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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Chambre commerciale internationale
POLE 5 – CHAMBRE 16
ARRET DU 23 JANVIER 2024
(n° 9 /2024 , 10 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/13657 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGGRJ
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 mars 2022 par le tribunal de commerce de Paris (16e chambre)
APPELANTE
Société DUET CONSUMER IVORY COAST HOLDINGS LIMITED
société de droit mauricien, sous la forme Private Compagny Limited
immatriculée au registre du copmmerce sous le n° 131521 C1 / GLB
ayant son siège social : [Adresse 2] (ILE MAURICE)
prise en la personne de ses représentants légaux,
Ayant pour avocat postulant : Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Ayant pour avocat plaidant : Me Emmanuel AVRAMESCO, avocat au barreau de PARIS, toque : R290
INTIMEE
Société SABIMEX
société à responsabilité limité de droit ivoirien,
immatriculée au registre de Commerce d’ABIDJAN sous le n° 1972-B-9663
ayant son siège social : [Adresse 1] (COTE D’IVOIRE)
prise en la personne de ses représentants légaux,
Ayant pour avocat postulant : Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
Ayant pour avocat plaidant : Me Corinne MIMRAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0948
INTERVENANT VOLONTAIRE
Monsieur [X] [N]
agissant en qualité de Mandataire judiciaire agréé en qualité de syndic pour assister la société SABIMEX dans l’élaboration de son projet dce concordat par jugement du 17 février 2022, rendu par le tribunal de commerce d’ABIDJAN
demeurant : [Adresse 3] (COTE D’IVOIRE)
Ayant pour avocat postulant : Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
Ayant pour avocat plaidant : Me Corinne MIMRAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0948
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 Novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Daniel BARLOW, Président de chambre chargé du rapport, et Madame Laure ALDEBERT, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Daniel BARLOW, Président de chambre
Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre
Mme Laure ALDEBERT, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI
ARRET :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* *
*
I./ FAITS ET PROCEDURE
1. La cour est saisie de l’appel interjeté contre un jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris (16e chambre) le 11 mars 2022, dans un litige opposant la société de droit ivoirien Sabimex (Société abidjanaise d’importation et d’exportation) aux sociétés de droit mauricien Duet Consumer Ivory Coast Holdings Limited (ci-après « DCICHL ») et Sapled Limited.
2. La Société africaine de produits laitiers et dérivés, dite SAPLED, non partie à la procédure, est spécialisée dans la fabrication de produits laitiers et de boissons, ainsi que dans l’importation, l’exploitation, l’achat, la vente, l’échange, la consignation, l’emmagasinage et le transport de produits vivriers.
3. Par contrat du 9 novembre 2015, M. [J] [U], actionnaire unique de la SAPLED, par ailleurs gérant de la société Sabimex, qui exerce une activité d’import-export et de distribution de produits alimentaires, a cédé à DCICHL l’intégralité du capital de la SAPLED pour la contrevaleur en Francs CFA de 17,1 millions d’euros (EUR).
4. La société de droit mauricien Sapled Limited, filiale de DCICHL, a été créée dans la perspective de cette cession, afin de substituer le cessionnaire dans la détention du capital de la SAPLED.
5. Le contrat de cession et d’acquisition de parts sociales a été signé le 9 novembre 2015 entre M. [U] et DCICHL. Il mentionne une créance détenue par Sabimex à l’encontre de la SAPLED pour un montant total de 2.953.784.169,00 FCFA (la « Créance Sabimex ») et fixe les modalités de remboursement de cette créance, en énonçant notamment qu’« en garantie du remboursement de la Créance Sabimex, Sapled Limited se portera caution et fournira une lettre de confort de son associé unique, la société Duet Consumer Ivory Coast Limited ».
6. Dans ce contexte, DCICHL a fourni à la Sabimex une lettre de confort datée du 11 décembre 2015, par laquelle elle s’engage au respect par la SAPLED de son obligation de rembourser la créance et à faire le nécessaire pour qu’il soit remédié à toute défaillance de sa part.
7. Sapled Limited a, de son côté, émis le même jour un acte de cautionnement solidaire au bénéfice de Sabimex pour le remboursement de cette créance.
