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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-8
ARRÊT AU FOND
DU 18 DECEMBRE 2020
N°2020/
Rôle N° RG 18/18951 – N° Portalis DBVB-V-B7C-BDNMK
G… S…
C/
H… Y…
Organisme CPAM DU VAR
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de VAR en date du 05 Novembre 2018,enregistré au répertoire général sous le n° 21700587.
APPELANT
Monsieur G… S…, demeurant […]
représenté par Me Charles TOLLINCHI de la SCP TOLLINCHI PERRET VIGNERON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Yannick POURREZ, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
INTIMES
Monsieur H… Y…, demeurant […]
représenté par Me Jean-louis BERNARDI, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
Organisme CPAM DU VAR, demeurant […]
représenté par Me Stéphane CECCALDI de la SELASU SELASU CECCALDI STÉPHANE, avocat au barreau de MARSEILLE substituée par Me Martin PERRINEL, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 08 Octobre 2020 en audience tenue en double rapporteur devant la Cour composée de :
Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président de chambre
Madame Marie-Pierre SAINTE, Conseiller
Madame Audrey BOITAUD DERIEUX, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Isabelle LAURAIN.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Décembre 2020.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 18 Décembre 2020
Signé par Monsieur Yves ROUQUETTE-DUGARET, Président de chambre et Madame Laura BAYOL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
MM. H… Y… et B… N…, salariés de M. G… S… respectivement en qualité de maçon et de travailleur occasionnel du bâtiment pour la construction de sa maison particulière, ont été victimes d’un accident du travail le 5 mars 2015, en chutant alors que la planche de l’échafaudage sur laquelle ils se trouvaient s’est rompue.
Cet accident a été pris en charge par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (ci-après CPAM) du Var au titre de la législation sur les risques professionnels.
Par requête du 26 septembre 2016, M. H… Y… a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d’un recours aux fins de voir reconnaître la faute inexcusable de M. G… S….
Cette procédure a été enregistrée sous le numéro 21700587.
M. B… N… a saisi la CPAM du Var d’une demande de mise en oeuvre de la procédure de conciliation aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, M. G… S… qui a débouché sur un procès-verbal de non conciliation le 29 mars 2017.
Par requête adressée le 4 mars 2017, M. B… N… a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Var d’un recours aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de M. G… S….
Cette procédure a été enregistrée sous le numéro 21700598.
Par jugement du 5 novembre 2018, le tribunal a :
– ordonné la jonction des procédures suivies sous les numéro 21700587 et 21700598 et dit qu’elles seraient suivies sous le seul numéro 21700587 ;
– rejeté les moyens tirés de l’irrecevabilité et de la prescription ;
– déclaré recevable l’action de M. H… Y… ;
– dit que M. G… S… a commis une faute inexcusable à l’origine de l’accident dont M. H… Y… a été vicitme le 5 mars 2015 ;
– avant dire droit sur l’indemnisation des préjudices :
ordonné une expertise médicale et désigné le docteur A… T… à cette fin.
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 3 décembre 2018, M. G… S… a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Par requête adressée le 23 novembre 2018, M. B… N… a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Var d’une requête en rectification de l’omission de statuer à l’égard de ce jugement.
En cours d’instance le tribunal des affaires de sécurité sociale est devenu le pôle social du tribunal de grande instance de Toulon et la procédure enregistrée sous le numéro 21700598 est devenue le numéro 18/02045.
