Parts sociales : décision du 11 mai 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/03435

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Parts sociales : décision du 11 mai 2023 Cour d’appel de Grenoble RG n° 21/03435
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N° RG 21/03435 – N° Portalis DBVM-V-B7F-

K72C

C1

Minute N°

Copie exécutoire

délivrée le :

Me Fabrice [R]

la SELAS ABAD & VILLEMAGNE – AVOCATS ASSOCIÉS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 11 MAI 2023

Appel d’un jugement (N° RG 19/00556)

rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de [Localité 9]

en date du 28 juin 2021

suivant déclaration d’appel du 23 juillet 2021

APPELANT :

M. [H] [M]

né le [Date naissance 1] 1936 à [Localité 8]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 6]

représenté par Me Fabrice BARICHARD, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMÉ :

M. [E] [M]

né le [Date naissance 4] 1961 à [Localité 9] (38000)

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 5]

représenté par Me Sébastien VILLEMAGNE de la SELAS ABAD & VILLEMAGNE – AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de GRENOBLE, substitué par Me ABAD de la SELAS ABAD & VILLEMAGNE – AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,

Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

Assistés lors des débats de Alice RICHET, Greffière.

DÉBATS :

A l’audience publique du 11 janvier 2023, Mme BLANCHARD, conseillère,a été entendue en son rapport,

Les avocats ont été entendus en leurs conclusions,

Puis l’affaire a été mise en délibéré pour que l’arrêt soit rendu ce jour, après prorogation du délibéré.

EXPOSE DU LITIGE :

Le 20 mai 1998, M. [H] [M] et M. [W] [M] ont constitué la SCI Edloudy chacun à hauteur de la moitié des 200 parts sociales.

La même année, la SCI Edloudy s’est rendue propriétaire d’un bien immobilier moyennant un prix de 400.000 francs financé par un prêt bancaire.

Par acte sous seing privé du 18 avril 2016, enregistré le 19 avril 2016, M. [H] [M] et son épouse commune en biens ont cédé à M. [E] [M], l’intégralité des parts sociales (soit cent parts) détenues par M. [H] [M] au prix total de 10.000 euros.

Un conflit est apparu entre Messieurs [W] et [E] [M].

Se prévalant de la vileté du prix de cession des parts sociales, M. [H] [M] a fait assigner M. [E] [M] en annulation de cette cession, par acte d’huissier du 28 janvier 2019.

Par jugement du 28 juin 2021, le tribunal judiciaire de Grenoble a :

– dit n’y avoir lieu d’ordonner la comparution personnelle de M. [H] [M],

– débouté M. [H] [M] de sa demande visant à voir prononcer la nullité de l’acte de cession des parts sociales de la SCI Edloudy intervenue le 18 avril 2016 avec M. [E] [M],

– dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire,

– rejeté les demandes formulées au titre des frais irrépétibles,

– condamné M. [H] [M] aux dépens,

– dit qu’il sera fait application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me Fabrice Barichard.

Suivant déclaration au greffe du 23 juillet 2021, M. [H] [M] a relevé appel de cette décision, en ce qu’elle a :

– débouté M. [H] [M] de sa demande visant à voir prononcer la nullité de l’acte de cession,

– rejeté les demandes formulées au titre des frais irrépétibles,

– condamné M. [H] [M] aux dépens.

Prétentions et moyens de M. [H] [M]:

Au terme de ses dernières écritures notifiées le 14 décembre 2022, M. [H] [M] demande à la cour, au visa des articles 1583, 1591 et 1131 du code civil, ce dernier dans sa rédaction applicable au 18 avril 2016, de :

– infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a :

. débouté M. [H] [M] de sa demande visant à voir prononcer la nullité de l’acte de cession de parts sociales de la SCI Edloudy intervenue le 18 avril 2016 avec M. [E] [M],

. rejeté la demande de [H] [M] au titre des frais irrépétibles,

. condamné M. [H] [M] aux dépens.

– statuant à nouveau,

– dire et juger que la cession de 50 % des parts sociales de la SCI Edloudy intervenue le 18 avril 2016 est intervenue pour un prix vil ou dérisoire,

– prononcer la nullité de l’acte de cession de 50 % des parts sociales de la SCI Edloudy intervenue le 18 avril 2016, l’annuler et le dire et juger nul et de nul effet,

– débouter M. [E] [M] de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes,

– condamner M. [E] [M] au paiement de la somme de 3.500 euros à M. [H] [M] au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en appel, ainsi qu’en tous les dépens de première instance et d’appel.

M. [H] [M] fait valoir qu’il a été affaibli par un accident vasculaire cérébral en 2010, qu’il est âgé et qu’il a cédé ses parts dans un esprit de rapprochement familial.

Il soutient que :

– la cession a été réalisée à vil prix,

– la valeur des parts aurait dû être déterminée par référence à la valeur du bien immobilier estimé entre 310.000 et 350.000 euros à la date de la cession, le crédit immobilier ayant été soldé,

– la contrepartie de 10.000 euros est donc dérisoire et prive de cause l’obligation du cédant.

Il considère que la méthode d’évaluation revendiquée par l’intimé fondée sur le taux de rendement est inadaptée à une SCI familiale qui ne répond qu’à un objectif patrimonial, que son acceptation de la cession et l’intervention à l’acte d’un avocat ne font pas obstacle à son annulation, que l’agrément donné par M.[W] [M] ne porte que sur la personne du cessionnaire et non sur le prix.

En réplique, il conteste toute intention libérale dans la fixation du prix de cession, soutenant que ce dernier lui a été imposé par son fils qui l’a abusé sur la valeur des parts sociales, qu’il n’a jamais voulu favoriser l’un de ses enfants, que la fixaton du prix est étranger à la donation partage d’une maison évaluée par un notaire et qui a, depuis, subi de nombreux travaux.

Prétentions et moyens de M. [E] [M] :

Selon ses dernières conclusions notifiées le 12 décembre 2022, M. [E] [M] entend voir :

– à titre principal,

– juger que la cession des parts dont la nullité est revendiquée a été consentie librement par M. [H] [M], avec l’accord de M. [W] [M] et sous le contrôle d’un avocat notoirement reconnu en la matière,

– juger que la cession des parts dont la nullité est revendiquée a été faite dans un cadre familial justifiant pour partie un esprit libéral de M. [H] [M] accepté par M. [W] [M] à son profit, et au profit de son fils [S] [M], notamment s’agissant du bénéfice d’une donation du 28 juin 2011,

– en conséquence,

– confirmer la décision dont appel en ce qu’elle a débouté M. [H] [M] de sa demande visant à voir prononcer la nullité de l’acte de cession des parts sociales de la SCI Edloudy intervenue le 18 avril 2016 avec M. [E] [M],

– débouter M. [H] [M] de l’intégralité de ses demandes,

– à titre subsidiaire,

– avant-dire droit,

– ordonner la comparution personnelle de M. [H] [M] aux fins de vérifier son consentement à la présente action,

– en tout état de cause,

– à titre infiniment subsidiaire,

– ordonner une mesure d’expertise de la valeur de la SCI Edloudy confiée à tel expert qu’il plaira à la cour aux frais avancés de l’appelant,

– condamner M. [H] [M] à payer à M. [E] [M] la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– laisser les entiers dépens de l’instance à la charge de M. [H] [M].

M. [E] [M] considère que le demandeur à l’action en nullité de l’acte de cession de parts sociales ne rapporte pas la preuve qui lui incombe, de l’absence de cause de cet acte.

Il fait valoir que :

– l’acte a été clairement accepté par tous,

– M. [W] [M] a expressément consenti à cette cession,

– les diligences en vue de la cession ont été réalisées par et sous le contrôle d’un avocat qui a pu vérifier que la vente des parts était manifestement fondée sur une cause réelle, licite et librement consentie, liée à la nature familiale de la SCI,

– la cession est empreinte pour partie d’une intention libérale de M. [H] [M] dans un contexte où M.[W] [M] avait par ailleurs été favorisé par leur père, dans le cadre de la donation-partage d’une maison d’habitation évaluée à une somme de 400.000 euros, inférieure au prix du marché qu’il estime pouvoir être retenu à hauteur de 600.000 euros en 2011,

– la mésentente postérieure entre les deux frères n’est pas de nature à effacer cette intention du cédant, qui a présidée à la détermination du prix de cession.

Il considère que la valeur des parts sociales est distincte de celle de l’actif immobilier, et qu’elle doit être déterminée sur la base des comptes annuels des trois exercices précédant la cession.

Il relève que le résultat dégagé par la SCI pour l’exercice 2015 est très faible, compte tenu de la location du bien, moyennant un faible loyer, à une société LRDV détenue à 50,05 % par [W] [M] et dirigée par son fils, [S] [M], que l’actif immobilier de la SCI est sous valorisé, justifiant la valeur des parts retenue pour la cession.

A titre subsidiaire, il sollicite la comparution personnelle de M. [H] [M] qu’il estime manipulé par son fils [W] et sans intention de poursuivre la nullité de la cession.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 15 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION :

Selon l’article 1131 du code civil dans sa rédaction applicable au litige et antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, l’obligation sans cause, sur une fausse cause ou une cause illicite, ne peut produire effet.

Selon les termes de l’acte de cession du 18 avril 2016, les cent parts sociales détenues par M. [H] [M] dans la SCI Edloudy ont été évaluées à la somme de 10.000 euros.

Il résulte des pièces versées aux débats que la SCI Edloudy est propriétaire d’un bien immobilier constitué d’un local commercial de 150 m2 et de deux garages situés [Adresse 2] à Grenoble. Selon les déclarations fiscales des 1er mai 2017 et 25 avril 2018, elle a perçu des revenus de 11.000 euros en 2016 et 10.000 euros en 2017 au titre de loyers commerciaux, ainsi qu’en attestent les relevés de son compte bancaire.

M. [H] [M] produit une estimation de la valeur du local commercial au 6 décembre 2016 dans une fourchette de 310.000 à 330.000 euros et le bilan de la SCI Edloudy arrêté au 31 décembre 2015 fait état d’une valeur comptable de son actif corporel de 106.199 euros, ainsi que de capitaux propres de 27.258 euros.

Ces valeurs se retrouvent de manière cohérente dans les bilans des exercices 2012 à 2016.

Il est de principe que la valeur d’une SCI ne correspond pas à celle de l’immeuble qu’elle détient et que les parts d’une SCI sont des titres non cotés en bourse dont la valeur s’apprécie en tenant compte de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir une évaluation aussi proche que possible de celle qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande dans un marché réel.

S’agissant d’une SCI familiale dont l’objet est purement patrimonial, la méthode de valorisation mathématique est la plus adaptée.

Selon la société Cobiz Expert, expert comptable de la SCI Edloudy, la valeur unitaire de ses parts sociales était, au mois de décembre 2015, de 1155 euros en prenant en compte l’estimation basse du bien immobilier à 310.000 euros.

Les éléments pris en compte par l’expert comptable dans son évaluation, au titre du capital social, des réserves, du bénéfice et de la valeur comptable du bien sont corroborés par les états financiers de l’exercice clos au 31 décembre 2015, précédant la cession.

Il résulte de ces éléments que la valorisation à 100 euros l’unité des parts sociales dont la cession a été consentie, est dix fois inférieure à la valeur réelle estimée, même après application d’une décote de l’ordre de 10 % pour absence de liquidité, s’agissant d’un bien immobilier.

Un tel écart de valeur suffit à caractériser une absence de contrepartie réelle et sérieuse à la cession des parts sans qu’il soit nécessaire de procéder par voie d’expertise.

Pour justifier la validité de cette cession à un prix dérisoire, M. [E] [M] invoque l’intention libérale de son père et fait état d’avantages précédemment consentis à son frère [W] lors d’une donation partage du 28 juin 2011.

Selon les termes de l’acte notarié, M. [H] [M] et son épouse ont fait donation et partage à leurs deux enfants, [E] et [W] d’un bien immobilier évalué à 400.000 euros, M. [W] [M] se voyant attribuer le bien, à charge d’y loger M. [H] [M] gratuitement et sa vie durant, et M. [E] [M] une soulte de 200.000 euros.

Rien dans cet acte authentique, ni dans les pièces produites aux débats ne permet d’établir que le bien a été sous-évalué en 2011, le seul fait qu’il soit estimé à 723.000 euros près de dix ans plus tard, en novembre 2022, par le biais d’un site d’estimation en ligne n’étant pas de nature à le prouver.

En toute hypothèse, les conditions de cette donation partage sont inopérantes à rapporter la preuve d’une intention libérale ayant animé la cession des parts sociales de la SCI Edloudy en avril 2016.

Si au terme de ses délibérations du 18 avril 2016, l’assemblée générale extraordinaire des associés de la SCI Edloudy a décidé de modifier l’article de ses statuts décrivant la répartition des parts du capital social pour tenir compte de la cession envisagée des cent parts de M. [H] [M] au profit de M. [E] [M], elle ne s’est pas prononcée sur les conditions de cette cession, notamment son prix, et la modification des statuts en résultant est sans incidence sur la solution du litige entre les parties à l’acte de cession.

Il en résulte que le transfert de la propriété des parts sociales de M. [H] [M] se trouve privé de cause à défaut de contrepartie réelle et que la cession encourt la nullité.

Si dans une ” attestation ” datée du 7 août 2020, M. [H] [M] a indiqué vouloir : «définitivement arrêter les poursuites SCI Edloudy contre mon fils [E] [M]», il a, à deux reprises, les 6 mars 2019 et 12 novembre 2020 exprimé la volonté contraire de «récupérer» ses parts de la SCI Edloudy et de «maintenir la procédure» engagée contre [E] [M], confirmant ainsi les termes du mandat confié à son conseil, Me Barichard, le 11 décembre 2018.

L’expression réitérée de sa volonté et le mandat dont est présumé investi son conseil rendent sans objet la demande de comparution devant la cour qui la rejettera.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a débouté ce dernier de sa demande en nullité de la cession que la cour prononcera.

 


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