des impôts (18’% du montant de son apport), faute d’avoir conservé ses titres jusqu’au 31 décembre de la cinquième année suivant la souscription,
– appliquant les intérêts de retard et une majoration de 10 % en application de l’article 1758 A du code général des impôts.
Estimant que Me [K] aurait dû le mettre en garde et lui conseiller de reporter la cession de ses titres au mois de novembre 2017 ce à quoi M. [Z] ne s’opposait pas, M. [Y], après vaines tentatives amiables a, par acte d’huissier du 8 mars 2021, fait assigner le cabinet Némésis conseil et Me [K] devant le tribunal judiciaire de Vannes qui, par décision du 22 novembre 2022, a’:
– condamné solidairement Me [K] et la société Némésis à verser à M. [Y] la somme de 40’000 euros se détaillant comme suit :
‘ 24 000 euros au titre du préjudice du fait du manquement à l’obligation d’information,
‘ 13 000 euros au titre de la perte de chance pour manquement à l’obligation de conseil,
‘ 3 000 euros au titre du préjudice moral,
– condamné solidairement Me [D] [K] et la société Némésis Conseil à payer la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné solidairement Me [D] [K] et la société Némésis Conseil aux entiers dépens de l’instance.
Pour ce faire, le tribunal a retenu que Me [K] ‘ qui avait calculé l’impôt dont M. [Y] serait redevable au titre de la cessions de ses actions ‘ avait manqué à ses devoirs d’information justifiant une indemnisation correspondant aux honoraires versés et de conseil justifiant l’indemnisation de perte de chance réduite (10 %) d’échapper au redressement déterminé par l’administration. Il a, en outre, pris en compte un préjudice moral.
M.'[Y] a interjeté appel de la décision par déclaration du 6 janvier 2023.
Aux termes de ses dernières écritures (19 avril 2023), M. [E] [Y] nous demande, au visa des articles 1231-1, 1984 à 2010 du code civil, du décret du 12 juillet 2005 et de l’article 1.3 alinéa 4 du règlement intérieur national de la profession d’avocat, de :
– le déclarer recevable et bien fondé en son appel, fins et conclusions,
– débouter la société Némésis Conseil et Me [K] de leur appel incident et confirmer la décision en ce qu’elle a caractérisé un manquement aux devoirs d’information et de conseil,
– réformer la décision entreprise en ce qu’elle a condamné la société Némésis Conseil et Me'[K] à lui verser les seules sommes de 40’000 euros en réparation de ses préjudices et 2’500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
statuant à nouveau,
– condamner la société Némésis Conseil et solidairement, Me [K] à lui verser :
‘ la somme principale de 130.877 euros avec intérêts aux taux légal à compter de la mise en demeure adressée par M. [B] à Me [K] le 30 avril 2019,
‘ 8.000 euros au titre du préjudice moral,
‘ 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés devant le premier juge et celle de 6.000 euros, sur le même fondement, au titre des même frais exposés en cause d’appel.
– condamner les mêmes et sous la même solidarité aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Tattevin-Derveaux, par application des dispositions des articles 696 et 699 du code de procédure civile.
M. [Y] estime que le tribunal a justement retenu que les intimées avaient manqué à leurs obligations contractuelles d’information et de conseil.
Il considère que c’est à tort que le tribunal a refusé de fixer l’indemnisation à hauteur du montant de l’impôt lui-même, au motif que le bénéfice de l’abattement fiscal de 500’000 euros était incertain. Il soutient que la transmission d’une information exacte relative au droit positif n’est soumise à aucun aléa, et que le préjudice résultant du manquement de l’avocat à ses devoirs d’information et de conseil est intégralement indemnisé si l’avantage escompté était dépourvu d’aléa. Or, il indique que sa mise à la retraite et les conditions d’intervention de celle-ci lui auraient assurément permis de remplir les conditions pour bénéficier de l’abattement, si toutefois il avait attendu novembre 2017 pour céder ses parts sociales.
Il fait enfin valoir que le jugement a sous évalué le quantum de la somme indemnisant son préjudice moral.
