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Parts sociales : décision du 23 janvier 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01507

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Parts sociales : décision du 23 janvier 2024 Cour d’appel de Paris RG n° 21/01507

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

POLE 5 – CHAMBRE 16

ARRET DU 23 JANVIER 2024

(n° 8 /2024, 26 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/01507 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CC7GY

Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale statuant sur la compétence rendue à Paris, le 30 novembre 2020, sous l’égide du règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI)

DEMANDEUR AU RECOURS :

ETAT DE LIBYE

personne morale de droit international public,

domicilié: [Adresse 1] (LIBYE),

pris en la personne du Président du State Litigation Department ,Judge [H] [B]

Ayant pour avocat postulant et plaidant : Me Carole SPORTES LEIBOVICI de la SELARL HAUSSMANN ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0443

DEFENDERESSE AU RECOURS :

Société ÜSTAY YAPI TAAHÜT VE TICARET ANONIM SIRKETI

société de droit turc,

ayant son siège social : [Adresse 4] (TURQUIE),

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Ayant pour avocats plaidants : Me Thomas CLAY et Me Taha ZAHEDI VAFA du cabinet CLAY ARBITRATION, avocat au barreau de PARIS, toque : G 408

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 23 Octobre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président de chambre

Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre

Mme Laure ALDEBERT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par Mme Fabienne SCHALLER dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRET :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

*

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie d’un recours en annulation partielle contre une sentence arbitrale statuant sur la compétence rendue à Paris, le 30 novembre 2020, sous l’égide du règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI), dans un litige opposant l’État de Libye (ci-après la Libye) à la société Üstay Yapi Taahüt Ve Ticaret Anonim ‘irketi (ci-après la société Ustay), société de droit turc.

2. La procédure arbitrale a été initiée par la société Ustay sur la base de l’article 8 de l’Accord entre la République de Turquie et la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste concernant la promotion et la protection réciproques des investissements en date du 25 novembre 2009 (ci-après le « TBI» ou le « Traité ») pour un litige concernant trois projets de construction, l’un initié en 1990 et arrêté en 1994 portant sur la réalisation de routes interurbaines dans la ville de [Localité 6] (ci-après le « projet ou contrat [Localité 6] »), les deux autres initiés en 2006 et 2010 portant sur la réalisation d’un pont et d’une route vers la ville de [Localité 3], et sur la conception et la construction d’infrastructures dans la région de [Localité 5] (ci-après les « projets [Localité 3] et [Localité 5]).

3. S’agissant du projet [Localité 6], arrêté en 1994, la société Üstay a initié en 2010 une procédure contre le General People’s Committee (le Congrès général du peuple libyen, ci-après le « GPC ») devant le tribunal de première instance de Darnah, qui a rendu un jugement le 31 janvier 2011 condamnant le GPC à payer à Ustay diverses sommes ((i) 1.524.877,323 dinars libyens et (ii) 1.149.817 dollars américains au titre des dépenses engagées par Ustay pour la réalisation du Contrat [Localité 6], outre (iii) la somme de 1.000.000 dinars libyens en réparation des pertes alléguées).

4. Ce jugement a été détruit matériellement pendant la guerre civile qui a éclaté en février 2011.

5. Le 30 janvier 2013, le tribunal de première instance de Darnah a confirmé l’existence et le contenu du jugement de 2011. La Libye en a contesté la validité et a interjeté appel, tant du jugement confirmatif de 2013 que du jugement rendu en 2011.

6. Courant 2013, un accord transactionnel a été négocié entre le Ministère des finances libyen intervenant par Mr [T] et la société Üstay portant sur le projet [Localité 6].

7. Par cet accord signé le 25 décembre 2013 (ci-après « l’Accord Transactionnel »), le Ministère des finances libyen s’engageait à payer à la société Üstay la somme de 977 344 USD outre 2 146 162 dinars libyens, Üstay ayant renoncé à 15% de l’indemnisation pécuniaire allouée par le jugement de Darnah de 2011 et à toutes les demandes pécuniaires résultant d’un rapport d’expert qui avait été établi en 2010 (dénommé « le rapport [V] »).

8. L’Etat de Libye a saisi le tribunal de première instance de Tripoli le 21 mars 2018, estimant que cet Accord Transactionnel n’avait pas été approuvé par le State Litigation Department (SLD). Par un jugement rendu le 25 octobre 2018, confirmé en 2022 par la cour d’appel de Tripoli, le tribunal de première instance de Tripoli Sud a prononcé l’annulation dudit accord.

9. S’agissant des litiges relatifs aux projets [Localité 3] et [Localité 5], engagés, d’une part, par le département libyen des routes et des ponts (le Roads and Bridges Department ci-après, « RBD ») pour le projet [Localité 3] et, d’autre part, par le Housing and Infrastructure Board, entité publique de droit libyen en charge des projets de construction et de logement en Libye (ci-après « HIB ») pour le projet [Localité 5], les travaux ont été suspendus en raison de la première guerre civile en février 2011. Des accords de reprise et de protection pour ces deux projets ont été conclus en 2012 et 2014, donnant lieu à des litiges, puis la société Ustay a quitté la Libye en 2014 lors de la seconde guerre civile.

10. Le 16 mars 2017, la société Üstay a engagé une procédure d’arbitrage sur le fondement de l’article 8 du TBI Turquie-Libye à l’encontre de l’Etat de Libye, afin d’obtenir une indemnisation pour ces trois litiges au titre de violations alléguées du TBI, du droit international coutumier et de l’Accord sur la Promotion, la Protection et la Garantie des investissements entre les Etats membres de l’organisation de la Conférence Islamique (Traité OCI).

11. L’Etat de Libye a soulevé diverses exceptions d’incompétence qui ont été disjointes et traitées préalablement au fond.

12. Par une sentence du 30 novembre 2020 rendue sous l’égide du règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale, le tribunal arbitral statuant sur la compétence uniquement a décidé que :

« i. Le Tribunal est compétent pour connaître des demandes de la Demanderesse fondées sur le Traité, sur la clause parapluie et des demandes contractuelles, prétendument qualifiées de demandes relevant de l’article 8 du Traité.

ii. A la majorité, le Tribunal n’est pas compétent pour connaître des demandes de la Demanderesse fondées sur le Traité de l’OCI et le droit international coutumier.

iii. Les coûts de la procédure de la phase sur la compétence et toutes les décisions concernant le fond sont réservés, et seront pris à une date ultérieur. »

13. La Libye a formé un recours en annulation contre cette sentence le 19 janvier 2021 selon déclaration d’appel limitée à « (‘) l’annulation de la sentence partielle (rédigée en anglais) rendue dans le dossier CCI 22673/ZF/AYZ par le Tribunal arbitral composé de M. [L] [M] [A] (président), Juge [D] [C] [O] et Pr. [X] [Z] [W] et ayant : statué, déclaré, ordonné et enjoint comme suit: (I) le Tribunal arbitral a compétence pour statuer sur les demandes du demandeur fondées sur le traité, sur la clause parapluie et sur les contrats, dont il est prétendu qu’elles constituent des demandes relevant de l’article 8 du Traité («the Tribunal awards, declares, orders and directs as follows : I. The Tribunal has jurisdiction to hear the Claimant’s Treaty claims, umbrella claims and contractual claims, alleged to qualify as claims falling within Article 8 of the Treaty »).

14. La clôture a été prononcée le 19 septembre 2023 et l’affaire appelée à l’audience de plaidoiries du 23 octobre 2023.

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

15. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 juin 2023, la Libye, demande à la cour de bien vouloir, vu l’article 1520 du code de procédure civile :

A TITRE PRINCIPAL,

– ANNULER, en application de l’article 1520, 1° du Code de procédure civile, les chefs de la sentence arbitrale rendue le 30 novembre 2020 figurant aux paragraphes 181 a’ 184, 211 a’ 232, 297 a’ 319, 382 a’ 385, 462 a’ 485, 568 a’ 577, 579(i) a’ 579(iv), 579(vi) a’ 580, 629 a’ 636, 638(i) a’ 638(ix), 638(xi) a’ 639 et 641(I) ;

A TITRE SUBSIDIAIRE,

– ANNULER, en application de l’article 1520, 1° du Code de procédure civile :

o les chefs de la sentence arbitrale rendue le 30 novembre 2020 figurant aux paragraphes 181 a’ 184 et 641(I), en ce que le Tribunal arbitral a déclaré le TBI comme étant entre’ en vigueur et s’est déclaré compétent pour statuer sur les demandes d’Üstay au titre des Projets [Localité 6], [Localité 5] et [Localité 3] ;

o ou, les chefs de la sentence arbitrale rendue le 30 novembre 2020 figurant aux paragraphes 211 a’ 232, relatif a’ l’interprétation de l’article 1(2) du TBI ;

o et, ou, les chefs de la sentence arbitrale rendue le 30 novembre 2020 figurant aux paragraphes 297 a’ 319, relatif a’ l’interprétation de l’article 8 du TBI ;

o et, ou, les chefs de la sentence arbitrale rendue le 30 novembre 2020 figurant aux paragraphes 382 a’ 385, relatif a’ la clause parapluie ;