8. Le 22 juillet 2019, Sabimex a mis en demeure Sapled Limited et DCICHL d’avoir à lui payer la somme de 2 527 665 521 FCFA sous quinzaine en leur qualité de garantes.
9. Les parties n’ayant pu s’entendre, Sabimex a saisi le tribunal de commerce d’Abidjan qui, par jugement du 28 novembre 2019, a condamné la SAPLED au paiement en principal de 1 833 583 502 FCFA.
10. La SAPLED a interjeté appel de cette décision devant la cour d’appel de commerce d’Abidjan et obtenu la suspension de son exécution provisoire. L’affaire a toutefois fait l’objet d’un retrait du rôle en vue d’une résolution amiable du litige.
11. Par acte introductif d’instance du 27 mai 2020, Sabimex a assigné DCICHL et Sapled Limited devant le tribunal de commerce de Paris afin d’obtenir le remboursement de la créance.
12. Sabimex a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce d’Abidjan du 17 février 2022, M. [X] [N], administrateur judiciaire, étant désigné en qualité de syndic « pour assister la société Sabimex dans l’élaboration de son projet de concordat sérieux de redressement pour le soumettre au vote des créanciers ».
13. Par jugement du 11 mars 2022, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes :
« Le Tribunal, statuant par jugement contradictoire en premier ressort :
Condamne la société de droit mauricien DUET CONSUMER IVORY COAST HOLDINGS LIMITED à verser à la société à responsabilité de droit ivoirien SABIMEX la somme de 1 123 475 796 FCFA ou la contrevaleur en euros au cours du change au jour du paiement, out intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2019, avec anatocisme,
Déboute la société à responsabilité de droit ivoirien SABIMEX de ses demandes au titre de l’engagement de caution de la société de droit mauricien SAPLED LIMITED,
Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,
Condamne la société de droit mauricien DUET CONSUMER IVORY COAST HOLDINGS LIMITED à verser à la société à responsabilité de droit ivoirien SABIMEX la somme de 25 000 € au titre de l’article 700 CPC, déboute du surplus,
Condamne la société de droit mauricien DUET CONSUMER IVORY COAST HOLDINGS aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 91,99 € dont 15,12 € de TVA».
14. DCICHL a interjeté appel de cette décision par déclaration du 15 juillet 2022.
15. Le 8 février 2023, M. [N] a déclaré intervenir volontairement à la présente instance, ès qualités de syndic de Sabimex, et a déposé des conclusions d’incident en vue d’obtenir la radiation de l’appel pour inexécution du jugement.
16. Le magistrat chargé de la mise en état a rejeté cette demande par ordonnance du 1er juin 2023.
17. La clôture a été prononcé le 24 octobre 2023.
18. L’affaire a été appelée à l’audience de plaidoirie du 27 novembre 2023 au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus.
19. À l’issue de l’audience, la cour a autorisé les parties à lui communiquer par notes en délibéré des éléments sur l’état de la procédure ouverte devant la cour d’appel d’Abidjan, ainsi que sur les dispositions du droit ivoirien applicables à la péremption d’instance.
20. Les parties ont déposé des notes en délibéré, les 1er et 7 décembre 2023 pour la société Sabimex, les 5 et 8 décembre 2023 pour la société DCICHL.
II/ PRETENTIONS DES PARTIES
21. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 juillet 2023, DCICHL demande à la cour, en application des articles 1162 et 1165 anciens du code civil, l’article 2322 du code civil et sur les articles 17, 28 et 30 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général de l’OHADA de bien vouloir :
– INFIRMER le jugement n° RG J2021000304 du 11 mars 2022 rendu par le Tribunal de commerce de Paris en ce qu’il a :
‘ « Condamn[é] la société de droit mauricien DUET CONSUMER IVORY COAST HOLDINGS LIMITED à verser à la société à responsabilité de droit ivoirien SABIMEX la somme de 1 123 475 796 FCFA ou la contrevaleur en euros au cours du change au jour du paiement, outre intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2019, avec anatocisme, (‘)
‘ Débout[é] les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif, mais uniquement lorsqu’elle déboute la société de droit mauricien DUET CONSUMER IVORY COAST HOLDINGS LIMITED de ses demandes,
‘ Condamn[é] la société de droit mauricien DUET CONSUMER IVORY COAST HOLDINGS LIMITED à verser à la société à responsabilité de droit ivoirien SABIMEX la somme de 25 000 € au titre de l’article 700 CPC,
‘ Condamn[é] la société de droit mauricien DUET CONSUMER IVORY COAST HOLDINGS aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 91,99 € dont 15,12 € de TVA ».
