Parts sociales : décision du 31 janvier 2024 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 21/01986

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Parts sociales : décision du 31 janvier 2024 Cour d’appel de Bordeaux RG n° 21/01986
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COUR D’APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE – SECTION A

————————–

ARRÊT DU : 31 JANVIER 2024

PRUD’HOMMES

N° RG 21/01986 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MBIT

Monsieur [R] [H]

c/

S.A.R.L. LA FERME DE QUEYRAN en liquidation judiciaire

SELARL SILVERTRI-[I], en sa qualité de mandataire liquidateur de la SARL La Ferme de Queyran

C.G.E.A DE [Localité 3] mandataire de l’AGS du Sud Ouest

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 mars 2021 (R.G. n°F 19/00614) par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BORDEAUX, Section Activités Diverses, suivant déclaration d’appel du 02 avril 2021,

APPELANT :

Monsieur [R] [H]

né le 20 août 1961 à [Localité 3] de nationalité française, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Elodie HUILLO, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SARL La Ferme de Queyran, en liquidation judiciaire

N° SIRET : 823 536 222

SELARL SILVERTRI-[I], es qualité de mandataire liquidateur de la SARL La Ferme de Queyran, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 1]

représentée par Me Claire MORIN de la SCP DACHARRY & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

INTERVENANTE :

UNEDIC Délégation AGS-C.G.E.A DE [Localité 3] prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 4]

non constituée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 décembre 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente et Madame Sylvie Tronche, conseillère chargée d’instruire l’affaire

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

– réputé contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 22 octobre 2016, M. [H], M. [B] et Mme [W] se sont associés et ont créé la SARL La Ferme de Queyran ayant pour activité principale le gavage de canards et leur transformation en confits et foies gras notamment.

Par acte du même jour, M. [B] a été désigné en qualité de gérant.

M. [R] [H], né en 1961, a été engagé en qualité d’ouvrier agricole par la société La Ferme de Queyran, aux termes d’un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 28 novembre 2016.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective des exploitations agricoles de la Gironde.

Le 1er octobre 2017 puis le 1er novembre 2017, M. [H] a formé une demande de congés sans solde.

Par avenant au contrat de travail en date du 15 décembre 2017, son temps de travail a été réduit à 25 heures par semaine à compter du 1er janvier 2018.

Le 26 avril 2018, M. [H] s’est rendu coupable d’une agression sexuelle commise sur la personne d’une apprentie de l’épouse de M. [B] et a fait l’objet d’un convocation devant le procureur de la République le 16 novembre 2018.

Le 28 avril 2018, M. [H] a adressé une lettre de démission à la société La Ferme de Queyran.

A la date de la fin du contrat, M. [H] avait une ancienneté de 1 an et 5 mois et la société occupait à titre habituel moins de onze salariés.

Par deux courriers du 15 mai 2018, M. [H] a demandé à la société La Ferme de Queyran le règlement de son salaire ainsi que la remise des documents de fin de contrat et du matériel lui appartenant.

Le 17 mai 2018, la société lui a répondu, lui a adressé le 25 mai 2018, les documents de rupture et le 6 juin 2018, M. [H] a repris possession de ses effets personnels.

Par courrier du 25 mai 2018, la société La Ferme de Queyran a proposé à M. [H] de lui racheter ses parts sociales ce qu’il a accepté le 30 juillet 2018 et un acte de cession de parts sociales a été signé entre les parties le 20 août 2018.

Demandant la requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse et sollicitant des dommages et intérêts pour licenciement abusif, pour circonstances vexatoires entourant la rupture du contrat de travail ainsi que des sommes au titre de rappels de salaire sur la période du 1er novembre 2017 au 8 janvier 2018 outre des heures supplémentaires, M. [H] a saisi le 24 avril 2019 le conseil de prud’hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 11 mars 2021, a dit qu’il avait démissionné, l’a débouté de l’ensemble de ses demandes, l’a condamné à verser à la société La Ferme de Queyran la somme de 100 euros au titre des frais irrépétibles et dit que chaque partie supportera ses dépens.

Par déclaration du 2 avril 2021, M. [H] a relevé appel de cette décision.

