Particulier employeur : décision du 6 février 2024 Tribunal judiciaire de Bobigny RG n° 22/01322

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Particulier employeur : décision du 6 février 2024 Tribunal judiciaire de Bobigny RG n° 22/01322
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TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BOBIGNY

JUGEMENT CONTENTIEUX DU 06 FEVRIER 2024

Serv. contentieux social
Affaire : N° RG 22/01322 – N° Portalis DB3S-W-B7G-WYHO
N° de MINUTE : 24/00238

DEMANDEUR

Monsieur [H] [C]
[Adresse 2]
[Localité 6]
représenté par Me SOPHIE THEZE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G225

DEFENDEUR

S.A.R.L. DETRY
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Marion SARFATI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J42

*CPAM DE SEINE-SAINT-DENIS
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Mylène BARRERE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D 2104

COMPOSITION DU TRIBUNAL

DÉBATS

Audience publique du 09 Janvier 2024.

M. Cédric BRIEND, Président, assisté de Madame FRANCOISE ETIENNE et Monsieur Georges BENOLIEL, assesseurs, et de Monsieur Denis TCHISSAMBOU, Greffier.

Lors du délibéré :

Président : Cédric BRIEND,
Assesseur : FRANCOISE ETIENNE, Assesseur au greffe du service du contentieux social
Assesseur : Georges BENOLIEL, Assesseur non salarié

JUGEMENT

Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort, par Cédric BRIEND,Juge, assisté de Denis TCHISSAMBOU, Greffier.

Transmis par RPVA à : Me Mylène BARRERE, Me Marion SARFATI, Me SOPHIE THEZE

Tribunal judiciaire de Bobigny
Service du contentieux social
Affaire : N° RG 22/01322 – N° Portalis DB3S-W-B7G-WYHO
Jugement du 06 FEVRIER 2024

FAITS ET PROCÉDURE

Par jugement du 14 avril 2023, auquel il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, le tribunal judiciaire de Bobigny a :

– retenu la faute inexcusable de l’employeur de Monsieur [H] [C], la SARL [7] à l’origine de l’accident dont il a été victime le 26 juin 2018;
– ordonné la majoration maximale de la rente versée à M. [C];
– ordonné avant dire droit une expertise judiciaire médicale sur la réparation du préjudice corporel de M. [C] ;
– alloué à M. [C] une indemnité provisionnelle à valoir sur la réparation de son préjudice d’un montant de 3000 euros ;
– condamné la SARL [7] à payer à M. [C] la somme de 1500 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– fait droit à l’action récursoire de la Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine Saint Denis (ci-après “la Caisse”).

L’expert a déposé son rapport le 11 juillet 2023, notifié aux parties par lettre du 24 juillet 2023.

L’affaire a été appelée et retenue à l’audience du 9 janvier 2024, date à laquelle les parties, présentes ou représentées, ont été entendues en leurs observations.

Par conclusions en ouverture de rapport, reçues le 25 octobre 2023 au greffe, M. [C], représenté par son conseil, demande au tribunal de :
– condamner la société [7] au paiement des indemnités suivantes:
726 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total ;6 124,80 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel ;8 392 euros au titre de l’assistance tierce personne temporaire ;20 250 euros au titre du déficit fonctionnel permanent ;20 000 euros au titre des souffrances endurées;13 000 euros au titre des préjudices esthétiques ;10 000 euros au titre du préjudice d’agrément ;8 000 euros au titre du préjudice sexuel ;1 000 euros au titre du préjudice de diminution des possibilités de promotion professionnelle.- dire et juger que l’ensemble des sommes dues portera intérêt au taux légal à compter du jugement fixant les préjudices ;
– dire que la Caisse devra procéder à l’avance des sommes octroyées ;
– dire que les préjudices personnels seront réévalués en cas de rechute ou d’aggravation des séquelles ;
– condamner la société [7] aux dépens ;
– ordonner l’exécution provisoire.

Par conclusions en ouverture de rapport d’expertise, déposées et soutenues oralement à l’audience précitée, la société [7], représentée par son conseil, demande au tribunal de :
– fixer l’indemnisation allouée à M. [C] comme suit:
5 190 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;5 198 euros au titre de l’assistance tierce personne ante consolidation ;2 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;3 500 euros au titre du préjudice esthétique permanent ;15 000 euros au titre des souffrances endurées ;18 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent.- débouter M. [C] de ses plus amples demandes ;
– débouter M. [C] du surplus de ses demandes ;
– juger que le montant de la provision versée par la Caisse viendra en déduction des indemnités allouées ;

Tribunal judiciaire de Bobigny
Service du contentieux social
Affaire : N° RG 22/01322 – N° Portalis DB3S-W-B7G-WYHO
Jugement du 06 FEVRIER 2024

– juger qu’il appartient exclusivement à la Caisse d’avoir à faire l’avance des indemnités allouées à M. [C] au titre de l’indemnisation de ses préjudices ;
– juger que la Caisse ne pourra recouvrer auprès de l’employeur qui n’est pas le créancier de M. [C] le montant éventuel des intérêts qui seront dus en application de l’article 1231-6 du code civil.

Oralement, la Caisse s’associe aux observations de la société [7].

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, le tribunal, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux écritures de celles-ci.

L’affaire a été mise en délibéré au 6 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l’indemnisation des préjudices

L’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale dispose que lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles L. 452-2 et suivants du même code.

Aux termes de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale, « indépendamment de la majoration de rente qu’elle reçoit en vertu de l’article précédent, la victime a le droit de demander à l’employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d’un taux d’incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation. […]
La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur ».

Selon la décision du Conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, en cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime peut demander à celui-ci réparation de l’ensemble des dommages non
couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

En outre, par quatre arrêts rendus le 4 avril 2012, la Cour de cassation a précisé l’étendue de la réparation des préjudices due à la victime d’un accident du travail en cas de faute inexcusable de son employeur et a ainsi opéré une distinction entre les préjudices indemnisables car non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale et ceux qui ne le sont pas car déjà réparés au titre du livre IV.
Elle a, par un arrêt d’Assemblée plénière du 20 janvier 2023, jugé que le déficit fonctionnel permanent pouvait être indemnisé, celui-ci n’étant pas couvert par les sommes allouées au titre du livre IV du code de la sécurité sociale.

Il s’ensuit que n’ouvrent droit devant la juridiction des affaires de sécurité sociale à aucune autre action de la victime d’un accident du travail causé par une faute inexcusable commise par l’employeur les préjudices déjà réparés, même forfaitairement ou avec limitation. Les postes de préjudices suivants sont couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale :
– les dépenses de santé actuelles et futures (article L. 431-1, 1° et L. 432-1 à L. 432-4),
– les frais de déplacement (article L. 442-8),
– les dépenses d’expertise technique (article L. 442-8),
– les dépenses d’appareillage actuelles et futures (articles L. 431-1, 1° et L. 432-5),
– les incapacités temporaire et permanente (articles L. 431-1, L. 433-1, L. 434-2 et L. 434-15), la rente versée par la caisse indemnisant les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité,
– les pertes de gains professionnels actuelles et futures (articles L. 431-1, L. 433-1 et L. 434-2),
– l’assistance d’une tierce personne après la consolidation (article L. 434-2).

A contrario, une victime peut demander la réparation des préjudices prévus ou non par l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale :
– souffrances physiques et morales avant consolidation
– préjudice esthétique
– préjudice d’agrément
– préjudice professionnel (ex : perte de promotion, préjudice de carrière)
– déficit fonctionnel temporaire
– préjudice sexuel
– assistance temporaire par une tierce personne
– frais d’expertise médicale
– préjudice d’anxiété (réservé à l’amiante)
– le préjudice d’établissement consistant en la perte d’espoir et de chance normale de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap. L’évaluation est personnalisée notamment en fonction de l’âge. Le préjudice d’établissement ne peut être confondu, ni avec le préjudice d’agrément, ni avec le préjudice sexuel
– déficit fonctionnel permanent,
– les préjudices permanents exceptionnels permettant d’indemniser, à titre exceptionnel, tel ou tel préjudice extra patrimonial permanent particulier non indemnisable par un autre biais. Il a ainsi été précisé qu’il existait des préjudices extra patrimoniaux permanents qui prennent une résonance toute particulière soit en raison de la nature des victimes, soit en raison des circonstances ou de la nature de l’accident à l’origine du dommage.

En l’espèce, Monsieur [H] [C], couvreur, a été victime d’un accident de travail le 26 juin 2018. Il a glissé et chuté d’un toit.

Selon le rapport d’expertise du docteur [S] et les pièces de la procédure, M. [C] a d’abord été pris en charge par les pompiers et adressé aux urgences de l’hôpital de [8] où il sera hospitalisé du 26/06/2018 au 04/07/2018. Il est mis en évidence une fracture comminutive du calcanéum gauche qui nécessitera une prise en charge chirurgicale.

L’expert ne retient aucun antécédent.
Elle retient une fracture ouverte du calcanéum gauche au titre des lésions imputables à l’accident du travail du 26 août 2018.
Les séquelles imputables sont “un déficit de la dorsiflexion de la cheville, avec déficit de la sous-astragalienne, amyotrophie du mollet, boiterie à gauche, douleur persistante, syndrome de stress-post traumatique modéré résiduel, quatre cicatrices”.

Sur les chefs de préjudice visés à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale

Sur les souffrances physiques et morales endurées
Les souffrances endurées correspondent à toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que les troubles associés, endurées par la victime du fait des atteintes à son intégrité, dignité et intimité présentées et des traitements, interventions, hospitalisations qu’elle a subis depuis l’accident jusqu’à la consolidation. Après la consolidation, les souffrances chroniques sont une composante du déficit fonctionnel.
Les souffrances endurées sont réparables en application de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale si elles ne sont pas déjà indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent.

M. [C] sollicite la somme de 20 000 euros au titre des souffrances endurées. Il indique que sa cicatrisation s’est avérée longue et laborieuse du fait de complications infectieuses et qu’il présente un traumatisme psychologique se manifestant par des troubles du sommeil variables, des reviviscences de chute avec une sensation de mort imminente. Il se fonde sur le rapport de l’expert qui a évalué ses souffrances à 4/7 et sur une attestation de son épouse qui fait état d’une tristesse, d’une perte d’estime de soi et de confiance en soi de son mari.

L’employeur propose d’indemniser les souffrances endurées à hauteur de 15 000 euros.

Le rapport de l’expert retient une évaluation des souffrances à 4/7 en raison “des douleurs permanentes, du stress post-traumatique, du traitement antalgique, des soins infirmiers, de la kinésithérapie, des quatre interventions chirurgicales et des complications à la consolidation osseuse”.

Au regard des éléments de la procédure et des conclusions de l’expert rappelés ci-dessus, il convient d’allouer à Monsieur [H] [C] la somme de 15 000 euros au titre des souffrances endurées.

Sur le préjudice esthétique
Ce poste de préjudice a pour objet de réparer l’altération de l’apparence physique de la victime avant et après la consolidation. Le préjudice esthétique temporaire est en effet un préjudice distinct du préjudice esthétique permanent et doit être évalué en considération de son existence avant consolidation de l’état de la victime.

Il consiste à réparer le préjudice esthétique liées aux cicatrices et aux mutilations mais aussi la boiterie ou le fait pour une victime d’être obligée de se présenter en fauteuil roulant ou d’être alitée et tous éléments de nature à altérer l’apparence ou l’expression. Le préjudice esthétique est réparé en fonction du degré retenu par l’expert sur l’échelle de 1 à 7.

Ce préjudice est modulé en fonction de la localisation des cicatrices, de l’âge de la victime lors de la survenance du dommage (très important pour un enfant), de sa profession et de sa situation personnelle.

M. [C] qui se fonde sur les conclusions de l’expert sollicite l’allocation de la somme de 8 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire et 5 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent.

La société [7] fait valoir que la reconnaissance d’un préjudice esthétique temporaire est née pour la prise en compte des dommages esthétiques graves tels que subis par les grands brûlés ou les traumatisés de la face. Elle propose une indemnisation à hauteur de 2 000 euros pour ce chef de préjudice. S’agissant du préjudice esthétique permanent, la société [7] propose une indemnisation à hauteur de 3 500 euros.

S’agissant de ce chef de préjudice, l’expert indique: “avant la consolidation, déambulation en fauteuil roulant puis avec deux cannes béquilles, botte en résine, 3/7. A la consolidation et de manière définitive, le préjudice esthétique est de 2/7 pour la cicatrice, déformation du pied, la boiterie et la marche à l’aide d’une canne”.

S’agissant des cicatrices, l’examen clinique a permis de constater “une cicatrice malléole interne verticale de 7cm et une cicatrice horizontale de 4cm. Une cicatrice sur la tarse de 4 cm et de 6 cm sous-rotulienne au niveau de la prise de greffe”.

Compte tenu des observations des parties et des éléments visés par l’expert dans son rapport, il y a lieu d’allouer à M. [C] la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice esthétique temporaire et 4 000 euros au titre de son préjudice esthétique permanent.

Sur le préjudice d’agrément

Ce poste de préjudice répare l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs et non plus, comme auparavant, la perte de qualité de vie subie avant consolidation laquelle est prise en compte au titre du déficit fonctionnel permanent. La réparation ne se limite pas à l’impossibilité de pratiquer une activité sportive ou de loisirs exercée antérieurement à l’accident. Elle indemnise également les limitations ou les difficultés à poursuivre ces activités. L’appréciation se fait in concreto, en fonction des justificatifs, de l’âge, du niveau sportif…

Le préjudice d’agrément visé à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale vise exclusivement à l’indemnisation du préjudice lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs.

En l’espèce, M. [C] sollicite la somme de 10 000 euros indiquant ne pas avoir repris d’activités sportives après l’accident. Il fait également valoir qu’il ne peut plus jouer au football avec ses trois enfants et ajoute que les sorties ludiques et culturelles en famille ont dû être fortement limitées.

L’employeur conclut au débouté en l’absence de démonstration d’un préjudice distinct des troubles dans les conditions d’existence.

L’expert indique que l’état de santé de M. [C] ne contre indique pas la pratique d’activité de loisir ou de sport. Il relève que le patient éprouve une gêne fonctionnelle douloureuse qui l’empêche d’appuyer le pied gauche, en particulier pour le vélo. Elle précise que M. [C] est très gêné pour conduire en sécurité.

Si le demandeur produit l’attestation de son épouse qui fait état d’une répercussion de l’accident sur la pratique du football de M. [C] il convient de retenir que ce dernier ne justifie pas d’une pratique spécifique et régulière de ce sport.

Le demandeur ne démontre pas de préjudice d’agrément supplémentaire au delà la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante dont font parties les activités sportives et culturelles en famille, ce préjudice étant indemnisé par le déficit fonctionnel permanent.

En conséquence, il convient de débouter Monsieur [H] [C] de sa demande au titre du préjudice d’agrément.

Sur le préjudice résultant de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle
Le poste de préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, indemnisable au sens de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale doit résulter de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle et non de la perte professionnelle déjà réparée par l’allocation du capital ou de la rente majorés. Il appartient donc à celui qui entend obtenir réparation de la perte de possibilité de promotion professionnelle de démontrer la réalité et le sérieux de la possibilité perdue à la suite de la survenance du fait dommageable.

Aussi, la victime doit avoir amorcé un cursus de qualification professionnelle laissant supposer que, sans la maladie ou l’accident du travail, ce cursus aurait continué et qu’en raison de la maladie ou de l’accident du travail et de ses conséquences, elle ne peut plus progresser dans son métier.

M. [C] sollicite la somme de 1 000 euros faisant valoir qu’il a subi un licenciement pour inaptitude alors qu’il avait été employé par la société [7] en contrat à durée indéterminée à l’issue d’une période de formation de 295 heures en CFA et 105 heures au sein de la société [7].

La société soutient que le salarié ne rapporte pas la preuve de cette perte de chance de bénéficier d’une évolution professionnelle et que le préjudice professionnel de M. [C] est déjà indemnisé par la rente. Elle confirme la formation suivie par M. [C] et précise qu’au jour de l’accident, M. [C] disposait d’une ancienneté d’à peine trois mois.

L’expert indique: “Monsieur [H] [C] a été déclaré inapte par le médecin du travail le 30/06/2020. Il n’est pas inapte médicale à un poste assis, il peut conduitre un véhicule automatique, en revanche le travail sur le toit est impossible.
Il est licencié le 21/08/2020.
Il n’y avait pas de formation professionnelle prévue. Il n’était pas prévu d’évolution de son poste. Il bénéficie de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé depuis le 16/05/2023 au 15/05/2025.
Actuellement, il n’a pas repris d’activité professionnelle. Il est toujours inscrit à pôle emploi”.

Il résulte de ces éléments que M. [C] ne démontre pas qu’avant son accident, il présentait des chances de promotion professionnelle. Comme le relève l’expert, il n’apporte aucun élément permettant d’établir qu’il pouvait espérer un avancement au sein de la société alors qu’il venait de débuter sa reconversion comme couvreur.

En conséquence, il convient de le débouter de sa demande d’indemnisation au titre de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Sur les chefs de préjudice non visés à l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale

Sur le déficit fonctionnel temporaire
Ce poste de préjudice a pour objet d’indemniser l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique, c’est-à-dire jusqu’à sa consolidation. Cette invalidité par nature temporaire est dégagée de toute incidence sur la rémunération professionnelle de la victime. Elle correspond à la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d’agrément, éventuellement le préjudice sexuel temporaire. L’évaluation des troubles dans les conditions d’existence tient compte de la durée de l’incapacité temporaire, du taux de cette incapacité (totale ou partielle), des conditions plus ou moins pénibles de cette incapacité (séparation de la victime de son environnement familial et amical durant les hospitalisations, privation temporaire des activités privées ou des agréments auxquels se livre habituellement ou spécifiquement la victime, préjudice sexuel pendant la maladie traumatique).

En l’espèce, Monsieur [H] [C] sollicite la somme de 726 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total et 6 124,80 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel en retenant une base forfaitaire de 33 euros par jour pour un déficit de 100%.

La société défenderesse propose d’indemniser ce poste de préjudice à hauteur d’une somme totale de 5 190 euros en retenant une base forfaitaire de 25 euros par jour pour un déficit de 100%.

L’expert a retenu les périodes de déficit fonctionnel suivantes:

DFT
de
à
nombre de jours
total
26/06/2018
04/07/2018
8
total
04/08/2018
04/08/2018
1
total
06/06/2019
18/06/2019
12
total
14/01/2020
14/01/2020
1
classe IV
05/07/2018
03/08/2018
29
classe III
05/08/2018
04/10/2018
60
classe II
05/10/2018
05/06/2019
243
classe III
19/06/2019
19/08/2019
61
classe II
20/08/2019
13/01/2020
146
classe I
15/01/2020
16/03/2020
61

Les périodes de déficit fonctionnel temporaire total correspondent aux périodes d’hospitalisation en lien avec l’opération chirurgicale dont a bénéficié M. [C] et ses suites.

S’agissant des périodes de déficit fonctionnel temporaire partiel retenues, l’expert se fonde sur les traitements médicamenteux suivis et notamment la prise d’antalgiques, sur le syndrome de stress post-traumatique présenté, sur la persistante de douleurs et de troubles du sommeil ainsi que sur la nécessité de séances de kinésithérapie.

Au regard de l’ensemble des éléments rappelés par l’expert il convient d’indemniser M. [C] sur la base forfaitaire de 30 euros par jour pour un déficit fonctionnel temporaire total, soit l’indemnisation suivante:

DFT
de
à
nombre de jours
indemnisation
total
26/06/2018
04/07/2018
8
240
total
04/08/2018
04/08/2018
1
30
total
06/06/2019
18/06/2019
12
360
total
14/01/2020
14/01/2020
1
30
classe IV
05/07/2018
03/08/2018
29
652,5
classe III
05/08/2018
04/10/2018
60
900
classe II
05/10/2018
05/06/2019
243
1822,5
classe III
19/06/2019
19/08/2019
61
915
classe II
20/08/2019
13/01/2020
146
1095
classe I
15/01/2020
16/03/2020
61
183

6228

Par conséquent, il sera ainsi alloué à M. [C] la somme globale de 6 228 euros eu titre de son déficit fonctionnel permanent.

Sur l’assistance par une tierce personne
Dans le cas où la victime a besoin du fait de son handicap d’être assistée pendant l’arrêt d’activité et avant la consolidation par une tierce personne, elle a le droit à l’indemnisation du financement du coût de cette tierce personne.

Le poste de préjudice lié à l’assistance d’une tierce personne indemnise la perte d’autonomie de la victime la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans tout ou partie des actes de la vie quotidienne. Les courses et l’entretien de la maison entrent dans ces actes de la vie quotidienne.

Les frais d’assistance par une tierce personne à titre temporaire ne sont pas couverts au titre du livre IV et doivent être indemnisés sans être pour autant réduits en cas d’assistance d’un membre de la famille ni subordonnés à la production de justificatifs des dépenses effectives.

M. [C] sollicite une indemnisation sur la base de 20 euros de l’heure sur une période de 412 jours par an. Il fait valoir que dans les suites des périodes d’hospitalisation de 2018 et 2019, il était dans l’impossibilité de prendre tout appui sur sa jambe gauche.

La société fait valoir que le chiffrage du coût de la tierce personne doit correspondre à la valeur économique réelle de l’aide humaine effectivement apportée. Elle précise qu’en l’espèce, M. [C] n’a pas eu recours à un service extérieur de telle sorte qu’il n’y a pas lieu de prendre en compte les charges sociales et les congés payés. Elle se fonde sur la convention collective nationale des salariés du particulier employeur et propose d’indemniser ce poste de préjudice à hauteur de 14 euros de l’heure.

L’expert a retenu la nécessité d’une assistance par tierce personne pour faire les courses, le ménage, la conduite aux différents rendez-vous médicaux à raison de 7 heures / semaine pendant les périodes de classe IV et de classe III, puis de 4 heures par semaine pendant les périodes de classe 2.

L’assistance par tierce personne est indemnisée ur la base de 365 jours par an, auxquels il convient d’ajouter 36 jours de congés payés et une dizaine de jour fériés, on peut retenir une base de calcul annuel de 412 jours et ce même si l’assistance est assurée par un familier.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il convient d’indemniser les besoins en assistance par tierce personne temporaire de M. [C] sur une base de 16 euros par heure sur une base de calcul de 412 jours annuels soit la somme globale de 6 723,58 euros.

Sur le préjudice sexuel
Il convient de distinguer trois types de préjudices de nature sexuelle :
– le préjudice morphologique lié à l’atteinte aux organes sexuels résultant du dommage subi,
– le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l’accomplissement de l’acte sexuel ( perte de l’envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l’acte sexuel, perte de la capacité à accéder au plaisir),
– le préjudice lié à une impossibilité ou difficulté à procréer (ce préjudice pouvant notamment chez la femme se traduire sous diverses formes comme le préjudice obstétrical etc.).

Monsieur [H] [C] sollicite le versement d’une somme de 8 000 euros au titre d’une perte de libido qui est corroborée par l’attestation de son épouse.

La société défenderesse conclut au débouté au motif que l’expert a retenu qu’il n’ y avait pas d’atteinte des organes sexuels ni de thérapeutique limitant la libido.

L’expert indique qu’à la consolidation, le patient allègue d’une diminution de la libido.

Le préjudice résultant de cette diminution de libido qui est démontré par les éléments versés au débat sera indemnisé par l’allocation de la somme de 1000 euros.

Sur le déficit fonctionnel permanent
M. [C] sollicite de ce chef la somme de 20 250 euros en retenant une valeur du point de 2 025 euros.

La société défenderesse propose une indemnisation à hauteur de 18 000 euros en retenant une valeur du point à 1 800 euros.

L’expert indique dans son rapport: “en raison d’une arthrodèse de la sous talienne en bonne position, conformément au barème, le déficit fonctionnel permanent est évalué à 10%”.

Monsieur [C] étant âgé de 49 ans à la date de consolidation, il lui sera accordé la somme de 18 000 euros au titre de ce poste de préjudice.

Conformément aux dispositions du dernier alinéa de l’article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, la réparation des préjudices est versée directement par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur.

Sur les mesures accessoires

En application de l’article 696 du code de procédure civile, les dépens, qui comprennent les frais d’expertise, seront mis à la charge de la SARL [7] .

L’article 1231-7 du code civile dispose qu’en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l’absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement.

Il n’y a donc pas lieu de statuer sur les demandes formulées sur le fondement de l’article 1231-6 du code civil.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

Fixe l’indemnisation de Monsieur [H] [C] en réparation de ses préjudices résultant de l’accident du travail dont il a été victime le 26 juin 2018 comme suit :
15 000 euros au titre des souffrances endurées ;3 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;4 000 euros au titre dupréjudice esthétique permanent ;6 228 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;6 723,58 euros au titre de l’assistance temporaire par une tierce personne ;1 000 euros au titre du préjudice sexuel ;18 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent.
Déboute M. [H] [C] de ses demandes au titre du préjudice résultant de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle et du préjudice d’agrément ;

Dit que la Caisse primaire d’assurance maladie de la Seine-Saint-Denis versera les sommes allouées à Monsieur [H] [C] au titre de la réparation de ses préjudices déduction faite de la provision déjà versée à hauteur de 3 000 euros ;

Dit n’y avoir lieu à statuer sur les demandes formulées au titre de l’article 1231-6 du code civil ;

Rejette toutes demandes plus amples ou contraires ;

Met les dépens à la charge de la SARL [7] ;

Ordonne l’exécution provisoire ;

Rappelle que tout appel du présent jugement doit, à peine de forclusion, être interjeté dans le délai d’un mois à compter de sa notification.

Fait et mis à disposition au greffe, la Minute étant signée par :

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT
Denis TCHISSAMBOUCédric BRIEND

 


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