Statuant à nouveau :
– DEBOUTER la société SABIMEX de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l’encontre de la société DUET CONSUMER IVORY COAST HOLDINGS LIMITED ;
– CONDAMNER la société SABIMEX au paiement de la somme de 10.000 euros à la société DUET CONSUMER IVORY COAST HOLDINGS LIMITED sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– CONDAMNER la société SABIMEX aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de la SELARL LX Avocats conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.
22. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 mai 2023, Sabimex demande à la cour, en application des articles 1103, 1104 et 1193 du code civil (ensemble l’article 1134 ancien dudit article), ainsi que les articles 2288, 2313 et 2322 dudit code de bien vouloir :
– CONFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 11 mars 2022, en ce qu’il a condamné la société de droit mauricien, DUET CONSUMER IVORY COAST HOLDINGS LIMITED à verser à la société à responsabilité limitée de droit ivoirien SABIMEX, la somme de 1.123.475.796,00 francs CFA (ou la contrevaleur en euros au cours du change au jour du paiement), outre intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2019, avec anatocisme, ainsi qu’à la somme de 25 000,00 € au titre de l’article 700, outre les entiers dépens.
En toute hypothèse,
– REJETER l’ensemble des demandes de la société DUET CONSUMER IVORY COAST HOLDINGS LIMITED.
– CONDAMNER la société DUET CONSUMER IVORY COAST HOLDINGS LIMITED au paiement de la somme de 25 000,00 € au titre de l’article 700 du CPC, outre les entiers dépens de première instance et d’appel.
III/ MOYENS DES PARTIES
23. DCICHL conclut à l’infirmation du jugement de première instance en ce qu’il n’a pas retenu que la lettre de confort, garantie accessoire, reposait sur une obligation principale contestable et contestée. Elle fait valoir à ce titre que :
– la lettre de confort ayant un caractère accessoire, la garantie accordée par DCICHL doit être considérée en lien avec la créance sous-jacente alléguée, qui résulte d’une obligation de paiement de factures commerciales par la SAPLED, qui n’est pas partie au contrat d’acquisition ;
– DCICHL est dès lors fondée à se prévaloir de l’inopposabilité à la SAPLED des termes du contrat de cession de parts, dans le cadre de la demande de mise en ‘uvre de sa garantie ;
– fondée sur les factures sous-jacentes datant du 9 novembre 2015, la créance Sabimex est prescrite depuis le 9 novembre 2017, au regard du droit de l’OHADA applicable en l’espèce, la société SAPLED n’étant pas liée par les délais de paiement prévus par le contrat de cession et d’acquisition et n’ayant par ailleurs pas renoncé à la prescription biennale acquise ;
– le juge d’appel ivoirien est actuellement saisi de cette question et pourrait faire droit de la fin de non-recevoir tirée de la prescription ;
– indépendamment de la prescription, la créance n’est ni fondée, ni justifiée, des doutes pouvant être émis sur l’authenticité des factures.
24. Elle fait par ailleurs grief au jugement de première instance d’avoir fait droit aux demandes de Sabimex sur le fondement de la lettre de confort, alors que :
– contrairement à ce qu’ont jugé les premiers juges, l’obligation découlant de la lettre de confort est une obligation de moyen et non de résultat ;
– DCICHL a respecté ses obligations, le fait de s’engager à « faire le nécessaire » ne pouvant être interprété comme l’obligation de payer en lieu et place de la société SAPLED mais bien de permettre l’émission d’une garantie forte au profit de Sabimex, ce qu’elle a fait vu le caractère solidaire du cautionnement litigieux.