Par jugement du 27 décembre 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de liquidation judiciaire au bénéfice de la société La Ferme de Queyran, la SCP Silvestri-[I] prise en la personne de Maître [L] [I], ayant été désignée en qualité de liquidateur.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 février 2023, M. [H] demande à la cour de le déclarer recevable et bien fondée en son appel, y faisant droit, d’infirmer le jugement dont appel en l’ensemble de ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

– prononcer la requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société La Ferme de Queyran les sommes suivantes à lui verser :

* 519,43 euros à titre d’indemnité de licenciement,

* 1.466,65 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre 146,66 euros de congés payés afférents,

* 4.440 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à l’équivalent de 3 mois de salaire pour licenciement abusif, conformément aux dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail,

* 2.960,60 euros bruts outre 296,06 euros de congés payés afférents à titre de rappels de salaire sur la période du 1er novembre 2017 au 8 janvier 2018,

* 21.677,18 euros bruts à titre d’heures supplémentaires et complémentaires sur l’ensemble de la relation de travail outre 2.167,72 euros de congés payés afférents,

* 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires entourant la rupture du contrat de travail,

– prononcer l’exécution provisoire de l’ensemble des condamnations,

– fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société La Ferme de Queyran la somme de 2.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens,

– déclarer recevable et bien fondée l’assignation en intervention forcée délivrée à sa requête à l’encontre du centre de gestion et d’études AGS CGEA de [Localité 3],

– dire que l’arrêt à intervenir lui sera déclaré commun et opposable dans les limites de sa garantie légale.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 10 janvier 2023, la SCP Silvestri-[I] demande à la cour de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en date du 11 mars 2021 et de :

– débouter M. [H] de l’intégralité de ses demandes fins et conclusions,

Au surplus,

– le condamner à verser à la liquidation judiciaire de la société La Ferme de Queyran une somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.,

Par acte d’huissier de justice délivré le 3 mai 2023 à personne habilitée, l’UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 3] a été assignée en intervention forcée.

Par courrier en date du 10 mai 2023, elle a indiqué qu’elle ne serait ni présente ni représentée à la procédure.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 24 novembre 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 19 décembre 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile ainsi qu’à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes de rappels de salaire

Aux termes de l’article L. 3171-2 alinéa 1er du code du travail lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l’employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. L’employeur tient à la disposition de l’inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

Selon l’article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Sur la demande pour la période du 1er novembre 2017 au 8 janvier 2018

Au soutien de sa demande tendant à l’allocation de la somme de 2.960,60 euros bruts outre les congés payés afférents, correspondant à des rappels de salaire pour la période du 1er novembre 2017 au 8 janvier 2018, le salarié indique avoir sollicité, sous la contrainte de son employeur, un congé sans solde du 1er novembre 2017 au 8 janvier 2018 alors qu’il a en réalité travaillé pendant cette période.

En défense, le liquidateur judiciaire rétorque que le salarié a une première fois demandé à pouvoir s’absenter pendant deux mois à compter du 1er octobre 2017 (pièce 4) puis a accepté de décaler son départ au 1er novembre 2017 afin de permettre à l’employeur de s’organiser. Il ajoute que l’appelant s’abstient de justifier de la contrainte alléguée et il conteste les pièces produites par ce dernier qui affirme avoir travaillé pendant cette période.

M. [H] produit notamment aux débats :

– son contrat de travail prévoyant un emploi à temps plein mensualisé à 151,67 heures en contrepartie d’une rémunération de 1.466,65 euros,

– un courrier, qu’il dit avoir rédigé sous la contrainte de son employeur, aux termes duquel il sollicite un congé sans solde du 1er novembre 2017 au 8 janvier 2018, «’pour raisons personnelles’»,

– les attestations de son fils, de sa fille de son beau-fils ainsi que de Mme [D] (qui serait la belle-mère du fils de M. [H] selon l’employeur qui n’est pas contredit sur ce point) rédigées dans les mêmes termes : « certifie avoir vu M. [H] [R] travailler les mois de novembre et décembre 2017 pour la ferme de Queyran », sans autre précision,

– ses échanges de SMS avec 4 personnes dont :

* son kinésithérapeute, invité à passer au domicile du salarié pour un canard royal qui semble être un cadeau offert pour les fêtes de fin d’année, aucun règlement n’étant prévu,

* Mme [K] qui informe le salarié de l’envoi du chèque de règlement de sa commande et de la réception de cette dernière, ce qui ne permet pas de démontrer qu’il aurait lui-même procédé à l’envoi de la commande,

* un SMS adressé à un client pour l’informer du prix des magrets et un autre SMS adressé à un autre client pour l’informer que sa commande est en chambre froide, ce qui, ainsi que le souligne le liquidateur, n’est pas de nature à démontrer qu’il aurait travaillé pendant ces deux mois alors qu’outre sa qualité d’ouvrier, il était également associé à hauteur de 30% et avait donc un intérêt à répondre aux clients qui le sollicitaient.

La cour observe par ailleurs que M. [H] ne produit aucun décompte des heures de travail qu’il prétend avoir accomplies et les attestations ainsi que les SMS qu’il verse, ne permettent pas de considérer que sa demande est fondée sur des éléments suffisamment précis.

En l’état, ces éléments ne permettent pas d’étayer les affirmations du salarié qui sont par ailleurs contredites par les pièces versées par le liquidateur judiciaire et plus particulièrement par les attestations de cinq clientes et habituées du centre équestre, exploité sur le site de la société, témoignant de l’absence du salarié sur cette période, l’une d’entre elles expliquant ne l’avoir vu qu’une seule fois entre novembre et décembre 2017.

En outre à l’instar du liquidateur judiciaire, la cour constate que le salarié ne produit aucun élément en faveur d’une quelconque pression ou menace pour rédiger sa demande de congés sans solde.

En conséquence et ainsi que les premiers juges en ont décidé, il convient de rejeter les demandes de M. [H] à ce titre.

Sur la demande au titre des heures supplémentaires et complémentaires

Au soutien de sa demande en paiement de la somme de 21.677,18 euros bruts outre celle de 2.167,72 euros au titre des congés payés y afférents, représentant un rappel de salaire dû au titre des heures supplémentaires et complémentaires qu’il aurait réalisées, M. [H] verse notamment aux débats les pièces suivantes :

– dans le cadre de ses dernières écritures, un décompte hebdomadaire des heures de travail supplémentaires de 20 heures pour la période du 28 novembre 2016 au 1er janvier 2018, comportant également les heures supplémentaires majorées de 25% et 50 % ainsi qu’un décompte de 30 heures complémentaires hebdomadaires et leur majoration de 10% et 25%, à compter du 1er janvier 2018 et jusqu’au 27 avril 2018,

– l’avenant à son contrat de travail prévoyant une réduction de son temps de travail à 25 heures hebdomadaires, à compter du 1er janvier 2018.

Le décompte produit par le salarié au soutien de sa demande est suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre.

Le liquidateur judiciaire conclut au rejet des prétentions de M. [H], soutenant que le décompte produit est établi à partir d’une présentation des heures travaillées erronée, le salarié prétendant avoir travaillé 11 heures par jour. Il produit les horaires d’ouverture et de fermeture du laboratoire au sein duquel il était procédé à la transformation des canards.

Il invoque par ailleurs le témoignage d’une ancienne salariée du centre équestre [5], basé sur le site de la société, expliquant avoir côtoyé M. [H] pendant cette période et avoir constaté que Messieurs [B] et [H] procédaient ensemble au gavage des canards à raison de 4 heures par jour, en deux temps, puis après l’abattage des canards gavés, connaissaient des journées intensives de travail pour les transformer en les cuisinant. Ensuite de cette période, le salarié rentrait chez lui pendant que M. [B] effectuait le nettoyage et préparait la salle de gavage avant l’arrivée d’un nouveau lot de canards. Ces éléments sont confirmés par l’attestation de Mme [W], associée majoritaire, précisant que le salarié n’était pas présent certaines semaines.

Le liquidateur indique enfin qu’après la démission du salarié, le gérant a assuré seul l’ensemble du travail de la ferme, sans en avoir diminué les volumes (ce dont il est justifié par la pièce 24) ce qu’il n’aurait pu faire si, ainsi que l’affirme M. [H], ils avaient tous deux travaillé 11 heures par jour. Il justifie de l’emploi ponctuel d’un salarié quelques heures au mois de juillet 2019 dans le cadre d’un contrat de mise à disposition d’ouvrier conclu avec l’ESAT Haute Lande.

L’employeur, auquel incombe le contrôle des heures de travail effectuées, justifie partiellement des horaires réalisés par M. [H].

En effet, si, au vu des attestations produites par la société, il peut être considéré que le salarié connaissait des périodes de travail intensif liées à l’activité de la société, en revanche, il existait également des périodes pendant lesquelles il n’était pas présent sur les lieux ou ne travaillait pas, ce dont son décompte ne rend pas compte. Ce dernier est par ailleurs critiquable en ce qu’il ne fait apparaître aucune pause méridienne.

En considération des explications et des pièces produites, et notamment de la période du 1er novembre 2017 au 8 janvier 2018 pendant laquelle il a été retenu que le salarié avait bénéficié d’un congé sans solde, la cour a la conviction que M. [H] a accompli des heures supplémentaires et complémentaires non rémunérées mais pas à la hauteur de celles qu’il revendique et sa créance à ce titre sera fixée au passif de la société à hauteur de la somme de 332,82 euros bruts outre celle de 33,28 euros bruts au titre des congés payés afférents.

Sur la rupture du contrat de travail

Pour infirmation de la décision entreprise, M. [H], sans contester la matérialité des faits d’agression sexuelle retenus à son encontre, soutient, avoir été contraint ensuite de cet «’incident’» de rédiger une lettre de démission le 28 avril 2018 qui lui a été imposée par son employeur, lequel l’a menacé de poursuites pénales. Il ajoute que sa démission est intervenue dans un contexte délétère, notamment en raison de ses conditions de travail consécutives à une augmentation de sa charge de travail malgré la réduction mise en place par avenant du 1er janvier 2018. Il indique avoir voulu mettre fin à ses jours et avoir été hospitalisé au sein d’un hôpital psychiatrique du 29 avril au 4 mai 2018.

En réplique, le liquidateur judiciaire affirme que le salarié ne peut se prévaloir des circonstances ayant entouré sa décision de démissionner pour soutenir que son consentement n’aurait pas été libre et éclairé alors que leur présentation ne serait pas exempte d’omissions de sa part. il conteste toutes menaces et pressions à l’encontre de l’appelant, lequel échoue dans la démonstration de ses affirmations.

* * *

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

Lorsque le salarié, sans évoquer un vice du consentement de nature à entraîner l’annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, le juge doit, s’il résulte des circonstances antérieures ou contemporaines à la démission et qu’à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque, l’analyser en une prise d’acte de rupture qui produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient et caractérisent des manquements suffisamment graves de l’employeur à

ses obligations empêchant la poursuite de la relation contractuelle ou, dans le cas contraire, d’une démission.

Il appartient au salarié d’établir les faits qu’il allègue à l’encontre de son employeur.

Il ressort de la lecture des conclusions du salarié que, bien que visant les dispositions de l’article 1130 du code civil relatif aux vices du consentement, il ne sollicite pas l’annulation de la démission en raison d’un tel motif et se contente de considérer que celle-ci est équivoque.

En l’espèce, le courrier manuscrit daté du 28 avril 2018 et signé par M. [H] est ainsi rédigé :

«’Veuillez trouver par la présente ma démission de votre société’«’la ferme de Queyran’» à dater de ce jour. Veuillez me faire parvenir tous les documents et salaires relatifs à ma démission (‘)’».

Ce courrier a été établi deux jours après l’agression sexuelle commise par M. [H] à l’encontre d’une apprentie, sur le lieu de l’établissement, le salarié évoquant à ce sujet dans ses écritures, qu’un «’incident allait se produire le 26 avril 2018: M. [H] a reçu dans son camping-car une apprentie (‘) et a essayé de l’embrasser et de lui caresser les seins’».

Sans contester sa décision de démissionner, M. [H] a ensuite adressé à son employeur – après son séjour en hôpital psychiatrique du 29 avril au 4 mai 2018- deux courriers du 15 mai 2018 afin de réclamer pour l’un, la remise d’une liste d’objets personnels et pour l’autre, la remise d’un certain nombre de documents relatifs à la relation contractuelle.

Dans ce dernier courrier, il précise : «’j’ai été salarié de votre entreprise en CDI au poste d’ouvrier agricole. Mon contrat de travail a pris fin le 28 avril 2018. Dans ce cadre la loi vous impose de me fournir les documents suivants: un solde de tout compte, un certificat de travail une attestation pôle emploi (‘) A défaut je me verrai contraint d’effectuer toutes les démarches nécessaires à la résolution de ce litige’».

Les termes de cette missive témoignent de la volonté du salarié de faire valoir ses droits sans pour autant remettre en cause sa démission.

M. [H] a encore envoyé un courrier à l’employeur en juillet 2018 afin d’accepter sa proposition de rachat de ses parts sociales, l’employeur ayant précisé dans sa proposition du 25 mai 2018 : «’suite à votre démission du 28 avril 2018, je vous propose de vous racheter vos parts (…)’» sans que cette missive ne suscite une quelconque observation de la part de M. [H] quant aux circonstances de la rupture de son contrat de travail.