– Et, en conséquence, ANNULER :

o les chefs de la sentence arbitrale rendue le 30 novembre 2020 figurant aux paragraphes 462 a’ 485 et 641(I), en ce que le Tribunal arbitral s’est déclaré compétent pour statuer sur les demandes d’Üstay au titre du Projet [Localité 6] ;

o et, ou, les chefs de la sentence arbitrale rendue le 30 novembre 2020 figurant aux paragraphes 629 a’ 636, 638(i) a’ 638(ix), 638(xi) a’ 639 et 641(I), en ce que le Tribunal arbitral s’est déclaré compétent pour statuer sur les demandes d’Üstay au titre du Projet [Localité 5] ;

o et, ou, les chefs de la sentence arbitrale rendue le 30 novembre 2020 figurant aux paragraphes 568 a’ 577, 579(i) a’ 579(iv), 579(vi) a’ 580 et 641(I), en ce que le Tribunal arbitral s’est déclaré compétent pour statuer sur les demandes d’Üstay au titre du Projet [Localité 3] ;

EN TOUTE HYPOTHESE,

– CONDAMNER la société Üstay aux entiers dépens de l’instance et au versement de la somme de 250.000 € a’ l’État de Libye sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

16. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 septembre 2023, Üstay demande à la cour de bien vouloir au vu des articles 700, 1520 et 1524 du code de procédure civile de bien vouloir :

‘ REJETER le recours en annulation introduit par l’Etat de Libye à l’encontre de la sentence rendue le 30 novembre 2020 à Paris par un Tribunal arbitral composé de Monsieur [L] [M] [A], President, Monsieur le Juge [D] [C] [O] et de Monsieur le Professeur [X] [Z] [W], arbitres ;

‘ DÉBOUTER, plus généralement, l’Etat de Libye de toutes ses demandes, fins et prétentions;

‘ CONDAMNER l’Etat de Libye à verser à la société USTAY YAPI TAAHHUT VE T’CARET ANON’M ”RKETI la somme de 350.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

‘ CONDAMNER l’Etat de Libye aux entiers dépens.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

17. L’Etat de Libye sollicite l’annulation partielle de la sentence arbitrale au motif que le tribunal arbitral n’était pas compétent pour statuer sur les demandes fondées sur le traité, sur la clause parapluie et sur les contrats, dont il est prétendu qu’elles constituent des demandes relevant de l’article 8 du Traité (A) faute d’entrée en vigueur du Traité et (B) faute pour les projets [Localité 6] (i), [Localité 5] (ii) et [Localité 3] (iii) de constituer un investissement au sens du Traité.

18. La société Ustay fait valoir en réponse que le Traité est bien entré en vigueur et que les contrats passés avec Ustay sont conformes à la définition de l’investissement protégé par le traité, rationae materiae, rationae voluntatis et rationae temporis, justifiant la compétence du Tribunal arbitral. Elle soutient l’applicabilité de la clause parapluie contenue dans le traité bilatéral d’investissement Autriche-Libye.

A) Sur la première branche du moyen tiré de l’incompétence du tribunal arbitral pour défaut d’entrée en vigueur du TBI

19. La Libye fait grief au tribunal arbitral de s’être déclaré compétent alors que le TBI n’est jamais entré en vigueur, à défaut pour la Turquie d’avoir valablement notifié à l’Etat de Libye la fin du processus de ratification, comme l’exige l’article 12 du TBI.

20. Elle fait valoir que :

– Le TBI ne pouvait entrer en vigueur que si l’Etat de Libye et la Turquie notifiaient à l’autre l’accomplissement de la procédure de ratification selon son droit national,

– Si le TBI a été signé le 25 novembre 2009 et que la Libye a notifié sa ratification à la Turquie le 23 août 2010, la Turquie n’a toutefois pas valablement informé l’Etat de Libye par écrit des formalités constitutionnelles requises pour l’entrée en vigueur de l’accord,

– La Turquie a notifié le 22 avril 2011 la ratification du TBI à un régime dont ni elle, ni la communauté internationale ne reconnaissaient la légitimité au moment de la prétendue notification,

– Le régime du colonel [F] ne pouvait plus représenter le peuple libyen, et la Turquie aurait dû notifier le CNT, devenu la seule autorité légitime depuis le 2 mars 2011, exerçant le pouvoir et la représentation du peuple libyen,

– La Turquie avait rompu ses relations diplomatiques avec le régime de [F], confirmant son absence de légitimité, dès mars 2011, soit bien avant le vote de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 16 septembre 2011 qui reconnaissait le CNT,

– La reconnaissance d’un gouvernement par un Etat produit des conséquences juridiques et a une portée rétroactive,

– Les déclarations politiques communes des gouvernements turcs et libyens du 3 janvier 2014 ne constituent pas la reconnaissance officielle de la validité de la notification de la ratification du TBI par la Turquie, car l’article 12(1) du TBI requiert une notification écrite,

– L’enregistrement du TBI auprès des Nations Unies et sa publication sont sans incidence sur le statut juridique du document,

– Le tribunal arbitral s’est fondé à tort sur les deux courriers adressés au Foreign Committee pour conclure que la Turquie avait valablement accompli les formalités requises à l’article 12(1) du TBI,

– En tout état de cause, la preuve n’est pas rapportée de ce que la notification a été dûment réceptionnée par le Foreign Committee le 22 avril 2011, la lettre au Foreign Committee présentée par Ustay ne contenant qu’un cachet de l’ambassade de Turquie mais aucun du Foreign Committee,

– Par conséquent, la Libye n’a jamais reconnu l’entrée en vigueur du TBI.

21. En réponse, la société Üstay soutient que le TBI est bien entré en vigueur et que la Libye l’a reconnu à plusieurs reprises.

22. Elle fait valoir que :

– En vertu de l’article 12(1) du TBI, la seule notification est valable et suffisante, sans qu’aucune autre formalité ne soit nécessaire,

– La notification a été faite à un organe, le Foreign Committee, qui était rattaché au gouvernement du colonel [F], représentant de l’Etat de Libye,

– L’Etat de Libye a lui-même reconnu l’entrée en vigueur du Traité dans une déclaration commune du 3 janvier 2014 entre les représentants turcs et libyens,

– L’Etat de Libye a reconnu l’entrée en vigueur du TBI dans des procédures dont la cour a eu à connaître, affirmant notamment que « conclu en 2009, ce TBI est entré en vigueur le 22 avril 2011 » (cf. conclusions de l’État de Libye c./ Etrak In’aat Taahhüt Ve Ticaret Anonim Sirketi, n° RG 21/06828 et 21/06118), la Libye ayant ainsi reconnu l’entrée en vigueur du TBI et se contredisant aujourd’hui en soutenant qu’il n’est pas entré en vigueur,

– Ces affirmations contradictoires sur une même question dans des procédures parallèles démontrent le caractère abusif de la procédure,

– La cour a déjà statué sur les mêmes arguments et moyens dans une affaire « Nurol » (CA Paris, 28 septembre 2021, n° 19/19834, État de Libye c./ Nurol Insaat Taahhüt Ve T”caret Anon”m ”’rketi) et le pourvoi en cassation introduit contre cet arrêt a fait l’objet d’un arrêt de radiation, conférant un caractère définitif à ladite décision, reconnaissant l’entrée en vigueur du TBI,

– Par conséquent, le TBI est bien entré en vigueur et le tribunal arbitral compétent de ce chef.

SUR CE,

23. L’article 1520, 1°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent.

24. Pour l’application de ce texte, il appartient au juge de l’annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage.

25. Lorsque celle-ci résulte d’un traité bilatéral d’investissements, la compétence du tribunal arbitral et l’étendue de son pouvoir juridictionnel dépendent de ce traité, le consentement de l’État à l’arbitrage procédant de l’offre permanente d’arbitrage adressée à une catégorie d’investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu’il définit.

26. En l’espèce, le tribunal arbitral était saisi d’un litige opposant l’Etat de Libye et la société Ustay sur la base de l’article 8 du TBI, la qualification d’investissements au regard dudit article et au regard de l’application de la clause parapluie faisant l’objet des développements ci-après (B), une fois évoquée au préalable la question de l’entrée en vigueur dudit TBI (A) ci-dessous.

27. Si la Libye ne conteste pas que le TBI a bien été signé entre la Turquie et la Libye le 25 novembre 2009 et que la Libye a notifié la ratification du TBI à la Turquie dès le 23 août 2010 par une note verbale du ministre des affaires étrangères libyen adressée à l’ambassade de Turquie à Tripoli, elle conteste que la notification de la ratification faite par la Turquie le 22 avril 2011 au Foreign Committee soit valable.

28. Or, la présente cour a déjà validé l’entrée en vigueur du TBI dans une affaire opposant la Libye à la société Nurol (CA Paris 5-16, 28 septembre 2021, n° RG 19/19834, État de Libye c./ Nurol Insaat Taahhüt Ve T”caret Anon”m ”’rketi). Le pourvoi en cassation formé contre cette décision a fait l’objet d’une radiation du rôle.

29. Par ailleurs, la Libye a reconnu dans deux affaires l’opposant aux sociétés Cengiz et Etrak que le TBI était bien entré en vigueur, mais qu’elle contestait la validité des investissements faisant l’objet desdits litiges (CA Paris 5-16, 14 mars 2023, n° 21/06118, État de Libye c. Etrak Insaat Taahhüt Ve Ticaret Anonim Sirketi ; CA Paris 5-16, 25 mai 2021, n° 18/27648, État de Libye c./ Cengiz Insaat Nanayi Ve T”caret Anon”m ”’rketi).

30. Si la Libye invoque aujourd’hui de nouveaux arguments tirés de l’absence d’effet normatif des déclarations d’intention des ministres des deux Etats, et de l’effet rétroactif de la reconnaissance du CNT par l’ONU, qui seront examinés ci-après, il y a lieu, tout d’abord de rappeler les termes mêmes du traité en litige et notamment son article 12(1) relatif à l’entrée en vigueur du Traité, aux termes duquel :

‘1. Each Contracting Party shall notify the other in writing of the completion of the constitutional formalities required in its territory for the entry into force of this Agreement. This Agreement shall enter into force on the date of the latter of the two notifications. It shall remain in force for a period of ten years and shall continue in force unless terminated in accordance with paragraph 2 of this Article ”

traduction produite :

« chaque partie contractante informe l’autre par écrit de l’accomplissement des formalités constitutionnelles requises sur son territoire pour l’entrée en vigueur du présent Accord. Le présent accord entre en vigueur à la date de la dernière des deux notifications. Il restera en vigueur pendant une période de 10 ans et continue de s’appliquer par la suite, sauf dénonciation dans les conditions énoncées au paragraphe deux présent article ».

31. S’agissant de l’absence de notification valable au visa de cet article, la cour retient que :

– Il résulte de l’article 12(1) du TBI que l’information à l’autre partie contractante des formalités de ratification doit être faite à chaque « partie contractante » sans que le texte du Traité ne mentionne une ou plusieurs entités ou autorités au sein de chaque partie contractante à laquelle aurait dû être adressée la notification de la ratification. Selon les termes du Traité, la simple notification est suffisante pour l’entrée en vigueur du TBI, sans qu’aucune autre diligence ne doive être accomplie par l’une des parties contractantes notamment l’envoi de la notification à une entité ou une adresse spécifiée.

– En soutenant que la notification de la ratification par la Turquie dont la matérialité n’est pas mise en cause, aurait dû être faite au Conseil National de Transition (« le CNT ») à compter de la déclaration de fondation du CNT du 2 mars 2011, et non au Foreign Committee, comme l’a fait la Turquie, l’Etat de Libye ajoute une condition au Traité que le texte ne contient pas.

– Le TBI prévoit simplement que la partie contractante informe « l’autre » (« the other ») de sa propre ratification, ce qui ne nécessite pas d’interprétation, sauf à ce que le terme « partie contractante » puisse avoir plusieurs sens, ce qui n’est pas le cas, le traité désignant simplement comme « parties contractantes » les signataires du traité.

– En l’espèce, la notification est intervenue le 22 avril 2011, l’Ambassade de Turquie à Tripoli étant restée en fonction jusqu’au 2 mai 2011 et la Turquie n’ayant reconnu le CNT que le 19 septembre 2011.

– De plus, l’Etat de Libye avait déjà valablement de son côté ratifié et notifié sa ratification à la Turquie depuis le 23 août 2010 et la validité de la décision de la Turquie de ratifier ledit TBI et de notifier sa ratification ne dépendait plus de la volonté de la Libye, mais du choix autonome de la Turquie.

– La légitimité de la ratification faite par la Turquie au Foreign Committee est d’autant moins contestable que le CNT n’a été reconnu par la communauté internationale qu’en septembre 2011, soit postérieurement au 22 avril 2011, date de la notification.

– L’Etat de Libye, représenté par son Premier Ministre [R] [G], dirigeant du CNT, a en outre signé à [Localité 2] le 3 janvier 2014 une déclaration de politique commune pour la création du Haut Conseil de la coopération stratégique entre la République de Turquie et l’Etat de Libye, faisant expressément référence en son paragraphe 8 à l’Accord concernant la promotion et la protection réciproques des investissements (« Agreement concerning the Reciprocal Promotion and Protection of Investments »), reconnaissant ainsi cet Accord existant.

32. La validité de la notification à l’Etat de Lybie est dès lors établie.

33. La Libye fait valoir que la preuve de ce que la notification a été dûment réceptionnée par le Foreign Committee le 22 avril 2011 ne serait pas rapportée, la lettre au Foreign Committee présentée par Ustay ne contenant qu’un cachet de l’ambassade de Turquie mais aucun du Foreign Committee.

34. Or, la Libye n’a jamais contesté la réception formelle de ladite lettre par le Foreign Committee, mais la qualité de ce dernier à la recevoir, ce qui démontre et confirme ladite réception (ce qu’a également relevé le tribunal arbitral §182), cette allégation nouvelle étant en outre contredite par la Libye elle-même dans ses conclusions (page 29), faisant expressément mention de ces deux lettres reçues par le Foreign Committee (lettre de l’ambassade de Turquie à Tripoli au Foreign Committee, 22 avril 2011 (pièce n° F-38) et Lettre de l’ambassade de Turquie à Tripoli au Foreign Committee, 10 avril 2011 (pièce n° F-39).

35. Une telle contestation de la réception desdites lettres par la Libye est dès lors inopérante.

36. La Libye conteste en outre l’effet normatif que pourrait avoir la déclaration d’intention des deux premiers ministres turc et libyen du 4 janvier 2014 de valider le TBI rappelée ci-dessus, une telle déclaration ne pouvant constituer selon elle la reconnaissance officielle de la validité de la notification de la ratification du TBI par la Turquie.

37. Or, outre qu’il n’est pas soutenu par Ustay qu’une telle déclaration ait un effet normatif, il résulte de la sentence que la reconnaissance de l’entrée en vigueur du Traité par les deux Premiers ministres est purement déclaratoire (cf. §179 ‘The Libyan government recognises that the Treaty is in force, and this is clearly evident from the statement of the Primes Ministers of both countries in 2014’ traduit par ‘ le gouvernement libyen reconnaît que le traité est en vigueur, ce qui ressort clairement de la déclaration des premiers ministres des deux pays en 2014 »).

38. La sentence renvoie par note de bas de page n°29 à la pièce C-131 “Joint Political Declaration on the Establishment of the High Level Strategic Cooperation Council Between the Republic of Turkey and the State of Libya » ” which makes explicit reference to the Treaty in Section B para. 8, signed by Prime Ministers of Turkey and Libya dated 3 January 2014, C-131 ‘ ( traduit par « Déclaration politique conjointe sur l’établissement du Conseil de coopération stratégique de haut niveau entre la République de Turquie et l’Etat de Libye » qui fait explicitement référence au Traité dans la section B paragraphe 8, signée par les Premiers ministres de Turquie et de Libye en date du 3 janvier 2014, C-131 »).

39. Indépendamment des déclarations d’intention des deux Premiers ministres, il y a lieu d’ajouter que la Libye a elle-même soutenu l’effet normatif dudit TBI dans d’autres procédures où était en jeu la seule qualification d’investissement au sens dudit TBI (cf. conclusions de la Libye dans les affaires Etrak, Cengiz).

40. Enfin, la Libye invoque l’effet rétroactif de la reconnaissance du CNT par l’ONU en septembre 2011, avec effet au 2 mars 2011, et la rupture alléguée des relations diplomatiques entre le Président [J] et le colonel [F] fin mars 2011, alors que la Turquie avait continué à entretenir des relations diplomatiques avec la Libye.

41. Un tel effet ne remettrait en outre pas en cause la validité de la notification faite par la Turquie « à la partie contractante » le 22 avril 2011, cette date n’étant pas contestée.

42. Il résulte de l’ensemble de ces éléments, que le tribunal arbitral s’est à juste titre déclaré compétent sur le fondement du TBI dont l’entrée en vigueur est établie.

B) Sur la seconde branche du moyen tiré de l’incompétence du tribunal arbitral en raison de la contestation de la qualité d’investissement des projets [Localité 6] (i), [Localité 5] (ii) et [Localité 3] (iii) au sens du TBI (article 1520, 1° CPC)

(i) Sur le contrat [Localité 6] et l’Accord Transactionnel

43. Avant d’aborder la discussion sur la qualité d’investissement de l’Accord Transactionnel, du contrat [Localité 6] et des demandes qui en découlent, la Libye conteste la validité même de cet Accord Transactionnel en invoquant à titre principal sa nullité (a). Elle soutient ensuite, à supposer que l’Accord fût valable, que le tribunal arbitral n’est compétent ni rationae temporis, ni rationae materiae, ni rationae voluntatis, à l’égard du contrat [Localité 6] et de l’Accord Transactionnel (b) et que la clause parapluie issue du traité Autriche-Libye n’est pas applicable au différend opposant Ustay à la Libye (c). Elle invoque en outre une compétence contractuelle exclusive au bénéfice des juridictions libyennes concernant le contrat [Localité 6].

44. La société Ustay fait valoir en réponse qu’il n’appartient pas au juge de l’annulation de statuer sur la validité d’un protocole transactionnel fondant la créance litigieuse pour établir un investissement au sens du TBI. Sur la compétence, elle revendique la conformité au Traité de ses investissements rationae materiae, rationae voluntatis et rationae temporis, et le bénéfice du traitement de la clause parapluie du TBI Autriche-Libye en vertu de la clause de la nation la plus favorisée.

a) Sur la validité de l’Accord transactionnel

45. La Libye fait valoir que :

– L’Accord transactionnel a été obtenu de manière illégale, et n’a aucune validité en droit libyen, ayant été passé par un signataire, M. [T], dénué de tout mandat et de toute habilitation à engager le ministère des finances libyen, et sans qu’Ustay ne puisse se prévaloir de la théorie du mandat apparent, qui ne s’applique qu’entre personnes de droit privé en droit libyen, ni se prévaloir du principe de la bonne foi vu l’enjeu des litiges ;

– Le Ministre des finances libyen a confirmé que Monsieur [T] n’était pas habilité pour conclure un accord transactionnel au nom dudit ministère.