25. Sabimex réplique que :
– il convient de distinguer le régime de la lettre d’intention signée par DCICHL de celui du cautionnement souscrit par Sapled Limited ;
– DCICHL a souscrit, au titre de la lettre d’intention, une obligation de résultat, qui constitue une garantie indemnitaire n’ayant pas un caractère accessoire à la dette principale ;
– la Créance Sabimex est valable et a été vérifiée par les parties lors de la négociation du contrat de cession de parts ;
– elle a été partiellement honorée par la SAPLED ;
– la charge de la preuve repose sur DCICHL, qui doit justifier des paiements effectués au titre de la créance ou démontrer le fait ayant produit l’extinction de l’obligation, ce qu’elle ne fait pas ;
– la signature d’un cautionnement par Sapled Limited ne saurait être valablement invoqué à ce titre par DCICHL, cette garantie ayant été prévue par le contrat de cession de parts comme distincte de la lettre de confort ;
– DCICHL ne peut davantage invoquer la prescription dans la mesure où elle ne serait libérée de ses engagements qu’à la date du remboursement complet de la Créance Sabimex par la SAPLED.
26. Elle soutient par ailleurs que l’obligation sous-jacente n’est ni prescrite ni contestable dès lors que :
– DCICHL n’est libérée de son obligation qu’à la date du complet remboursement de la créance par Sapled, le droit mauricien, dont relève DCICHL portant le délai de prescription à 10 ans à compter du jour où le droit d’action a pris naissance ;
– le terme du remboursement de la créance de Sabimex expirait le 31 décembre 2018 de sorte qu’en vertu de l’article 2233 du code civil, la prescription ne pouvait courir avant cette date ;
– le cautionnement souscrit par Sapled Limited est régi par le droit français, soit la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil et l’article 110-4 du code de commerce ;
– le délai de prescription de la créance elle-même a été interrompu ;
– DCICHL ne rapporte pas la preuve de ce que le stock de la SAPLED ne correspondrait pas aux factures ;
– le jugement du tribunal de commerce d’Abidjan, qui écarte la prescription et condamne la SAPLED est investi de l’autorité de la chose jugée, l’affaire ayant fait l’objet d’un retrait du rôle en appel, sans que la SAPLED demande sa réinscription.
27. La cour renvoie aux écritures susvisées pour le complet exposé des moyens des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
IV/ MOTIFS DE LA DECISION
A. À titre liminaire, sur la recevabilité des notes en délibéré
28. Les parties ont, chacune, produit des notes en délibéré après y avoir été autorisées à l’issue de l’audience, la cour les ayant invitées à lui communiquer des informations sur l’état de la procédure dont avait été saisie la cour d’appel d’Abidjan ainsi que sur les règles ivoiriennes relatives à la péremption d’instance.
29. Sabimex et DCICHL débattent de la recevabilité des informations et pièces ainsi communiquées, la première faisant grief à la seconde d’avoir transmis des éléments non sollicités par la cour.
30. Mais, outre qu’elle n’identifie pas de façon précise les éléments dont s’agit, l’examen des productions litigieuses fait apparaître que DCICHL se borne à répondre à des arguments invoqués par Sabimex dans sa première note.
31. Les notes ainsi produites et les pièces qui les accompagnent doivent dès lors être regardées comme recevables.
B. Sur le fond
32. Le présent litige porte sur l’exécution d’une « Lettre de confort au profit de la société Sabimex » signée le 11 décembre 2015 par le représentant de DCICHL et formulée en ces termes :
« Nous nous engageons par la présente irrévocablement et inconditionnellement au respect par la Société de son obligation de remboursement de la Créance Sabimex selon les modalités visées à l’article 7.3 du Contrat d’Acquisition.
Nous nous engageons à cet égard, à faire le nécessaire pour que toute éventuelle défaillance de la Société dans le cadre du remboursement de la Créance Sabimex soit immédiatement remédiée.
Le présent engagement deviendra automatiquement caduc à la date du complet remboursement de la Créance Sabimex par la Société (…) »
33. Les parties s’accordent sur la soumission de cet acte, qui contient une clause attributive de juridiction au tribunal de commerce de Paris, au droit français.
34. Selon l’article 2322 du code civil, la lettre d’intention, encore appelée lettre de confort, est l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier.
35. Il est admis que, malgré son caractère unilatéral, une lettre d’intention peut, selon ses termes, lorsqu’elle a été acceptée par son destinataire et eu égard à la commune intention des parties, constituer à la charge de celui qui l’a souscrite un engagement contractuel de faire ou de ne pas faire pouvant aller jusqu’à l’obligation d’assurer un résultat, si même elle ne constitue pas un cautionnement.
36. Il appartient au juge de donner ou restituer son exacte qualification à un pareil acte sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
37. En l’espèce, il résulte des termes de la lettre de confort précitée que DCICHL s’est engagée à l’égard de Sabimex, irrévocablement et inconditionnellement, au respect de l’obligation de remboursement de la créance Sabimex, selon les modalités prévues à l’article 7.3 du contrat de cession et d’acquisition de parts sociales signé le 9 novembre 2015, cet engagement comprenant celui de « faire le nécessaire » pour que toute défaillance dans le respect de cette obligation « soit immédiatement remédiée ».
38. L’emploi de la formule « faire le nécessaire » associée au terme « remédiée » traduit la souscription par DCICHL d’une obligation de résultat quant désintéressement de Sabimex, la première s’obligeant ainsi à garantir à la seconde le paiement des sommes concernées en cas de non-respect des modalités de remboursement convenues.
39. Il est constant que la créance litigieuse n’a pas été intégralement remboursée par la SAPLED, le versement des mensualités prévues à l’article 7.3(c) du contrat n’ayant pas été honoré.
40. Pour échapper à ses engagements, DCICHL invoque le caractère accessoire de la garantie par elle consentie et fait valoir à ce titre la prescription de l’obligation sous-jacente, dont elle conteste le bienfondé.
41. Si, contrairement à ce que soutient l’appelante, la lettre d’intention, qui présente un caractère indemnitaire, ne constitue pas une garantie accessoire de la dette principale, la remise en cause de l’obligation sous-jacente peut néanmoins, selon les circonstances et ce que révèle la volonté des parties, entraîner de disparition du préjudice invoqué.
42. Au cas d’espèce, l’examen de l’ensemble formé par le contrat du 9 novembre 2015 et la lettre de confort fait toutefois apparaître que DCICHL a renoncé à se prévaloir de l’éventuelle prescription des factures à l’origine de la créance litigieuse, dont le remboursement constitue l’une des conditions de la cession de parts convenue avec M. [U], alors actionnaire unique de la SAPLED et gérant de Sabimex, l’engagement souscrit dans la lettre de confort valant jusqu’au « complet remboursement de la Créance Sabimex par la Société [SAPLED] » lequel devait, aux termes de l’article 7.3 du contrat, être échelonné jusqu’au 31 décembre 2018, soit après la date de prescription alléguée par DCICHL au 9 novembre 2017.
43. Il convient de relever à cet égard que le contrat de cession ne prévoit pas le règlement des factures non-honorées par la SAPLED selon leur date d’échéance, mais consacre une créance globale, sur laquelle porte la garantie souscrite par DCICHL et dont elle aménage les modalités de remboursement en ces termes :
« – transfert au profit de Sabimex de l’ensemble des crédits TVA au bénéfice de la Société à compter de la date de Signature jusqu’au 31 décembre 2016 pour un montant de 1.106.000.000 FCFA ;
– le solde par paiement d’une mensualité constante à compter du 1er janvier 2017 jusqu’au 31 décembre 2018 ».
44. Le fait que la SAPLED n’a pas elle-même été partie au contrat de cession est indifférent, l’engagement pris par DCICHL et la volonté des parties, telle que révélée par les actes précités, excluant que l’appelante puisse se prévaloir d’une éventuelle prescription en 2017 des obligations sous-jacentes à la créance litigieuse, sur laquelle porte sa garantie et dont le terme est fixé au 31 décembre 2018, étant au surplus relevé qu’il n’est pas contesté que la SAPLED a opéré le transfert de crédits constituant le premier terme des modalités de paiement précitées, marquant ainsi son acceptation de la restructuration et du rééchelonnement de sa dette selon ces modalités.
45. La cour relève surabondamment que la prescription invoquée, qui doit être appréciée à l’aune du droit ivoirien, s’agissant d’une créance issue des relations commerciales entre deux sociétés de droit ivoirien, ne peut, en toute hypothèse, être considérée comme acquise dès lors que :
– aux termes de l’article 301 de l’Acte Uniforme relatif au droit commercial général (AUDCG), applicable en Côte d’Ivoire, pays membre de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), le délai de prescription en matière de vente commerciale est de deux ans, sauf disposition contraire ;
– selon l’article 28 de l’AUDCG, seule une prescription acquise est susceptible de renonciation, la renonciation à la prescription étant expresse ou tacite, la renonciation tacite devant résulter de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription ;
– la créance litigieuse résulte de factures émises entre le 8 octobre 2014 et 9 novembre 2015 ;
– si l’acte introductif de l’instance relative à l’action en paiement engagée par Sabimex devant le tribunal de commerce d’Abidjan a été signifié le 19 septembre 2019, les modalités de paiement de ces factures ont fait l’objet d’un réaménagement par le contrat de cession de parts, dans les termes et conditions rappelés au point 43 de la présente décision, qui reportent au 31 décembre 2018 l’échéance finale du règlement ;
– quoique non-partie à cette convention, la SAPLED en l’a partiellement exécutée, en transférant à Sabimex des crédits TVA pour un montant de 1 106 000 000 FCFA, manifestant ainsi son acceptation du rééchelonnement de sa dette jusqu’au 31 décembre 2018 ;
– la SAPLED a en outre procédé à un paiement de 30 000 000 FCFA à Sabimex le 1er juillet 2019, lequel fut annoncé par deux courriels du même jour reconnaissant la créance litigieuse, proposant un échéancier de paiements mensuels et annonçant une levée de fonds pour « permettre de solder la totalité de la dette Sabimex » ;
– ce paiement caractérise une renonciation tacite à se prévaloir de la prescription, ce qu’a au demeurant retenu le juge ivoirien appelé à se prononcer sur ce point ;
– l’existence d’un l’appel interjeté contre cette décision n’est pas de nature à remettre en cause les considérations qui précèdent, l’affaire ayant fait l’objet d’un sursis à statuer et d’un retrait du rôle le 1er octobre 2020, en vue d’un règlement amiable du litige par les parties, sans reprise d’instance depuis plus de trois ans, durée de la péremption d’instance en droit ivoirien.
46. Les arguments avancés par DCICHL pour contester le bienfondé de la créance sont par ailleurs inopérants dès lors que :
– ces factures n’ont fait l’objet d’aucune contestation lors de leur réception par la SAPLED, qui les a alors contresignées sans mention d’aucune réserve ;
– la SAPLED a reconnu l’existence de la dette, qu’elle a partiellement honorée par le transfert précité des crédits de TVA et le paiement en 2019, alors même qu’elle n’était plus sous le contrôle de M. [U] mais sous celui de Sapled Limited, elle-même contrôlée par DCICHL, de la somme de 30 000 000 FCFA ;
– DCICHL ne rapporte pas la preuve de la décharge de l’obligation de paiement dont elle se prévaut, le caractère « contestable » des factures tenant à l’absence de bons de livraison ou à des incohérences alléguées du fait de l’imprécisions de certains montants en comptabilité étant à cet égard insuffisants.
47. Au vu de ces considérations, c’est à juste titre que les premiers juges ont condamné DCICHL à indemniser Sabimex à hauteur du montant de la créance non-acquittée, en exécution de la lettre de confort.
48. Il y a lieu, dans ces conditions, de confirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions.
C. Sur les frais et dépens
49. DCICHL, qui succombe en ses demandes, sera condamnée à payer à Sabimex la somme de 20 000,00 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, la demande qu’elle forme sur le fondement du même article étant rejetée.
50. Elle sera en outre condamnée au paiement des entiers dépens.
V/ DISPOSITIF
Par ces motifs, la cour :
1) Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris (16e chambre) le 11 mars 2022 sous le numéro de RG j2021000304 en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
2) Rejette l’ensemble des demandes formées par la société Duet Consumer Ivory Coast Holdings Limited ;
3) Condamne la société Duet Consumer Ivory Coast Holdings Limited à payer à la société Sabimex, assistée par M. [X] [N], mandataire judiciaire agréé en qualité de syndic, la somme de vingt mille euros (20 000,00 €) en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
4) Condamne la société Duet Consumer Ivory Coast Holdings Limited aux dépens.
LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,