Il en est de même à l’occasion de la remise de ses effets personnels constatée par un huissier de justice le 6 juin 2018 au cours de laquelle son épouse, présente à cet effet et qui a pu s’exprimer sur la remise d’un chèque de 2.000 euros pour en contester le montant, n’a fait valoir aucune remarque quant aux circonstances de la démission de son mari.

En outre, le contenu des échanges intervenus par SMS entre l’employeur et M. [H] pour la période comprise entre le 27 avril 2018 à 20h27 et le 15 mai 2018 9h53 est le suivant :

– le 27 avril 2018 :

* à 20h27, l’employeur : ‘ou sont le cahier rouge avec le grammage de maïs, le règlement de l’écluse, la cb, b attends ta lettre de démission rapidement’,

* à 20h28, le salarié : ‘dans le camping-car je te les fais passer rapidement’,

* à 20h34,: le salarié : ‘le chèque de l’écluse de ma commande est dans la caisse, j’ai sorti un double de ta facture que tu as livré, à côté de la caisse car il l l’a perdu’,

* à 20h36, l’employeur : ‘mets le classeur les clefs du magasin et la cb ds la boîte aux lettres de l’entrée cette nuit sans faute’,

à 20h47, le salarié : ‘Ok’,

– le 28 avril 2018 à 18h46, le salarié : ‘malgré cette fin tragique je suis content de vous avoir connu et d’avoir fait cette société, bonne chance’,

– le 15 mai 2018 à 9h53, l’employeur : ‘pour régler notre affaire à l’amiable et le solde de tout compte puis la société il faut que tu appelles [V] (‘) au plus tôt’.

Ce contenu est insuffisant à caractériser une quelconque menace ou pression de la part de l’employeur pour contraindre M. [H] à démissionner.

S’agissant de ses conditions de travail, le salarié produit les attestations de son épouse et de sa fille selon lesquelles son moral s’est dégradé à partir du moment où il aurait été contraint de signer en janvier 2018 un avenant portant réduction de son temps de travail, diminuant d’autant son salaire, alors que sa charge de travail ne faisait qu’augmenter. Cependant aucun élément objectif ne vient étayer ces affirmations qui, reprenant la chronologie de la relation de travail entre le gérant M. [B] et M. [H], éludent totalement l’agression sexuelle commise par ce dernier, pourtant non contestée.

Par ailleurs, le nombre d’heures supplémentaires et complémentaires retenu précédemment ne caractérise pas une charge de travail excessive.

Il résulte dès lors de l’ensemble de ces éléments que la démission de M. [H], librement consentie, est sans équivoque quant à son souhait de rompre la relation contractuelle et, à défaut de manquements suffisamment graves de l’employeur à ses obligations empêchant la poursuite de la relation contractuelle, ne peut s’analyser en une prise d’acte de la rupture produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par voie de conséquence, la décision querellée sera confirmée en ce qu’elle a, à juste titre, débouté le salarié de sa demande tendant à la requalification de sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse et des demandes subséquentes.

Sur la demande au titre des circonstances vexatoires de la rupture du contrat de travail

Au soutien de cette demande, l’appelant prétend avoir été jeté à la porte de l’entreprise du jour au lendemain avec obligation de rédiger une lettre de démission forcée et l’impossibilité de revenir sur l’exploitation pour récupérer ses effets personnels. Il considère que les faits qui lui ont été reprochés et dont il ne conteste pas la matérialité, ne justifiaient nullement un tel comportement à son égard.

Le liquidateur judiciaire s’oppose à cette demande.

***

La cour a retenu le caractère non équivoque de la démission de M. [H], qui ne justifie pas de circonstances vexatoires ou humiliantes ayant entouré la rupture de son contrat de travail, de sorte que la preuve d’une attitude fautive de l’employeur à cet égard fait défaut.

M. [H] doit en conséquence, par voie de confirmation, être débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les autres demandes

Les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire mais il n’apparaît pas justifié de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, compte tenu de la situation de la société.

L’arrêt à intervenir sera déclaré opposable à l’UNEDIC, dans la limite légale de sa garantie.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté M. [H] de sa demande au titre des heures supplémentaires et complémentaires,

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Fixe la créance de M. [H] au passif de la liquidation judiciaire de la société La Ferme de Queyran représentée par son liquidateur, la SCP SILVESTRI [I], à la somme de 332,82 euros bruts au titre des heures supplémentaires et complémentaires réalisées outre celle de 33,28 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

Dit le présent arrêt opposable à l’UNEDIC Délégation AGS-CGEA de [Localité 3], dans la limite légale de sa garantie et du plafond applicable, à l’exception des dépens,

Dit n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire

 


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