Par jugement du 21 mars 2019, le tribunal a :
– déclaré recevable la requête en omission de statuer de M.B… N… dans le cadre de la décision rendue par le tribunal des affaires de sécurité sociale en date du 5 novembre 2018 ;
– dit que la décision rectificative serait mentionnée sur la minute de la précédente décision rectifiée ;
– ordonné la disjonction de l’instance initialement ouverte sous le numéro ancien de 21700598, puis sous le nouveau numéro 18/02045, de l’instance ouverte puis jointe sous le seul numéro 21700587 qui a fait l’objet d’une décision du tribunal des affaires de sécurité sociale en date du 5 novembre 2018 entre M. H… Y… et M. G… S… ;
– déclaré recevable le recours de M. B… N… en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ;
– considéré que l’accident de travail dont M.B… N… a été victime le 5 mars 2015 est dû à la faute inexcusable de son employeur, M. G… S…;
– ordonné la majoration maximale de la rente AT selon son taux fixé ou à fixer après consolidation et avis du médecin conseil;
– avant dire droit sur les préjudices complémentaires, ordonné une expertise médicale et commis pour y procéder le docteur A… T… avec mission habituelle en la matière :
* prendre connaissance de l’ensemble des pièces médicales et examiner M. B… N… en recueillant ses doléances ;
* décrire les différentes lésions et séquelles en lien avec l’accident du travail en distinguant le cas échéant l’incidence d’un état antérieur ;
* évaluer selon le barème les préjudices subis par M. B… N… en détaillant de manière motivée les souffrances physiques et morales endurées et le préjudice esthétique en tenant compte de la date de consolidation fixée par la caisse ;
* évaluer la durée du déficit fonctionnel temporaire total et/ou partiel, et les frais d’assistance dans la vie quotidienne avant la date de consolidation ;
* donner au tribunal tout élément d’ordre médical utile à la solution du litige, notamment sur le préjudice d’agrément, le préjudice sexuel , les besoins de soins spécifiques au handicap pour la personne , son logement , son véhicule et ses équipements .
– dit que les frais d’expertise seraient avancés par la CPAM du Var qui pourra en récupérer le montant auprès de M. G… S… ;
– dit que l’expert devrait déposer son rapport au greffe du pôle social du tribunal de grande instance de Toulon sous le contrôle du juge chargé du suivi des expertises, dans le délai de quatre mois à compter du jour de saisine et en adresserait copie à chacune des parties ;
– Dit que la CPAM du Var récupérera auprès M.G… S… les sommes qui seront allouées à la victime en réparation de son préjudice ainsi que les frais d’expertise;
– sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise ;
– dit que l’affaire serait à nouveau audiencée d’office au vu du dépôt du rapport ou de la carence dans le cadre de cette mesure d’instruction, ou à l’initiative de la partie la plus diligente;
– condamné M.G… S… à verser à M.B… N… la somme de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;
Par déclaration reçue au greffe de la cour le 29 mars 2019, M. G… S… a interjeté appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions développées oralement à l’audience de plaidoirie, M. G… S… demande de :
– infirmer le jugement entrepris en ses dispositions frappées d’appel,
– statuant de nouveau sur le tout pour une meilleure compréhension de la situation, et y rajoutant,
à titre principal,
– déclarer l’action de M. N… devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale de Toulon irrecevable, ou à défaut, prononcer la nullité du recours de M.H… N…,
à titre subsidiaire,
– débouter M.B… N… et M. Y… de l’ensemble de leurs demandes tendant à la reconnaissance d’une faute inexcusable de Monsieur S…,
à titre encore plus infiniment subsidiaire,
– dire que M. H… Y… et M. N… ont commis une faute inexcusable ayant généré l’accident du travail du 5 mars 2015, ou tout au moins, reconnaître un partage de responsabilité entre les parties,
– dire n’y avoir lieu à majoration de la rente d’invalidité de M. H… Y… et M. N…, voire en prononcer sa réduction à néant, et infirmer le jugement entrepris de ce chef
– dire que M. S… ne saurait être tenu de procéder au remboursement des prestations versées par la CPAM ainsi qu’à l’indemnisation de tout autre préjudice puisque l’accident est dû à la faute inexcusable des salariés,
– réformer le jugement entrepris afin qu’il soit ordonné une expertise médicale avant dire droit du docteur A… T… mais avec notamment pour mission de décrire les lésions imputables ou non à l’accident, objet de la présente instance, telle que définie dans le cadre du jugement du 8 novembre 2018, et ce sans limitation aux préjudices complémentaires dont l’indemnisation avait été couverte par les dispositions du livre IV du code de la sécurité sociale et non celle retenue dans le jugement du 21 mars 2019,
en toutes hypothèses,
– condamner M. H… Y… et M. N… à payer chacun à M. S… la somme de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi que tous les dépens.
M. G… S… soutient, au visa de l’article L. 452-4 du code de la sécurité sociale comme des articles 56 et 58 du code de procédure civile, l’irrecevabilité de la requête de M. B… N… ou à défaut le constat de sa nullité. En effet, il précise que M. B… N… n’a pas sollicité la mise en oeuvre de la procédure préalable de conciliation. Il rappelle que la seule démarche amiable a été faite par la CPAM du Var le 9 mars 2017, soit postérieurement à la saisine du tribunal. Par ailleurs, il soulève que le fait de procéder à une tentative de conciliation postérieurement à la saisine du tribunal n’est pas de nature à couvrir l’irrégularité au regard du caractère d’ordre public de ces dispositions.
Subsidiairement, l’action de M. N… est prescrite faute de n’avoir pas été engagée dans les deux ans de l’accident ou de l’arrêt du versement des indemnités journalières (saisine le 7 mars 2007 pour un accident du travail du 5 mars 2005).
A titre infiniment subsidiaire, M. S… invoque l’inapplicabilité des dispositions relatives à la faute inexcusable de l’employeur à un particulier employeur. Il fait valoir que M. B… N… avait bien la qualité de «travailleur occasionnel du bâtiment», et relevait ainsi de la Convention Collective des salariés du particulier employeur comme l’a constaté l’ordonnance du Conseil de Prud’hommes de Fréjus du 23 novembre 2016 et le jugement du Conseil de Prud’hommes de Fréjus est définitif sur ce point. Or, les dispositions relatives à la législation sur la faute inexcusable et l’obligation de sécurité prévues aux articles L452-1 du code de la sécurité sociale et L4121-1 et suivants du code du travail ne sont pas applicables à un particulier employeur puisque non visées par l’article L7221.2 du code du travail.
Au fond, il relate les conditions dans lesquelles se sont déroulés les travaux, la dégradation des relations entre les parties et son impossibilité de maîtriser l’hostilité de ses salariés, il relate être allé chercher deux échafaudages roulants avec garde corps, et les a amenés sur chantier afin d’être sûr que les ouvriers puissent travailler en toute sécurité.
Il considère que les circonstances de l’accident ne sont pas précisées alors qu’il n’y a eu aucun témoin.
Il avait bien pris les mesures nécessaires pour remédier à la situation et qu’il ne pouvait avoir conscience des risques encourus par les salariés puisqu’il leur avait dit d’attendre qu’il mette en place de nouveaux échafaudages avant de reprendre les travaux et qu’il semblait qu’en définitive, ils avaient fini par l’écouter puisque le matin même de l’accident la bétonnière était nettoyée et les échafaudages de M. Y… rangés dans sa camionnette et il n’y avait personne sur le chantier lorsqu’il s’y est présenté.
Il considère que, par leur initiative malheureuse, les salariés sont exclusivement responsables de leur propre préjudice, en effet rien ne les obligeait à monter tous les deux sur une même planche en bois qui ne semblait pas répondre aux normes de sécurité.
Par conclusions déposées et développées oralement à l’audience, MM. Y… et N… demandent à la cour de :
– confirmer le jugement déféré, et
– ordonner à la Caisse primaire d’assurance maladie du Var la majoration de la rente accident du travail allouée à MM Y… et N…,
– condamner la Caisse primaire d’assurance maladie du Var au paiement des frais de l’expertise judiciaire,
– débouter M. S… de l’ensemble de ses demandes,
– condamner M. G… S… à payer à MM. Y… et N… la somme de 10. 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner M.G… S… aux entiers dépens de l’instance.
Il soutiennent que :
– la tentative de conciliation prévue à l’article L.452-4 n’est pas prescrite à peine d’irrecevabilité de l’instance, le jugement du 21 Mars 2019 a, de plus, précisé que M. Y… et M. N… avaient régulièrement saisi la caisse d’une demande de conciliation qui s’est avérée négative selon courrier de la CPAM du Var en date du 29 Mars 2017. Une tentative de conciliation a donc bien eu lieu.
– L’accident s’est produit le 5 mars 2015, le recours a été enregistré le 26 septembre 2016 puis après radiation a été ré-enrôlé en date des 3/03/2017 et 04/03/2017 par le Tribunal compétent. Le recours est donc recevable.
– La convention collective nationale du particulier employeur ne peut s’appliquer en l’espèce faute de concerner des tâches de la maison à caractère familial ou ménager, les travaux ne concernaient pas le domicile privé de M. S… qui demeurait ailleurs.
– S’agissant de contrat à durée déterminée pour des travaux présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité car exposant les salariés «7° Au risque de chute de hauteur lors des opérations de montage et de démontage d’échafaudages », ils bénéficient de la présomption de faute inexcusable.
– M. Y…, avait adressé, la veille de l’accident, un courriel à l’unité territoriale de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, aux termes duquel il pointait l’absence de sécurité sur les échafaudages et l’absence de gants, casque ou filet de protection.
– M. S… a exercé dans le secteur du bâtiment car il avait une entreprise de construction à son nom, il connaissait en sa qualité d’ancien dirigeant d’une entreprise du bâtiment les dangers des travaux réalisés par ses salariés, et il était fréquemment sur le chantier.
– Aucun échafaudage conforme aux règles de sécurité n’a été installé, ni aucun équipement de protection individuel n’a été remis aux salariés.
– Ils contestent avoir commis la moindre faute et M. Y… nie avoir été propriétaire de l’échafaudage litigieux.
La Caisse primaire d’assurance maladie du Var, dans ses conclusions déposées le 6 novembre 2019, demande à la cour de :
– constater qu’elle s’en remet à sa sagesse sur l’existence de la faute inexcusable de l’employeur.
Si la Cour de céans considérait que l’accident dont ont été victimes les assurés est dû à la faute inexcusable de leur employeur:
– constater qu’elle s’en remet à la sagesse de la Cour sur la nécessité d’ordonner une expertise étant précisé que l’article 146 alinéa 2 du Code de Procédure Civile dispose : « En aucun cas une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve »,
– limiter la mission de l’expert à l’évaluation des préjudices prouvés tels que définis et visés aux articles L.452-1 et L.452-3 du Code de la Sécurité Sociale et conformément aux arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le ler Juillet 2010 (n°09-67028), le 14 Juin 2012 (n°11-15408), le 28 Juin 2012 (n°11-16120) et le 28 Février 2013 (n°11-21015) relatifs au préjudice d’agrément, à l’arrêt rendu le 08 Avril 2010 (n°09-11634) relatif à la perte ou à la diminution des possibilités de promotion professionnelle ainsi qu’aux préjudices précisés par plusieurs arrêts de la Cour de cassation, rendus le 4 Avril 2012 (n° 11/18014, n° 11-14311, 11-14594, 11-12299 et 11-15393), à l’exclusion de ceux dont l’indemnisation est déjà couverte par le livre IV du Code de la Sécurité Sociale,
– écarter de la mission de l’expert les demandes sur les dépenses de santé actuelles et futures, sur la perte de gains professionnels actuels et futurs, sur l’incidence professionnelle et sur le déficit fonctionnel permanent dont l’indemnisation est déjà couverte par le Livre IV du Code de la Sécurité Sociale,
– écarter également la demande relative au préjudice scolaire, universitaire et de formation (PSUF), celui-ci n’étant pas documenté,
– dire que les souffrances physiques et morales endurées ainsi que le préjudice esthétique doivent être appréciés globalement sans qu’il y ait lieu de distinguer le préjudice temporaire et le préjudice définitif,
– constater que la date de consolidation qui a été fixée au 20/03/17, et la décision attribuant une rente pour un taux d’IPP de 31% sont définitives,
– écarter de la mission de l’expert les demandes sur l’évaluation du taux de l’Atteinte Permanente à l’Intégrité Physique et Psychique (AIPP) constitutif d’un déficit fonctionnel permanent dont l’indemnisation est déjà couverte par la rente (Livre IV) ainsi que sur la fixation de la date de consolidation,
– dire que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var aura la possibilité de répondre, lors d’une audience ultérieure, sur le quantum des préjudices qui seront demandés par la victime.
– ne pas mettre à la charge de la Caisse les frais d’expertise, celle-ci ne pouvant exercer d’action récursoire à ce titre conformément aux dispositions des articles L.452-2 et L.452-3 du Code de la Sécurité Sociale.
– condamner, dans l’hypothèse où la faute inexcusable serait reconnue, M.G… S… à rembourser, à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie du Var, l’intégralité des sommes dont elle serait tenue de faire l’avance, conformément aux dispositions des articles L.452-2 et L.452-3 derniers paragraphes et L.452-4 alinéa 2.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures déposées et soutenues oralement lors de l’audience.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la jonction des instances
En vertu de l’article 367 du Code de procédure civile, il relève d’une bonne administration de la justice de joindre les instances enregistrées sous les numéros RG18/18951et 19/05149 pour être suivies sous le seul numéro RG 18/18951.
Sur l’irrecevabilité de l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur par M. N…
Aux termes de l’alinéa 1er de l’article L.452-4 du Code de la sécurité sociale : ‘A défaut d’accord amiable entre la caisse et la victime ou ses ayants droit d’une part, et l’employeur d’autre part, sur l’existence de la faute inexcusable reprochée à ce dernier, ainsi que sur le montant de la majoration et des indemnités mentionnées à l’article L. 452-3, il appartient à la juridiction de la sécurité sociale compétente, saisie par la victime ou ses ayants droit ou par la caisse primaire d’assurance maladie, d’en décider.’
La procédure de tentative d’accord amiable constituée par la loi du 6 décembre 1976 n’est pas prescrite à peine d’irrecevabilité de l’instance contentieuse.
En outre, en l’espèce, il ressort du courrier adressé par la CPAM à M. N… le 29 mars 2017, que suite à sa demande en reconnaissance de faute inexcusable du 1er mars 2017, dans le cadre de son accident du travail survenu le 5 mars 2015, M. S…, son employeur, a été informé d’une éventuelle procédure de conciliation le 10 mars suivant et a exprimé son refus par courrier du 22 mars 2017.
Il s’en suit qu’il y a bien eu une tentative de conciliation avant que la juridiction de sécurité sociale se prononce sur la faute inexcusable de M. S… à l’origine de l’accident du travail de M. N….
C’est en vain que M. S… invoque l’irrespect des dispositions prescrites à peine de nullité des articles 56 et 58 du Code de procédure civile, dans la mesure où celles-ci concernent l’acte d’assignation et qu’il n’est pas discuté que M. N… avait saisi le Tribunal des affaires de sécurité sociale par requête.
Aucune irrecevabilité, ni aucune nullité, ne saurait donc être retenue du chef de défaut de tentative de conciliation préalable.
Sur la prescription de l’action en reconnaissance de faute inexcusable de son employeur de M. N…
Aux termes de l’article L.431-2 du Code de la sécurité sociale : ‘les droits de la victime ou de ses ayants droit aux prestations et indemnités prévues par le présent livre se prescrivent par deux ans à dater :
1°) du jour de l’accident ou de la cessation du paiement de l’indemnité journalière (…)’.
En l’espèce, il ressort de l’avis de recours établi par le Tribunal des affaires de sécurité sociale du Var le 3 octobre 2016, produit par M. S… lui-même, que le demandeur, M. N…, a formé un recours le 26 septembre 2016 aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur à l’origine de l’accident du travail survenu le 5 mars 2015.
Il s’en suit que l’action en reconnaissance de faute inexcusable de M. N… à l’encontre de M. S… a bien été engagée dans le délai de deux ans suivant l’accident du travail.
La prescription de l’action n’a pas non plus à être retenue.
En conséquence, le jugement rendu le 21 mars 2019 sera confirmé sur ce point.
Sur l’inapplicabilité des dispositions relatives à la faute inexcusable au cas d’employeur particulier
L’article L.7221-2 du code du travail définit l’employeur particulier en ces termes :
‘Le présent titre est applicable aux salariés employés par des particuliers à leur domicile privé pour réaliser des travaux à caractère familial ou ménager.
Le particulier employeur emploie un ou plusieurs salariés à son domicile privé, au sens de l’article 226-4 du code pénal, ou à proximité de celui-ci, sans poursuivre de but lucratif et afin de satisfaire des besoins relevant de sa vie personnelle, notamment familiale, à l’exclusion de ceux relevant de sa vie professionnelle.’
En outre, la convention collective applicable aux salariés de particulier employeur prévoit en son article 1er, qu’elle ‘règle les rapports entre les particuliers employeurs et leurs salariés. Le caractère spécifique de cette profession est de s’exercer au domicile privé du particulier employeur avec toutes les conséquences qui en découlent. Le particulier employeur n’est pas une entreprise. Est salarié toute personne, à temps plein ou partiel, qui effectue tout ou partie des tâches de la maison à caractère familial ou ménager. (…)’
Or, en l’espèce, quand bien même M. Y… et M. N…, étaient employés par M. S…, employeur particulier, pour assurer la construction de sa maison familiale, dès lors qu’ils étaient chargés du lot gros-oeuvre, selon contrat à durée déterminée produit par l’appelant, tant que les travaux dont ils avaient la charge n’étaient pas terminés, ils ne pouvaient, par définition, pas exercer leur profession au domicile de M. S…. En effet, M. S… ne saurait valablement se prévaloir d’un domicile privé sans clos, ou sans couvert.
En outre, les travaux de gros-oeuvre effectués par M. Y… et M. N…, ne sauraient être envisagés, à l’instar de menus travaux d’entretien ou d’aide à la personne, comme étant des tâches de la maison à caractère familial ou ménager.
En conséquence, M. S… ne peut légitimement pas se prévaloir du statut d’employeur particulier pour exclure l’application, à son égard, des dispositions de l’article L.452-1 du Code de la sécurité sociale relatives à la faute inexcusable de l’employeur.
Sur la faute inexcusable de l’employeur à l’origine de l’accident du travail du 5 mars 2015
Aux termes de l’article L.452-1 du Code de la sécurité sociale : ‘Lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.’
En l’espèce, aucune des parties ne produit la déclaration d’accident du travail survenu le 5 mars 2015 et pris en charge, au titre de la législation professionnelle, par la CPAM, pour permettre à la cour d’établir les circonstances de l’accident.
Néanmoins, il n’est pas discuté que le jour de l’accident les deux salariés devaient monter la charpente et travailler en hauteur.
En outre, il ressort des deux attestations d’intervention des sapeurs-pompiers du 18 novembre 2019, qu’ils sont intervenus le 5 mars 2015, jour de l’accident, à 11h12 à la suite d’un appel pour des blessés sur leur lieu de travail […], les sinistrés étant :
– M. Y… ayant fait une chute d’un échafaudage d’une hauteur de plus de 4 mètres sur son lieu de travail, conscient, il a été transporté au CHU de Frejus,
– M. N… ayant fait une chute d’un échafaudage d’une hauteur de plus de 4 mètres sur son lieu de travail, et présentant des douleurs aux cervicales, au dos, au poignet droit ainsi qu’au genou gauche, pas de déformation, douleur thoracique et céphalées, conscient, il a été transporté au CHU de Frejus.
Il s’en suit que l’accident est bien survenu alors que M. Y… et M. N… se trouvaient sur le chantier de construction de la maison de M. S… dont ils devaient monter la charpente.
Or, contrairement à ce qui est avancé par M. S…, il existe une présomption de faute inexcusable en cas de contrat à durée déterminée, notamment.
En effet, l’article L.4154-3 du code du travail prévoit que :
‘La faute inexcusable de l’employeur prévue à l’article L.452-1du code de la sécurité sociale est présumée établie pour les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle alors qu’affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité ils n’auraient pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue par l’article L.4154-2.’
Or, M. S… se prévaut d’un contrat de travail à durée déterminée, dont il ressort qu’il est conclu pour la construction d’une résidence principale, lot gros oeuvre, du 24 mars 2014 jusqu’à la réalisation de l’objet et l’achèvement des travaux. Si l’exemplaire produit par M. S… est établi à l’égard de M. N…, il n’est pas discuté par M. S… qu’il se prévaut d’un contrat identique à l’égard de M. Y….
Il n’est pas non plus discuté que M. Y… et M. N…, dans ce cadre là, devaient notamment travailler en hauteur pour réaliser la charpente du toit de la maison en construction, de sorte qu’ils étaient affectés à un poste de travail présentant des risques particuliers pour leur sécurité.
Il ne ressort d’aucune des pièces versées aux débats que M. Y… et M. N… ont bénéficié d’une formation à la sécurité renforcée.
Il s’en suit que la faute inexcusable de M. S…, employeur de M. Y… et M. N…, à l’origine de leur accident du travail survenu le 5 mars 2015, est présumée.
M. S… ne rapporte pas la preuve qu’il a formé ses salariés aux risques encourus pendant les travaux de construction de la maison, et notamment, les travaux en hauteur lors de la mise en place d’une charpente. En effet, bien qu’il ressorte de la fiche d’information légale de la société de travaux de maçonnerie et de gros oeuvre du bâtiment dont M. Y… est gérant, que celui-ci a pu se présenter à M. S… comme étant expérimenté, il n’est pas établi que l’employeur a rempli son obligation de formation à l’égard de ses deux salariés.
En outre, M. S… échoue à démontrer que l’accident est dû à un cas de force majeure ou à la seule faute des victimes. En effet, les clichés photographiques, produits par M. S…, sur lesquels on voit les salariés monter des murs en parpaing à une hauteur du sol trois fois plus haute que celle d’un homme, sans aucun équipement de protection, ni casque, ni harnais, ni gants, en circulant sur des planches en bois sans garde-corps, ne font que conforter les déclarations de M. Y… à la DIRRECTE dans un mail du 4 mars 2015, veille de l’accident, dans lequel il dénonce les agissements de son employeur M. S… et ses conditions de travail en ces termes notamment : ‘De plus nous travaillons sans sécurité sur les échaffaudages et notre employeur ne nous fourni aucun gants ou casque ou filet de protection. (…)’
En conséquence, la faute inexcusable de M. S… à l’origine de l’accident du travail de M. Y… et M. N… le 5 mars 2015 doit être retenue, la majoration de la rente qui leur est allouée doit être maximale et l’indemnisation complémentaire à laquelle ils peuvent prétendre ne peut être déterminée qu’après expertise. Les jugements rendus le 5 novembre 2018 par le Tribunal des affaires de sécurité sociale du Var et le 21 mars 2019 par le tribunal de grande instance de Toulon seront donc confirmés en toutes leurs dispositions, la mission d’expertise étant conforme aux questions juridiques auxquelles devront répondre les premiers juges pour déterminer l’indemnisation complémentaire et la charge de l’avance des frais sur la CPAM étant régulière.
Sur les frais et dépens
M. S…, succombant, supportera les dépens de l’instance, étant précisé que l’article R 144-10 du code de la sécurité sociale a été abrogé par le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 relatif au contentieux de la sécurité sociale et de l’aide sociale, dont l’article 17 III prévoit que les dispositions relatives à la procédure devant les juridictions sont applicables aux instances en cours.
En outre, M. S… sera condamné à payer à M. Y… et M. N…, chacun, la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépetibles.
PAR CES MOTIFS,
La Cour statuant publiquement par décision contradictoire,
Ordonne la jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG18/18951et 19/05149 pour être suivies sous le seul numéro RG 18/18951;
Confirme les jugements rendus le 5 novembre 2018 par le Tribunal des affaires de sécurité sociale du Var et le 21 mars 2019 par le tribunal de grande instance de Toulon en toutes leurs dispositions;
Condamne M. S… à payer à M. Y… et M. N…, chacun, la somme de 2.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;
Condamne M. S… aux dépens de l’appel.
Le Greffier Le Président