La société Némésis et Me [D] [K] sollicitent, aux termes de leurs dernières écritures notifiées le 3 avril 2023, de :
– réformer le jugement en ce qu’il a reconnu leur responsabilité civile professionnelle et les a solidairement condamnées à verser à M. [Y] la somme totale de 40’000 euros,
statuant à nouveau,
– débouter M. [Y] de toutes ses demandes fins et conclusions à leur encontre,
– le condamner à leur verser une indemnité de 3’000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M. [Y] aux entiers dépens dont ceux éventuels d’exécution,
– autoriser la Selarl Ab litis ‘ Sylvie Pélois ‘ Amélie Amoyel-Vicquelin, avocats postulants à les recouvrer conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Pour s’opposer à la demande, les intimées prétendent que même si la cession avait été reportée en novembre 2017, M. [Y] n’aurait pu prétendre à l’abattement de l’article 150-0 D ter du code général des impôts puisque la condition relative à la direction effective de l’entreprise pendant les cinq années ayant précédé la cession n’aurait pas été satisfaite puisque sa mise à la retraite de l’association IRMA prenant effet le 30 avril 2017, c’est à cette date qu’il aurait quitté ses fonctions au sein de la société Enercat conformément au pacte d’associés.
Elles en déduisent que l’appelant ne peut prétendre à aucun préjudice indemnisable, l’imposition fiscale sur la plus-value de la cession étant inévitable. Elles ajoutent que le tribunal a injustement retenu leurs honoraires comme un préjudice indemnisable, alors qu’ils correspondent au travail effectué et à un honoraire complémentaire de résultat non contesté par M. [Y].
Elles font enfin valoir que le certificat médical alléguant d’un préjudice moral n’a manifestement aucun lien avec une supposée faute qui leur est reprochée.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2023.
SUR CE, LA COUR’:
Bien qu’aucune lettre de mission ne soit produite aux débats, Me [D] [K] et sa structure d’exercice, la Selarl Némésis Conseil, ne contestent pas avoir été saisies, dès le mois de septembre 2016, par M. [Y] afin de l’assister dans la cession à son associé, la société Separis, des parts sociales qu’il détenait dans le capital de la société Enercat.
Dans ce cadre, l’avocate a, par courriel du 13 avril 2017 (pièce n° 1 de l’appelant), transmis à son client les information suivantes’:
«’Je reviens vers vous pour vous préciser les conditions de cession de vos titres’:
prix global lié à votre départ’: 800’000’€ réparti comme suit’:
115’000’euros (fees dont 50’K€ déjà versés),
685’000’€ (prix de cession)
pour le détail de la fiscalité’:
retraitement des 30’K€
abattement général 500’K€
abattement spécial 65%
IR sur le solde 30 %’: 16’275’€
CSG/CRDS sur 685’000’€ (15,5 %)’: 106’175’€
Conditions d’intervention et honoraires de résultat’: 685’000’€ x 3’%, soit 20’550’€ HT
Je vous laisse me confirmer votre accord sur ces modalités et vous transmettrai copie du projet d’acte de cession d’ici demain’».
Aucune des parties n’a jugé utile de produire devant la cour le projet d’acte dont il est fait état ni même d’ailleurs l’acte de cession des titres de M.'[Y]. Cet acte aurait été signé le 4 mai 2017, ce que corrobore la facture d’honoraires établie (n° 201700212GP) le même jour par l’avocate (pièce n° 12 de l’appelant)’:
«’Honoraires relatifs à notre assistance juridique dans le cadre d’une cession d’actions et de l’accompagnement de votre départ de la société Enercat’: cession de 330 actions entre M.'[E] [Y] et la société Separis dans la société Enercat, entretiens, échanges suivis de négociations, rédaction des propositions de cession, assistance dans le cadre de la rédaction de l’acte de cession d’actions et suivi des modifications, assistance dans le cadre de la préparation de la démission des fonctions de Directeur général.
Honoraires suivant accord du client’: Honoraires de résultat sur la base du prix de cession d’actions à hauteur de 3 % HT arrêté à la somme forfaitaire de 20’000’€ TVA 4’000’€ Total TTC’: 24’000’€’».
