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1ère Chambre
ARRÊT N°140/2023
N° RG 22/00164 – N° Portalis DBVL-V-B7G-SL2W
Mme [T] [U]
S.C. SOFITHY
C/
Me [Z] [W]
S.E.L.A.R.L. LES CONSEILS D’ENTREPRISES
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 16 MAI 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre, rapporteur
Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 28 février 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 16 mai 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTES :
Madame [T] [U]
née le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 7] (29)
[Adresse 6]
[Localité 4]
Représentée par Me Lara BAKHOS de la SELEURL PAGES – BAKHOS, membre de l’association d’Avocats MONDRIAN, avocat au barreau de RENNES
La société SOFITHY, société civile immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Brest sous le n°452.197.932, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LEXAVOUÉ RENNES ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES
Représentée par Me Emmanuel LAVERRIÈRE de la SELARL RACINE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS :
Maître [Z] [W]
né le [Date naissance 3] 1967 à [Localité 8] (35)
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Benjamin ENGLISH de la SCP MARION-LEROUX-SIBILLOTTE-ENGLISH-COURCOUX, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
La S.E.L.A.R.L. LES CONSEILS D’ENTREPRISES, immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Brest sous le n°300.824.232, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Benjamin ENGLISH de la SCP MARION-LEROUX-SIBILLOTTE-ENGLISH-COURCOUX, avocat au barreau de SAINT-NAZAIRE
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES’:
Suivant promesse synallagmatique de vente qualifiée de «’protocole d’accord’» du 29’septembre 2015, rédigée par Me Yves Larher, avocat au barreau de Brest, membre de la Selarl Les Conseils d’Entreprises, la société Sofithy s’est engagée à céder, sous diverses conditions suspensives (notamment l’obtention de financement et l’information des salariés), la totalité des actions qu’elle détenait dans le capital de la société Brest Avenir Immobilier (soit 4 152 actions /4 155) à la société Groupe Immobilier Siam, moyennant un prix provisoire de 4’500’000 euros. Elle s’est portée fort pour les détenteurs de deux actions et s’est engagée à tout faire pour que la dernière détentrice d’une action la cède également. Il a été convenu que les conditions suspensives seraient levées par lettres recommandées avec accusé de réception adressées au plus tard le 15 décembre 2015 et que les parties procéderaient à la vente définitive au plus tard le 31 décembre 2015.
Par un avenant du 14 décembre 2015, les parties ont reporté la date de levée des conditions suspensives au 24 décembre 2015 et la signature de l’acte au plus tard le 15 janvier 2016. À la date du 24 décembre, seule la condition liée à l’obtention d’un financement a été levée, le cessionnaire y ayant renoncé.
Par avenant n° 2 du 6 janvier 2016, un délai supplémentaire expirant le 15 janvier 2016 a été accordé au cédant afin de lever la condition suspensive liée à l’information des salariés.
À cette date, il n’avait pas été procédé à la notification de la levée de cette condition suspensive par lettre recommandée avec accusé de réception, comme le prévoyait le protocole. Aussi, arguant de cette situation et s’estimant, par ailleurs, victime d’un vice du consentement, le cessionnaire a, par lettre du 18 janvier 2016, mis un terme au processus de cession en cours, tout du moins dans ses conditions de fond et de forme actuelles.
Par acte d’huissier du même jour, la société Sofithy a signifié à la société Groupe Immobilier Siam les courriers notifiant à 37 salariés de l’entreprise la cession projetée ainsi que leurs positions.
En réponse à un envoi du 19 janvier 2016 du conseil de la société Groupe Immobilier Siam rappelant la caducité de la cession, Me [W] a fait valoir, par courrier du 26 janvier 2016, que toutes les conditions suspensives avaient été levées et a invité le cessionnaire à se présenter le 28’janvier suivant pour la signature de l’acte. À cette date, la société Groupe Immobilier Siam a fait défaut.
Les parties ont conclu, le 2 février 2016, un nouvel accord (protocole d’accord modificatif) prévoyant notamment un prix provisoire de cession de 4’400’000 euros, soit une baisse de 100’000’euros par rapport au protocole initial, et la renonciation de la directrice de la société cédée, Mme'[U], compagne de M. [B] [E], gérant de la société Sofithy, à divers avantages qui lui avaient été initialement consentis.
Le 29 février 2016, l’acte de cession définitif a été signé, les parties constatant que la condition suspensive liée à la modification du contrat de travail de Mme [U] sur l’indemnité de licenciement et la clause de non-concurrence avait été levée.
Reprochant à Me [W] ces conditions moins favorables que celles stipulées en septembre 2015, la société Sofithy, d’une part, et Mme [U], d’autre part, ont recherché sa responsabilité. Ce dernier a régularisé une déclaration de sinistre auprès de son assureur.
Faute d’accord, la société Sofithy et Mme [U] ont fait assigner Me [W] et la Selarl Les Conseils d’Entreprises devant le tribunal judiciaire de Saint-Brieuc qui, par jugement assorti de l’exécution provisoire du 29’novembre 2021, a :
– débouté la société Sofithy et Mme [U] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
– condamné in solidum la société Sofithy et Mme [U] à payer à Me [W] la somme de 2’000 euros et à la Selarl Les conseils d’Entreprises la somme de 2’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné in solidum la société Sofithy et Mme [U] aux entiers dépens.
Par déclarations des 11 et 12 janvier 2022, la société Sofithy et Mme [U] ont respectivement interjeté appel de cette décision. Ces deux appels ont été joints le 15 mars 2022.
Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 3 février 2023, la société Sofithy demande à la cour de :
– la recevoir en son appel, le dire bien fondé et y faisant droit, infirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions critiquées et particulièrement en ce qu’il :
‘ débouté la société Sofithy et Mme [U] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
‘ condamné in solidum la société Sofithy et Mme [U] à payer à Me [W] [Z] la somme de 2’000 euros et à la Selarl Les Conseils d’Entreprises la somme de 2’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
‘ condamné in solidum la société Sofithy et Mme [U] aux entiers dépens,
‘ dit que la décision est assortie de l’exécution provisoire.
statuant à nouveau,
– dire et juger que Me [Z] [W] a commis une faute professionnelle qui lui a causé un préjudice dont elle est bien fondée à demander réparation,
en conséquence,
– condamner solidairement Me [Z] [W] et sa structure d’association, la Selarl Les Conseils d’Entreprises à lui payer la somme de 100’000 euros de dommages et intérêts au titre de la baisse du prix provisoire avec intérêt au taux légal à compter de la signification de l’arrêt à intervenir et capitalisation,
– condamner solidairement Me [Z] [W] et sa structure d’association, la Selarl Les Conseils d’Entreprises à lui payer la somme de 330’573 euros de dommages et intérêts au titre de la baisse du prix définitif avec intérêt au taux légal à compter de la signification de l’arrêt à intervenir et capitalisation,
– condamner solidairement Me [Z] [W] et sa structure d’association, la Selarl Les Conseils d’Entreprises, à lui payer la somme de 20’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué en la personne de Me Marie Verrando, avocate au barreau de Rennes.
La société Sofithy rappelle qu’en tant que rédacteur d’acte, l’avocat a une obligation de résultat d’en assurer la validité et l’efficacité, ce qui implique d’exécuter les formalités subséquentes. Elle soutient qu’il appartenait donc à l’avocat, au titre des formalités subséquentes qui lui incombaient, de notifier aux salariés le projet de cession dans le respect du délai de deux mois prévu par l’article L. 23-10-1 du code de commerce, de formaliser l’intention de Mme [U] de ne pas présenter d’offre de rachat, et de lever la condition suspensive dans le délai prévu par lettre recommandée avec accusé de réception comme le prévoyait le protocole. Tel n’ayant pas été le cas, elle en conclut que des fautes peuvent bien lui être reprochées.
La société Sofithy estime que le jugement ne pouvait valablement retenir qu’elle avait renoncé à ses droits au titre du premier protocole en ayant accepté de les modifier par le second. Elle soutient avoir perdu ses droits initiaux du fait de la caducité du premier protocole qu’elle impute aux fautes de l’avocat, perte qui constitue son préjudice. Elle reproche également au premier juge d’avoir écarté le lien de causalité au motif que l’acquéreur aurait pu obtenir l’annulation pour vice du consentement relativement à la situation de Mme [U], vice évoqué par le conseil de l’acquéreur dans sa notification de la caducité. Elle précise que la cause exclusive de la caducité telle que notifiée était l’absence de levée de la condition suspensive et qu’en tout état de cause, la situation de Mme [U] était connue de l’acquéreur bien avant le protocole. Elle ajoute que Me'[W] ne peut invoquer une négligence de son client, lui seul, en tant que rédacteur, étant tenu de s’assurer que ce dernier était en mesure de respecter les stipulations. Enfin, c’est, selon elle, de manière erronée que le tribunal a considéré qu’il était encore possible au cédant de rechercher un acquéreur à de nouvelles conditions, la liste des candidats potentiels étant limitée du fait de l’objet et du contexte de la cession.
S’agissant du préjudice, elle fait valoir qu’il n’existait aucun aléa quant à la réalisation de l’objectif et qu’ainsi, le préjudice n’est pas caractérisé par une perte de chance, mais bien par la perte d’un droit qui doit être intégralement indemnisée. Elle ajoute que le fait de ne pas avoir conclu la vente aux conditions du premier protocole est un préjudice actuel, direct et certain, causé par la faute de l’avocat et constitué par la baisse du prix provisoire de cession et celle du prix définitif.
Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 24 janvier 2023, Mme [T] [U] demande à la cour de :
– infirmer le jugement du 29 novembre 2021 en ce qu’il l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
statuant à nouveau,
– condamner solidairement Me [Z] [W] et la Selarl Les Conseils d’Entreprises à lui payer la somme de 342’329 euros de dommages intérêts au titre de sa renonciation à participer à la holding,
– condamner solidairement Me [Z] [W] et la Selarl Les Conseils d’Entreprises à lui payer la somme de 67’440,10 euros de dommages intérêts en réparation du manque à gagner causé par la limitation de l’indemnité contractuelle de licenciement,
– condamner solidairement Me [Z] [W] et la Selarl Les Conseils d’Entreprises à lui payer la somme de 3’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
– condamner solidairement Me [Z] [W] et la Selarl Les Conseils d’Entreprises aux entiers dépens.
Mme [U] fait valoir que les fautes de Me [W] dans l’exécution du contrat de mandat le liant à la société Sofithy lui ont directement causé, en sa qualité de tiers, un dommage en ce qu’elles ont entraîné un remaniement des conditions de cession à son détriment. Elle ajoute qu’elle a pris une part importante dans le processus de préparation de la cession, que plusieurs stipulations rédigées par l’avocat la concernaient directement et que, par conséquent, ce dernier était conscient de l’impact de ses diligences sur sa situation. Elle précise que Me [W] ne peut valablement lui imputer le défaut de signature des lettres d’intention, sa mission lui imposant de vérifier la présence de toutes les signatures.
Elle soutient que le lien de causalité entre le manquement de Me [W] et ses préjudices est bien établi, puisque la modification des conditions de la cession trouve sa cause exclusive dans la caducité du premier protocole. Elle prétend que si la société Sofithy a accepté de nouvelles conditions moins avantageuses lors du second protocole, c’est en raison de son impossibilité de renoncer au projet, la cession ayant été rendue publique.
Enfin, elle estime que ses préjudices sont caractérisés par sa renonciation forcée à participer à la holding de rachat (341’329 euros), ainsi que par la diminution de l’indemnité contractuelle de licenciement (67’440,10 euros), puisqu’elle a été licenciée postérieurement à la cession et n’a perçu à cette occasion que la somme de 67’440,10 euros au lieu de celle de 134’880,20 euros. Elle précise, en revanche, qu’elle renonce à la demande au titre de la clause de non-concurrence.
Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées le 27 juin 2022, Me [Z] [W] et la société Les Conseils d’Entreprises demandent à la cour de :
à titre principal,
– confirmer intégralement le jugement de première instance,
– débouter purement et simplement en conséquence la société Sofithy et Mme [T] [U] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigées à leur encontre,
à titre subsidiaire,
– écarter l’ensemble des demandes ne présentant pas les caractéristiques d’un préjudice actuel, direct et certain et se résumant à de simples préjudices hypothétiques, tant pour Mme [T] [U] que pour la société Sofithy,
– dire et juger que le préjudice ne pourrait en outre reposer que sur le principe d’une perte de chance, dont le montant serait minime voire symbolique, et dont l’appréciation serait alors laissée à la charge de la cour,
en tout état de cause’:
– condamner in solidum la société Sofithy et Mme [U] à leur payer chacun la somme de 8’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles d’appel,
– condamner les mêmes in solidum aux entiers dépens de l’instance.
Ils rappellent les conditions de la mise en ‘uvre de la responsabilité d’un avocat, s’appuyant notamment, s’agissant de Mme [U], sur la jurisprudence aux termes de laquelle le rédacteur d’un acte n’est tenu d’aucun devoir de conseil ou d’information à l’égard des tiers dont il n’a pas à protéger les intérêts.
Ils soutiennent qu’il n’existe aucun lien de causalité entre la faute qui leur est prétendument reprochée et les préjudices allégués. Ils relèvent qu’en signant de bonne foi un nouveau protocole, la société Sofithy ne saurait prétendre avoir subi un préjudice. Ils ajoutent que la véritable raison de l’échec du protocole initial tient dans l’attitude du vendeur qui n’a pas respecté ses engagements en concluant la veille de la signature du compromis un nouveau contrat de travail avec Mme [U] majorant sensiblement son indemnité de licenciement, ce qui a provoqué une réaction du cessionnaire. Ils relèvent que la seule lettre d’un salarié qui manquait était celle de Mme [U] qui est mal venue de s’en plaindre.
À titre subsidiaire, ils rappellent que seule une perte de chance mesurée à l’aune de la chance perdue peut être réparée et observent qu’en l’espèce, la société Sofithy n’a jamais été contrainte de contracter à un prix qui ne lui convenait pas, alors et surtout qu’un autre acquéreur s’était manifesté (Citya).
Ils font, en tout état de cause, valoir que les préjudices allégués sont infondés au regard, s’agissant de la société Sofithy, du montant du prix définitif, et, s’agissant de Mme [U], du fait que l’abandon de sa participation à la holding résulte d’une renégociation due aux manquements du vendeur auxquels l’avocat est étranger. Ils relèvent que l’indemnité réclamée au titre des 7 % du capital de la société Siam est totalement fantaisiste, compte tenu de l’endettement de l’acquéreur pour procéder à son acquisition. S’agissant de l’indemnité de licenciement, ils précisent que Mme [U] a consenti à l’avenant et ne peut donc arguer d’un préjudice.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 février 2023.
SUR CE, LA COUR’:
L’avocat rédacteur d’un acte est tenu d’en assurer la validité et l’efficacité et, à défaut, engage sa responsabilité contractuelle, dans les conditions du droit commun, à l’égard des parties. Il est également tenu, vis à vis de son client, en l’espèce la société Sofithy, à un devoir de conseil.
En l’occurrence et quand bien même aucune convention fixant la prestation de l’avocat n’est produite aux débats, le lien contractuel entre la société Sofithy et la Selarl Les Conseils d’Entreprises, société d’exercice de Me [W], n’est pas contesté, étant ici précisé, contrairement à ce que le tribunal a retenu en page 7 de sa décision, estimant qu’il n’existait aucun lien de droit entre la société Sofithy et la Selarl Les Conseils d’Entreprises, qu’aux termes de l’article 21 du décret du 25 mars 1993 que «’chaque avocat associé exerçant au sein d’une société d’exercice libéral exerce les fonctions d’avocat au nom de la société’», qu’il résulte de l’article 16 de la loi du 31 décembre 1990 que «’chaque associé (d’une société d’exercice libéral) répond sur l’ensemble de son patrimoine des actes professionnels qu’il accomplit’» et que «’la société est solidairement responsable avec lui’».
C’est donc bien sur le fondement contractuel que la société Sofithy peut rechercher la responsabilité de son ancien conseil, avocat et structure d’exercice.
Les fautes que l’avocat commet dans l’exercice de sa mission sont également susceptibles d’engager sa responsabilité quasi délictuelle (article 1240 du code civil) à l’égard des tiers. Il s’ensuit que Mme [U], tiers, peut rechercher la responsabilité des intimés sur le fondement de l’article 1240 du code civil, lequel suppose la démonstration d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice, à raison des fautes qu’il commet dans l’exercice de son mandat dès lors que celles-ci lui ont causé un préjudice.
Sur les faits’:
Le protocole d’accord du 29 septembre 2015 prévoyait, article 2, trois conditions suspensives’:
– l’obtention par le cessionnaire d’un prêt bancaire de 4’000’000 euros,
– la réalisation d’un audit comptable, financier et juridique de la société soit par le cessionnaire soit par un tiers mandaté par le cessionnaire ne laissant pas apparaître d’éléments pouvant impacter la valorisation de la société pour un montant supérieur à 20’000 euros,
– la fourniture par le cédant des justificatifs de l’information préalable des salariés conformément aux articles 23-10-1 et suivants du code de commerce ainsi que la purge du délai prévu auxdits articles,
le protocole précisant : «’ces conditions seront levées par chacune des parties en lettre recommandée avec accusé de réception pour le 15 décembre 2015 au plus tard…’».
Il a, en outre, été stipulé, à l’article 3 de cet acte, comme «’condition impulsive et déterminante’» sans laquelle le cédant n’aurait pas cédé que’:
– [T] [U] prenne 7 % de la société cessionnaire pour un prix de 1’000 euros,
– aucune garantie personnelle ne sera demandée par un établissement de crédit prêteur à [T] [U],
– [T] [U] puisse se retirer au bout de dix ans moyennant un prix discuté amiablement et à défaut fixé à dire d’expert.
L’article 8.11 du protocole liste les 41 salariés de l’entreprise sous contrat de travail. Cet article ajoute que le cédant «’déclare qu’il n’existe pas de documents contractuels écrits, concernant ces contrats de travail autres que ceux mentionnés dans la liste en annexe (non produite aux débats), qui ont été transmis au cessionnaire dès avant ce jour.
Aucun de ces contrats ne prévoit des conditions anormales ou des avantages particuliers autres que ceux prévus par la loi ou la convention collective’».
Enfin, aux termes de l’article 9.1 «’le cédant garantit, à titre de condition déterminante de la présente convention et sans laquelle le cessionnaire n’aurait jamais contracté l’exactitude de l’ensemble des déclarations faites aux présentes notamment à l’article 8 ci-dessus…’».
Il est constant qu’à la date initialement convenue, aucune des conditions suspensives n’était levée, que le délai a été prorogé deux fois, une première fois le 14 décembre 2015 jusqu’au 24’décembre et une seconde fois, le 6’janvier 2016, jusqu’au 15 janvier suivant. Au terme de la seconde prorogation, la seconde condition suspensive, dont la réalisation incombait au cédant, n’était toujours pas levée.
La société Groupe Immobilier Siam, cessionnaire, en a tiré argument pour se désengager (lettre du 18 janvier 2016).
Si la société Sofithy et Mme [U] prétendent que le défaut de notification de la levée de la condition liée à l’information des salariés incombe à Me [W], rédacteur de l’acte, il convient, en premier lieu, de relever que ce défaut n’était pas la seule raison invoquée par le cessionnaire (contrairement à ce que prétend la société Sofithy dans ses écritures) ainsi qu’il ressort de la lettre adressée le 18’janvier 2016 par son conseil, Me [X] [P], qui, s’il fait effectivement état de ce que «’à la date du 15 janvier 2015 (2016), la condition suspensive liée à l’information des salariés n’a pas été levée, la société Groupe Immobilier Siam n’ayant reçu ni courrier recommandé à ce sujet ni d’ailleurs aucune confirmation par tout autre canal de la levée de cette condition suspensive’» et en tire la conséquence que le protocole et ses avenants sont caducs, relève, avoir constaté, à l’issue de leurs échanges sur l’introduction d’une clause de non concurrence dans le pacte d’associé avec Mme'[U] (échanges que cette dernière comme la société Sofithy se sont gardées de produire aux débats)’:
«’qu’un avenant au contrat de travail de cette dernière (Mme [U]) avait été régularisé le 28’septembre 2015, portant son indemnité de licenciement 4 fois le montant de celle prévue à la convention collective nationale de l’immobilier.
Pourtant, dans le protocole d’accord signé dès le lendemain, vous écrivez, sans sourciller à l’article 8.11 “Aucun de ces contrats (de travail) ne prévoit des conditions anormales ou des avantages particuliers autres que ceux prévus par la loi ou la convention collective”.
Vous renchérissez à l’article 9 dudit protocole en précisant que le cédant garantit, à titre de condition déterminante de la présente convention et sans laquelle le cessionnaire n’aurait jamais contracté l’exactitude de l’ensemble des déclarations faites aux présentes.
S’agissant de la directrice générale de la société BAI (Mme [U]) et du caractère exorbitant de son indemnité de licenciement par rapport à celle prévue dans la convention collective, cette absence d’information de cet “avantage particulier” dans le protocole constitue un vice du consentement caractérisé, particulièrement grave et inacceptable, qui, comme vous l’affirmez dans le protocole à l’article 9, n’aurait pas conduit mes clients à contracter.
Au fond, vous comprendrez que Mme [U] ne peut à la fois être associée du Groupe Immobilier Siam sans bourse déliée, n’être tenue par aucun engagement de non concurrence tant qu’elle est associée et percevoir une grosse indemnité de licenciement si elle est licenciée…’».
Me [P] conclut en indiquant’: «’Tout comme l’absence de levée des conditions suspensives dans le délai, ce vice du consentement rend le protocole et ses avenants définitivement caducs’».
Si par acte d’huissier signifié le 18 janvier 2016, la société Sofithy a notifié à la société Groupe Immobilier Siam copie des courriers conformes à l’article L 23-10-1 du code de commerce adressés à 37 de ses salariés et la réponse de ceux-ci informant la cédante de leur décision de ne pas présenter d’offre d’achat, force est de constater que parmi ces 37 salariés ne figure pas celui adressé à la directrice générale salariée, Mme [U] ni sa réponse…
Par courrier du 19 janvier 2016, Me [P] a rappelé non seulement le caractère tardif de cette signification effectuée après le terme du délai convenu, mais également le vice du consentement lié à l’absence d’information sur l’indemnité de licenciement quadruple de celle prévue à la convention collective de Mme [U].
Sans répondre sur ces points, Me [W] a, par lettre du 26, convoqué la société Groupe Immobilier Siam pour la signature de l’acte de cession le surlendemain ce à quoi la partie adverse a, aussitôt, répondu qu’elle ne s’y rendrait pas compte tenu des négociations en cours, lesquelles ont abouti à la signature le 2 février d’un protocole modificatif conclu sous la condition suspensive de la modification du contrat de travail de Mme [U] sur deux points’:
– limitation de l’indemnité de licenciement à deux fois celle ressortant de l’application de la convention collective nationale de l’immobilier,
– durée de la clause de non concurrence actuelle étendue d’un an à trois ans,
et réduisant le montant du prix provisoire à la somme de 4’400’000 euros.
L’acte définitif a été signé le 29 février 2016, après la levée de la condition suspensive.
Sur la faute reprochée à l’avocat et à sa structure d’exercice par la société Sofithy’:
La société Sofithy reproche à son conseil de ne pas avoir fait diligence pour lever la condition suspensive dont elle était débitrice dans les délais convenus et donc de ne pas avoir assuré l’efficacité de son acte. Me [W] et sa société d’exercice ne contestent pas réellement ce grief puisqu’ils indiquent en page 16 de leurs écritures «’du point de vue de l’avocat, on peut imaginer que s’il a prêté une particulière attention à ce que l’ensemble des salariés hors direction signent, il allait de soi que la dirigeante (Mme [U]), compagne de l’associé principal, allait elle-même régulariser le document’».
Ce faisant, ils admettent que le client les avaient chargés de réaliser, pour son compte, les formalités prévues par les articles L 23-10-1 et suivants du code de commerce’:
– L 23-10-1′: «’…lorsque le propriétaire d’une participation représentant plus de 50 % des parts sociales d’une société à responsabilité limitée ou d’actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital d’une société par actions veut les vendre, les salariés en sont informés, et ce au plus tard deux mois avant la vente, afin de permettre à un ou plusieurs salariés de présenter une offre d’achat de cette participation…
La vente peut intervenir avant l’expiration du délai de deux mois dès lors que chaque salarié a fait connaître sa décision de ne pas présenter d’offre…’»),
– L 23-10-3′: «’L’information des salariés peut être effectuée par tout moyen, précisé par voie réglementaire, de nature à rendre certaine la date de sa réception par ces derniers’».
Or, il ressort de l’examen de ces différents courriers que ceux-ci n’ont été rédigés que le 11’janvier 2016, remis en mains propres à l’ensemble des salariés (à l’exception toutefois de la dirigeante) le jour même, ceux-ci renonçant tous les 11 et 12 janvier à la faculté offerte de déposer une offre de reprise, de sorte que sous réserve du cas de Mme [U], l’avocat était en mesure dès le 13 janvier de notifier, pour le compte de son client, au cessionnaire la levée de la condition suspensive.
En attendant le 18 janvier 2016 pour le faire, une fois le délai convenu expiré, l’avocat a incontestablement commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l’égard de son client.
De plus, l’avocat devait également s’assurer de ce que Mme [U], salariée, avait également bien été informée et avait renoncé à présenter une offre, ce qu’il n’a manifestement pas fait puisque la signification du 18 juillet ne comporte pas le document renseigné par celle-ci ce qui caractérise une seconde faute de sa part.
Sur le lien de causalité’:
La société Sofithy prétend que ces fautes sont à l’origine de la baisse du prix provisoire à laquelle elle a dû consentir et, par voie de conséquence, à la baisse du prix définitif qui a été fixé entre les parties, baisses de prix qui constituent son préjudice.
Si la société Groupe Immobilier Siam a tiré argument de l’absence de levée de la condition suspensive dans le délai convenu pour soulever la caducité du protocole, il convient de rappeler que ce n’est pas le seul motif pour lequel elle a refusé de réitérer la promesse de vente, puisqu’elle a simultanément invoqué la déloyauté du cédant, l’existence d’un vice du consentement et une divergence de fond apparue à l’occasion des négociations entreprises dans le cadre de la rédaction du pacte d’associés devant être établi avec Mme'[U] puisqu’il avait été convenu que cette dernière entrerait au capital du repreneur. Il sera enfin rappelé que le cessionnaire a simultanément confirmé son intérêt pour la reprise de la société mais à d’autres conditions de fond compte tenu de ces difficultés.
À la suite de cette prise de position et des motifs invoqués, les parties ont, aussitôt, rouvert les négociations, la société Sofithy n’ayant nullement cherché à passer en force ou tenté d’appréhender la somme de 400’000 euros séquestrée et de se rapprocher d’une société tierce, étant rappelé qu’un autre candidat s’était manifesté pour la reprise de sa filiale et qu’il lui était parfaitement possible, quoiqu’elle en dise, d’entamer ou de reprendre des négociations avec celui-ci.
Aucune des parties n’a jugé utile (ce que la cour déplore) de produire la moindre pièce concernant celles-ci mais il est établi au regard du protocole modificatif conclu le 2 février 2016 qu’elles ont porté, marginalement, sur le prix provisoire de cession (baissé de 2,22 %) et, principalement, sur la situation de Mme [U], le montant de son indemnité de licenciement étant réduit de moitié, la durée de sa clause de non concurrence portée de un à trois ans et l’intéressée étant, surtout, évincée du capital du repreneur dont il convient de rappeler qu’il s’agissait pourtant d’une question que le cédant ou plus exactement son dirigeant, actionnaire majoritaire, M. [B] [E], compagnon de l’intéressée, considérait comme une «’condition impulsive et déterminante’» de son consentement.
Ces différents points démontrent que l’échec du protocole initial avait bien pour cause primordiale le positionnement de Mme [U] et les divergences de vues à cet égard, la société Groupe Immobilier Siam ayant, comme l’écrit son conseil, découvert au cours des négociations la modification du contrat de travail de l’intéressée lui conférant un avantage singulier en cas de licenciement (138 000 euros au lieu de 37 350 euros d’après les écritures de l’intéressée).
Si la société Sofithy et Mme [U] font valoir que cet avantage était connu – ce dont ils ne rapportent nullement la preuve – et ne résulte pas d’un avenant à son contrat signé la veille de la conclusion du protocole, ce qui est exact puisque l’avenant litigieux (qui prévoit sous la rubrique «’Garantie d’emploi’: compte tenu des fonctions occupées par Mme [U] au sein de la société, il est précisé qu’en cas de rupture de son contrat de travail, hormis en cas de démission claire et sans équivoque, le montant de l’indemnité de licenciement versée correspondra à quatre fois le montant de celle dont les modalités de calcul sont arrêtées par les dispositions de la Convention collective nationale de l’immobilier actuellement en vigueur’») porte la date du 6 janvier 2014, il n’en demeure pas moins que la clause qu’il comporte est contraire à l’engagement souscrit par le cédant à l’article 8.11 du protocole initiale suivant lequel’: «’Aucun de ces contrats ne prévoit des conditions anormales ou des avantages particuliers autres que ceux prévus par la loi ou la convention collective’».
Or, le cédant s’est abstenu, de mauvaise foi alors même qu’il s’agissait d’une clause sans laquelle le cessionnaire n’aurait pas contracté (article 9), d’en révéler l’existence, l’indemnité convenue ne pouvant qu’être qualifiée d’avantage particulier, évidemment non prévu par les dispositions précitées au regard de son importance (la différence étant de l’ordre de 100 000 euros).
Les concessions consenties par le cédant ‘ tant financières que concernant sa compagne à laquelle il a dû soumettre un avenant à son contrat de travail que l’intéressée a accepté de signer le 22 février 2016 ‘ constituent à l’évidence la contrepartie de cette déloyauté ainsi, très vraisemblablement, que les conséquences des divergences managériales avec Mme [U] auxquelles Me [P] fait allusion à la fin de son courrier du 18 janvier 2016.
Il s’ensuit que ces concessions notamment financières ne sont pas, contrairement à ce que la société Sofithy prétend, la conséquence de la faute commise par l’avocat mais celles de cette déloyauté.
C’est dès lors à bon droit et par des motifs pertinents que le tribunal a débouté cette société de ses demandes.
Le jugement critiqué sera donc confirmé de ce chef.
Sur la demande de Mme [U]’:
Les fautes reprochées par Mme [U] au conseil de son employeur sont identiques à celles reprochées par ce dernier (absence de recueil de l’information de l’ensemble des salariés et notification au cessionnaire afin de lever la condition suspensive qui avait été stipulée) et sont, ainsi qu’il a été précisé ci-dessus, caractérisées.
L’appelante soutient que ces fautes sont l’origine des sacrifices financiers auxquels elle a été contrainte de consentir (renonciation à sa participation au capital de la holding, modification de son contrat de travail avec notamment la perte de la moitié de son indemnité de licenciement stipulée).
Cette analyse ne peut être suivie. En effet et ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, les négociations reprises après la décision de la société Groupe Immobilier Siam notifiée les 18 et 19 janvier 2016 de ne pas donner suite au protocole du 30 septembre 2015 avait pour cause, certes le défaut de notification de la levée de la condition suspensive, mais surtout le vice du consentement dont le cessionnaire estimait (en l’occurrence à juste titre) avoir été victime dès lors que l’avantage particulier consenti par le cédant à Mme [U] ne lui avait pas été loyalement révélé, l’absence de l’existence d’un tel avantage étant, au contraire, affirmée et l’impossibilité de conclure un pacte d’associé avec cette dernière en raison d’importantes divergences que l’appelante passe totalement sous silence.
Il en résulte que le lien de causalité entre le défaut de notification de la levée de la condition suspensive stipulée et le préjudice allégué ne résulte pas de la faute de l’avocat mais de la volonté du cessionnaire de revoir l’avantage particulier consenti à Mme [U], caché lors de la signature du protocole (le contraire étant affirmé…) auquel elle a, au demeurant librement consenti, en acceptant de signer (dans des conditions dont la cour ignore tout) un avenant à son contrat de travail et son refus d’associer celle-ci ‘ ce qu’a finalement accepté la société Sofithy ‘ au capital de la holding de reprise.
En l’absence de lien de causalité entre la faute et le préjudice, c’est encore à bon droit et par des motifs pertinents que le premier juge a débouté Mme [U] de sa demande indemnitaire.
Le jugement déféré sera donc également confirmé de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles’:
La société Sofithy et Mme [U], parties succombantes, supporteront la charge des dépens d’appel.
Chacune d’elle devra, en outre, verser à Me [W] et à la société Les Conseils d’Entreprises, unis d’intérêts, une somme de 3’000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.