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MHD/PR
ARRÊT N° 388
N° RG 20/01095
N° Portalis DBV5-V-B7E-GAHI
[T]
[V]
C/
[R]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 09 JUIN 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 mai 2020 rendu par le Conseil de Prud’hommes de LA ROCHE SUR YON
APPELANTS :
Madame [J] [T]
née le 14 septembre 1963 à [Localité 7] (69)
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Monsieur [H] [V]
né le 07 mai 1961 à [Localité 8] (75)
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Ayant tous deux pour avocat plaidant Me François-Xavier GALLET de la SELARL GALLET & GOJOSSO AVOCATS, avocat au barreau de POITIERS
INTIMÉ :
Monsieur [S] [R]
né le 17 juin 1954 à [Localité 4] (59)
[Adresse 1]
[Localité 2]
Ayant pour avocat plaidant Me Sylvie ROIRAND de la SELARL BARREAU- ROIRAND, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
(bénéficie d’une aide juridictionnelle partielle numéro 2020/003586 du 07/12/2020 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de POITIERS)
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 16 mars 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Anne-Sophie DE BRIER, Conseiller
qui en ont délibéré
GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIERE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIERE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
A la suite de la liquidation judiciaire de la société RS Bati Piscines le 13 avril 2016 dont il était le gérant de 2013 à 2016, Monsieur [S] [R], ancien artisan, s’est inscrit sur divers sites internet de bricolage ‘ connus plus généralement sous l’appellation générique anglo – saxonne de ‘jobbing’ – qui constituent des plateformes spécialisées dans l’aménagement et la rénovation de l’habitat mettant en relation des particuliers avec d’autres particuliers qualifiés ou des professionnels pour des petits travaux de bricolage.
Dans le courant du mois de mai 2018, Madame [J] [T] et Monsieur [H] [V] ont pris attache avec lui par l’intermédiaire de l’un de ces sites dénommé ‘Frizbiz’ pour faire réaliser des travaux de peinture et de carrelage dans le cadre de la restauration de l’immeuble qu’ils venaient d’acquérir.
Ils ont accepté l’estimation à hauteur de 3 300 € qu’il avait faite du coût des travaux dans un document intitulé ‘devis’, mentionnant ‘ travailleur CESU’, ‘ dispense d’enregistrement au registre des métiers’ outre son numéro de sécurité sociale, et le montant des prestations chiffrées hors taxes.
En juillet 2018, Monsieur [R] a entrepris des travaux de rénovation du premier étage de l’immeuble des consorts [T] [V], selon ‘devis’ du 22 mai 2018 d’un montant de 12 400€.
A compter de décembre 2018, les relations entre Monsieur [R] et les consorts [T] [V] ont commencé à se dégrader.
S’en sont suivies entre eux diverses correspondances par lettres recommandées avec accusé de réception, à savoir :
* le 12 décembre 2018, Monsieur [R] a reproché à ses employeurs un certain nombre d’agissements et les a informés qu’il venait de s’apercevoir qu’ils ne l’avaient jamais déclaré auprès du CR- CESU depuis qu’il travaillait chez eux, qu’il se retrouvait ainsi privé de sa couverture sociale, de ses droits et assurances et qu’il quittait de ce fait le chantier tant que la régularisation ne serait pas effectuée,
* le 13 décembre 2018, les consorts [T] [V] ont sommé Monsieur [R] de revenir sur le chantier et ont annulé les travaux supplémentaires qu’ils lui avaient commandés tout en le menaçant de porter plainte pour escroquerie,
* le 14 décembre 2018, en réponse à la lettre par laquelle il leur avait déclaré quitter le chantier, ils lui ont indiqué que celui – ci prenait du retard et qu’ils attendaient des documents afin de le déclarer auprès du CESU,
* le 15 décembre 2018, Monsieur [R] leur a indiqué que la renonciation à plusieurs devis confirmait une rupture du contrat de travail à leur initiative et qu’ils lui devaient la somme de 620 €,
* le 17 décembre 2018, les consorts [T] [V] lui ont demandé notamment quelles étaient ses intentions.
Le 26 décembre 2018, Monsieur [R] a été placé en arrêt de travail.
Le 7 janvier 2019, les consorts [T] [V] l’ont convoqué à un entretien préalable à un licenciement fixé au 17 janvier 2019 lequel n’a pas pu se tenir en raison de leur refus de laisser pénétrer dans leur domicile la conseillère à laquelle Monsieur [R] avait demandé de l’assister.
Par lettre recommandée du 25 janvier suivant, Monsieur [R] a fait l’objet d’un licenciement pour faute grave caractérisée par un abandon de poste et pour des malfaçons.
Par requêtes des 26 février et 6 mars 2019 aux fins notamment d’obtenir la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrats de travail à durée indéterminée à temps plein, avec toutes les indemnités subséquentes outre la constatation d’un licenciement abusif avec toutes les indemnités subséquentes, Monsieur [R] a saisi le conseil des prud’hommes de la Roche Sur Yon lequel par jugement en date du 18 mai 2020 a notamment :
– dit que la prise d’acte du 14 juin 2019 produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– ordonné la requalification du contrat de travail de Monsieur [S] [R] à durée indéterminée à temps plein au 3 juillet 2018,
– ordonné :
° la délivrance des bulletins de paie rectifiés de juillet à décembre 2018 sous astreinte provisoire de 50 € par jour de retard à compter du huitième jour suivant la notification du jugement, le conseil se réservant le droit de liquider ladite astreinte,
° la délivrance d’une attestation pôle emploi rectifiée sous astreinte provisoire de 50€ par jour de retard à compter du huitième jour suivant la notification du jugement, le conseil se réservant le droit de liquider ladite astreinte,
– condamné in solidum Monsieur [H] [V] et Madame [J] [T] à payer à Monsieur [S] [R] les sommes suivantes :
° 5028,52€ nets de rappels de salaires,
° 550€ nets d’heures supplémentaires,
° 10’000€ nets de dommages intérêts pour exécution fautive,
° 20’799,60€ nets de dommages et intérêts pour travail dissimulé,
° 3466,60€ nets de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
° 1500€ nets au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit que les créances allouées produiront intérêts au taux légal à compter du dépôt de la demande,
– prononcé l’exécution provisoire des sommes de nature salariale assortie des intérêts légaux à la date de prononciation du présent jugement,
– débouté Monsieur [R] de ses demandes subsidiaires de rappels de salaires pour un montant de 10’280€ nets et d’indemnité de requalification de contrat à durée déterminée pour un montant de 5130€ nets,
– débouté Monsieur [H] [V] et Madame [J] [T] de l’ensemble de leurs demandes reconventionnelles,
– condamné in solidum Monsieur [H] [V] et Madame [J] [T] aux entiers dépens, étant précisé qu’ils supporteront les frais en cas d’exécution forcée par voie d’ huissier.
Par déclaration du 15 juin 2020, Monsieur [V] et Madame [T] ont interjeté appel de tous les chefs de la décision attaquée.
Monsieur [R] a formé un appel incident limité.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Par conclusions en date du 17 novembre 2020, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, Monsieur [V] et Madame [T] demandent à la cour de :
– infirmer la décision attaqué,
– à titre principal,
– dire et juger que Monsieur [R] a organisé son activité professionnelle de façon frauduleuse pour éluder ses obligations professionnelles, que la fraude corrompant tout il ne peut réclamer de sommes au titre de règles de droit appliquées à tort pour détourner ses propres obligations,
° qu’il s’est lui-même placé en situation de travail dissimulé, qu’il sera donc débouté de ses demandes et condamné à restituer sous astreinte de 50 € par jour à compter du 15 ème jour suivant la signification de l’arrêt les sommes versées au titre de l’exécution provisoire de droit,
– à titre subsidiaire,
– dire et juger
° que le licenciement de Monsieur [R] repose bien sur une faute grave,
° qu’il n’y a lieu à requalification en contrat de travail à durée indéterminée et à temps complet,
° que Monsieur [R] n’apporte pas d’éléments plausibles au soutien de ses demandes,
° qu’il est démontré qu’ils lui ont versé les sommes qu’il demandait en rémunération de son travail,
° qu’il sera donc débouté de ses demandes et condamné à restituer sous astreinte de 50 € par jour à compter du 15 ème jour suivant la signification de l’arrêt les sommes versées au titre de l’exécution provisoire de droit,
° qu’il n’y a pas eu d’exécution fautive du contrat de travail par les employeurs,
° qu’il n’y a pas eu de travail dissimulé,
– débouter Monsieur [R] de l’intégralité ses demandes,
– en tout état de cause,
– le condamner à leur payer la somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Monsieur [R] aux entiers dépens.
Par conclusions en date du 14 janvier 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, Monsieur [R] demande à la cour de :
– dire l’appel des consorts [V] – [T] mal fondé,
– dire son appel incident recevable et bien fondé,
– confirmer le jugement attaqué :
° en ce qu’il lui a alloué les sommes de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat et de 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
° en ce qu’il a ordonné la délivrance de bulletins de paie de juillet et novembre 2018 rectifiés, et des bulletins de paie manquants de mai juin et décembre 2018, ainsi que la délivrance de l’attestation Pôle Emploi rectifiée, le tout sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter du huitième jour suivant la notification du jugement,
– réformer pour le surplus.
° ordonner la requalification du premier contrat de travail en contrat à durée indéterminée,
° condamner in solidum Monsieur [H] [V] et Madame [J] [T] à lui verser à titre de :
¿ rappel de salaire : 17 486,40 €n
¿ rappel d’heures supplémentaires : 900,00 €n
– Subsidiairement :
¿ rappel de salaire : 10 280,00 €n
– en toute hypothèse
¿ indemnité de requalification du contrat de travail à durée déterminée : 5 130,00 €n
¿ dommages et intérêts pour travail dissimulé : 30 780,00 €n
¿ dommages et intérêts pour licenciement abusif : 5 130,00 €n
– dire que les créances allouées produiront intérêt au taux légal à compter du dépôt de la demande avec capitalisation des intérêts en application de l’article 1154 du code civil ,
– condamner in solidum Monsieur [H] [V] et Madame [J] [T] à lui verser une somme de 2 500 € au titre de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle.
– condamner in solidum Monsieur [H] [V] et Madame [J] [T] aux entiers dépens.
***
L’ordonnance de clôture a été prononcée par le conseiller de la mise en état le 16 février 2022.
SUR QUOI,
I – SUR LA FRAUDE :
L’emploi entre particuliers est la relation de travail unissant un particulier – employeur et le salarié qu’il emploie à son domicile.
Il appartient à l’employeur de recruter et d’employer directement à son domicile ledit salarié, de le rémunérer et de le déclarer à l’organisme social compétent, à savoir l’Urssaf service Cesu.
Il en résulte donc qu’il incombe à l’employeur de vérifier si le salarié dont il veut s’attacher les services relèvent effectivement de la législation applicable aux CESU et non au salarié de renseigner ou de conseiller son employeur sur les démarches préalables à son embauche à accomplir.
***
En l’espèce, au soutien de leur démonstration des fraudes commises par Monsieur [R] conduisant à l’application du principe ‘nul ne peut invoquer sa propre turpitude’ et du prononcé du débouté qui doit en résulter, les consorts [V] [T] soutiennent :
– que Monsieur [R] se comportait comme un artisan ou comme un auto-entrepreneur non déclaré, fraudant l’Urssaf et la TVA au travers d’un statut de ‘ jobber’ non approprié,
– que les 3 éléments constitutifs de la fraude sont réunis, à savoir :
1 – l’existence d’une règle obligatoire qui impose d’exercer son activité professionnelle sous le statut légal qui correspond à la réalité de son activité,
2 – l’intention d’éluder cette règle, en se présentant comme une personne rendant de menus services entre particuliers, et non pas comme un professionnel pour effectuer des travaux importants,
3 – l’emploi à cette fin de moyens adéquats, à savoir l’inscription sur des sites de mise en contact de personnes pour développer une clientèle en dehors des moyens classiques (annuaires, locaux professionnels, inscription auprès des organismes professionnels, ‘) pour parvenir à ses fins.
Ils invoquent l’ancien statut d’artisan de Monsieur [R], sa connaissance de la signification du mot devis, la privation des garanties d’assurance inhérentes à un contrat d’entreprise, l’inéligibilité des travaux au CESU et la fraude à l’URSSAF et à la TVA.
Ils versent des extraits des sites ‘needhelp’, ‘servicemalin.com’ et ‘Frizbiz’sur lesquels figure Monsieur [R].
En réponse, Monsieur [R] s’en défend en expliquant :
– que le fait qu’il soit un ancien artisan, gérant de la société RS Bati Piscine liquidée en 2016 par jugement du tribunal de commerce ne change strictement rien à la situation juridique entre les parties,
– qu’il ignorait que le recours au CESU ne serait pas possible,
– que si le terme impropre de ‘devis’ est utilisé sur les plateformes par les sites eux – mêmes et tous leurs utilisateurs, il est très clairement indiqué que le statut juridique applicable est soit le salariat si le jobber est un particulier (90% des cas), soit un contrat d’entreprise si le jobber est un professionnel,
– que c’est d’ailleurs pour ne pas être assimulé à un professionnel qu’il précise – lui-même – sur le document remis qu’il est travailleur CESU et mentionne son numéro de sécurité sociale,
– que ce sont les consorts [T] [V] qui lui ont demandé de procéder à la rédaction d’un devis pour présenter leur dossier de financement conformément aux prescriptions du financeur, que pour ce faire, il a utilisé une application gratuite comme modèle, en ajoutant les mentions renvoyant au contrat CESU,
– que les employeurs ont pris de façon éclairée le risque de ne pas avoir la garantie d’une assurance, qu’ils en ont été alertés par les sites de jobbing qui leur proposent de pallier ce risque par des assurances, avec lesquelles ils ont noué des partenariats et que plus particulièrement le site Frizbiz est en lien avec AXA.
***
Cela étant, il est inopérant pour les consorts [T] [V] de venir reprocher à Monsieur [R] de ne pas les avoir informés qu’il ne pouvait pas être rémunéré par CESU pour la réalisation des travaux chez eux, de les avoir volontairement induits en erreur en mentionnant sur l’estimation écrite et chiffrée qu’il leur avait remise la référence au CESU ou encore d’être fréquemment habillé sur les chantiers avec les vêtements de travail siglés ‘ RS BatiPiscines’ du nom de son ancienne société dès lors qu’en qualité de particuliers – employeurs, il leur appartenait de faire toutes diligences utiles pour le déclarer auprès de l’URSSAF.
Contrairement à ce qu’ils prétendent, sa qualité d’ancien artisan ou de gérant de société ayant pour objet des travaux en lien avec le bâtiment ne peut pas faire peser sur lui une obligation d’information ou de conseil à leur égard.
En tout état de cause, aucune confusion et aucune ambiguité ne pouvaient exister sur ce point dès lors que même le site Frizbiz dispensait toutes les informations utiles sur les démarches à accomplir auprès de l’URSSAF – service CESU.
En effet, et ce point n’est pas contesté par les consorts [T] [V], la plate – forme internet indique de façon très claire dans les extraits qui figurent en pièce 6 du dossier de Monsieur [R] :
* que d’une part :
° si le jobber est un professionnel, un badge orange apparait sur son profil signifiant que la prestation est réalisée par un professionnel indépendant qui émet une facture et que les particuliers qui font appel à lui sont des clients,
° si le jobber est un particulier, ceux qui le recrutent s’engagent à le déclarer et sont informés qu’ils deviennent dans ce cas des ‘ particuliers employeurs’,
* que d’autre part les utilisateurs employeurs peuvent vérifier à partir d’un lien qui leur est donné par le site lui – même et qui renvoie vers le site CESU/URSSAF que les tâches demandées sont éligibles au CESU,
* qu’en tout état de cause, seuls les travaux de petit bricolage de moins de deux heures, pour un salaire de moins de 500 euros par an, entrent dans le champ des emplois de service à la personne relevant du CESU et ouvrent droit aux réductions d’impôts, qu’hormis ce cas, la déclaration est à faire à l’URSSAF dans le cadre d’un statut d’employeur particulier occasionnel.
De même, il n’est pas davantage contesté que le site :
– renvoie à la FEPEM, Fédération des particuliers employeurs, pour une aide gratuite facilitant les démarches,
– fait figurer le lien du site du CESU dont la lecture fournit les mêmes explications que Frizbiz et qui précise très clairement que les travaux de rénovation ne sont pas éligibles au CESU,
– alerte les utilisateurs de l’absence de toute assurance contractée par le salarié intervenant et qui leur propose de contracter une assurance auprès d’AXA pour se prémunir de tout risque,
– prévient très clairement les utilisateurs que le recrutement d’un jobber non déclaré est illégal.
Les extraits des sites ‘needhelp’, ‘servicemalin.com’ qu’ils versent pour étayer leurs explications sont totalement inopérants pour établir que précisément sur le site Frizbiz, Monsieur [R] se présentait comme un professionnel n’ayant pas à être déclaré auprès de l’URSSAF.
En tout état de cause, leurs explications sont contradictoires dans la mesure où tout en se plaignant que Monsieur [R] se présentait indûment comme un travailleur CESU, ils lui reprochent ensuite de se prévaloir de sa qualité de professionnel disposant d’une ‘ garantie décennale’ alors qu’il n’en avait pas.
En conséquence, compte – tenu de l’ensemble de ces éléments, à défaut de tout autre élément contraire, les consorts [T] [V] échouent à rapporter la preuve de la fraude commise par Monsieur [R].
Ils doivent être déboutés de toute prétention formée de ce chef.
II – SUR L’EXECUTION DU CONTRAT DE TRAVAIL :
A – Sur la convention collective nationale des particuliers employeurs et de l’emploi à domicile :
L’article L 7221 du code du travail prévoit que le statut du particulier employeur est réservé aux besoins de la vie personnelle dudit particulier à l’exclusion de tout objectif à but lucratif.
L’article 1er de la convention collective applicable en l’espèce reprend cette disposition et précise de plus que ladite convention ne s’applique qu’aux activités caractérisées par les conditions cumulatives suivantes :
– une relation contractuelle de travail entre deux personnes physiques ne revêtant pas, dans le cadre de cette relation de travail, la qualité d’entreprise commerciale ou civile, d’entrepreneur, de commerçant, d’artisan ou de profession libérale, à savoir :
° un particulier employeur d’une part ;
° et un salarié d’autre part ;
– une prestation de travail dont l’objet consiste à satisfaire des besoins relevant exclusivement de la vie personnelle du particulier employeur ;
– une finalité de la relation de travail dépourvue pour le particulier employeur, de but lucratif subséquent à la prestation de travail dont l’objet est décrit plus haut ;
– un ou plusieurs lieux spécifiques d’exercice du travail qui peuvent être :
° le domicile privé du particulier employeur, au sens du code pénal,
° ou à proximité de celui-ci,
° ou tout autre lieu où il réside.
En l’espèce, les consorts [T] [V] ne contestent pas que les travaux qu’ils avaient demandés avaient pour but de remettre en état leur immeuble afin d’y créer des chambres d’hôtes et d’accueillir les enfants qui leur étaient confiés par le département de la Vendée.
Il en résulte donc que les travaux litigieux avait un but lucratif subséquent.
De ce fait, contrairement à ce qu’ils soutiennent, la convention collective nationale des particuliers employeurs qu’ils invoquent ne peut pas s’appliquer en l’espèce dans la mesure où une des conditions cumulatives prévue à l’article précité fait défaut.
En conséquence, seules les dispositions du code du travail sont applicables.
B – Sur la requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée :
Pour qu’il y ait requalification du contrat de travail à compter du 10 mai 2018, encore faut – il qu’un contrat de travail ait existé à compter de cette date.
En l’espèce, Monsieur [R] prétend :
– que du 10 mai au 15 juin 2015, il a réalisé au profit des consorts [T] [V] les travaux de carrelage et de peinture de la cuisine,
– qu’il a travaillé durant cette période 181, 5 heures pour une rémunération de 3300 € nets.
Les consorts [T] [V] s’y opposent en soutenant :
– que Monsieur [R] n’a exécuté aucune tâche durant la période du 10 mai au 15 juin 2018 et n’a perçu aucune rémunération de ce chef,
– que la société Frizbiz a d’ailleurs remboursé la facture,
– que de surcroît, Monsieur [R] a effectué durant cette période des travaux pour d’autres particuliers, à savoir :
° pose d’une terrasse de 46 à 50 m 2 à faire avant le 15 septembre 2018,
° pose d’une cuisine de 12 m 2 avant le 15 décembre 2018,
° pose d’une terrasse de 36 à 40 m 2 sur sol instable avant le 15 mai 2018
° pose de 40m2 de terrasse août 2018 via le site Frizbiz
° pose carrelage salle de bain juillet 2018 via le site Needhelp.
Cela étant, les éléments que Monsieur [R] verse, soit :
– les échanges de SMS intervenus entre Monsieur [V] et lui, à savoir :
° celui du 9 mai 2018 par lequel Monsieur [V] lui demande à quelle heure il ‘souhaite arriver demain matin’ (sic),
° ceux des 29 mai,1 er , 7 et 11 juin 2018 par lesquels Monsieur [V] donne des consignes à Monsieur [R] d’utilisation de matériaux et d’outils et la réponse qu’y apporte celui – ci, la demande par ailleurs émise par ce dernier de ‘prendre une journée’ car son fils vient d’arriver à l’improviste et la réponse positive qu’y apporte son employeur,
° le 5 juillet 2018 par lequel Monsieur [V] écrit à Monsieur [R]: ‘ Bonjour [S]. Nous sommes de retour pour une nouvelle aventure’,
– le commentaire positif déposé en juin 2018 sur le site par Monsieur [V] ainsi rédigé : ‘ [S], disponible et serviable. Merci pour la réalisation de ce travail. Nous recommandons sans hésitation’,
– le courrier des employeurs du 14 décembre 2018 dans lequel ils lui indiquent : ‘ Vous intervenez depuis le 9 mai 2018 pour divers travaux’,
établissent que contrairement à ce que les appelants prétendent et en dépit du remboursement de la prestation litigieuse effectué par Frizbiz, il a effectué des travaux litigieux à leur profit du 10 mai au 15 juin 2018 ; peu important leur date d’achèvement.
En conséquence, l’existence d’un contrat de travail est établie à compter du 10 mai 2018.
***
En application de la combinaison des articles L 1245-1 et L 1242-12 alinéa 1 du code du travail, à défaut, d’avoir été établi par écrit et de comporter la définition de son motif, le contrat de travail à durée déterminée est réputé conclu pour une durée indéterminée.
En l’espèce, Monsieur [R] sollicite en application de l’article L 1242-12 du code du travail la requalification du contrat de travail à durée déterminée qui a commencé à s’exécuter à compter du 10 mai 2018 en contrat de travail à durée indéterminée dans la mesure où celui – ci n’a pas fait l’objet d’un contrat écrit.
Les consorts [T] [V] s’y opposent en soutenant que les pièces constituées notamment par les échanges entre les parties démontrent si besoin était, que l’intention des parties n’a jamais été d’instaurer une relation de contrat de travail à durée indéterminée.
Cependant, en application des principes sus – énoncés, dès lors qu’aucun contrat de travail à durée déterminée n’a été conclu entre les parties, il convient de requalifier le contrat de travail à durée déterminée du 10 mai 2018 en contrat de travail à durée indéterminée à compter de cette date.
C – Sur la requalification du contrat en contrat à temps complet :
La non-conformité du contrat de travail à temps partiel ou de ses avenants, constituée notamment par l’absence de travail écrit, peut entraîner sa requalification en temps complet.
Si tel est le cas, la durée contractuelle du temps de travail est alors portée au niveau de la durée légale.
Cependant, cette requalification constitue seulement une présomption simple de temps complet et l’employeur peut donc apporter la preuve de la réalité du travail à temps partiel en établissant l’existence de deux conditions cumulatives :
– d’une part, la durée exacte de travail, mensuelle ou hebdomadaire, convenue et sa répartition sur la semaine ou sur le mois,
– d’autre part, le fait que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à sa disposition.
En l’espèce, Monsieur [R] soutient qu’il est resté à la disposition des employeurs pendant toute la durée d’exécution des contrats comme en témoignent les relevés des heures de travail qu’il a notés au jour le jour sur le carnet qu’il verse aux débats.
En réponse, les consorts [T] [V] prétendent :
– que Monsieur [R] ne peut sérieusement prétendre avoir été employé à temps complet, au regard de la consultation des sites Internet sur lesquels il propose ses services et qui établissent qu’il réalisait dans le même temps des prestations pour d’autres clients,
– que les attestations qu’ils versent d’une entreprise qui est intervenue chez eux en même temps que Monsieur [R] outre celles d’amis et de membres de leur famille établissent qu’il était absent du chantier alors même qu’il prétend le contraire et que les horaires qu’il dit avoir faits comportent des erreurs importantes,
– qu’il gérait lui-même son temps de travail, s’absentait régulièrement sans prévenir nécessairement de la date de son retour et que de ce fait, il était loin d’être à leur disposition permanente.
Cela étant, il résulte des pièces versées par les parties que si les employeurs rapportent des éléments permettant d’établir que le salarié pouvait s’absenter de son propre chef du chantier, ils restent dans l’impossibilité d’établir la durée exacte de son travail, mensuelle ou hebdomadaire, convenue et sa répartition sur la semaine ou sur le mois.
En conséquence, sans qu’il soit nécessaire d’aller plus avant dans l’étude des heures de travail du salarié, la seule absence d’une des deux conditions cumulatives sus énoncées, conduit à la requalification du contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet.
D – Sur les conséquences de la requalification :
1 – Sur l’indemnité de requalification :
Aux termes de l’article L. 1245-2, alinéa 2, du code du travail, lorsqu’elle fait droit à la demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la juridiction saisie doit, au besoin d’office, condamner l’employeur à payer au salarié une indemnité de requalification qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.
L’indemnité de requalification ne peut être inférieure au dernier salaire mensuel perçu avant la saisine de la juridiction.
Lorsque le juge requalifie une succession de contrats de travail à durée déterminée conclus avec le même salarié en contrat à durée indéterminée, il ne doit accorder qu’une seule indemnité de requalification dont le montant ne peut être inférieur à un mois de salaire.
Le droit à indemnité de requalification naît dès la conclusion du contrat de travail à durée déterminée en méconnaissance des exigences légales.
En l’espèce, compte – tenu de l’ ancienneté de Monsieur [R] et de son salaire, les consorts [T] [V] doivent être condamnés in solidum à lui verser une somme de 3 033, 40€ qui en raison de son caractère indemnitaire est exempte de toutes charges sociales.
2 – Sur les rappels de salaires :
En liminaire, contrairement à ce que Monsieur [R] soutient, c’est lui – même qui par SMS du 19 décembre 2018 a indiqué aux appelants : ‘ Comme je vous l’ai dit, je suis qualifié homme toutes mains au tarif de 20 € de l’heure net’.
En conséquence, le salaire mensuel est d’un montant de 3 033, 40€ nets (20 € x 151,67).
De ce fait, le rappel des salaires sur les périodes considérées se calcule comme suit :
° 1er contrat du 10 mai au 15 juin 2018, à savoir 1 mois et 5 jours :
– 3033, 40€ + ( 3033, 40€ x 5/30 ) = 3538,96 €
° 2 ème contrat du 9 juillet au 26 décembre 2018, à savoir 5 mois et 17 jours :
– 3033, 40€ x5 + 3033, 40€ x17/30 = 16 885,92 €
Total 20 424,88 €
Moins les salaires versés : 17 500,00 €
Reste : 2 924,88 €
Il convient de condamner in solidum les appelants à lui verser cette somme, nette de charges sociales.
Le jugement doit être réformé de ce chef.
E – Sur les rappels de salaires au titre d’heures supplémentaires :
Toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou le cas échéant à un repos compensateur équivalent.
Sont des heures supplémentaires celles effectuées à la demande de l’employeur, ou à tout le moins avec son accord implicite, au-delà de la durée légale de travail telle qu’elle résulte de l’article L. 3121-27 du code du travail.
En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, en vertu de l’article L. 3171-4 du code du travail, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires.
En l’espèce, Monsieur [R] soutient qu’il a accompli des heures supplémentaires et veut établir leur réalité par le carnet qu’il verse aux débats.
Effectivement, cette pièce dont il a extrait un tableau contient des éléments suffisamment précis permettant aux employeurs de se défendre et de s’expliquer en reprenant l’argumentation qu’ils ont développée précédement tenant aux absences fréquentes du chantier de Monsieur [R] et aux incohérences que révélaient les décomptes des heures figurant sur le carnet qu’il verse aux débats.
Cela étant, comme cela est démontré pertinemment par les appelants qui ont repris mois par mois durant toutes les périodes de travail revendiquées par Monsieur [R], de très nombreuses incohérences affectent le tableau des heures que ce dernier prétend avoir réalisées dans la mesure :
– où les quelques quinze attestations qu’ils produisent tant de proches que d’artisans intervenant sur le chantier établissent soit que Monsieur [R] ne travaillait pas les jours où il prétend qu’il travaillait, soit que la durée de son travail était inférieure à celle qu’il revendique,
– où la géolocalisation à quinze reprises des téléphones des employeurs démontrent encore que Monsieur [R] ne pouvait pas être à leur domicile en train de travailler dès lors qu’ils en étaient absents, qu’il n’en avait pas la clé et que de ce fait, il ne pouvait pas travailler et encore moins réaliser des heures supplémentaires,
– où de même, il a lui – même noté comme jours de travail certaines dates sur son carnet alors qu’il avait envoyé pour ces jours là des messages à son employeur pour les prévenir qu’il ne viendrait pas travailler.
Enfin, l’étude de la pièce 44 du dossier des appelants établit qu’il a effectué d’autres missions pour d’autres particuliers en septembre et décembre 2018 dans le cadre de les plateformes Frizbiz et Needhelp sur lesquelles il était également inscrit ; missions réduisant d’autant son temps d’intervention chez les appelants et empêchant la réalisation d’heures supplémentaires.
En conséquence, compte – tenu de l’ensemble de ces incohérences et de ces contradictions sur toutes les périodes concernées qui viennent anéantir tous les calculs d’heures supplémentaires effectués par Monsieur [R] et qui établissent qu’il était dans l’impossibilité d’effectuer des heures supplémentaires compte tenu des nombreux engagements qu’il avait contractés par ailleurs avec d’autres particuliers et de ses obligations familiales, il convient de le débouter de l’intégralité de ses demandes formées de ce chef.
Le jugement attaqué doit être infirmé de ce chef.
F – Sur l’exécution fautive du contrat de travail :
En application des dispositions des articles :
– L 1222-1 du code du travail selon lequel “Le contrat de travail est exécuté de bonne foi ” .
– 9 du code de procédure civile selon lequel “Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention,”
il appartient au salarié qui prétend que l’employeur a exécuté de façon déloyale le contrat de travail d’établir l’existence d’un fait générateur de responsabilité, du préjudice en découlant et d’un lien de causalité entre le préjudice et la faute.
En l’espèce, Monsieur [R] soutient qu’il a été indubitablement victime d’une exécution fautive de son contrat de travail dans la mesure où d’une part, il n’a pas perçu les salaires qu’il aurait dû percevoir et où d’autre part , ses indemnités journalières n’ont été évaluées qu’à hauteur de 19€ par jour au lieu de 86€, puisque la CPAM les a calculées sur la base des bulletins de paie de juillet à novembre 2018 sur lesquels figurent un temps de travail fantaisiste.
Il en déduit que le préjudice subi est d’autant plus grave qu’il n’a plus de couverture sociale depuis le 27 juin 2019 et que sa situation n’est plus régularisable.
En réponse, les consorts [T] [V] expliquent qu’ils ont toujours voulu déclarer l’activité de Monsieur [R] mais que ce dernier ne voulait pas avoir recours au CESU.
Cependant, ils ne rapportent aucun élément à l’appui de leurs allégations, et ils échouent – comme établi ci-dessus – à démontrer la fraude dont Monsieur [R] se serait rendu coupable.
L’exécution fautive du contrat de travail par l’employeur est ainsi établie.
Si le préjudice de Monsieur [R] existe, il n’en demeure pas moins que les consorts [T] [V] n’en sont pas les seuls responsables dans la mesure où il a été établi ci – dessus qu’il a travaillé durant les mêmes périodes pour d’autres particuliers qui auraient pu également le déclarer.
En conséquence, au vu de l’ensemble de ces éléments, il convient de condamner les consorts [T] [V] à verser à Monsieur [R] une somme de 2000€ à titre de dommages intérêts pour exécution fautive du contrat de travail.
Il convient d’infirmer le jugement attaqué de ce chef.
G – Sur l’indemnité de travail dissimulé :
En application des articles :
* L 8221-1 alinéa 3 du code du travail Sont interdits :….
3° Le fait de recourir sciemment, directement ou par personne interposée, aux services de celui qui exerce un travail dissimulé.le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l’article L 8221-3 du même code relatif à la dissimulation d’activité ou exercé dans les conditions de l’article L 8221-5 du même code relatif à la dissimulation d’emploi salarié.
* L 8221-5 alinéa 2 du même code, pris dans sa rédaction applicable au présent litige :
Est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
….
2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
Il en résulte que la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.
En l’espèce, il a été établi ci – dessus que c’est intentionnellement que les consorts [T] [V] n’ont pas déclaré l’activité salariée de Monsieur [R] sur la période du 10 mai au 15 juin 2018 dans la mesure où il a été démontré ci- dessus que celui-ci a travaillé durant tout ce laps de temps pour leur compte contrairement à ce qu’ils affirment.
Par ailleurs, il doit être relevé que ce n’est que contraints et forcés qu’en décembre 2018, à la suite du courrier de Monsieur [R] du 12 décembre 2018 leur reprochant de ne pas l’avoir déclaré, qu’ils ont fini par régulariser sa situation avec les services du CESU pour la période de juillet à décembre 2018 alors qu’ils ont toujours reconnu qu’en juillet 2018, ils avaient commencé les démarches auprès des services du CESU pour procéder à la déclaration litigieuse mais qu’ils les avaient alors laissées inachevées quand ils s’étaient aperçus que Monsieur [R] ne pouvait pas s’inscrire dans ce système.
Soutenir pour eux pour s’exonérer de toute responsabilité que c’est Monsieur [R] qui se rend coupable de travail dissimulé en ayant une activité professionnelle indépendante qui requiert son immatriculation obligatoire au registre des métiers et en refusant toute inscription auprès des organismes sociaux est inopérant dans la mesure où il ne faut pas renverser les obligations qui incombent à chacune des parties et où il faut garder à l’esprit que c’est à l’employeur qu’il incombe d’effectuer auprès des services compétents la déclaration de l’ activité du salarié et où il lui appartient en tant qu’employeur de tirer toutes les conséquences du refus du salarié d’être affilié, notamment en renonçant à l’employer.
Enfin, les heures et le taux horaire mentionnés par les services CESU sur les bulletins de salaire délivrés à Monsieur [R] – à compter de janvier 2019 pour la période de juillet à décembre 2018 – ne correspondent pas à la réalité dans la mesure où comme l’a relevé le premier juge, le nombre d’heures portés sur lesdits bulletins a été établi en fonction du montant des devis de travaux fournis par l’intimé rapportés à un tarif horaire de 30€ nets.
La volonté de frauder par dissimulation d’emploi salariée est établie.
En conséquence, les consorts [T] [V] doivent être condamnés in solidum à verser à Monsieur [R] une somme de 20 799, 60€ au titre de l’indemnité pour travail dissimulé.
Le jugement attaqué doit donc être confirmé de ce chef.
III – SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL :
En liminaire, il convient d’infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a dit que la prise d’acte du 14 juin 2019 produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse dès lors qu’il a été statué ultra petita par le premier juge.
A – Sur le bien fondé du licenciement :
La lettre de licenciement, notifiée en recommandé avec accusé de réception le 23 janvier 2019 à Monsieur [R] et qui fixe les limites du litige énoncent des motifs de licenciement mixtes.
En l’espèce, d’une part, le licenciement est de nature disciplinaire en ce qu’il prétend sanctionner une faute, à savoir l’abandon de chantier depuis le 12 décembre 2018 précédent.
D’autre part, il est motivé par une insuffisance professionnelle caractérisée par les malfaçons entachant la réalisation des travaux, ce qui ressortit de la mauvaise exécution contractuelle.
L’employeur, à condition de respecter les règles applicables à chaque cause de licenciement, peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié, dès lors qu’ils procèdent de faits distincts.
1 – Sur la faute grave :
La preuve de la faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire et qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, incombe à l’employeur, conformément aux dispositions des articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile.
Si elle ne retient pas la faute grave, il appartient à la juridiction saisie d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l’employeur, conformément aux dispositions de l’article L. 1232-1 du code du travail.
En l’espèce, la lettre de licenciement du 25 janvier 2019 est ainsi rédigée :
‘…Nous avons du nous absenter du 4 au 24 octobre 2018.
A notre retour, nous avons constaté que le chantier n’avait pas avancé comme cela était prévu. A partir de novembre 2018, vous êtes beaucoup moins venu sur le chantier…. Nous avons discuté avec vous. ..
Pour autant, à partir du 12 décembre, vous ne vous êtes plus présenté sur le chantier. Nous avons échangé divers courriers qui formalisaient un désaccord entre nous ainsi que votre abandon de chantier.
Votre absence injustifiée est constitutive d’une faute grave..’
En réponse, Monsieur [R] prétend qu’il a quitté le chantier le 12 décembre 2018 en fin de matinée, notamment après avoir découvert que son employeur ne l’avait jamais déclaré auprès du CR- CESU et que de ce fait, il ne disposait d’aucun avantage social, notamment une couverture sociale.
Il verse le courrier qu’il a envoyé à son employeur le 12 décembre 2018 lui exposant sa situation.
Cela étant, les consorts [T] [V] ne contestent pas que durant plusieurs mois – de juillet à décembre 2018 – Monsieur [R] ne bénéficiait d’aucune garantie sociale dans la mesure où ils n’avaient pas procédé à sa déclaration auprès de l’URSSAF, service des CESU.
Les justifications qu’ils en donnent selon lesquelles il se comportait comme un auto entrepreneur, qu’il exerçait une activité d’artisan de bâtiment, qu’il savait pertinemment qu’il effectuait des travaux non éligibles au CESU et encore qu’ils avaient créé leur compte CESU le 24 juillet 2018 importent peu dès lors qu’ils avaient l’obligation de déclarer l’activité de leur salarié et qu’ils n’y ont finalement procédé qu’à compter de la fin de l’année 2018, lorsque celui – ci leur a écrit pour leur indiquer qu’il exerçait son droit de retrait faute de déclaration régulière de son activité salariée.
En conséquence, la matérialité fautive du premier grief qu’ils invoquent à l’encontre de Monsieur [R] n’existe pas ; l’abandon de chantier qu’ils lui reprochent constitue en réalité l’exercice de son droit de retrait.
2 – Sur l’insuffisance professionnelle :
L’insuffisance professionnelle se définit comme l’incapacité objective et durable d’un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification.
Elle se caractérise par une mauvaise qualité du travail due soit à une incompétence professionnelle, soit à une inadaptation à l’emploi.
Elle doit être distinguée de la faute professionnelle justifiant un licenciement disciplinaire.
Pour caractériser une cause de licenciement, l’insuffisance professionnelle alléguée par l’employeur doit reposer sur des éléments concrets et avoir des répercussions négatives sur la bonne marche de l’entreprise.
En cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles; si un doute subsiste, il profite au salarié.
En l’espèce, la lettre de licenciement du 25 janvier 2019 est ainsi rédigée sur ce chef :
‘…A notre retour, nous avons constaté que le chantier n’avait pas avancé comme cela était prévu. A partir de novembre 2018, vous êtes beaucoup moins venu sur le chantier et nous avons constaté des retards et des malfaçons. Nous avons discuté avec vous. Nous étions inquiets car le chantier était pratiquement réglé alors qu’il reste beaucoup de travail à terminer ou à refaire en raison des malfaçons. Je vous ai établi une liste des travaux à terminer ou refaire, que vous m’avez retournée, complétée et confirmée le 11 décembre 2018…Nous avons fait constater par huissier l’état du chantier et avons sollicité divers artisans afin de chiffrer les travaux à refaire ou à terminer.. .. En outre, les malfaçons entachant la réalisation de vos travaux sont constitutives d’insuffisance professionnelle. L’ensemble de vos préjudices nous créent un préjudice conséquent…’
A l’appui de ce grief, les consorts [T] [V] versent un procès verbal de constat établi par huissier de justice et des devis pour des travaux restant à effectuer et/ou à refaire.
En réponse, Monsieur [R] s’en défend en soutenant que lorsqu’il a quitté le chantier, les travaux n’étaient pas terminés mais n’étaient pas affectés de malfaçons.
Il ajoute que les employeurs venaient d’ajouter de nombreux travaux selon une demande qu’ils avaient formalisée le 26 novembre, quelques jours avant l’apparition du conflit et en conclut que cela décrédibilise totalement leurs propos.
Cela étant, il résulte de l’échange des courriers entre les parties intervenu les 12, 13 et 14 décembre 2018 que les consorts [T] [V] se sont bornés à ce moment – là à reprocher à Monsieur [R] le retard pris par le chantier et ne lui ont jamais reproché une quelconque malfaçon.
Or d’une part, ils ne produisent aucun élément permettant d’imputer à Monsieur [R] lesdits retards.
D’autre part, le procès – verbal de constat dressé par Maître [F], huissier de justice à [Localité 6] ne fait état essentiellement que de travaux non achevés.
Les seules non-conformités qu’il relève sont afférentes à un mauvais positionnement des gaines de la VMC et à un défaut dans le découpage des plaques de placo – plâtre.
Cependant, ces quelques malfaçons ne peuvent être constitutives d’une faute dès lors que leur caractère volontaire n’est pas établi.
Elles ne peuvent pas non plus caractériser une insuffisance professionnelle dès lors qu’elles sont isolées et que leur ampleur n’est pas établie.
Il en résulte que l’insuffisance professionnelle telle qu’énoncée dans la lettre de licenciement n’existe pas.
3 – En conclusion, le licenciement litigieux doit être déclaré sans cause réelle et sérieuse.
B – Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse :
En application de l’article L1235-3 du code du travail, à défaut de réintégration du salarié, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés selon un tableau qui prévoit pour un salarié ayant moins d’un an d’ancienneté, une indemnité maximale d’un mois de salaire brut.
En l’espèce, Monsieur [R] présente une ancienneté inférieure à un an.
En conséquence,il convient de condamner in solidum Monsieur [V] et Madame [T] à lui verser une somme de 3 466, 60€ à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
IV – SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES :
Les dépens doivent être supportés par les consorts [T] [V].
Les parties doivent être déboutées de leurs demandes présentées en première instance en appel au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement prononcé le 18 mai 2020 par le conseil de prud’hommes de La Roche Sur Yon en ce qu’il a :
– ordonné la requalification du contrat de travail de Monsieur [S] [R] à durée indéterminée à temps plein,
– ordonné la délivrance des bulletins de paie rectifiés, d’une attestation Pôle emploi sous astreinte provisoire,
– condamné in solidum Monsieur [H] [V] et Madame [J] [T] à payer à Monsieur [S] [R] les sommes suivantes :
° 20 799, 60€ à titre de dommages intérêts pour travail dissimulé,
° 3 466, 60€ à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– dit que les créances allouées produiront intérêt au taux légal à compter du dépôt de la demande,
Infirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et ajoutant,
Infirme le jugement du 18 mai 2020 en ce qu’il a statué ultra petita en statuant sur la prise d’acte du 14 juin 2019 produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Déboute Monsieur [V] et Madame [T] de toutes leurs demandes formées sur le fondement de la fraude,
Ordonne la requalification du contrat de travail de Monsieur [R] en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet à compter du 10 mai 2018,
Condamne in solidum Monsieur [V] et Madame [T] à verser à Monsieur [R] les sommes de :
– 3033,40 € nets à titre d’indemnité de requalification,
– 2924,88 € nets au titre de rappels de salaires,
Dit que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt en application de l’article 1343-2 du code civil,
Déboute Monsieur [R] de sa demande présentée au titre d’un rappel de salaires pour heures supplémentaires,
Condamne in solidum Monsieur [V] et Madame [T] à verser à Monsieur [R] les sommes de 2000 € au titre de l’exécution fautive du contrat de travail,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure tant en première instance qu’en appel,
Condamne in solidum Monsieur [V] et Madame [T] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,