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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 6
ARRET DU 14 FEVRIER 2024
(n°2024/ , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/09893 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGYQO
Décisions déférées à la Cour :
– Jugement du 13 Décembre 2016 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Paris – RG n° F15/09485
– Arrêt du 26 mars 2019 – Cour d’appel de Paris – Pôle 6 – Chambre 3 – RG n° 17/03637
– Arrêt du 21 septembre 2022 – Cour de cassation – Pourvoi n° X 20-20.432
APPELANTE
Madame [W] [P]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Elisabeth JEANNOT, avocat au barreau de PARIS, toque : C0647
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/028565 du 21/10/2022 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)
INTIMÉE
Madame [R] [C] venant aux droits de Madame [S] [C]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 19 décembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, Président de formation
Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre
Monsieur Stéphane THERME, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
Selon lettre du 5 juillet 2009 valant promesse d’embauche et prévoyant un salaire mensuel net de 1 800 euros payé par chèque emploi-service, Mme [W] [P], religieuse, a été engagée en qualité d’assistante de vie le 9 juillet 2009 par [S] [C] qui était âgée de 86 ans.
Un contrat de travail écrit a été établi le 7 janvier 2011, stipulant une durée de travail de 40 heures par semaine, soit 174 heures de travail par mois, en contrepartie d’un salaire net mensuel de 1 800 euros payé en chèque emploi-service.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999.
Le décès de Mme [S] [C] le 26 mars 2015 a mis fin à la relation contractuelle.
Mme [P] a saisi le 28 juillet 2015 le conseil de prud’hommes de Paris en sollicitant la condamnation de Mme [R] [C], ès qualités d’ayant droit de [S] [C], à lui payer un rappel d’heures supplémentaires et une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
Par jugement 13 décembre 2016, le conseil de prud’hommes a rendu la décision suivante:
« Condamne Madame [R] [C] ès qualités d’ayant droit de Madame [S] [C], à verser à Madame [W] [P] les sommes suivantes :
– 8.336,00 € à titre de rappel d’heures supplémentaires, avec intérêts au taux légal à compter de la réception, par la partie défenderesse, de la convocation devant le bureau de conciliation,
– 900,00 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Déboute Madame [W] [P] du surplus de ses demandes.
Déboute Madame [R] [C] ès qualités d’ayant droit de Madame [S] [C], de sa demande reconventionnelle.
Condamne Madame [R] [C] ès qualités d’ayant droit de Madame [S] [C] aux dépens. »
La salariée a relevé appel de ce jugement et la cour d’appel de Paris, par arrêt du 26 mars 2019, a débouté Mme [P] de ses demandes de rappel d’heures supplémentaires et d’indemnité pour non-respect du repos hebdomadaire, confirmé le jugement en ses autres dispositions, et a ordonné à Mme [P] de rembourser à Mme [R] [C], ès qualités, la somme de 8 336 euros au titre de l’exécution provisoire du jugement du conseil de prud’hommes.
Mme [P] a formé un pourvoi contre cet arrêt.
Par arrêt du 21 septembre 2022, la Cour de cassation a cassé et annulé, mais seulement en ce qu’il déboute Mme [P] de ses demandes à titre de rappel d’heures supplémentaires et d’indemnité au titre du travail dissimulé, ordonne le remboursement de la somme de 8 336 euros versés au titre de l’exécution provisoire du jugement, dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel et laisse les
dépens à la charge de la salariée, l’arrêt rendu le 26 mars 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Paris (Soc. 21 septembre 2022, pourvoi n° 20-20.432).
Par déclaration transmise par voie électronique le 5 décembre 2022, Mme [P] a saisi la présente juridiction, désignée comme cour de renvoi.
La constitution d’intimée de Mme [R] [C], ès qualités d’ayant droit de [S] [C], a été transmise par voie électronique le 17 janvier 2023.
