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Arrêt n° 24/00035
31 janvier 2024
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N° RG 23/00145 –
N° Portalis DBVS-V-B7H-F4N5
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Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de THIONVILLE
30 décembre 2022
19/00246
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE METZ
Chambre Sociale-Section 1
ARRÊT DU
Trente et un janvier deux mille vingt quatre
APPELANT :
M. [H] [G]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Armelle BETTENFELD, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Me Johann GIUSTINATI, avocat au barreau de METZ, avocat plaidant
INTIMÉE :
S.A.S. T.A GROUPE exerçant sous l’enseigne commerciale TAXI ALAIN, représentée par son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Laure-Anne BAI-MATHIS, avocat au barreau de METZ, avocat postulant et par Me David TAPIERO, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 juin 2023, en audience publique, devant la cour composée de :
Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre
Mme Anne FABERT, Conseillère
M. Benoit DEVIGNOT, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Hélène BAJEUX
ARRÊT : Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile;
Signé par Mme Véronique LAMBOLEY-CUNEY, Présidente de chambre, et par Mme Catherine MALHERBE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
La SAS TA Groupe à l’enseigne ‘Taxi Alain’ dont le président est M. [B] exploite une activité de taxi et a été créée le 4 avril 2015. Elle est titulaire de plusieurs licences de taxi et autorisations de stationnement.
La SAS Taxi [H] a été immatriculée le 18 juillet 2017 et son capital (500 euros) a été réparti entre M. [H] [G] (80 actions sur 100) et la SAS TA Groupe (20 actions).
Par contrat du 1er juillet 2017, la société TA Groupe a confié en location-gérance à la société Taxi [H] l’exploitation du fonds artisanal attaché à l’autorisation de stationnement n°1 située à [Localité 5] (57) acquise en janvier 2017 dans le cadre de la liquidation judiciaire d’une autre société de taxi.
Par courrier du 17 avril 2019, M. [G] a en sa qualité de dirigeant de la société Taxi [H] notifié à la SAS TA Groupe la résiliation du contrat de location-gérance.
Par requête datée du 30 décembre 2019, M. [H] [G] a saisi le conseil de prud’hommes de Thionville d’un litige l’opposant à la SAS TA Groupe aux fins de contester le cadre juridique imposé par cette dernière pour l’exercice de ses fonctions de chauffeur de taxi à compter de juillet 2017 en revendiquant l’existence d’un contrat de travail.
Par jugement avant-dire droit du 11 mars 2021, le conseil a ordonné le sursis à statuer dans l’attente de la décision pénale relative à l’usage de faux (copie d’un contrat de travail produite par M. [G]).
Après reprise de l’instance par acte de M. [G] du 14 avril 2022, le conseil de prud’hommes de Thionville a par jugement rendu en formation de départage en date du 30 décembre 2022 statué comme suit :
« Se déclare incompétent pour connaître des demandes des parties compte tenu de l’absence de contrat de travail liant [H] [G] à la SAS TA Groupe ;
Renvoie la cause et les parties devant le tribunal judiciaire de Thionville ;
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
Condamne [H] [G] aux dépens ».
M. [G] a interjeté appel le 19 janvier 2023, et dans ses écritures datées du même jour demande à la présente cour de statuer comme suit :
« Recevoir l’appel de M. [G] et le déclarer fondé.
Infirmer le jugement de départage du conseil de prud’hommes de Thionville du 30 décembre 2022 en toutes ses dispositions, et notamment en ce que le tribunal :
s’est déclaré incompétent pour connaitre des demandes des parties compte tenu de l’absence de contrat de travail liant [H] [G] à la SAS TA Groupe, a renvoyé la cause et les parties devant le tribunal judiciaire de Thionville, débouté M. [G] de l’ensemble de ses demandes, y compris au titre de l’article 700 du CPC, condamné M. [G] aux dépens
Statuant à nouveau,
Juger que le conseil de prud’hommes de Thionville est compétent pour statuer sur le litige opposant les parties.