La cession étant intervenue en mai 2017, avant le terme du délai de cinq ans (survenant en l’occurrence le 7 novembre 2017) prévu par l’article 150 0 D ter du code général des impôts’:
«’I ‘ 1. Les gains nets mentionnés au 1 de l’article 150-0 D et déterminés dans les conditions prévues au même article retirés de la cession à titre onéreux d’actions, de parts de sociétés ou de droits portant sur ces actions ou parts sont réduits d’un abattement fixe de 500’000’euros et, pour le surplus éventuel, de l’abattement prévu au 1 quater dudit article 150-0 D lorsque les conditions prévues au 3 du présent I sont remplies…
3. Le bénéfice des abattements mentionnés au 1 est subordonné au respect des conditions suivantes :
1° La cession porte sur l’intégralité des actions, parts ou droits détenus par le cédant dans la société dont les titres ou droits sont cédés ou sur plus de 50 % des droits de vote ou, en cas de la seule détention de l’usufruit, sur plus de 50 % des droits dans les bénéfices sociaux de cette société ;
2° Le cédant doit : a) Avoir exercé au sein de la société dont les titres ou droits sont cédés, de manière continue pendant les cinq années précédant la cession et dans les conditions prévues au 1° de l’article 885 O bis, l’une des fonctions mentionnées à ce même’1° (président, directeur général, président du conseil de surveillance ou membre du directoire d’une société par actions)… b) Avoir détenu directement ou par personne interposée ou par l’intermédiaire de son conjoint ou de leurs ascendants ou descendants ou de leurs frères et s’urs, de manière continue pendant les cinq années précédant la cession, au moins 25 % des droits de vote ou des droits dans les bénéfices sociaux de la société dont les titres ou droits sont cédés ; c) Cesser toute fonction dans la société dont les titres ou droits sont cédés et faire valoir ses droits à la retraite dans les deux années suivant ou précédant la cession…’»,
il est certain que M. [Y] ne pouvait bénéficier l’abattement de 500’000’euros dont Me [K] fait état dans son courriel.
Elle a ainsi manifestement transmis à son client une information gravement erronée sur les conséquences fiscales de l’acte auquel elle a prêté son concours, annonçant un impôt (16’275 euros) d’un montant (hors intérêts de retard) neuf fois inférieur à celui réellement dû (145’523 euros, correspondant à la somme de l’impôt initialement réglé, soit 16’275’euros, et de la rectification effectuée par l’administration en raison de l’abattement indû, soit 129’248’euros) au regard des conditions, notamment de durée (détention des titres et fonction de direction exercées durant moins de cinq ans) dans lesquelles l’acte de cession a été passé.
Par ailleurs et comme l’a relevé, à bon droit, le tribunal judiciaire de Vannes, Me [K] étant (à tort) convaincue que son client pourrait bénéficier de l’abattement prévu par l’article précité du code général des impôts, elle ne lui a prodigué aucun conseil utile quant aux solutions éventuellement envisageables de nature à lui permettre de bénéficier effectivement de cet abattement fiscal.
L’avocat étant tenu à l’égard de son client d’un devoir d’information et d’une obligation de conseil, c’est, dès lors, à juste titre que le tribunal a retenu qu’ayant manqué à chacune d’eux, Me'[K] et sa société d’exercice avaient commis autant de fautes de nature à engager leur responsabilité contractuelle à l’égard de leur client.
La responsabilité de l’avocat à l’égard de son client obéissant au droit commun de la responsabilité civile, il appartient à ce dernier, les fautes étant, en l’espèce, parfaitement caractérisées et non sérieusement contestées, de rapporter la preuve d’un préjudice et d’un lien de causalité.
M.'[Y], à la différence du tribunal qui a indemnisé séparément le préjudice engendré par chacune de ces fautes (le manquement au devoir de conseil étant indemnisé sur le fondement de la perte de chance à la différence du manquement au devoir d’information donnant lieu à des dommages et intérêts arbitrés par la juridiction), réclame une somme globale de 130’877’euros égale au montant de la rectification opérée par l’administration fiscale.
L’avocate conteste toute perte de chance résultant d’un manquement au devoir de conseil et ne tire aucune conséquence du manquement à son devoir d’information, discutant la condamnation à des dommages et intérêts d’un montant égal à son honoraire de résultat lequel rémunère son travail («’les honoraires correspondent au travail effectué et surtout sont majoritairement constitués d’un honoraire de résultat non contesté par le client dès lors que cet honoraire de résultat est venu récompenser la négociation de l’avocat sur le prix et dont a bénéficié le client’», rappelant que l’offre initiale de la société Separis se montait à la somme de 200’000’euros, conclusions des intimées, page 8).
Sur les conséquences du manquement au devoir de conseil’:
Il convient, en premier lieu, de rappeler que les statuts de la société Enercat (pièce 2 des intimées) disposent en leur article 23 relatif au Directeur général, fonction occupée par M.'[Y] à compter de la constitution de la société (7 novembre 2012), que’: «’23-2 Durée des fonctions’: La durée des fonctions du Directeur général est fixée à cinq ans… Nul ne peut être nommé Directeur général s’il fait ou s’il a fait valoir ses droits à la retraite. Si le Directeur général en fonction vient à faire valoir ses droits à la retraite, à quelque titre que ce soit, il est réputé démissionnaire. Les fonctions de Directeur général prennent fin soit par le décès, la démission, la révocation, l’expiration du mandat, soit…’».
L’article 10.3.1 précise «’les fonctions de directeur général de M. [E] [Y] prendront automatiquement fin, sans formalité aucune, le jour où ce dernier fera valoir ses droits à la retraite, à quelque titre que ce soit,…’».
Le pacte d’associés conclu le jour de la constitution de la société (pièce n° 17 de l’appelant et 3 des intimés) comporte’:
– d’une part, une promesse d’achat (article 3) par laquelle la société Séparis, promettante, s’est engagée à acheter à M.'[Y] la totalité des actions détenues par celui-ci dans le capital de la société Enercat, M.'[Y], bénéficiaire, pouvant manifester sa volonté de lever la promesse dont il bénéficie et faire réaliser l’achat des titres, par lettre recommandée avec accusé de réception, présentée à Séparis entre le 1er octobre 2017 et le 30 septembre 2022,
– d’autre part, une promesse de vente (article 4) par laquelle M. [Y], promettant, s’est engagé à vendre à Séparis la totalité des actions qu’il détenait dans la société Enercat, la société Séparis, bénéficiaire, pouvant manifester sa volonté de lever la promesse dont elle bénéficie et faire réaliser l’achat des titres, par lettre recommandée avec accusé de réception, présentée à M.'[Y] entre le 1er octobre 2017 et le 30 septembre 2022. L’article 4.2 al 2 dispose que «’par exception, le bénéficiaire (Separis) pourra, (i) en cas de démission par M.'[Y] de son mandat de Directeur général de la société ou (ii) si M. [E] [Y] fait valoir ses droits à la retraite, lever par anticipation la promesse dont il bénéficie…’».
– dans les deux cas, il a été stipulé que la réalisation de la cession des titres aura lieu dans un délai maximum d’un mois à compter de la levée d’option.
Il résulte des conclusions concordantes des parties que M.'[Y] a sollicité en septembre 2016 le concours de Me [K] pour l’assister dans le cadre de la cession de ses parts de la société Enercat à la société Séparis, le premier précisant toutefois qu’il souhaitait céder ses parts alors que la seconde indique que son client «’était pressé par son associé majoritaire’». Il sera observé qu’aucune pièce n’est produite corroborant les dires de l’un ou de l’autre de sorte que la cour ignore si c’est M. [Y] ou la société Séparis qui a pris l’initiative de la cession des titres et a levé l’option…
En tout état de cause, il semble que les négociations avec son associée aient été entamées dès avant la mise à la retraite de M. [Y] par l’association Irma (la cour ignore toutefois la date exacte à laquelle les négociations entre l’association Irma et M. [Y] ont débuté, cf. infra).
En effet et en troisième lieu, il est établi que, par lettre recommandée du 30 janvier 2017 (pièce n° 16 de l’appelant), cette association a pris la décision de procéder, comme le lui permettaient les dispositions de l’article L’1237-5 du code du travail, à la mise à la retraite (d’office) de M.'[Y] ‘ celui-ci atteignant l’âge de 70 ans le 13 mars 2017 ‘ à l’issue d’un préavis de trois mois.
Quoiqu’il en soit des négociations entamées entre la société Séparis et M. [Y] et en conséquence de cette décision, ce dernier était, statutairement, réputé démissionnaire de ses fonctions de directeur général de la société Enercat à compter de la fin avril / début mai 2017 et donc dans l’obligation de céder ses parts.
Il convient donc, en l’état de ces éléments de rechercher si, mieux conseillé par son avocate, M.'[Y] aurait pu bénéficier de l’exonération prévue par l’article 150-0 D ter du code général des impôts.
Pour ce faire, il aurait nécessairement fallu que, nonobstant sa mise à la retraite, les statuts de la société Enercat et le pacte d’associés, ce dernier conserve à la fois ses parts sociales et ses fonctions de Directeur général jusqu’au 7 novembre 2017.
Pour ce faire, les seuls conseils que Me [K] pouvait prodiguer à son client consistaient à négocier’:
– soit avec M.'[Z], dirigeant et associé majoritaire, par le truchement de ses sociétés, de la société Enercat, afin de différer la cession de ses parts et de le maintenir à son poste de Directeur général bien qu’il en était statutairement réputé démissionnaire du seul fait de sa mise à la retraite par l’association Irma,
– soit avec cette dernière pour reporter son départ en retraite.
M.'[Y] prétend que s’il avait été informé des conséquences fiscales d’une cession immédiate, M. [Z] et la société Séparis auraient accepté qu’il garde ses parts et sa fonction le temps nécessaire lui permettant de bénéficier de l’avantage fiscal.
Force est toutefois de relever qu’il ne produit strictement aucune pièce en ce sens alors que si tel avait été le cas, il lui aurait été aisé d’obtenir ne serait-ce qu’une attestation de M. [Z] et de verser aux débats les pièces permettant d’établir que c’est bien lui qui était à l’origine de la cession de ses parts (et non la société Separis comme Me [K] le prétend).
Le tribunal de Vannes a certes retenu une perte de chance qu’il a arrêtée à 10 %, considérant qu’une telle issue, sans être exclue, était très peu probable et pouvait résulter d’un courrier adressé par le président de Lorient Agglomération à l’association Irma le 13 janvier 2017 (pièce n° 4 des appelantes) aux termes duquel ce dernier indiquait «'[Localité 8] Agglomération émet les plus grandes réserves quant aux modalités qui pourraient être retenues pour poursuivre une collaboration avec M. [Y] après sa mise à la retraite en mars 2017. Si M. [Y] souhaite continuer à s’investir dans l’innovation aux côtés d’Irma, cela ne peut s’opérer aux dépens des accords passés avec la société Enercat et au détriment financier de l’Association. Ainsi [Localité 8] Agglomération (qui rappelle plus loin sa contribution au financement de l’Association) estime qu’il ne peut être concevable, tant pour des considérations juridiques, financières qu’éthiques, que l’association contracte de nouveau avec M. [Y] de manière pérenne et moyennant une rémunération, alors même que l’association a accepté, de façon très discutable, de lui verser une indemnité de départ en retraite supérieure à l’indemnité légale. Seul un partenariat basé sur des missions bénévoles… ou la réalisation de prestations ponctuelles faiblement rémunérées sont pour [Localité 8] Agglomération envisageables…’».
Cependant et contrairement à ce qu’a considéré le tribunal, ce courrier n’ouvre aucun espace de discussion quant à un maintien de M. [Y] dans ses fonctions à la tête d’Irma. L’appelant n’envisage d’ailleurs pas cette possibilité et tout indique que l’association Irma ‘ qui a fait le nécessaire pour placer en retraite son directeur général dès son soixante dixième anniversaire, c’est à dire dès que la loi lui permettait de le faire tout en lui allouant une indemnité d’ailleurs supérieure à l’indemnité légale ‘ n’aurait certainement pas accepté de le conserver (et donc d’en supporter la charge) six mois de plus.
La circonstance tirée du fait qu’il aurait pu conserver, malgré sa mise en retraite, quelques missions bénévoles, voire faiblement rémunérées, au sein de l’association Irma est évidemment sans incidence sur son éventuel maintien aux fonctions de directeur général de la société Enercat puisque de telles missions ne remettaient nullement en cause son départ en retraite et sa situation au sein de cette dernière société (réputé démissionnaire).