– Ustay ne rapporte pas la preuve que le State Litigation Department (SLD) aurait effectivement approuvé le projet d’Accord Transactionnel, la lettre du 7 novembre 2013 adressée à M. [T] étant postérieure à l’Accord;

– Le tribunal de première instance de Tripoli Sud a prononcé la nullité de l’Accord Transactionnel par un jugement du 25 octobre 2018 ;

– L’action de l’Etat de Libye en nullité dudit accord n’est pas prescrite ;

– En conséquence, l’Accord transactionnel et donc la créance d’argent qui en résulte ne constituent pas un investissement au sens de l’article 1(2) du TBI.

46. En réponse, la société Üstay soutient que :

– Les allégations relatives à la validité de l’Accord Transactionnel fondant la créance invoquée par Ustay pour établir l’existence d’un investissement au sens du TBI échappent au contrôle du juge de l’annulation,

– Il s’agit d’une question de fond qui ne relève pas de l’examen de la compétence,

– Elle fait notamment référence à l’arrêt rendu le 14 mars 2023 dans une affaire opposant la Libye à une société turque Etrak (CA Paris 5-16, 14 mars 2023, n° 21/06118, État de Libye c. Etrak Insaat Taahhüt Ve Ticaret Anonim Sirketi) qui a rappelé qu’il n’appartient pas au juge de l’annulation de statuer sur la validité du protocole fondant la créance invoquée par Etrak pour établir l’existence d’un investissement au sens du Traité.

– L’Accord Transactionnel est parfaitement légal et valide,

– Le Deputy Minister qui a signé l’Accord Transactionnel, Monsieur [T], avait l’autorité réelle de signer, comme cela résulte d’une lettre échangée par le ministère des finances avec le State Litigation Department le 4 août 2013, peu important qu’aucun document autorisant le Deputy Minister à signer l’Accord Transactionnel avec Üstay ne figure au dossier, l’autorité présumée de Monsieur [T] n’ayant jamais été contredite,

– Le Ministère des Finances lui-même a interjeté appel contre la décision des juridictions libyennes déclarant l’Accord Transactionnel invalide, ce qui démontre qu’il avait validé la signature dudit accord,

– Monsieur [T] jouissait en outre de l’apparence de ce pouvoir, et Ustay n’avait aucune raison de douter de de l’autorité du Deputy Minister,

– L’Accord Transactionnel ne devait pas faire l’objet d’une approbation par le SLD, mais seulement d’un avis selon l’article 5 de la loi n°87. En outre, le SLD a bien donné son approbation à l’Accord Transactionnel final par lettre du 7 novembre 2013 au Ministère des Finances.

– L’Etat de Libye est prescrit pour contester l’Accord Transactionnel en vertu du droit libyen, la prescription étant de trois ans.

SUR CE

47. Comme rappelé ci-dessus, lorsque la convention d’arbitrage résulte d’un traité bilatéral d’investissements, la compétence du tribunal arbitral et l’étendue de son pouvoir juridictionnel dépendent de ce traité.

48. Le contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence porte sur le consentement de l’État à l’arbitrage et notamment sur les investissements définis par ledit Traité, à l’exclusion de toute révision au fond de la sentence, le juge de l’annulation n’ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bien fondé.

49. Il résulte des demandes formulées par Ustay au titre du contrat [Localité 6] que celles-ci sont des créances de sommes d’argent issues de l’Accord Transactionnel demeuré inexécuté par la Libye et dont l’Etat de Libye soutient à titre liminaire qu’il a été obtenu illégalement et qu’il est nul.

50. Il n’appartient toutefois pas au juge de l’annulation de statuer sur la validité de l’Accord Transactionnel fondant la créance invoquée par la société Ustay pour établir l’existence d’un investissement au sens du Traité, cette question étant une question de fond, indépendante de celle relative à la portée du consentement de l’État de Libye à l’arbitrage. Elle ne relève pas, comme telle, de l’examen de la compétence, l’appelant invitant la cour par ce biais à réviser la sentence, ce qu’elle ne peut faire.

51. Cette branche du moyen, sera donc écartée, l’appréciation de la compétence matérielle du tribunal arbitral devant reposer sur la seule question de savoir si l’investissement revendiqué par la société Ustay pour justifier de la compétence arbitrale entre dans les catégories de droits et de biens relevant du champ d’application du traité.

b) Sur la qualification d’investissement du projet [Localité 6] et de l’Accord Transactionnel au sens du TBI

52. La sentence objet du présent appel a été rendue dans le cadre institué par le TBI mentionné ci-dessus dont il est retenu qu’il est valablement entré en vigueur le 22 avril 2011.

53. Le tribunal arbitral a statué sur sa compétence en retenant que :

– « The Tribunal has jurisdiction to hear the Claimant’s Treaty claims, umbrella clause claims and contractual claims, alleged to qualify as claims falling within Article 8 of the Treaty » §641

– traduit par «Le Tribunal est compétent pour connaître des demandes de la Demanderesse fondées sur le Traité, sur la clause parapluie et des demandes contractuelles, prétendument qualifiées de demandes relevant de l’article 8 du Traité ». §641

54. L’article 8 du TBI prévoit le recours à l’arbitrage pour régler les litiges entre l’une des parties contractantes et un investisseur de l’autre partie contractante. Il stipule à cette fin que :

« Article 8

Settlement of Disputes Between One Contracting Party and Investors of the Other Conctracting Party

1. Disputes between one of the Contracting Parties and an investor of the other Contracting Party, in connection with his investment, shall be notified in writing, including detailed information, by the investor to the recipient Contracting Party of the investment. As far as possible, the investor and the concerned Contracting Party shall endeavor to settle these disputes by consultations and negotiations in good faith.

2. If these disputes, cannot be settled in this way within ninety (90) days following the date of the written notification mentioned in paragraph 1, the dispute can be submitted, as the investor may choose, to the competent court of the Contracting Party in whose territory the investment has been made or to international arbitration under:

(a) the International Center for Settlement of Investment Disputes (ICSID) set up by the “Convention on Settlement of Investment Disputes Between States and Nationals of other States”, in case both Contracting Parties become signatories of this Convention,

(b) an ad hoc court of arbitration laid down under the Arbitration Rules of Procedure of the United Nations Commission for International Trade Law (UNCITRAL).

(c) the Court of Arbitration of the Paris International Chamber of Commerce.

3. Once the investor has submitted the dispute to the one of the dispute settlement procedures mentioned in paragraph 2 of this Article, the choice of one of these procedures is final.

4. Notwithstanding the provisions of paragraph 2 of this Article;

(a) only the disputes arising directly out of investment activities which have obtained necessary permission, if any, in conformity with the relevant legislation of both Contracting Parties on foreign capital, and that effectively started shah be subject to the jurisdiction of the International Center for Settlement of Investment Disputes (ICSID), in case both Contracting Parties become signatories of this Convention, or any other international dispute settlement mechanism as agreed upon by the Contracting Parties;’

(traduction)

« 1. En cas de différends surgissant entre l’une des Parties contractantes et un investisseur de l’autre Partie contractante concernant un investissement de ce dernier, l’investisseur notifie par écrit et de manière détaillée la Partie contractante sur le territoire de laquelle l’investissement a été réalisé. Dans la mesure du possible, l’investisseur et la partie contractante s’efforcent de régler ces différends par voie de consultations et de négociations menées de bonne foi.

2. Si le différend ne peut être réglé de cette manière dans les quatre-vingt-dix (90) jours qui suivent la date de la notification écrite mentionnée au paragraphe 1 ci-dessus, le différend peut être soumis, si l’investisseur le décide, au tribunal compétent de la Partie contractante sur le territoire de laquelle l’investissement a été réalisé ou à un arbitrage international devant : […]

(c) la Cour d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale de Paris.

3. Lorsque l’investisseur a soumis le différend à l’une des procédures de règlement des différends mentionnées au paragraphe 2 du présent article, le choix de l’une de ces procédures est définitif.

4. Nonobstant les dispositions du paragraphe 2 du présent article

(a) seuls les différends découlant directement d’activités d’investissement qui ont obtenu l’autorisation nécessaire, le cas échéant, conformément à la législation pertinente des deux Parties contractantes sur les capitaux étrangers, et qui ont effectivement débuté, seront soumis à la juridiction du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), au cas où les deux Parties contractantes deviendraient signataires de la présente Convention, ou à tout autre mécanisme international de règlement des différends convenu par les Parties contractantes ;

55. C’est au regard de ces dispositions que la compétence du tribunal arbitral doit être analysée sous l’angle des chefs de compétence contestés, rationae temporis, rationae materiae et rationae voluntatis.

– Sur la compétence rationae temporis

56. La Libye fait valoir que :

– Le tribunal n’a pas compétence pour statuer sur les différends en lien avec un investissement, nés avant l’entrée en vigueur du TBI le 22 avril 2011 ;

– Les différends au titre desquels Ustay prétend obtenir une indemnisation sont nés avant cette date ;

– Le tribunal arbitral a considéré à tort que le différend portant sur l’Accord Transactionnel du 25 décembre 2013 était postérieur à l’entrée en vigueur du TBI alors que le différend provenait uniquement du retrait du Contrat [Localité 6] du 12 novembre 1994 et de ses conséquences ;

– Par conséquent, le tribunal arbitral ne pouvait pas s’estimer compétent rationae temporis.

57. En réponse, la société Ustay rappelle que :

– L’article 10 du TBI est clair et s’applique uniquement aux différends nés après l’entrée en vigueur du TBI,

– Le litige dont est saisi le tribunal arbitral est celui du manquement de la Libye à ses obligations prévues dans l’Accord Transactionnel signé en décembre 2013

– Les manquements de la Libye à l’Accord Transactionnel sont tous postérieurs à l’entrée en vigueur du TBI en avril 2011, peu important qu’une partie desdits manquements soit le résultat de faits antérieurs et notamment du retrait du projet [Localité 6], qui ne sont pas eux-mêmes le fait générateur du dommage résultant du seul non-respect de l’Accord Transactionnel.

58. Elle soutient qu’en tout état de cause, l’Accord Transactionnel a éteint tout litige préexistant et que le tribunal arbitral était bien compétent rationae temporis.

SUR CE,

59. Comme rappelé ci-dessus, lorsque la convention d’arbitrage résulte d’un traité bilatéral d’investissements, la compétence du tribunal arbitral et l’étendue de son pouvoir juridictionnel dépendent de ce traité, le consentement de l’État à l’arbitrage procédant de l’offre permanente d’arbitrage adressée à une catégorie d’investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu’il définit.

60. En l’espèce, le champ d’application du traité est défini à l’article 10 du TBI qui précise que :

« ARTICLE 10

Scope of Application

The present Agreement shall apply to investments in the territory of a Contracting Party made in accordance with its laws and regulations by investors of the other Contracting Party before or after the entry into force of this Agreement. However, this Agreement shall not apply to disputes that have arisen before its entry into force.’

« Le présent Accord s’applique aux investissements effectués sur le territoire d’une Partie contractante conformément à sa législation et à sa réglementation avant ou après son entrée en vigueur, par les investisseurs de l’autre Partie contractante. Toutefois, il ne s’applique pas aux différends qui sont nés avant son entrée en vigueur ».

61. L’article 10 du traité circonscrit l’offre d’arbitrage aux litiges postérieurs au 22 avril 2011, en énonçant que le texte « ne s’applique pas aux différends nés avant son entrée en vigueur ».

62. La date de réalisation des investissements invoqués est en revanche indifférente, le même article précisant que ces investissements peuvent avoir été réalisés « avant ou après son entrée en vigueur ».

63. Il importe donc d’apprécier la date à laquelle le différend soumis au tribunal arbitral est né, qui seule détermine la possibilité de recourir à l’arbitrage.

64. L’État de Libye fixe cette date avant l’entrée en vigueur du traité en faisant valoir que les différends au titre desquels Ustay prétend obtenir une indemnisation sont nés avant cette date, les différends nés du contrat [Localité 6] datant du 12 novembre 1994, peu important qu’ils aient perduré après cette date, alors qu’Ustay soutient que sa demande au titre du contrat [Localité 6] porte uniquement sur l’inexécution de l’Accord Transactionnel du 25 décembre 2013.

65. Le tribunal arbitral a considéré que :

– ‘ §466. The Settlement Agreement purports to settle disputes arising from the [Localité 6] Contract which may or may not predate the entry into force of the Treaty. Any dispute arising from the Settlement Agreement which is dated 25 December 2013 cannot predate the entry into force of the Treaty on 22 April 2011. The particular Settlement Agreement dispute referred to arbitration under Article 8 of the Treaty arose after the Respondent disavowed its obligations to pay the settlement sum it had agreed to pay to the Claimant in the Settlement Agreement. The cause of action occurred upon the Respondent’s failure or refusal to pay the settlement sum, and not earlier’,

traduit par :

‘§466. L’Accord Transactionnel vise à régler des différends découlant du Contrat [Localité 6] qui peuvent être antérieurs ou non à l’entrée en vigueur du Traité. Tout litige découlant de l’Accord Transactionnel qui est daté du 25 décembre 2013 ne peut être antérieur à l’entrée en vigueur du Traité le 22 avril 2011. Le différend particulier relatif à l’Accord Transactionnel soumis à l’arbitrage en vertu de l’article 8 du Traité a surgi après que le Défendeur a nié ses obligations de payer la somme transactionnelle qu’il était convenu de verser à la Demanderesse dans l’Accord Transactionnel. La cause de l’action est survenue au moment de l’échec ou du refus du Défendeur de payer la somme transactionnelle et non avant ».

66. La cour relève que la contestation soumise au tribunal arbitral porte sur le non-respect par l’État de Libye des engagements pris par la Libye dans le protocole d’accord transactionnel conclu le 25 décembre 2013, par lequel le Ministère des finances libyen s’engageait à payer à la société Üstay la somme de 977 344 USD outre 2 146 162 dinars libyens, Üstay ayant renoncé à 15% de l’indemnisation pécuniaire allouée par le jugement du Tribunal de Darnah de 2011 et à toutes les demandes pécuniaires résultant d’un rapport d’expert qui avait été établi en 2010 (dénommé « le rapport [V] »).

67. Il résulte des éléments versés aux débats que l’Accord Transactionnel ne se borne pas à prévoir l’exécution pure et simple d’une décision de justice antérieure contestée, dont l’objet dépasse le seul paiement des créances antérieures, pour inclure des dommages et intérêts, mais acte des concessions réciproques de la part des parties et exprime leur volonté de mettre fin à leur différend précédent par l’abandon, à l’article 5 de l’Accord, de toutes les poursuites liées à ce litige, qui doit dès lors être regardé comme éteint par cette convention. La non-exécution de cet accord, comme la contestation de sa validité par l’État de Libye, est ainsi à l’origine d’un différend nouveau qui, né après l’entrée en vigueur du traité, présente un caractère autonome.

68. Les principes énoncés à l’article 31 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969, aux termes duquel un traité international doit être interprété de bonne foi, en suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes qu’il emploie, dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but, ne sont pas de nature à remettre en cause cette analyse.

69. Le Traité dont s’agit ne donne en effet aucune définition du différend dont la naissance provoque l’offre d’arbitrage. Aussi, cette notion doit-elle s’entendre dans son sens ordinaire, communément admis, de désaccord ou de contestation sur un point de droit et de fait.

70. À cet égard, la thèse soutenue par l’État de Libye, selon laquelle seul le paiement de la dette serait de nature à éteindre le premier différend, procède d’une interprétation allant au-delà des termes du traité, en y ajoutant une condition qu’il ne prévoit pas.

71. C’est dès lors à juste titre que le tribunal arbitral s’est déclaré compétent ratione temporis.

– Sur la compétence ratione materiae

72. La Libye soutient que :

– L’Accord Transactionnel du 25 octobre 2018, à le supposer valide, ne se rapporte pas à un investissement au sens du TBI réalisé par Ustay ;

– L’Accord Transactionnel étant purement déclaratif de droits et se bornant à exprimer une prétendue créance de somme d’argent, il ne constitue pas en lui-même un investissement au sens du TBI ;

– Ni le contrat [Localité 6], ni le jugement du tribunal de Darnah de 2011 et le jugement de confirmation de 2013, dont résulte in fine la créance d’argent issue de l’Accord Transactionnel ne répondent à la définition d’investissement de l’article 1(2) du TBI, le contrat [Localité 6] n’étant pas un investissement conforme au droit de l’investissement libyen et n’ayant jamais été effectif, le jugement de confirmation de 2013 violant le principe d’immutabilité des jugements de droit libyen et étant donc nul et le jugement de Darnah de 2011 n’étant pas assorti de l’exécution provisoire ;

– L’Etat de Libye ajoute que le Contrat [Localité 6], le jugement de 2011, le jugement de confirmation de 2013 et l’Accord Transactionnel, ne remplissent pas les critères économiques d’un investissement selon le droit international public coutumier, et ne constituent dès lors pas un investissement protégé au sens du TBI.

– Il fait valoir en outre que Ustay ne justifie pas de la réunion des critères objectifs d’apport, de durée, de risque et de contribution au développement de l’Etat hôte, alors que ces critères sont inhérents à la notion d’investissement en droit international public coutumier, et que Üstay n’a assumé aucun risque d’investissement ou opérationnel, que la durée du contrat (33 mois) était trop courte pour que son exécution implique une prise de risque propre à la réalisation d’un investissement.

73. En réponse, la société Ustay fait valoir que les Contrats sont des investissements au sens du TBI y compris le contrat [Localité 6], ayant donné lieu à la créance tirée de l’Accord Transactionnel.

74. Elle rappelle les termes de l’article 1(2) du TBI ainsi que l’interprétation qu’en a donné la cour dans une précédente procédure (CA Paris 5-16, 25 mai 2021, n° 18/27648, État de Libye c./ Cengiz Insaat Nanayi Ve T”caret Anon”m ”’rketi) selon laquelle l’article 1(2) du TBI ne subordonne pas l’application du TBI à la définition de l’investissement par renvoi à la loi Libyenne, mais pose une condition de légalité de l’investissement pour le bénéfice de la protection accordée par le traité.

75. Elle conteste que la notion d’investissement doive être interprétée en vertu des législations nationales.

76. S’agissant du critère économique, la société Ustay soutient que la définition d’investissement telle qu’elle ressort du TBI ne comporte aucune exigence d’apport économique.

77. Enfin, elle fait valoir que le Contrat [Localité 6] et l’Accord Transactionnel, tout comme les contrats [Localité 3] et [Localité 5] sont bien des investissements car il s’agit de contrats de conception et de construction.

SUR CE

– Sur la définition de l’investissement au sens du TBI

78. Selon l’article 31 de la Convention de Vienne rappelé ci-dessus, « un traité doit être interprété de bonne foi selon le sens habituellement attribué à ses termes, dans leur contexte et en tenant compte de leur objet et de leur but ».

79. Le grief énoncé par l’Etat de Libye consiste à considérer que le TBI ne peut porter que sur des investissements tels que définis par la loi interne Libyenne.

80. Or, l’article 1er du TBI fournit les définitions suivantes:

« For the purpose of this Agreement :

1. The term “investor” means:

(a) natural persons deriving their status as nationals of either Contracting Party according to its applicable law,

(b) corporations, firms or business associations incorporated or constituted under the law in force of either of the Contracting Parties and having their headquarters in the territory of that Contracting Party’ who have made an investment in the territory of the other Contracting Party.

2. The term “investment”, in conformity with the hosting Contracting Party’s laws and regulations, shall include every kind of asset in particular, but not exclusively:

(a) shares, stocks or any other form of participation in companies,

(b) returns reinvested, claims to money or any other rights having financial value related to an investment,

(c) movable and immovable property, as well as any other rights as mortgages, liens, pledges and any other similar rights related to investments as defined in conformity with the laws and regulations of the Contracting Party in whose territory the property is situated (‘)’

Traduit en francais :

« 1. Le terme « investisseur » désigne :

a) Les personnes physiques tirant leur statut de ressortissants de l’une ou l’autre Partie contractante du droit national de cette Partie,

b) Les entreprises, sociétés et associations commerciales établies ou constituées en vertu de la législation en vigueur dans l’une ou l’autre Partie contractante, et ayant leur siège sur le territoire de cette Partie contractante, qui ont réalisé un investissement sur le territoire de l’autre Partie contractante.

2. Le terme « investissements », conformément à la législation et à la réglementation de la Partie contractante hôte, comprend toute classe de biens, notamment, mais non exclusivement :

a) Les parts sociales, actions et autres formes de participation dans des sociétés,

b) Les revenus réinvestis, les créances financières ou tous autres droits ayant une valeur financière liée à un investissement,

c) La propriété des biens meubles et immeubles ainsi que tous autres droits tels qu’hypothèques, nantissements et gages et autres droits similaires liés aux investissements tels que définis conformément à la législation et à la réglementation de la Partie contractante sur le territoire de laquelle le bien se trouve, (‘) »

81. La définition de l’investissement résultant de l’article 1(2) du Traité est très large, pour viser « any kind of asset », et donne une liste non exhaustive (« not exclusively ») :

« The term ‘investment’, in conformity with the hosting Contracting party’s laws and regulations, shall include every kind of asset in particular, but not exclusively: [‘] » (Le terme ‘investissement’, conformément aux lois et règlements de la partie contractante hôte, comprend tout type d’actif en particulier mais pas exclusivement).

82. L’accord transactionnel litigieux entre dans la définition de l’investissement précitée dès lors qu’il constitue une créance financière liée à un investissement, la référence faite à la « législation et à la règlementation de la Partie contractante hôte » n’étant pas de nature à remettre en cause la portée de l’article 1.2(b) dont les termes sont généraux (« tout type d’actif »).

83. Il en résulte que le TBI ne subordonne pas son application à la définition de l’investissement par renvoi à la loi Libyenne, mais pose simplement une condition de légalité de l’investissement pour le bénéfice de la protection accordée par le traité.

84. La question de la régularité ou de la légalité de l’investissement au regard du droit national libyen n’entre pas dans l’appréciation de la compétence

85. Cette interprétation est d’ailleurs celle qui résulte des articles 8(4) et 10 de ce même Traité.

86. En effet, l’article 8(4) rappelé ci-dessus stipule que « (a) seuls les différends découlant directement d’activités d’investissement qui ont obtenu l’autorisation nécessaire, le cas échéant, conformément à la législation pertinente des deux Parties contractantes sur les capitaux étrangers, et qui ont effectivement débuté, seront soumis à la juridiction du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), au cas où les deux Parties contractantes deviendraient signataires de la présente Convention, ou à tout autre mécanisme international de règlement des différends convenu par les Parties contractantes ».

87. De même l’article 10 stipule que :

« Le présent Accord s’applique aux investissements effectués sur le territoire d’une Partie contractante conformément à sa législation et à sa réglementation avant ou après son entrée en vigueur, par les investisseurs de l’autre Partie contractante. Toutefois, il ne s’applique pas aux différends qui sont nés avant son entrée en vigueur ».

88. Il en résulte qu’un investissement doit être réalisé en respectant les lois et règlements de l’Etat hôte, et non que l’investissement doit être défini par les lois et règlements de l’Etat hôte. La volonté des parties est bien de soumettre l’investissement à une exigence de légalité et non de conformité.

89. En outre, une telle interprétation est conforme à l’objet d’un TBI, qui ne peut faire dépendre le bénéfice de la protection qu’il consacre d’une définition de la notion d’investissements qui serait dépendante de la seule volonté unilatérale de chacune des parties et qui pourrait ainsi unilatéralement modifier le champ d’application du Traité.

90. Tel ne peut donc être le cas de l’exigence alléguée en l’espèce de conformité des investissements à la loi n°5 de 1997 sur la promotion de l’investissement et de la loi n°9 de 2010 sur la promotion de l’investissement.

91. En tout état de cause, à supposer ces manquements établis, ils ne sont pas de nature à remettre en cause l’existence de l’investissement mais sa seule régularité.

92. En conséquence ce grief ne peut prospérer.

93. S’agissant ensuite de la légalité de l’Accord Transactionnel, et de l’autorité des décisions rendues par les tribunaux libyens dont l’Etat de Libye soutient qu’elle constitue une condition de validité de l’investissement, il sera renvoyé aux motifs susénoncés pour écarter ce chef de contestation de la compétence rationae materiae qui ne relève pas du pouvoir du juge de l’annulation statuant sur la compétence.

– Sur l’absence d’investissements au sens du droit international coutumier

94. Dans le cadre de son contrôle de la compétence rationae materiae, la cour doit vérifier que l’opération qui sert de base à la demande entre dans le cadre des prévisions du TBI pour vérifier si elle peut effectivement bénéficier de l’offre d’arbitrage du traité.

95. En l’espèce, le TBI ne comporte aucune exigence au titre de l’investissement telle que celles alléguées par l’Etat de Libye en termes d’apports, de durée et ou de risque, qui ont été dégagées dans le cadre d’investissements soumis à la convention CIRDI, et qui sont connues sous le vocable « critères Salini », l’arbitrage n’y étant pas soumis en l’espèce.

96. Au contraire, la référence à l’investissement est très large puisqu’il ressort du TBI que la définition des investissements figurant à l’article 1(2) comprend « toute classe de biens, notamment mais non exclusivement (…) » et que la liste dressée n’est pas exhaustive.

97. La définition de l’investissement telle qu’elle ressort de ce TBI ne comporte aucune exigence d’apport économique, de durée ou de risque.

98. En conséquence, les critères invoqués par l’Etat de Libye ne résultant pas du Traité, il convient de considérer que ce grief pour justifier de l’incompétence du tribunal n’est pas fondé.

99. En tout état de cause, l’Etat de Libye ne justifie pas que l’Accord Transactionnel qui crée une obligation de paiement à la charge de l’Etat de Libye envers la société Ustay ne satisfait pas le critère économique de l’investissement, à le supposer applicable, le contrat qui était à la base du différend, le Contrat [Localité 6], étant un contrat portant sur des projets de conception et de constructions, justifiant le déploiement d’actifs importants, des équipements et du personnel, ainsi qu’une expertise et un savoir-faire permettant de répondre aux critères d’apport, de durée et de risque, à les supposer applicables.

100. Le moyen tiré de l’incompétence rationae materiae du tribunal arbitral à raison de l’investissement allégué sera en conséquence rejeté.

– Sur la compétence rationae voluntatis

101. Invoquant le non-respect des conditions posées par l’article 8(4) du TBI, la Libye soutient que :

– Aux termes de l’article 8(4)(a) du TBI, le consentement de la Libye à l’arbitrage est limité aux différends qui découlent directement d’activités d’investissement ayant effectivement débuté (« effectively started »),

– L’expression « effectively started » doit être interprétée conformément au sens donné à ses termes, comme le requiert l’article 31(1) de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969.

– La simple réalisation de l’investissement est insuffisante, il faut qu’il y ait eu une action et des activités concrètes, le but de l’action se trouvant dans l’investissement, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, le projet [Localité 6] n’ayant matériellement jamais commencé effectivement,

– Üstay n’a jamais justifié avoir commencé les moindres travaux ;

– Aucun élément tangible ne démontre que le projet [Localité 6] a effectivement démarré, les simples travaux préparatoires ne constituant pas un début effectif d’un projet de construction.

102. La société Ustay soutient en réponse que le tribunal arbitral est compétent rationae voluntatis car les Contrats d’Ustay sont des investissements qui ont effectivement débuté au sens de l’article 8(4) du TBI, ce sont des « claim to money » au sens de l’article 1(2)(b) du TBI qui ont effectivement commencé.

103. Elle fait valoir que :

– La compétence ratione voluntatis du Tribunal arbitral repose sur le consentement des États parties au Traité tel qu’il ressort des conditions posées à l’article 8(4)(a) du TBI.

– Le TBI requiert uniquement que le projet ait effectivement commencé ;

– La créance d’argent issue de l’Accord Transactionnel a nécessairement commencé, quelle que soit l’interprétation donnée à l’expression « effectively started » car l’Accord Transactionnel a été négocié, exécuté et des tentatives de recouvrement ont été menées, aboutissant à l’arbitrage, l’accord transactionnel étant donc un investissement.

SUR CE

104. Il résulte de l’article 8(4) rappelé ci-dessus et notamment du paragraphe 8(4)(a) que « nonobstant les dispositions du paragraphe 2 du présent article » :

« seuls les différends découlant directement d’activités d’investissement qui ont obtenu l’autorisation nécessaire, le cas échéant, conformément à la législation pertinente des deux Parties contractantes sur les capitaux étrangers, et qui ont effectivement débuté, seront soumis à la juridiction du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), au cas où les deux Parties contractantes deviendraient signataires de la présente Convention, ou à tout autre mécanisme international de règlement des différends convenu par les Parties contractantes » ;

105. La condition prévue à l’article 8(4) « qui ont effectivement débuté » est limitée aux investissements concernés par cet alinea, à savoir « les différends découlant directement d’activités d’investissement qui ont obtenu l’autorisation nécessaire, le cas échéant, conformément à la législation pertinente des deux Parties contractantes sur les capitaux étrangers » alors que le champ de l’offre d’arbitrage prévu à l’article 1 du Traité porte sur tous les « différends surgissant entre l’une des Parties contractantes et un investisseur de l’autre Partie contractante concernant un investissement de ce dernier », sans autre condition.

106. À cet égard, la thèse soutenue par l’État de Libye, selon laquelle seuls les investissements ayant effectivement débuté sont couverts par le consentement à l’arbitrage procède d’une interprétation allant au-delà des termes du traité, en y ajoutant une condition qu’il ne prévoit pas.

107. En tout état de cause, il résulte des éléments rappelés ci-dessus que l’Accord Transactionnel a été négocié et que des tentatives de recouvrement et d’exécution ont été entamées, mais n’ont pas abouti, démontrant ainsi que l’investissement querellé a bien débuté.

108. C’est dès lors à juste titre que le tribunal arbitral s’est déclaré compétent rationae voluntatis.

c) Sur l’application de la clause parapluie contenue dans le TBI Autriche -Libye

109. La Libye soutient que :

– Le tribunal arbitral a à tort décidé que la clause de la nation la plus favorisée (« clause MFN ») contenue à l’article 3(2) du TBI lui permettait d’importer la clause parapluie contenue dans à l’article 8(1) du TBI Autriche-Libye ;

– Selon le sens ordinaire à attribuer aux termes « sur son territoire » (« in its territory »), le tribunal aurait dû considérer que le TBI limitait expressément l’étendue des obligations de l’Etat de Libye découlant de la clause MFN à un traitement non moins favorable sur son territoire et non à d’autres territoires concernant une obligation découlant d’une clause parapluie contenue dans un autre traité bilatéral d’investissement;

– La clause de nation la plus favorisée ne peut viser que les sujets appartenant à la même catégorie que ceux auxquels la clause se rapporte, sous peine de violer le principe ejusdem generis, or en l’espèce, les standards de protection du TBI ne s’appliquent qu’à l’exercice de la puissance publique par les parties contractantes alors que la clause parapluie de l’article 8(1) du TBI Autriche-Libye ne s’applique qu’aux violations contractuelles ;

– La clause parapluie contenue dans le TBI Autriche-Libye est donc d’un genre différent que celle des standards de protections et de traitements prévus par le Traité et ne peut être importée.

110. Üstay en réponse soutient que :

– Le tribunal arbitral est compétent à raison de l’applicabilité de la clause parapluie contenue dans le TBI Autriche-Libye, et plus particulièrement en vertu de l’article 3(2) ;

– L’article 11 du Traité montre que le terme « traitement » englobe à la fois le traitement effectif et le traitement prévu dans les textes juridiques et en vertu du droit international. Le terme a donc une portée étendue qui permet à Ustay de bénéficier du traitement accordé aux investisseurs autrichiens par le TBI Autriche-Libye en vertu de la clause de la nation la plus favorisée du TBI ;

– Le terme « territoire » fait référence aux frontières internationales de la Libye ;

– Le traitement accordé aux Autrichiens, ou la garantie de respecter toutes les obligations relatives aux investissements en Libye, est un traitement sur le territoire de la Libye ;

– La Libye viole le sens ordinaire de la clause de la nation la plus favorisée.

SUR CE

111. Une clause de la nation la plus favorisée est définie par la Commission de Droit International des Nations Unies (dans son rapport final sur la clause de la nation la plus favorisée de 2015) comme « le traitement accordé par l’État concédant à l’État bénéficiaire, ou à des personnes ou à des choses se trouvant dans un rapport déterminé avec cet État, non moins favorable que le traitement conféré par l’État concédant à un État tiers ou à des personnes ou à des choses se trouvant dans le même rapport avec cet État tiers ».

112. En l’espèce, il n’est pas contesté que l’article 3(2) du TBI constitue une telle clause:

« ARTICLE 3

Treatment of Investments

2. Neither Contracting Party shall in its territory subject investments or returns of investors of other Contracting Party to treatment less favorable than that which it accords to investments or returns of its own investors or to investments or returns of investors of any third State, whichever is the most favorable. (‘)’

Traduit par :

2. « Aucune des Parties contractantes ne soumet sur son territoire les investissements ni les revenus des investisseurs de l’autre Partie contractante à un traitement moins favorable que celui qu’elle accorde aux investissements ou revenus de ses propres ressortissants ou aux investissements et revenus d’investisseurs de tout État tiers et qui est plus favorable ».

113. Selon l’article 8(1) du traité bilatéral d’investissement Autriche-Libye, aussi appelée « clause parapluie »:

« Article 8 « Other Obligations »

« Each Contracting Party shall observe any obligation it may have entered into with regard to specific investments by investors of the other Contracting Party »

traduction libre : Chaque partie contractante respecte les obligations qu’elle a pu contracter en ce qui concerne les investissements spécifiques des investisseurs de l’autre partie contractante.

114. L’Etat de Libye oppose une limitation territoriale à l’importation de la clause d’un autre traité bilatéral d’investissement, et une limitation de standard de traitement des investissements.

115. Or, s’agissant de la limite territoriale, il ne résulte pas de la mention « in its territory » contenue dans la clause MFN que celle-ci interdirait toute importation d’un traitement plus favorable provenant d’un autre TBI sauf à créer une condition que le Traité ne prévoit pas, la clause devant être entendue dans son sens ordinaire, c’est-à-dire favorisant l’importation de traitements plus favorable en provenance de TBI passés avec des Etats tiers, ce qui est le sens premier d’une clause MFN.

116. C’est à tort que l’Etat de Libye soutient que ladite clause emporterait une extra-territorialité que la clause ne prévoit pas.

117. S’agissant de l’exigence de standards équivalents, l’Etat de Libye fait porter à la clause MFN des obligations qu’elle ne prévoit pas. La condition de l’absence de traitement non moins favorable n’a pas pour effet, d’après les termes clairs du TBI, de limiter aux obligations de puissance publique et d’exclure les obligations contractuelles des traitements équivalents.

118. Les deux branches du moyen ne permettent pas d’écarter l’importation de la clause parapluie permettant d’étendre la compétence du tribunal arbitral aux obligations contractuelles en lien avec les investissements.

119. En tout état de cause, en l’espèce, le tribunal arbitral n’a pas retenu l’effet de la clause MFN contenue à l’article 3(2) du Traité, pour se déclarer compétent au regard des obligations « contractuelles ».

120. Il a adopté une « approche de l’interprétation large selon laquelle toute obligation, tant qu’elle est en rapport avec l’investissement, est une obligation contenue dans le Traité, et la violation de cette obligation relève de la compétence du Tribunal arbitral. Cela correspond au sens ordinaire d’une telle clause » (§304) et en a déduit que « les demandes contractuelles relèvent de l’article 8 du Traité » (§308).

121. Le moyen tiré de l’incompétence rationae materiae du tribunal arbitral à raison de la violation alléguée de la clause de la nation la plus favorisée sera en conséquence rejeté.

d) Sur l’élection de for et les clauses contractuelles attributives de juridiction

122. Enfin, la Libye soutient que les demandes d’Üstay fondées sur le Contrat [Localité 6] relèvent de la compétence exclusive des juridictions libyennes compte tenu des clauses attributives de juridiction en faveur des tribunaux libyens stipulées dans les différents contrats et que le tribunal aurait dû se déclarer incompétent au profit de ces juridictions.

123. La société Ustay se réfère à la sentence partielle qui a rejeté la demande de l’Etat de Libye et retenu que les demandes fondées sur la clause parapluie ne relèvent pas de la compétence exclusive des tribunaux libyens.

Sur ce

124. S’agissant du Contrat [Localité 6], les créances mises à la charge de l’État de Libye envers la société Ustay par l’Accord Transactionnel, même si elles se rattachent à des investissements antérieurs effectués sur le territoire libyen, et qu’elles ont une nature contractuelle à l’origine, n’en sont pas moins constitutives d’un investissement relevant du Traité et soumises comme telles à juste titre à la compétence du tribunal arbitral, indépendamment des clauses d’élection de for contenues dans les contrats précédents.

125. Le moyen sera dès lors rejeté.

(ii) Sur le projet [Localité 5]

126. L’Etat de Libye conteste la qualité d’investissement du projet [Localité 5] au sens du TBI.

127. Il rappelle tout d’abord que l’Etat de Libye n’était ni partie au contrat [Localité 5] et ni à l’accord de reprise [Localité 5], qui ont été conclus par HIB, et que l’article 8(1) du TBI n’offre pas de protection pour de prétendues violations de contrats qui n’ont pas été conclus par l’Etat de Libye.

128. Il fait ensuite valoir que :

– Üstay n’a jamais identifié les actifs qui auraient pu constituer un prétendu investissement, ni n’a prouvé leur existence ou établi que ces actifs répondraient aux critères d’un investissement au sens du TBI ;

– Ni le contrat [Localité 5], ni l’accord de reprise du projet [Localité 5] ne sont des investissements au sens du droit libyen, soit selon la loi n°9 de 2010 sur la promotion de l’investissement et donc au sens de l’article 1(2) du TBI. Ce sont de simples contrats administratifs soumis à la réglementation libyenne sur les contrats administratifs ;

– Il n’est pas démontré que l’accord de protection du projet [Localité 5] ait été signé par Üstay et HIB et que Üstay ait acquis un quelconque droit au titre de cet accord, qui n’est jamais entré en vigueur ;

– Üstay n’a jamais commencé à mobiliser des équipes ou du matériel sur le site du projet [Localité 5] et la simple signature des contrats de sous-traitance sans pour autant rapporter la preuve d’un quelconque paiement au titre de ses contrats, ne peut valablement constituer une preuve ;

– Le projet [Localité 5] ne répond pas aux critères posés par le droit international coutumier [critères Salini] ;

129. L’Etat de Libye soutient qu’en tout état de cause, le tribunal était incompétent rationae voluntatis à raison du non-respect des conditions posées par l’article 8.4 du TBI :

– L’investissement ne remplit pas la condition liée à l’exigence d’avoir « effectivement débuté » ; il n’y a eu que de simples préparatifs devant permettre le début des travaux et non le commencement de la Phase 1 ;

– Pas une seule facture n’avait été émise par Üstay dans le cadre du projet [Localité 5],

– Il ne s’est strictement rien passé jusqu’à ce que Ustay quitte la Libye.

130. En réponse, la société Üstay soutient que :

– Les actifs d’Ustay, à savoir les contrats [Localité 3] et [Localité 5] sont bien des investissements aux termes de la définition donnée par le Traité.

– Il s’agit de contrats de conception et de construction.

– Les différents contrats de sous-traitance signés par Üstay à partir de 2012 prouvent que les travaux ont déjà commencé ;

– Des plans ont été préparés et soumis à la Libye.

– Des accords de reprise ont été signés.

– Par conséquent, l’exécution du contrat [Localité 5] a effectivement débuté.

SUR CE

131. L’argument de l’État de Libye selon lequel le contrat [Localité 5] et l’Accord de Reprise [Localité 5] n’ont pas été conclus par l’Etat de Libye mais par une entité publique ayant une personnalité juridique propre distincte de l’Etat de Libye, HIB, est inopérant au regard du Traité.

132. Comme rappelé au §82 ci-dessus, la définition de l’investissement résultant de l’article 1(2) du Traité est très large (« any kind of asset ») et la liste n’est pas exhaustive (not exclusively), sans précision :

« The term ‘investment’, in conformity with the hosting Contracting party’s laws and regulations, shall include every kind of asset in particular, but not exclusively: [‘]

(Le terme ‘investissement’, conformément aux lois et règlements de la partie contractante hôte, comprend tout type d’actif en particulier mais pas exclusivement). »

133. Il n’en résulte aucune exigence relativement à la qualité des signataires des contrats passés avec l’Etat ou des organes de l’Etat, et c’est à tort que l’Etat de Libye soutient que l’article 8(1) du TBI n’offre pas de protection pour de prétendues violations de contrats qui n’ont pas été conclus par l’Etat de Libye, alors qu’aux termes de l’article 8(1) du TBI la qualité du concluant, pour la partie contractante, n’est pas une condition : « En cas de différends surgissant entre l’une des Parties contractantes et un investisseur de l’autre Partie contractante concernant un investissement de ce dernier, l’investisseur notifie par écrit et de manière détaillée la Partie contractante sur le territoire de laquelle l’investissement a été réalisé. »

134. Comme indiqué ci-dessus concernant le Contrat [Localité 6] et l’Accord Transactionnel, le TBI ne subordonne pas son application à la définition de l’investissement par renvoi à la loi Libyenne, mais pose simplement une condition de légalité de l’investissement pour le bénéfice de la protection accordée par le traité.

135. Par conséquent, l’exigence de conformité à la loi libyenne et notamment de conformité des investissements à la loi n°5 de 1997 sur la promotion de l’investissement et de la loi n°9 de 2010 sur la promotion de l’investissement ne sont pas des conditions pour qualifier les contrats [Localité 5] d’investissement au sens du TBI et retenir la compétence du Tribunal arbitral.

136. S’agissant ensuite de la validité des signatures ou des preuves relatives à la validité de l’investissement, il s’agit de contestations ne relevant pas du pouvoir du juge de l’annulation.

137. Il sera renvoyé aux motifs développés ci-dessus s’agissant du grief portant sur les critères Salini, qui doit être écarté pour les mêmes motifs.

138. S’agissant du grief portant sur le début d’exécution comme condition de la compétence rationae voluntatis, la cour rappelle les motifs développés ci-dessus pour écarter ce grief (§103 et 104) et rappelle qu’en tout état de cause Ustay a suffisamment justifié des efforts engagés pour faire avancer le projet avant la guerre civile et également après le retour d’Ustay en Libye à la fin de la guerre civile, qui ont donné lieu aux accords de reprise.

139. Le grief tiré de l’incompétence du tribunal arbitral à l’égard des contrats [Localité 5] devra par conséquent être rejeté.

(iii) Sur le projet [Localité 3]

140. La Libye soutient que le projet [Localité 3] ne constitue pas un investissement au sens du TBI au motif que:

– ni Üstay, ni la Libye ne sont parties au contrat [Localité 3], ainsi qu’aux accords de reprise et de sécurité [Localité 3] ;

– lesdits contrats ont été conclus par la joint-venture constituée entre la JV UC et CAC, mais non par Üstay directement ;

– l’article 8(1) du TBI n’offre pas de protection pour de prétendues violations de contrats qui n’ont pas été conclus par l’Etat de Libye ;

– Le contrat [Localité 3] et l’accord de reprise [Localité 3] sont de simples contrats administratifs soumis à la réglementation libyenne sur les contrats administratifs et ne sont donc pas des investissements au sens de l’article 1(2) du TBI ;

141. L’Etat de Libye soutient ensuite que le TBI ne peut pas s’appliquer aux investissements illégalement obtenus, et contraires au droit libyen et qu’en l’espèce :

– Le contrat [Localité 3] résulte d’une succession de contrats fictifs afin de tromper RBD, ce que le code civil libyen sanctionne par la nullité (articles 247 et 248) ;

– Üstay a délibérément violé l’article 506 du code civil libyen en excluant de la participation aux pertes ou aux bénéfices de la JV UCC ;

– L’accord de reprise [Localité 3] et l’accord de sécurité [Localité 3] sont nuls selon le droit libyen puisque JV UCC n’existait plus au moment de la conclusion de ces contrats ;

– Les accords de reprise et de sécurité de [Localité 3] n’avaient pas été valablement signés par Üstay au nom de la JV UCC ;

– Le tribunal arbitral a retenu à tort sa compétence ratione materiae ;

142. En réponse, la société Üstay soutient que :

– Les contrats sont parfaitement conformes à la définition de l’investissement protégé par le Traité, que le contrat [Localité 3] est un « Claim to money » au sens de l’article 1(2)(b) du TBI qui a effectivement commencé. Elle rappelle que les investissements n’ont pas à être conformes à la définition que le droit interne libyen donne de l’investissement.

143. Elle fait valoir en tout état de cause que :

– Le tribunal arbitral a confirmé la validité du projet [Localité 3] au regard de la loi libyenne dans sa sentence partielle ;

– Elle a respecté l’exigence de la décision n°443 de 2006 du GPC selon laquelle une société de droit local devait être inclue dans la conduite de certains travaux publics, en incluant la CAC dans l’UCC JV ;

– Le droit libyen ne requiert pas que les partenaires de l’UCC JV divulguent leur accord initial ;

– La résiliation alléguée n’a jamais été effective en droit libyen car (i) la date de prétendu accord de résiliation est bien 2010, (ii) l’accord de résiliation n’est jamais entré en vigueur, (iii) il n’y a eu aucune preuve que l’accord ait été soumis à l’AITP ou au ministère des transports et (iv) les comptes bancaires, les modes d’opération et les lettres de garantie sont restés inchangés ;

– L’UCC JV était valable puisque la CAC n’a pas été privée de son droit aux bénéfices de la société et Üstay n’a pas fait de déclaration frauduleuse au sujet de l’UCC JV ;

– L’Etat de Libye ne démontre pas l’inexistence juridique de la joint-venture.

– Un investissement ne devient pas illégal du simple fait d’une violation technique des lois locales.

SUR CE

144. Il y a lieu de renvoyer aux motifs déjà développés ci-dessus sur l’ensemble des arguments repris dans les mêmes termes pour les différents contrats et de rejeter pour les mêmes motifs l’ensemble des griefs invoqués ci-dessus s’agissant de la compétence rationae materiae.

145. S’agissant de la légalité des investissements, du caractère fictif allégué de ceux-ci et des violations des lois libyennes sur la validité des investissements, il s’agit de griefs touchant au fond du litige dont il a déjà été rappelé qu’ils ne portent pas sur la compétence et que le juge de l’annulation n’a pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bien fondé.

146. Le moyen tiré de l’incompétence du tribunal arbitral sera en conséquence rejeté en l’ensemble de ses branches.

C) Sur les frais irrépétibles et les dépens

147. Il y a lieu de condamner l’Etat de Libye, partie perdante, aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

148. En outre, il doit être condamné à verser à la société Ustay, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 150.000 euros.

IV / DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour,

1- Rejette le recours en annulation introduit par l’Etat de Libye contre la Sentence du 30 novembre 2020 rendue sous l’égide du règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l’affaire enregistrée sous la référence n°22673/ZF/AYZ.

2- Condamne l’Etat de Libye au paiement de la somme de 150 000 euros au profit de la société Ustay en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

3- Condamne l’Etat de Libye aux dépens.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,

 


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