Juger que le contrat liant M. [G] et la société TA Groupe est un contrat de travail et ce, depuis le 1er avril 2017.
En conséquence,
Condamner la société T.A. Groupe à payer à M. [G] les sommes suivantes :
– 10 168,68 € net au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
– 45 759,06 € brut à titre de rappel de salaire pour la période allant du 1er avril 2017 au 1er juillet 2019, outre 4 575,90 € brut de congés payés y afférents.
Juger que la rupture du contrat de travail doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En conséquence,
Condamner la société TA Groupe à lui payer :
3 389,56 € brut à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 338,95 € brut de congés payés y afférents,
1 377,01 € net au titre de l’indemnité légale de licenciement,
5 931,73 € net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Condamner la société TA Groupe à délivrer à M. [G] ses documents de fin de contrat, et ce sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter d’un délai de 15 jours après le jugement à intervenir.
Condamner la société TA Groupe à payer à M. [G] la somme de 2 000 € par instance, soit 4 000 € au total au titre de l’article 700 du CPC, ainsi qu’aux entiers frais et dépens de première instance et d’appel. ».
M. [G] soutient que la location-gérance était totalement « fictive », que le contrat de location-gérance n’a jamais été transmis à l’administration pour enregistrement ni à la CPAM, et qu’un contrat de travail avait été ”officieusement” signé par les parties à effet à compter du 1er avril 2017 et transmis à la CPAM par la société TA Groupe aux fins de déclarer M. [G] comme son « chauffeur taxi salarié ».
Il prétend qu’il était totalement sous l’autorité de la société TA Groupe qui lui donnait des ordres et des directives en contrôlant l’exécution du travail avec la possibilité de le sanctionner.
Il mentionne que la société TA Groupe percevait directement les règlements des clients (licence conventionnée), sur la base des justificatifs de courses fournis par M. [G], et qu’elle lui indiquait ensuite les sommes qu’il devait lui facturer.
A l’appui de ses prétentions M. [G] rappelle :
– que toute demande en requalification d’une relation contractuelle en contrat de travail relève de la compétence du conseil de prud’hommes lorsqu’elle est diligentée par la personne revendiquant le statut de salarié ;
– que l’élément essentiel du contrat de travail est le lien de subordination, qui est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution, et de sanctionner les manquements de son subordonné ;
– que l’existence d’une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la détermination qu’elles ont donnée à la convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle ;
– que la méthode du faisceau d’indices permet de déterminer si un travailleur se trouve ou non dans une relation salariée, et qu’en l’espèce un véritable taxi indépendant doit pouvoir constituer sa clientèle propre, fixer ses tarifs librement ainsi que les conditions dans lesquelles il exerce ses prestations de service.
M. [G] explique que l’autorisation de stationnement située à [Localité 5], qui est l’objet du contrat de location-gérance, était « conventionnée avec la CPAM » ; pour ce type de licence, un accord est passé entre la CPAM et le titulaire de la licence qui est donc spécifiquement agréé et certifié par la caisse ; il est directement payé par l’assurance maladie – si le tiers payant est accordé – ou à défaut par le client (ce dernier étant remboursé ultérieurement par la caisse sur présentation de justificatifs).
M. [G] précise que la licence en cause était conventionnée sans que le tiers payant ne soit applicable. Il affirme qu’en réalité c’est la société TA Groupe qui adressait sa facture au client pour les courses réalisées par la société Taxi [H], que le client réglait directement la société TA. Groupe, et qu’in fine lui-même adressait une facture à la société TA Groupe sur la base d’un montant décidé unilatéralement par cette dernière.
A l’appui du contrat de travail M. [G] fait valoir :
– qu’il n’avait pas de clientèle propre et qu’il n’a jamais été en mesure d’en constituer une, dans la mesure où il accordait tout son temps aux clients de la société T.A. Groupe.
– qu’il n’était pas en mesure de fixer librement ses tarifs qui étaient totalement imposés, et qu’il ne disposait d’aucun logiciel de facturation.
– que son emploi du temps lui était imposé par la société TA Groupe, qu’il ne choisissait ni ses clients ni ses courses car il était intégralement soumis aux directives de la société TA Groupe.
Sur les conséquences de la requalification, M. [G] réclame des montants :
– au titre du travail dissimulé :
M. [G] se prévaut de ce qu’en ne procédant pas aux déclarations qui doivent être faites aux organismes de protection sociale ou à l’administration fiscale, l’infraction de travail dissimulé au sens de l’article L. 8221-3 du code du travail a été caractérisée à l’égard de cabinets d’expertise comptable utilisant ce même schéma de fonctionnement.
– au titre du rappel de salaire :
M. [G] se prévaut d’une classification échelon 2, niveau 3 de la convention collective nationale des taxis, et d’un salaire de référence de 1 694,78 euros brut par mois, soit pour 27 mois de salaire pour une somme de (1 694,78 x 27) 45 759,06 euros brut, outre 4 575,90 euros brut de congés payés afférents.
– au titre de la rupture du contrat de travail :
M. [G] considère que cette rupture doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse car dans son courrier du 17 avril 2019 il fait état de manquements suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat. Il se prévaut d’une ancienneté de 2 années, et il réclame des dommages- intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 5 931,73 euros.
Dans ses écritures datées du mai 2023 la société TA Groupe demande à la cour de statuer comme suit :
« Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Thionville le 30 décembre 2022 entre les parties ;
Subsidiairement, en cas d’infirmation du jugement du chef de la compétence,
Juger irrecevable la demande de requalification de la relation contractuelle commerciale qui a existé entre la société Taxi [H] et la société TA Groupe, faute d’intérêt à agir ;
Très subsidiairement,
Débouter M. [H] [G] de l’intégralité de ses demandes ;
En tout état de cause :
Condamner M. [H] [G] à payer à la société TA Groupe la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner M. [H] [G] aux dépens ».
La société TA Groupe précise que :
– par actes sous seing privé en date du 1er juillet 2017 et du 1er décembre 2018 elle a consenti à la société Taxi [H] un contrat de location gérance d’un fonds artisanal de taxi comprenant notamment l’autorisation de stationner délivrée par la commune de [Localité 5] ;
– par courrier en date du 17 avril 2019, la société Taxi [H] lui a fait part de différents griefs relatifs à l’exécution du contrat de location gérance, et l’a informée de sa volonté de résilier ledit contrat en formulant des demandes de remboursement ;
– selon acte sous seing privé du 30 avril 2019 les parties ont convenu de mettre un terme amiable au litige moyennant le rachat au prix de 12 000 euros par la société TA Groupe des 80 actions de la société Taxi [H] appartenant à M. [H] [G], qu’un quart de ce montant – soit 3 000 euros – a été immédiatement réglé le solde ayant vocation à être payé en plusieurs échéances ;
– un litige est survenu après la vente, car la société TA Groupe a été informée par le cabinet comptable de la société Taxi [H] que M. [G] s’était fait consentir des avances par la société et avait un compte courant débiteur d’un montant de 12 863,47 euros ; elle a alors engagé une action aux fins de faire annuler en justice la cession d’actions (affaire pendante devant la cour d’appel de Metz) ;
– c’est en réaction à cette action judiciaire que M. [G] a saisi la juridiction prud’homale le 31 décembre 2019 pour revendiquer un statut de salarié qu’il n’avait jamais évoqué auparavant.
La société intimée soutient que le document produit par M. [G] (copie d’un contrat de travail à durée déterminée daté du le septembre 2016 pour un début d’activité le 1er avril 2017) est un faux élaboré à l’aide de la trame d’un contrat qui avait été établi par le cabinet comptable de la société TA Groupe pour son dirigeant M. [B] : elle soutient que les mentions manuscrites renseignant les nom, prénom, date de naissance, numéro de sécurité sociale, adresse du salarié, date d’entrée en fonction ont été rédigées par M. [G] et non par M. [B], et que la signature portée sous la mention « L’Employeur » n’est pas celle de M. [B].