Son maintien comme directeur général de la société Enercat, malgré sa mise en retraite par l’association Irma, était tout aussi improbable. En effet, il n’existe aucune raison de penser que la société Séparis (M. [Z]) qui a entendu lier ces fonctions à une situation d’actif, lien rappelé tant dans les statuts à deux reprises que dans le pacte d’associés, aurait néanmoins consenti à son maintien duquel elle ne tirait aucun avantage puisque bien au contraire ce maintien aurait eu pour cette société un coût significatif, l’article 10.3.3 des statuts disposant que si le directeur général est rémunéré sur la base des résultats commerciaux, il a toutefois été convenu que «’M. [Y] percevra dans l’exercice de son mandat social de Directeur général de la société, à compter de la date à laquelle ses fonctions de Directeur général de l’association Irma ne seront plus rémunérées, un traitement fixe annuel brut de 139’000’euros’».
Il convient d’ajouter que M. [Z] souhaitait le départ de M. [Y] (courriel de Me [K] du 12 avril 2019, bien antérieur à l’introduction en 2021 de la présente procédure, ‘ pièce n° 6 de l’appelant) ce qui excluait son maintien.
Il s’ensuit que la chance perdue en raison du manquement par l’avocate à son devoir de conseil est inexistante.
Le jugement sera donc infirmé de ce chef.
Sur les conséquences du manquement au devoir d’information :
S’agissant du manquement au devoir d’information, il est évident que le fait d’avoir transmis à son client une information gravement erronée quant à l’impôt réellement dû a causé à ce dernier un préjudice dans la mesure où ayant payé l’impôt déterminé par l’avocate, il ne pouvait s’attendre à subir une vérification aboutissant à une proposition de rectification très importante puisque excédant la somme de 130’000’euros.
D’une part et correctement informé, M. [Y] n’aurait pas invoqué un abattement indu et n’aurait donc pas eu à supporter des pénalités de retard. De ce chef, les appelants seront condamnés à lui verser la somme de 1’629’euros.
L’impôt supplémentaire (129’248’euros) étant incontestablement dû par M.'[Y], il ne peut s’agir d’un préjudice indemnisable. En revanche, le préjudice causé par la mauvaise information justifie pleinement l’allocation de la somme de 24’000’euros allouée par le tribunal, étant observé que si cette somme correspond aux honoraires de résultat (et non à la totalité des honoraires puisque sauf à encourir la nullité ‘ article 10 de la loi du 31 décembre 1971 ‘ la société Némésis Conseil a nécessairement également facturé des honoraires de diligences dont elle s’abstient d’indiquer le montant), il ne s’agit pas d’un remboursement de certains des honoraires perçus mais bien d’une indemnité réparant un préjudice causé par une faute, en l’espèce grave, quant à l’information dispensée par l’avocat.
Sur le préjudice moral :
C’est enfin par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a reconnu à M. [Y] un préjudice moral lié à l’angoisse et aux tracas résultant d’une procédure de rectification et au payement d’un impôt d’un montant significatif et lui a alloué, en réparation, une somme complémentaire de 3’000’euros.
Il sera donc alloué au total à M. [Y] la somme de 28’629’euros en réparation de son préjudice.
Sur les dépens et les frais irrépétibles’:
Me [K] et la société Némésis Conseil supporteront la charge des dépens de première instance et d’appel.
Une indemnité de 6’000 euros sera allouée à M. [Y] pour les frais non compris dans les dépens exposés en première instance et en appel.
PAR CES MOTIFS’:
Statuant par arrêt rendu publiquement et contradictoirement:
Infirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Vannes le 22 novembre 2023.
Statuant à nouveau’:
Condamne solidairement Me [D] [K] et la Selarl Némésis Conseil à verser à M. [E] [Y] en réparation des préjudices causés une somme de 28’629’euros.
Rejette le surplus des demandes.
Condamne solidairement Me [D] [K] et la Selarl Nemesis Conseils aux dépens de première instance et d’appel.
Autorise les avocats qui en ont fait la demande à recouvrer contre elles ceux des dépens dont ils auraient pu faire l’avance sans avoir reçu provision.
Condamne solidairement Me [D] [K] et la Selarl Némésis Conseil à verser à M. [E] [Y] une somme de 6’000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT