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ARRÊT n°
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 23 JANVIER 2024
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 22/02241 – N° Portalis DBVK-V-B7G-PMUM
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 14 mars 2022
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 2021 003985
APPELANT :
Monsieur [C] [H]
né le [Date naissance 2] 1976 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 5]
Représenté par Me Hervé POQUILLON de la SELARL HP AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué à l’audience par Me Sarah CHARBONNIER JAMET, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEE :
SAS FRANCE BOISSONS SUD-EST
RCS d’Aix-en-Provence n°B 318 506 623
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée à l’instance et à l’audience par Me Marion HUBERT, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 02 novembre 2023
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant le magistrat chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, conseillère
M. Thibault GRAFFIN, conseiller
Greffier lors des débats : Mme Camille MOLINA
ARRET :
– contradictoire ;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Mme Danielle DEMONT, présidente de chambre, et par Mme Jacqueline SEBA, greffière.
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 25 juin 2010, la S.A.S. France Boissons Sud-Est s’est portée caution solidaire de la S.A.R.L Gyr pour le remboursement d’un prêt consenti à ladite société par la Banque CIC-Est d’un montant de 80 000 euros.
Au sein du même acte, M. [C] [H] dirigeant de la société Gyr, s’est porté caution solidaire pour les sommes qui pourraient être dues par celle-ci auprès de la société France Boissons Sud-Est, en application du contrat de prêt, dans la limite de la somme de 96 000 euros.
Le 7 novembre 2011, la société Gyr a été placée en redressement judiciaire, lequel a ensuite été converti en liquidation judiciaire le 14 mars 2016.
Le 5 janvier 2012, la société France Boissons Sud-Est a déclaré ses créances auprès du mandataire judiciaire.
Le 31 janvier 2015, la Banque CIC a délivré une quittance subrogative à la société France Boissons Sud-Est qui a réglé toutes les échéances du prêt laissées impayées par la société Gyr ainsi que le capital restant dû de celui-ci.
Le 22 février 2019, le mandataire judiciaire a transmis à la société France Boissons Sud-Est le certificat d’irrécouvrabilité.
Les 19 février et 14 octobre 2019, la société France Boissons Sud-Est a vainement mis en demeure M. [H] de lui régler la somme de 54 447,24 euros en sa qualité de caution solidaire.
Par exploit d’huissier du 21 avril 2021, la société France Boissons Sud-Est a fait assigner M. [H], devant le tribunal de commerce de Montpellier qui, par jugement contradictoire du 14 mars 2022, a :
débouté M. [H] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
condamné M. [H] à payer à la société France Boissons Sud Est la somme de 54 447,24 euros, au titre de son engagement de caution en date du 25 juin 2010 augmentée des intérêts au taux de 6,80 % 1’an depuis le 15 octobre 2019 et jusqu’à parfait règlement,
ordonné que les intérêts dus pour au moins une année entière produisent eux-mêmes intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
ordonné que tout paiement qui ne sera pas intégral s’imputera d’abord sur les intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-1 du code civil,
condamné M. [H] à payer à la société France Boissons Sud Est la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné M. [H] aux entiers dépens dont frais de greffe liquidés et taxés à la somme de 70,87 euros toutes taxes comprises.
Par déclaration du 25 avril 2022, M. [H] a relevé appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions du 16 octobre 2023, M. [H] demande à la cour de :
A titre principal :
infirmer le jugement dont appel et statuant à nouveau,
dire et juger que les engagements de cautions conclus entre M. [H] et la société France Boissons étaient disproportionnés à ses bien et revenus au jour de sa conclusion,
dire et juger qu’au jour où M. [H] est appelé en qualité de caution, il ne disposait pas du patrimoine nécessaire pour faire face à ces obligations,
en conséquence : dire et juger que la société France Boissons n’est pas fondée à se prévaloir des engagements de caution qu’elle a fait souscrire à M. [H],
débouter la société France Boissons de l’intégralité de ses demandes,
à titre subsidiaire :
réduire le montant de la créance à la somme de 36 540,98 euros,
en tout état de cause :
condamner la société France Boissons à payer à M. [H] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Au soutien de son appel, il fait valoir pour l’essentiel que :
-son engagement de caution est manifestement disproportionné dans la mesure où il avait déjà souscrit auparavant avec son épouse un engagement de caution solidaire pour une somme de 456 000 euros ;
-il ne disposait plus en outre de la somme de 95 000 euros mentionnée sur la fiche patrimoniale et qu’il avait utilisée pour acquérir les parts sociales de la société cautionnée, et la société France boissons était parfaitement informée de cette situation;
-au jour où il est appelé, il est également dans l’impossibilité de faire face à son engagement.
Dans ses dernières conclusions du 20 octobre 2023, la société France Boissons Sud Est demande à la cour de :
statuer ce que de droit sur la recevabilité de l’appel interjeté par M. [H],
au fond confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 14 mars 2022 par le tribunal de commerce de Montpellier,
débouter M. [H] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
y ajoutant condamner M. [H] à verser à la société France Boissons Sud Est une somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
le condamner aux entiers dépens, tant de première instance que d’appel.
Elle expose en substance que :
-au regard de ses revenus, de ceux de son épouse et de son épargne d’un montant de 95 000 euros mentionnés sur la fiche patrimoniale, l’engagement de caution de M. [H] n’était pas manifestement disproportionné ;
-par ailleurs, M. [H] ne saurait faire part d’un endettement qu’il n’a pas mentionné sur la fiche patrimoniale d’engagement de caution ;
-la société France boissons, qui n’est pas un établissement de crédit, n’était tenue par aucune obligation de vérification de la situation financière de M. [H] ;
-l’engagement de M. [H] n’étant manifestement pas disproportionné au moment où il a été donné, il n’y a pas lieu de rechercher si celui-ci l’est au moment où il est appelé ;
L’ordonnance de clôture est datée du 2 novembre 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la disproportion de l’engagement de M. [H]
Selon l’article L 341-4 du code de la consommation dans sa version applicable au litige, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
La disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution suppose que cette dernière se trouve, lorsqu’elle s’engage, dans l’impossibilité manifeste de faire face à son obligation avec ses biens et revenus.
La charge de la preuve du caractère disproportionné de l’engagement appartient à la caution qui l’invoque. Le créancier est quant à lui en droit de se fier aux informations qui lui ont été fournies dans la fiche de renseignements, sans avoir en l’absence d’anomalies apparentes l’affectant, à en vérifier l’exactitude et la caution n’est pas admise à établir, devant le juge, que sa situation était, en réalité, moins favorable que celle qu’elle avait déclarée à la banque.
Toutefois, la caution peut aussi opposer à la banque les éléments non déclarés dont celle-ci avait connaissance (en ce sens, Com., 11 avril 2018, n° 16-19.348).
En outre, la disproportion éventuelle de l’engagement d’une caution mariée sous le régime de la séparation de biens s’apprécie au regard de ses seuls revenus et biens personnels.
En l’espèce, M. [H] a rempli une fiche de renseignements patrimoniale dans laquelle il a mentionné par erreur percevoir des revenus annuels professionnels de 1 500 euros, alors qu’il indique dans ses conclusions et justifie par la production de son avis d’impôt 2011 portant sur le revenu de l’année 2010 qu’il avait perçu durant cette dernière année une somme de 9 000 euros au titre de ses revenus.
En outre, il résulte des pièces produites aux débats que M. [H] est marié sous le régime de la séparation de biens, de sorte que les revenus de son épouse, qui s’est elle-même et séparément portée caution solidaire à l’égard de la société France boissons dans les mêmes conditions que son époux, mais dont la garantie n’est pas recherchée par cette dernière, ne sauraient être pris en compte au titre de son seul engagement de caution, contrairement à ce qu’a retenu le tribunal.
M. [H] a par ailleurs déclaré disposer d’une épargne d’un montant de 95 000 euros, et a mentionné un endettement à hauteur de 21 000 euros au titre de deux prêts.
En application des principes probatoires ci-dessus rappelés, M. [H] ne saurait soutenir qu’en réalité au moment où il a rempli la fiche de renseignements, et contre sa propre déclaration, il ne disposait plus de la somme de 95 000 euros qu’il avait utilisée pour acquérir les parts sociales de la société Gyr.
De même, M. [H] ne rapporte pas la preuve que la société France boissons ne pouvait ignorer qu’il s’était déjà engagé auparavant en qualité de caution auprès de la banque Crédit Agricole le 22 juin 2010 pour une somme de 456 000 euros, ou que cette dernière aurait dû se renseigner sur sa situation financière, en l’absence d’anomalies apparentes sur l’acte de cautionnement, alors de surcroît qu’il a omis lui-même de déclarer l’existence de ce cautionnement antérieur.
En outre, contrairement à ce qu’il soutient, M. [H] ne justifie pas non plus que la société France boissons aurait eu connaissance de sa situation financière d’endettement résultant du protocole de promesse de cession des parts de la société Gyr du 3 mars 2010 signé entre les époux [H] et M. [E] [T], et auquel la société France boissons n’est pas partie, et qui mentionne que la réalisation de la cession est subordonnée à différentes conditions suspensives et notamment celle de l’obtention d’une aide auprès du brasseur d’un montant de 60 000 euros.
Cependant, au regard des seuls éléments déclarés par M. [H] sur sa fiche de renseignements, en prenant en compte à la fois son épargne et ses revenus, il convient de constater que l’engagement de caution de M. [H] au moment où il a été donné était manifestement disproportionné.
Le jugement sera réformé de ce chef.
Par ailleurs, le créancier, qui entend se prévaloir d’un cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, doit établir qu’au moment où il l’appelle, soit au jour où la caution est assignée, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son engagement.
Or, il convient de constater que la société France boissons ne soutient pas que le patrimoine de M. [H] lui permet au jour où il a été assigné de faire face à son engagement.
En conséquence, l’engagement de caution de M. [H] étant privé d’efficacité en application des dispositions de l’article L.341-4 précité, il convient de débouter la société France boissons de sa demande en paiement formée à l’encontre de M. [H].
Le jugement sera réformé.
Sur les dépens et l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
La société France boissons qui succombe dans ses demandes sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à M. [H] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Déboute la S.A.S. France Boissons Sud-Est de sa demande en paiement formée à l’encontre de M. [C] [H],
Condamne la S.A.S. France Boissons Sud-Est aux dépens de première instance et d’appel, ainsi qu’à M. [C] [H] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Le greffier Le président