Elle observe que le contenu même du contrat est incohérent : il vise un emploi de ‘Président’, ne fixe aucune rémunération, et est daté du 1er septembre 2016 pour une prise de fonctions le 1er avril 2017 alors que M. [G] a constitué la société Taxi [H] début juillet 2017.
La société TA Groupe relate qu’elle a déposé une plainte visant notamment les qualifications de faux et usage, outre des faits de chantage auprès du parquet qui a considéré que l’infraction n’était pas suffisamment constatée ; elle a alors déposé une plainte avec constitution de partie civile qui est actuellement en cours d’instruction.
Elle ajoute que M. [G] soutient que le « contrat de travail » produit lui aurait été communiqué par un agent de la CPAM, alors qu’aucune entreprise de taxi ne transmet à la caisse de contrats de travail : elle communique uniquement un tableau récapitulatif des personnes effectuant des transports pour son compte, conformément à l’annexe I de la décision du Ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative du 8 septembre 2008 relative à l’établissement d’une convention-type à destination des entreprises de taxi et des organismes locaux d’assurance-maladie.
Au titre de la relation commerciale existant entre elle-même et la société Taxi [H], la société TA Groupe fait valoir que :
– la société Taxi [H] a été régulièrement constituée, ses statuts ayant été déposés au greffe le 4 juillet 2017 : M. [G] détenait 80 % du capital, était l’associé majoritaire et le président, et avait en tant que mandataire social tous pouvoirs pour décider de signer ou de refuser de signer le contrat de location gérance en cause et ce contrat est parfaitement valable ;
– la réalité juridique de cette société et du contrat de location est attestée par les pièces produites par M. [G] lui-même : le contrat de location gérance a été signé, exécuté, puis a été rompu de manière unilatérale par la société Taxi [H] par courrier du 17 avril 2019.
– la société Taxi [H] a par ailleurs fourni des prestations au profit de la société TA Groupe, les lui a facturées, et a été payée.
Sur le caractère prétendument illégal du système mis en ‘uvre, la société TA Groupe rappelle qu’en vertu de l’article L. 322-5 du Code de la sécurité sociale les frais d’un transport effectué par une entreprise de taxi ne peuvent donner lieu à remboursement que si cette entreprise a préalablement conclu une convention avec un organisme local d’assurance maladie pour une durée maximum de cinq ans conforme à une convention type établie par décision du directeur général de l’Union nationale des caisses d’assurance maladie après avis des organisations professionnelles nationales les plus représentatives du secteur ; elle détermine, pour les prestations de transport par taxi, les tarifs de responsabilité qui ne peuvent excéder les tarifs des courses de taxis résultant de la réglementation des prix applicable à ce secteur et fixe les conditions dans lesquelles l’assuré peut être dispensé de l’avance des frais. Elle peut également prévoir la possibilité de subordonner le conventionnement à une durée d’existence préalable de l’autorisation de stationnement.
La société TA Groupe reprend l’argumentation de M. [G], qui lui reproche d’avoir facturé directement la CPAM pour des transports que la société Taxi [H] effectuait, qui aurait dû elle-même facturer la CPAM et encaisser les recettes correspondantes.
Elle explique que tel aurait effectivement dû être le cas si la licence donnée en location gérance continuait de bénéficier du tiers-payant. Avant l’acquisition de l’autorisation de stationner en janvier 2017 auprès de Maître [S] [T], liquidateur judiciaire de la société Soler Service Plus qui bénéficiait d’une convention avec la caisse, une décision en date du 31 mai 2016 de la CPAM de Moselle avait mis fin au conventionnement compte tenu de l’ouverture de la liquidation judiciaire de la société Soler, faute d’exploitation effective et continue de la licence. Le 4 avril 2017, M. [B] a demandé le « reconventionnement » de la licence qui lui a été accordé le 15 mai 2017 mais sans possibilité de mise en ‘uvre du tiers-pavant. Cette décision a été contestée devant la Commission de recours amiable qui par décision du 31 octobre 2017 a rejeté le recours et confirmé l’accord de conventionnement sans possibilité de mise en ‘uvre du tiers-payant. Ainsi, pendant l’exécution du contrat de location-gérance, la licence louée ne donnait pas droit à mise en ‘uvre du tiers payant.
Elle retient que les prestations de transport accomplies par la société Taxi [H] sont intervenues dans le cadre d’une sous-traitance de prestations de transport, raison pour laquelle la société Taxi [H] facturait la société TA Groupe.
La société TA Groupe souligne que M. [G] opère une confusion entre lui-même et la société Taxi [H] afin d’appuyer ses demandes, car c’est la société Taxi [H] qui facturait et avait des clients, et le fait que M. [G] ne produise que des factures au nom de la société TA Groupe ne prouve pas que la société Taxi [H] n’avait qu’un seul client. Elle ajoute que M. [G] pouvait trouver lui-même des clients.
Elle note que M. [G] indique que sa relation salariée a été rompue en 2019, ce qui renvoie implicitement à la lettre adressée par lui en qualité de président de la société Taxi [H] à la société TA Groupe pour lui notifier la résiliation du contrat de location-gérance entre les deux sociétés.
La société TA Groupe retient que M. [G] tente de faire un contre-feu à la procédure qu’elle-même a engagée contre lui après qu’il a vendu ses actions tout en omettant de faire état d’un compte courant débiteur de plus de 12 000 euros consécutif à un prêt d’argent parla société en parfaite contradiction avec les règles légales.
Sur son moyen subsidiaire tendant à l’irrecevabilité de la demande de requalification, la société TA Groupe se prévaut de la fin de non-recevoir tirée de l’absence d’intérêt à agir, en faisant valoir que M. [G] n’est pas partie au contrat de location-gérance, la société Taxi [H] ayant accompli lesdites prestations.
Sur les prétentions de M. [G], la société TA Groupe émet les observations suivantes :
– Sur les demandes au titre de l’exécution du contrat :
Elle conteste toute dissimulation d’emploi salarié dès lors que l’activité de M. [G] a fait l’objet de facturations émanant de la société Taxi [H] (et non pas de la société TA Groupe).
Ce n’est donc pas la société TA Groupe qui a bénéficié de l’activité prétendument salariée de M. [G], ce qui exclut tout élément intentionnel de la part de la société TA Groupe.
Sur les rappels de salaires, elle observe que M. [G] n’hésite pas à demander une rémunération sur une période de 27 mois, alors que l’activité déployée a donné lieu à paiement de la part de la société TA Groupe au profit de la société Taxi [H] dont M. [G] était mandataire social et président ; il ne prouve par aucun élément le nombre d’heures de travail dont il se prévaut pour demander plus de 45 000 euros de salaires.
– Sur les demandes au titre de la rupture du contrat :
La société TA Groupe note que la date de la rupture du contrat est floue : dans un courrier du 17 avril 2019, M. [G] fait état de manquements suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat, ce qui fixe la date de rupture au 17 avril 2019, alors qu’il indiquait auparavant que la relation contractuelle avait pris fin le 1er juillet 2019.
S’agissant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la société TA Groupe conteste l’ancienneté de deux ans dont se prévaut M. [G], car toute activité intervenue après le 1er juillet 2017 ne peut pas être considérée comme une activité salariée.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la compétence du conseil de prud’hommes
M. [G] sollicite l’infirmation du jugement déféré en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour connaître des demandes des parties compte tenu de l’absence de contrat de travail liant la société TA Groupe et M. [G].
Aux termes de l’article L. 1411-1 du code du travail le conseil de prud’hommes est compétent pour les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient.
Pour se déclarer incompétent au profit du tribunal judiciaire de Thionville le conseil de prud’hommes statuant en formation de départage a préalablement tranché le fond du litige en retenant que l’existence d’un contrat de travail entre M. [G] et la société TA Groupe n’est pas établie.
La cour rappelle toutefois que l’existence d’un tel contrat de travail entre les parties n’est pas une condition de recevabilité de l’action engagée par M. [G] mais qu’elle constitue une condition du succès de ses prétentions.
La juridiction prud’homale est donc compétente pour statuer sur les prétentions de M. [G]. Le jugement déféré est infirmé en ce sens.
Sur la fin de non-recevoir tirée de l’absence d’intérêt à agir
Aux termes de l’article 31 du code de procédure civile « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. ».
La société TA Groupe soutient que M. [G] est dépourvu de tout intérêt à agir car « la demande de requalification » concerne des relations entre les sociétés TA Groupe et Taxi [H].
Or M. [G] revendique l’existence d’un contrat de travail entre lui-même et la société TA Groupe en faisant valoir que le contrat de location-gérance était un « montage artificiel » qui permettait à la société TA Groupe « de s’exonérer de toute déclaration et paiement de charges sociales », et qu’il s’agissait d’un « stratagème » élaboré au profit de la société TA Groupe « dans le but de présenter une santé financière et commerciale florissante auprès des banques, et favoriser ainsi les acceptations de financement. ».
L’intérêt à agir de M. [G] ne peut être valablement contesté, puisqu’il revendique le statut de salarié de la société TA Groupe et présente plusieurs demandes à ce titre.
Son action est parfaitement recevable.
Sur l’existence d’un contrat de travail
Il convient à titre préliminaire de rappeler qu’en vertu de l’article 88 du code de procédure civile « Lorsque la cour est juridiction d’appel relativement à la juridiction qu’elle estime compétente, elle peut évoquer le fond du litige si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d’instruction. ».
En l’espèce il a été relevé ci-avant que le jugement déféré a retenu l’incompétence de la juridiction prud’homale après avoir tranché le fond du litige, en ayant préalablement relevé l’absence de contrat de travail liant les parties.
En vertu de l’article L. 1221-1 du code du travail, le contrat de travail peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d’adopter.
Le contrat de travail est la convention par laquelle une personne physique s’engage à mettre son activité à la disposition d’une autre personne, physique ou morale, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rémunération ; ainsi l’existence de ce contrat implique la réunion de trois critères soit une rémunération, une prestation de travail et un lien de subordination.
Le lien de subordination, élément majeur du contrat, est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements du subordonné. Il est caractérisé par trois critères, soit le pouvoir de direction, de contrôle et de sanction de l’employeur, eux-mêmes révélés par la méthode du faisceau d’indices.
Il incombe à celui qui se prévaut de l’existence d’un contrat de travail d’établir les éléments de cette qualification. Cette preuve peut être rapportée par un faisceau d’indices, dont les juges déduisent l’existence ou non d’un lien de subordination.
L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.
La réalité du lien de subordination est déterminée au regard de la réunion de présomptions graves, précises et concordantes résultant de l’examen par les juges du fond d’un ensemble d’indices relatifs au statut personnel de l’intéressé, au mode de rémunération et aux conditions d’exercice de l’activité qui, isolément, ne sont pas déterminants, et qui doivent faire l’objet d’une appréciation globale, et ce sans tenir compte de la qualification voulue par les parties. Le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.
En l’espèce il est constant :
– que la SAS Taxi [H] a été débuté une activité de transport de passager par taxi et transport de malades assis à compter du 23 mai 2017 (pièce n° 1 de l’intimée ‘ extrait Kbis), que M. [G] qui en était le président possédait 80 % du capital social, et que les autres actions étaient détenues par la SAS TA Groupe (pièces n° 1 ‘ 2 – 3 de l’intimée);
– que par actes sous seing privé en date du 1er juillet 2017 et du 1er décembre 2018, la société TA Groupe a consenti à la société Taxi [H] un contrat de location gérance d’un fonds artisanal de taxi attaché à l’autorisation de stationner numéro 1 délivrée par la commune de [Localité 5] et acquise depuis le 23 janvier 2017 par la société TA Groupe dans le cadre de la liquidation judiciaire d’une autre société de taxi (pièces n° 2 de l’appelant) ;
– que par un courrier en date du 17 avril 2019 M. [G] a, en sa qualité de président de la société Taxi [H], informé la société TA Groupe de sa volonté de mettre un terme au contrat de location-gérance de taxi à partir du jour même, « pour non-respect des conditions générales article 1 alinéa 3, pour non-respect de la procédure administrative du contrat de location (dépôt en mairie, en préfecture et à la CPAM) » et a sollicité le remboursement de montants notamment au titre de frais divers (pièce n° 4 de l’appelant) ;
– que par acte de cession en date du 30 avril 2019 M. [H] a cédé ses actions à la société TA Groupe moyennant un prix de 12 000 euros ;
– que la société TA Groupe a sollicité l’annulation de cet acte de cession au motif de la découverte d’un compte courant débiteur de 12 863 euros, et que la procédure est actuellement pendante devant la présente cour.
Au soutien de l’existence d’un contrat de travail M. [G] fait état :
– du non-respect du contrat de location-gérance par la société TA Groupe, qui adressait une facture de prestation de taxi au client, alors que « c’est M. [G] qui aurait dû percevoir directement le paiement par le client correspondant au coût du transport conventionné », et que « chaque mois M. [G] aurait versé à TA Groupe la redevance prévue au contrat » ;
– que la société TA Groupe a déclaré M. [G] à la caisse primaire « comme chauffeur taxi de l’entreprise » et a pour ce faire « adressé un contrat de travail que son représentant M. [B] avait pris soin de faire signer à M. [G] (pièce n° 1 de l’appelant) ;
– que si la société TA Groupe a soutenu que ce contrat de travail était un faux document, sa plainte pénale a été classée sans suite.
M. [G] affirme qu’il a été déclaré à la CPAM comme un salarié par la société TA Groupe, qu’il n’avait pas de clientèle propre, qu’il n’était pas en mesure de fixer ses tarifs librement car la société TA Groupe lui indiquait les montants qu’il devait facturer, que son emploi du temps était imposé par le biais d’une application mobile après contact direct des clients auprès de la société TA Groupe, et qu’il était intégralement soumis aux directives de la société TA Groupe.
A l’appui de la démonstration qui lui incombe de la réalité d’un lien de subordination, M. [G] se prévaut des mêmes documents que ceux produits en première instance.
Les premiers juges ont retenu notamment :
– l’absence d’éléments permettant de caractériser l’existence d’un lien de subordination, aucun document ne démontrant que M. [G] recevait des ordres et des directives de la SAS TA Groupe, ni que cette dernière avait la faculté d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements ;
– que si M. [G] prétend que son emploi était organisé par la SAS TA Groupe, il n’en rapporte pas la preuve ;
– que l’existence d’une relation commerciale résulte de factures à l’entête de Taxi [H], du contrat de location gérance, de la lettre de résiliation et de la cession de parts sociales ;
– que la société Taxi [H] était régulièrement immatriculée et facturait de la TVA ;
– que la situation de dépendance économique ne caractérise pas à elle-seule un lien de subordination.
La cour fait la même appréciation que les premiers juges de la valeur probante de ces documents, qui sont inopérants pour démontrer l’exercice d’un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction exercé par la société TA Groupe sur M. [G]. Aucune illustration concrète n’est justifiée par l’appelant quant aux conditions de son activité professionnelle, les seuls éléments produits étant des factures de la société Taxi [H] pour des prestations effectuées au profit de la société TA Groupe (pièces n° 3 de l’appelant).
Outre les arguments soutenus par la société TA Groupe concernant le caractère douteux de l’authenticité de l’écrit produit par M. [G] au titre d’un contrat de travail (document daté du 1er septembre 2016 avant la signature du contrat de location gérance, comportant des mentions manuscrites concernant les renseignements relatifs au salarié et sans aucune mention d’une rémunération ‘ pièce n° 1 de l’appelant) pour lequel elle a déposé une plainte avec constitution de partie civile (pièce n° 17 de l’intimée), M. [G] prétend lui-même que ce document lui a été remis par la caisse primaire le 24 juillet 2019 et qu’il était destiné à permettre à la société TA Groupe de réaliser « des démarches frauduleuses ».
La cour constate que si M. [G] affirme dans ses écritures que les relations commerciales ayant existé entre la société TA Groupe et la société Taxi [H] dont il était le président étaient destinées à permettre un « montage artificiel », un « stratagème » au profit de la société TA Groupe « afin de gonfler artificiellement son chiffre d’affaire » et « de s’exonérer de toute déclaration et paiement de charges sociales », le courrier de résiliation du contrat de location-gérance rédigé par lui-même le 17 avril 2019 n’évoque à aucun moment le caractère fictif des relations contractuelles entre les deux sociétés mais fait au contraire état du non-respect des conditions générales du contrat de location-gérance préalablement convenues entre les deux sociétés ainsi que de demandes de remboursement de frais de fonctionnement facturés par la société TA Groupe à la société Taxi [H].
De surcroît M. [G] a, dans la suite de la résiliation du contrat de location-gérance, cédé les actions qu’il détenait au capital de la société Taxi [H] à la société TA Groupe pour un prix de 12 000 euros, dont le montant ‘ qui a donné lieu à un contentieux dont les juridictions commerciales ont été saisies – révèle la réalité de l’activité économique de la société créée par lui-même et par la société TA Groupe.
En conséquence la cour retient que les prétentions de M. [G] au titre de l’existence d’un contrat de travail le liant à la société TA Groupe à compter du 1er avril 2017 jusqu’au 1er juillet 2019 ne sont pas fondées, et la cour rejette l’intégralité des prétentions de M. [H] [G] à ce titre.
Aux termes de l’article 86 du code de procédure civile : « la cour renvoie l’affaire à la juridiction qu’elle estime compétente. Cette décision s’impose aux parties et au juge de renvoi ».
En l’espèce M. [H] ne formule des prétentions à l’encontre de la société TA Groupe que sur le fondement de l’existence et de l’exécution d’un contrat de travail, et il n’y a donc pas lieu de renvoyer la procédure devant le tribunal judiciaire de Thionville. Le jugement déféré est infirmé sur ce point.
Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens
Les dispositions du jugement déféré relatives à l’application de l’article 700 du code de procédure civile et relatives aux dépens sont confirmées.
Il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties ses frais irrépétibles exposés à hauteur d’appel ; leurs demandes formées à ce titre sont rejetées.
M. [G] qui succombe est condamné aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Rejette la fin de non- recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir, et déclare recevable l’action engagée par M. [H] [G] ;
Confirme le jugement rendu le 30 décembre 2022 par le conseil de prud’hommes de Thionville statuant en formation de départage, sauf en ce qu’il s’est déclaré incompétent pour connaître des demandes des parties et a renvoyé la cause et les parties devant le tribunal judiciaire de Thionville ;
Statuant à nouveau sur les points infirmés, et y ajoutant :
Dit que M. [H] [G] n’est pas lié à la SAS TA Groupe par un contrat de travail ayant couru à compter du 1er avril 2017 jusqu’au 1er juillet 2019 ;
Rejette l’intégralité des prétentions de M. [H] [G] au titre de l’existence et de l’exécution d’un contrat de travail ;
Dit n’y avoir lieu à renvoi de la procédure devant le tribunal judiciaire de Thionville ;
Dit n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure en faveur des parties en cause d’appel ;
Condamne M. [H] [G] aux dépens d’appel.
La Greffière La Présidente