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 13 novembre 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, Mme [P] demande à la cour de:
« Juger recevable et bien fondée Madame [P] en sa saisine sur renvoi après cassation, conformément à l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 21 septembre 2022 (pourvoi n°20-20432) ;
Confirmer le jugement du Conseil de prud’hommes de Paris du 13 décembre 2016 en ce qu’il a reconnu l’existence et le nombre des heures supplémentaires accomplies par Madame [W] [P],
Infirmer le jugement du Conseil de prud’hommes de Paris du 13 décembre 2016 pour le surplus,
Et, statuant à nouveau :
A titre principal :
Dire et juger que les heures supplémentaires accomplies par Madame [W] [P] s’analysent en du temps de travail effectif ; en conséquence,
Condamner Madame [R] [C], es qualité d’ayant-droit de Madame [S] [C], à payer à Madame [W] [P] la somme nette de 98.780 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires pour la période courant de juillet 2012 à mars 2015, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de prud’hommes ;
A titre subsidiaire :
Dire et juger que les heures supplémentaires accomplies par Madame [W] [P] s’analysent en du temps de présence responsable ; en conséquence,
Condamner Madame [R] [C], es qualité d’ayant-droit de Madame [S] [C], à payer à Madame [W] [P] la somme nette de 61.942 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires pour la période courant de juillet 2012 à mars 2015, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du Conseil de prud’hommes ;
En tout état de cause :
Débouter Madame [R] [C] es qualité d’ayant-droit de Madame [S] [C], de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Dire et juger que les heures supplémentaires accomplies par Madame [W] [P] auraient dû au minimum être rémunérées comme du temps de présence de nuit, équivalent à la somme nette de 8.336 euros pour la période courant de juillet 2012 à mars 2015, et qu’elles ne lui ont jamais été payées pendant toute la durée du contrat ;
Condamner Madame [R] [C], es qualité d’ayant-droit de Madame [S] [C], à payer à Madame [W] [P] une somme de 31.722 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé,
Condamner Madame [R] [C], es qualité d’ayant-droit de Madame [S] [C], à payer à Maître Elisabeth JEANNOT, Avocat au Barreau de Paris, une somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;
Condamner Madame [R] [C], es qualité d’ayant-droit de Madame [S] [C], aux entiers dépens de première instance et d’appel. »
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 20 novembre 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé des moyens, Mme [R] [C], ès qualités, demande à la cour de:
« INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Paris le 13 décembre 2016 en ce qu’il a :
– condamné Madame [R] [C], es qualité d’ayant droit de Madame [S] [C], à verser à Madame [P] la somme de 8.336,00 euros à titre d’heures supplémentaires,
– condamné Madame [R] [C], es qualité d’ayant droit de Madame [S] [C], à verser à Madame [P] la somme de 900 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– débouté Madame [R] [C], es qualité d’ayant droit de Madame [S] [C], de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– condamné Madame [R] [C], es qualité d’ayant droit de Madame [S] [C], aux dépens.
CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de Paris le 13 décembre 2016 en ce qu’il a :
– débouté Madame [P] pour le surplus de ses demandes.
ET, statuant à nouveau :
DEBOUTER Madame [P] de l’ensemble de ses demandes que ce soit à titre principal ou subsidiaire ;
PRENDRE ACTE de ce que Madame [R] [C] reconnait devoir à Madame [P] la somme de 2.154,60 euros bruts au titre de certaines heures non rémunérées sur la période juillet 2012 – mars 2015, soit, la somme nette de 1.644,73 euros (taux de charges salariales à 1.31 selon le bulletin de paie de février 2015)
CONDAMNER Madame [P] à rembourser la somme de 8.918,07 euros perçue au titre de l’exécution provisoire
ORDONNER en conséquence la compensation entre la somme due par Madame [P] de 8.918,07 euros nets et la somme due par Madame [C] de 1.644,73 euros nets.
DEBOUTER Madame [P] de sa demande au titre du travail dissimulé ;
DEBOUTER Madame [P] de l’ensemble de ses demandes pour le surplus;
CONDAMNER Madame [P] à verser à Madame [R] [C] une
somme de 3.000 € au titre de l’article 700 du CODE DE PROCEDURE CIVILE.
CONDAMNER Madame [P] aux dépens d’appel sur renvoi »
L’ordonnance de clôture a été rendue le 28 novembre 2023.
MOTIFS
Sur les heures supplémentaires
Il est de jurisprudence constante qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
En l’espèce, Mme [P] a récapitulé les heures de travail qu’elle soutient avoir accomplies, au service de [S] [C], dans un tableau figurant en page 19 de ses conclusions d’appel. Ce décompte mentionne que chaque semaine de juillet 2009 à mars 2015 elle a travaillé chez [S] [C] tant à son domicile à [Localité 6] que dans sa résidence secondaire à [Localité 5], du lundi 14h au mardi 09h (soit 19h de travail), du mardi 14h au mercredi 09h (soit 19h de travail), du jeudi 14h au vendredi 09h (soit 19h de travail), du vendredi 15h30 au samedi 09h (soit 17,5 h de travail), ce qui fait un total de 74,5 heures de travail sur cinq jours. Le décompte de Mme [P] mentionne qu’elle travaillait en outre un week-end sur deux, du samedi 09h au lundi 09h, soit 48h de travail.
Mme [P] verse aussi aux débats plusieurs attestations, dont celle de Mme [O], auxiliaire de vie également au service de [S] [C], qui écrit « J’atteste avoir travaillé pour Madame [C] en qualité d’auxiliaire de vie du 01/09/2013 au 26/03/2015 – Cela du lundi de 9h à 14h pour prendre mon service, j’y relayais Madame [W] [P] (cela 1 week-end sur deux), ensuite Madame [P] reprenait la suite le jeudi, elle me relayait à nouveau à 14h jusqu’au vendredi matin 9h. Revenant le vendredi à 15h30 jusqu’à 21h, encore une fois un week-end sur deux, elle restait du vendredi 15h30 jusqu’au lundi 9h ».
Mme [U], aide à domicile qui a travaillé pour [S] [C] dans sa résidence secondaire à [Localité 5], écrit « J’atteste avoir travaillé pour Madame [S] [C], sur sa résidence d'[Localité 5] (64). Lorsque Madame [W] [P] accompagnait Madame [C] sur [Localité 5], celle-ci demeurait et travaillait jour et nuit auprès de Madame [C] et ceci sur toute la durée du séjour ».
Tous les éléments qui précèdent sont suffisamment précis afin de permettre à Mme [R] [C], qui devait assurer ès qualités le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le contrat de travail formalisé le 7 janvier 2011, et dont il n’est pas contesté par Mme [R] [C] qu’il correspondait à la situation prévalant, selon elle, depuis l’embauche de Mme [P] en juillet 2009, comprend un article 5 intitulé « Durée du travail » formulé ainsi:
« 5.1 DUREE HEBDOMADAIRE
Mademoiselle [P] travaillera à temps complet, soit 40 heures par semaine conformément à la convention collective applicable.
Mademoiselle [P] pourra assurer ponctuellement une présence de nuit qui sera rémunérée conformément aux dispositions de la convention collective applicable.
Cette durée du travail sera répartie de la façon suivante :
– temps de travail effectif = 34 heures par semaine
– temps de présence responsable = 9 heures par semaine
Le temps de présence dit « responsable » correspond aux périodes de repos de Madame [C] pendant lesquelles Mademoiselle [P] n’intervient pas.
5.2 HEURES SUPPLÉMENTAIRES
Les éventuelles heures supplémentaires seront déterminées en fonction de l’accord des parties et donneront lieu à :
– un paiement au taux majoré, ou
– une récupération sous forme de jours de repos dans les 12 mois suivants.
5.3 REPOS HEBDOMADAIRE
Mademoiselle [P] prendra son jour de congé hebdomadaire le mercredi. »
Il résulte de cet article que si le temps prévu contractuellement, pendant lequel Mme [P] était avec [S] [C], s’élevait au total à 43h par semaine, son temps complet était néanmoins fixé à 40h hebdomadaires compte tenu de la répartition faite dans le contrat de travail entre temps de travail effectif et temps de présence responsable.
La « présence » de Mme [P] certaines nuits au domicile de [S] [C] n’est pas contestée dans son principe par Mme [R] [C] qui a ainsi, par lettre du 1er juillet 2015 adressée en réponse à l’appelante, écrit « Dans ce cadre, vous avez toujours travaillé partiellement en journée et assuriez une présence de nuit plusieurs fois par semaine. Compte tenu des règles applicables, et donc en tenant compte des heures de présence responsable, comptabilisées pour 2/3 et des heures de présence de nuit, indemnisées à hauteur de 1/6ème, cela correspondait à un équivalent, en temps de travail effectif, de 174 heures. Vous omettez ce « détail » mais si l’on tient uniquement compte de vos heures de présence en journées, avant application de la pondération pour les heures de présence responsable, vous étiez seulement présente 145 heures par mois. Or, vous perceviez une rémunération de 2 484,64€ bruts pour 174 heures de travail effectif, ce qui incluait l’indemnisation au titre de votre présence de nuit. Vous savez parfaitement et avez toujours su que la rémunération des heures de nuit était bien incluse dans votre rémunération. Je vous rappelle enfin que vous avez bénéficié d’une chambre particulière, chambre qui était d’ailleurs beaucoup plus grande que celle qu’occupait ma mère et qui disposait de sa propre salle de bain » (pièce n°12 de Mme [P]).
Mme [R] [C] reconnaît donc que Mme [P] assurait « une présence de nuit plusieurs fois par semaine », étant rappelé que selon le tableau rédigé par l’appelante celle-ci assurait au domicile de [S] [C] les nuits du lundi au mardi, du mardi au mercredi, du jeudi au vendredi et vendredi au samedi, soit quatre nuits.
Mme [R] [C] verse aux débats des agendas comportant plusieurs écritures et où sont mentionnés notamment les noms et horaires d’arrivée et de départ des intervenants, qui étaient nombreux, à s’occuper de [S] [C]. Sont mentionnés aussi sur ces agendas les rendez-vous, en particulier médicaux, les tâches ménagères, les événements de la journée. Il ne ressort pas de l’examen de ces copies d’agendas d’élément qui soit de nature à en remettre en cause l’authenticité et la sincérité des informations y figurant.
La lecture de ces agendas ne permet pas de confirmer avec certitude tous les horaires invoqués par Mme [R] [C], les copies desdits agendas n’étant que parcellaires et parfois peu facilement déchiffrables. Toutefois, il résulte de leur examen de nombreuses discordances entre certaines mentions et ce qui est prétendu par Mme [P] quant à ses horaires. Par exemple, la copie des pages du mardi 25 septembre 2012, du mardi 12 février 2013, du mardi 26 mars 2013 et du mardi 30 avril 2023 démontre que Mme [P] est arrivée à 17h30 au domicile de [S] [C], ce qui contredit les dires de l’appelante selon lesquels elle travaillait avec des horaires fixes l’amenant à commencer à 14h tous les mardi après-midi.
En prenant en considération l’ensemble des éléments versés aux débats par les parties, la cour a la conviction que la présence de Mme [P] dans les habitations de [S] [C], qu’il s’agisse de son domicile parisien ou de sa résidence secondaire à [Localité 5] afin de tenir compte des week-ends, ne se limitait pas à 174 heures par mois mais était moins importante que le nombre de d’heures allégué par Mme [P]. Le nombre total d’heures est évalué à une moyenne de 230h par mois.
S’agissant de l’indemnisation demandée par Mme [P], il convient d’examiner la nature des heures en cause, qu’il s’agisse de celles excédant les 170h, correspondant à des heures supplémentaires, que de celles incluses dans les 170h puisque l’appelante conteste aussi la répartition entre heures de travail effectif et heures de présence responsable qui a été retenue par Mme [R] [C] durant la relation contractuelle pour les heures qui lui ont été rémunérées.
L’article 3 de la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 est consacré à la notion de présence responsable:
« Article 3
Postes d’emploi à caractère familial (PECF) – Présence responsable
Les salariés occupant un poste d’emploi à caractère familial assument une responsabilité auprès de personnes : enfants, personnes âgées ou handicapées, dépendantes ou non.
Dans le cadre de l’horaire défini dans le contrat, ces salariés peuvent effectuer des heures de travail effectif et des heures de présence responsable dont le nombre respectif sera précisé au contrat.
a) – Définition de la présence responsable
Les heures de présence responsable sont celles où le salarié peut utiliser son temps pour lui-même tout en restant vigilant pour intervenir, s’il y a lieu.
Le nombre d’heures éventuelles de présence responsable peut évoluer notamment en fonction de: – l’importance du logement,
– la composition de la famille,
– l’état de santé de la personne âgée, handicapée ou malade.
Une heure de présence responsable équivaut à 2/3 d’une heure de travail effectif. »
Il résulte de ce texte conventionnel que le contrat de travail est parfaitement conforme à ces dispositions puisqu’il prévoyait 9 heures de temps de présence responsable par semaine, ce qui équivaut à 6h de travail effectif qui, ajoutées aux 34 heures de temps de travail effectif par semaine prévus dans ledit contrat, correspond bien au total de 40h par semaine fixé par le contrat de travail.
L’article 5 de du contrat de travail prévoyait également que Mme [P] pourrait assurer une présence de nuit. Les heures de présence de nuit n’étaient pas contractuellement exclues des 174 heures de travail mensuelles, de sorte que seules celles excédant la durée mensuelle de 174 heures devaient être rémunérées au-delà du salaire convenu pour cette durée mensuelle.
En outre, contrairement à ce que soutient celle-ci, ce n’est pas le nombre de ces présences de nuit mais la qualification juridique, travail effectif ou présence responsable, découlant du travail effectué durant ces présences de nuit qui détermine les modalités de leur rémunération.
A cet égard, Mme Mbuyi rappelle à juste titre qu’aux termes de l’article 3 de son contrat de travail ses fonctions étaient les suivantes:
« Aider à la toilette journalière,
Assurer l’entretien de l’appartement à [Localité 6] et de la maison à [Localité 5],
Assurer les courses de proximité,
Assurer l’entretien et le repassage du linge, la couture simple,
Assurer la cuisine familiale et le service de table,
Assurer les prescriptions médicales avec l’accord de la famille,
Assurer et organiser les sorties et les rendez-vous,
Tenir informé la famille de l’état de santé de Madame [C]. »
Néanmoins, il s’agit de la totalité des fonctions dévolues contractuellement à Mme [P] et non de celles qu’elle était nécessairement amenée à effectuer durant les nuits.
A ce sujet, il est rappelé et non contesté que Mme [P] disposait d’une chambre, spacieuse et confortable, dans les habitations de [S] [C]. Cette chambre était utilisée par chacune des assistantes de vie qui passait la nuit dans ladite habitation.
Il résulte des attestations versées aux débats par Mme [R] [C], par exemple celle de Mme [V], très circonstanciée, qui a également travaillé auprès de [S] [C] « de janvier 2008 jusqu’à son décès le 26/03.2015 » et qui était « présente les nuits du mercredi de 21h30 au jeudi à 9h et un week-end sur 2 du samedi matin 9h au lundi matin 9h », que [S] [C], qui appartenait à un milieu social très aisé, n’était pas jusqu’en 2014 la femme extrêmement diminuée et dépendante, ayant besoin de soins constants, qui est décrite par l’appelante. Mme [V] atteste ainsi que « C’était une « personne de grande classe et de grande culture. Elle m’a beaucoup apportée car elle aimait parler der ses voyages, d’histoire, d’art, de mode, etc… Elle m’a encouragé quand j’ai commencé à prendre des cours de peinture. Elle aimait partager, raconter, enseigner, plaisanter. Elle avait beaucoup d’humour. Mme Mbuyi avait aussi besoin de passer du temps seule. Elle aimait beaucoup lire. Elle avait toujours 3 ou 4 livres et des journaux en français et en anglais sur son lit qu’elle lisait en même temps. Pendant ce temps-là, je lisais ou je regardais la télévision de mon côté. Mme [R] [C] attachait beaucoup d’importance à son hygiène personnelle. Elle faisait sa toilette très complète avec un peu d’aide. En 2014 une personne est venue spécialement pour l’aider avec la toilette. Elle était courageuse et comme elle avait des difficultés à se déplacer, utilisait les premières années deux cannes puis après un déambulateur car elle voulait se déplacer seule. Elle n’aimait pas qu’on l’épaule et voulait se débrouiller seule. Je restais discrètement à côté pour le cas où elle en aurait besoin mais faisais attention de ne pas l’envahir par ma présence. Mme [R] [C] a tenu à garder le plus possible d’autonomie jusqu’à la fin et était très gênée quand elle avait besoin de demander de l’aide. Elle s’excusait toujours ». Mme [V] précise de surcroît que « La nuit Mme Mbuyi dormait dans une chambre et moi dans l’autre chambre de l’appartement qui était aussi celle occupée par soeur [W] quand elle était présente. C’était la chambre la plus confortable et la plus vaste de l’appartement qui avait sa salle de bain et toilette incorporés. [S] [C] était dans sa chambre et je regardais la télévision tard dans le salon. En passant devant la chambre de [S] [C], je jetais un coup d’oeil discrètement pour voir si tout va bien », et que « [S] [C] n’aimait pas qu’on s’occupe d’elle la nuit. Elle voulait être libre de faire ce qu’elle voulait. Regarder la télévision dans sa chambre, lire, aller seule aux toilettes (sa chambre avait sa salle de bain avec toilette), grignoter (je lui préparais au coucher une petite collation qu’elle prenait la nuit), dormir. J’étais là pour rassurer [S] [C] et sa fille qu’il y a une présence la nuit en cas de besoin. [S] [C] avait une sonnette sur sa table de nuit pour appeler en cas de nécessité. Ca a dû arriver quelque fois mais c’était très rare, pour la rassurer qu’elle avait tout ce qu’il fallait sur sa table de nuit »
Mme [I], assistante de vie, atteste entre autres que « Quand j’arrivais je demandais toujours à soeur [W] comment s’est passé la nuit et elle ne m’a jamais parlé de nuit où elle avait été dérangée. Je crois qu’elle me l’aurait dit si ça aurait été le cas. A 9h, la plupart du temps [S] [C] était à table en chemise de nuit et robe de chambre et lisait le journal en m’attendant pour préparer son petit déjeuner et lui apporter ses médicaments. Je faisais les courses et le marché les mardis et jeudis et pendant ce temps il y avait [F], une auxiliaire de vie pour la toilette de [S] [C]. Quand [F] ne venait pas [S] [C] restait seule sans problème ».
S’agissant du masque contre l’apnée du sommeil, les pièces produites n’établissent ni que [S] [C] avait la nécessité de le porter la nuit entière ni qu’il fallait que quelqu’un reste à son chevet pour les besoins de ce masque. En particulier, les mentions figurant sur les agendas démontrent des durées de port de ce masque très variables, parfois de moins d’une heure au total (par exemple la nuit du 20 mai 2014) et même une absence totale de porte dudit masque certaines nuits (par exemple les nuits des 21, 23 et 28 janvier 2014).
Compte tenu de l’ensemble des éléments versés aux débats, il y a lieu de considérer que [S] [C] avait une réduction d’autonomie nécessitant que la nuit un tiers soit présent dans son logement, prêt à intervenir en cas de besoin pour accomplir une prestation de travail. Il n’y avait cependant pas de perte d’autonomie de [S] [C] induisant que les heures où l’assistante de vie se trouvait dans son logement la nuit constituaient du temps de travail effectif. Les heures de nuit correspondaient donc à des heures de présence responsable au sens des articles 3 et 6 de la convention collective applicable et doivent être rémunérées comme telles, étant ajouté qu’il n’est pas démontré le non-respect des dispositions de l’article 6.
De même, il résulte des éléments communiqués qu’en journée, de nombreux intervenants étaient présents simultanément dans le logement de [S] [C], et Mme [P] n’établit pas qu’elle devait accomplir quotidiennement, en journée, toutes les tâches mentionnées sur le contrat de travail, certaines d’entre elles étant effectuées par d’autres intervenants présents également. Dès lors, la répartition des 170 heures mensuelles de travail, entre temps de travail effectif et heures de présence responsable, qui est fixée à l’article 5 du contrat de travail n’est pas critiquable au regard des pièces produites et de l’occupation de Mme [P] durant ces heures.
Toutes les heures retenues au-delà de la durée mensuelle de 170 heures correspondant à des heures de présence responsable, le rappel de salaire dû à Mme [P] pour ces heures supplémentaires doit être indemnisé selon la règle, fixée à l’article 3 de la convention collective, que « Une heure de présence responsable équivaut à 2/3 d’une heure de travail effectif » mais aussi selon la règle prévue à l’article 5 du contrat de travail selon laquelle les heures supplémentaires donneront lieu à un « paiement au taux majoré ».
Le nombre d’heures supplémentaires retenues, à savoir 60 heures par mois, soit une moyenne de 13,85 heures par semaine, entraîne l’application de la majoration de 25%, laquelle concerne les huit premières heures supplémentaires hebdomadaires accomplies, et de 50% pour les heures au-delà.
Le nombre de mois à indemniser est au total de 33, de juillet 2012 à mars 2015, compte tenu de la prescription pour la période antérieure, et le taux horaire est de 10,92 euros, ce qui, majoré de 25%, conduit à un taux à prendre en considération de 13,65 euros pour les huit premières heures supplémentaires hebdomadaires, et, majoré de 50%, conduit à un taux à prendre en considération de 16,38 euros pour les heures supplémentaires au-delà.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, Mme [R] [C], ès qualités d’ayant droit de [S] [C], est condamnée à payer à Mme [P] la somme de 29 295,72 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires pour la période courant de juillet 2012 à mars 2015, le jugement étant infirmé sur ce chef.
Sur l’indemnité pour travail dissimulé
Il résulte des articles L.8221-5 et L.8223-1 du code du travail qu’en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en se soustrayant intentionnellement à l’accomplissement de la déclaration préalable à l’embauche, à la délivrance d’un bulletin de paie ou en mentionnant sur celui-ci un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, ou en se soustrayant intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement, a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Cependant, en l’espèce, au-delà du constat de l’absence de mention des heures supplémentaires, dont l’existence a été retenue, sur les bulletins de paie de Mme [P], le caractère intentionnel par Mme [R] [C], ès qualités, du travail dissimulé n’est pas établi. La demande d’indemnité pour travail dissimulé est donc rejetée, le jugement étant confirmé sur ce point.
Sur les autres demandes
Les intérêts au taux légal courent à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales échues à cette date et à compter de leur exigibilité pour les créances salariales dues postérieurement. Les intérêts au taux légal courent à compter de la présente décision pour les dommages-intérêts alloués.
Mme [R] [C], ès qualités, succombant, elle est condamnée aux dépens de la procédure d’appel.
Il paraît équitable de condamner Mme [R] [C], ès qualités, à payer à maître Elisabeth Jeannot, avocat de Mme [P] qui bénéficie de l’aide juridictionnelle, à laquelle il sera alors renoncé en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par infirmation du jugement déféré, il paraît équitable de condamner Mme [R] [C], ès qualités, à payer à Mme [P] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement mais seulement en ce qu’il a limité la condamnation de Mme [R] [C], ès qualités d’ayant droit de [S] [C], à payer à Mme [P] la somme de 8 336 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires.
Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,
Condamne Mme [R] [C], ès qualités d’ayant droit de [S] [C], à payer à Mme [P] la sommes de 29 295,72 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires pour la période courant de juillet 2012 à mars 2015.
Dit que les intérêts au taux légal courent à compter de la réception par l’employeur de la convocation à comparaître devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes pour les créances salariales échues à cette date et à compter de leur exigibilité pour les créances salariales dues postérieurement.
Condamne Mme [R] [C], ès qualités d’ayant droit de [S] [C], à payer à maître Elisabeth Jeannot, avocat de Mme [P] qui bénéficie de l’aide juridictionnelle, à laquelle il sera alors renoncé en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
Condamne Mme [R] [C], ès qualités d’ayant droit de [S] [C], aux dépens de la procédure d’appel.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT