11/03/2022
ARRÊT N° 2022/205
N° RG 20/02353 – N° Portalis DBVI-V-B7E-NWIH
CP/KS
Décision déférée du 24 Juillet 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CASTRES
( F18/00110)
[T]
SECTION AGRICULTURE
[U] [M]
C/
[V] [J]
INFIRMATION PARTIELLE
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
4eme Chambre Section 1
***
ARRÊT DU ONZE MARS DEUX MILLE VINGT DEUX
***
APPELANT
Monsieur [U] [M]
1280 chemin de Belsoulel
81500 AMBRES
Représenté par Me Nathalie BIZOT, avocat au barreau de CASTRES
INTIMÉ
Monsieur [V] [J]
Bellefonts Saint Anatole
81500 GIROUSSENS
Représenté par Me Hugues DELAFOY de l’AARPI QUATORZE, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 01 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant C. PARANT, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
S. BLUME, présidente
M. DARIES, conseillère
C. PARANT, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : C. DELVER
ARRET :
– CONTRADICTOIRE
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par S. BLUME, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre.
EXPOSE DU LITIGE
Après avoir travaillé en qualité de jardinier, homme d’entretien au domicile de M. [V] [J], M. [U] [M] a été embauché le 21novembre 2011 par M. [V] [J] en qualité d’ouvrier agricole, suivant contrat de travail intermittent à durée indéterminée pour une durée minimale annuelle d’emploi de 900 heures et maximale de 1 200 heures régi par la convention collective nationale des exploitants agricoles du Tarn.
Ce contrat ne comportait aucune mention sur les périodes travaillées et non travaillées.
Du 1er mai 2013 au 11 décembre 2017, M. [M] a également travaillé pour le fils de M. [V] [J], M. [R] [J], en tant qu’employé familial sur la propriété de la famille [J].
Après avoir été convoqué par courrier du 11 septembre 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, et après avoir reçu, par courrier du 28 septembre 2017 une proposition de contrat de sécurisation professionnelle, M. [M] a été licencié par M. [U] [M] par lettre du 7 octobre 2017 pour motif économique.
M. [M] n’a pas adhéré au contrat de sécurisation professionnelle et son contrat a pris fin le 11 décembre 2017.
M. [M] a saisi le conseil de prud’hommes de Castres le 28 septembre 2018 pour solliciter la requalification de sa relation de travail en contrat de travail à temps plein ainsi que le paiement de diverses sommes.
Par jugement du 24 juillet 2020, le conseil de prud’hommes de Castres a :
-dit que la prescription n’est pas effective,
-débouté les parties de l’ensemble de leurs demandes,
-dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamné M. [M] aux entiers dépens.
Par déclaration du 25 août 2020, M. [M] a interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 28 juillet 2020, dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées.
Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique
le 24 novembre 2020, auxquelles il est expressément fait référence,
M. [U] [M] demande à la cour de :
-réformer le jugement dont appel en ce qu’il l’a débouté de l’ensemble des demandes et l’a condamné aux dépens,
-constater que le contrat de travail intermittent ne répond pas aux exigences légales prescrites à peine de requalification et juger que la relation de travail doit être requalifiée à temps plein,
-juger que cette présomption de temps plein est irréfragable,
-condamner M. [J] à lui payer au titre de rappel de salaire sur la base d’un temps plein pour la période de décembre 2014 à décembre 2017, les sommes de :
*34 602,88 € à titre du rappel de salaire de base,
*4 677,51 € à titre du rappel de prime d’ancienneté,
*5 106,45 € au titre des congés payés y afférents,
*6 264,02 € à titre de solde d’indemnité de licenciement,
-ordonner la production, sous astreinte, des bulletins de paie de décembre 2014 à décembre 2017 et d’une attestation pôle emploi conformes à l’arrêt,
-condamner M. [J] au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamner M. [J] aux entiers dépens, aux intérêts de droit ainsi qu’aux frais d’exécution forcée.
Par dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique
le 23 février 2021, auxquelles il est expressément fait référence, M. [V] [J] demande à la cour de :
-à titre principal, réformer le jugement dont appel et, statuant à nouveau :
*juger que la demande de requalification est prescrite,
*en conséquence,
*débouter M. [M] de l’intégralité de ses demandes,
-à titre subsidiaire, confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a rejeté la demande de requalification à temps complet du contrat de travail,
*en conséquence :
*débouter M. [M] de l’intégralité de ses demandes,
-à titre infiniment subsidiaire,
*juger que la relation contractuelle doit être analysée comme un seul et unique contrat de travail à temps complet,
*en conséquence,
*juger que les rémunérations versées par M. [R] [J], co-employeur, doivent être prises en compte,
*limiter les condamnations à l’encontre de l’entreprise individuelle [V] [J] aux sommes suivantes :
-à titre de rappel de salaire : 2 350 €,
-à titre de reliquat d’indemnité de licenciement : 479 €,
-en toute hypothèse, condamner M. [M] à lui verser la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 21 janvier 2022.
L’affaire a été retenue à l’audience du 1er février 2022 au cours de laquelle la cour a interrogé les conseils des parties sur le recours à une médiation.
L’appelant ayant fait savoir par son conseil qu’il ne souhaitait pas participer à cette mesure acceptée par l’intimé, la cour statuera sans qu’il soit fait recours à cette mesure de médiation.
MOTIFS
Sur la prescription
M. [J] soulève la prescription de la demande de requalification du contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps plein ; il soutient qu’est applicable à cette demande le délai de prescription de deux ans de l’article L.1471-1 du code du travail qui court à compter de la conclusion du contrat, soit du 21 novembre 2011.
M. [M] s’y oppose, prétendant que l’objet de sa demande est une demande en paiement de rappel de salaire qui se prescrit par 3 ans, conformément à
l’article L. 3245-1 du code du travail et il sollicite le paiement des salaires et accessoires dus pendant les 3 années précédant la rupture du contrat de travail.
Comme le conseil de prud’hommes, la cour rappelle que la durée de la prescription dépend de la nature de la créance invoquée de sorte que la demande de rappel de salaire fondée sur la requalification du contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps plein est soumise, non pas à la prescription biennale de l’article L.1471-1 du code du travail, mais à la prescription triennale de l’article L.3245-1 du code du travail qui dispose, dans sa rédaction applicable au litige :
‘L’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat ‘.
Il en résulte que M. [M] est recevable à solliciter le paiement de rappel de salaire , de primes d’ancienneté, d’indemnité de congés payés et de solde d’indemnité de licenciement dus au titre des 3 années précédant la rupture du contrat de travail intervenue le 11 décembre 2017, soit à compter de décembre 2014.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription de la demande de M. [M].
Sur la demande de requalification du contrat de travail intermittent en contrat de travail à temps plein et sur la demande en paiement de rappel de sommes
M. [M] fonde sa demande de requalification du contrat de travail intermittent conclu avec M. [J] le 21 novembre 2011 en contrat de travail à temps plein sur
l’article L. 3123-31 du code du travail, soutenant plusieurs motifs de requalification, rappelant que chacun suffit à permettre la requalification :
1)la convention collective des exploitations agricoles du Tarn ne définit pas avec précision les emplois pour lesquels il est possible de recourir au contrat intermittent,
2)le contrat ne prévoit aucune alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées,
3) le contrat ne définit aucune période d’emploi.
Il conteste le prétendu co-emploi invoqué à titre subsidiaire par l’intimé en rappelant l’existence de deux relations de travail distinctes entre M. [M] et MM [J] comprenant deux périodes d’emploi distinctes, deux emplois distincts et un traitement social différent pour chaque contrat de travail.
M. [J] soulève l’inconventionnalité de ‘l’argumentation soutenue par M. [M]’ qui est incompatible avec l’article 6-1 de la convention européenne des droits de l’homme, faute de l’exigence de prévisibilité exigée par cet article, et qui viole l’article premier du premier protocole additionnel à la convention européeenne des droits de l’homme.
Il prétend renverser la présomption de contrat de travail à temps plein en rapportant la preuve que M. [M] n’était pas tenu de se tenir à la disposition permanente de son employeur dans la mesure où il exerçait un seul contrat unique à temps plein sous le contrôle de MM [V] et [R] [J], co-employeurs, peu important que deux contrats de travail distincts aient été conclus ; il travaillait 35 heures par semaine sur la propriété des consorts [J] avec confusion des pouvoirs de direction, de contrôle et de sanction.
L’article L 3123-31 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la cause
disposait :
‘ Dans les entreprises pour lesquelles une convention ou un accord collectif de travail étendu ou une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement le prévoit, des contrats de travail intermittent peuvent être conclus afin de pourvoir les emplois permanents, définis par cette convention ou cet accord, qui par nature comportent une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées ‘.
Il est constant que la sanction de la méconnaissance des règles régissant ce contrat de travail intermittent est la requalification de ce contrat de travail en contrat à durée indéterminée à temps plein.
M. [J] est mal fondé à prétendre que cette sanction méconnaîtrait l’article 6.1 de la convention européenne des droits de l’homme aux termes duquel toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, en ce qu’elle ne permettrait pas à l’employeur de prévoir les conséquences raisonnables pouvant en résulter, alors que la requalification d’un contrat de travail à temps partiel irrégulier est la sanction prétorienne constante de l’illicéité du contrat de travail intermittent en cas de violation des conditions posées de manière compréhensible par l’article L. 3123-31 du code du travail. Etant rappelé que M. [J], médecin et propriétaire agricole, était parfaitement à même de disposer de conseils lors de la rédaction du contrat de travail liant les parties.
Il est également mal fondé à soutenir que cette sanction de la requalification violerait l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européeenne des droits de l’homme relatif à la protection de la propriété selon lequel : ‘ toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ‘.
La cour estime, en effet, que la sanction de la requalification qui entraîne une condamnation au paiement de rappel de salaire est prévue par une jurisprudence constante et est la conséquence de la violation par l’employeur de la loi ; elle est proportionnée à la durée de la relation contractuelle et M. [J] ne justifie par aucune pièce qu’elle le conduirait, comme il le prétend, à la liquidation judiciaire de son entreprise agricole.
M. [M] démontre que les conditions prévues par l’article L.3123-21 du code du travail, dans sa rédaction applicable à l’espèce, ne sont pas remplies.
D’une part, l’article 70 de la convention collective des exploitations agricoles du Tarn applicable à la relation contractuelle ne définit pas précisément les emplois permanents pour lesquels il est autorisé de recourir au contrat de travail intermittent et aucun autre article de cette convention ne définit lesdits emplois.
D’autre part, le contrat de travail intermittent du 21 novembre 2011 ne contient aucune mention relative aux périodes travaillées et aux périodes non travaillées.
M. [M] démontre ainsi le non respect par M. [J] des conditions posées par la loi pour conclure un contrat de travail intermittent.
Le prétendu co-emploi soutenu par M. [J] n’est nullement établi puisqu’en effet, M. [M] a conclu le 21 novembre 2011 avec M. [V] [J] un contrat de travail intermittent pour exercer tous travaux agricoles et d’entretien du matériel et des bâtiments et, avec son fils, M. [R] [J] à compter du 1er mai 2013 un contrat de travail d’emploi familial non écrit ; le fait que M. [M] ait pu exercer le second contrat de travail sur les mêmes lieux de travail que le premier est insuffisant à faire la preuve d’un prétendu co-emploi alors que les deux contrats de travail ont eu pour objet de régir deux emplois différents, à des dates différentes ; que la lecture des bulletins de paie permet de constater que, comme le soutient M. [M], la rémunération de chacun des emplois était différente, son régime social également, les conventions collectives applicables étant, pour le contrat de 2011, celle des exploitants agricoles du Tarn et , pour le contrat d’emploi familial, celle du particulier employeur ; que seul M. [V] [J] a conclu le contrat du 21 novembre 2011 ; que si la rupture des contrats de travail est intervenue par lettres du même jour,11 septembre 2017, les deux contrats ont été rompus par deux lettres différentes pour deux motifs différents et les documents de fin de contrat ont été établis de façon distincte.
Il en résulte que, si M. [M] a bien reçu, à compter de mai 2015, des instructions de MM [V] et [R] [J] pour exercer un travail au sein de la même propriété c’est aux fins d’exécuter des tâches de nature différente, rémunérées de façon distincte, conformément à une convention collective différente dans le cadre de contrats distincts qui se sont terminés par des procédures et des lettres de licenciement distinctes et le versement d’indemnités de licenciement différentes. Le fait que MM [J] aient tous deux cosigné la lettre de licenciement qui mettait fin au contrat d’emploi familial du 1er mai 2013 est sans conséquence sur le prétendu co-emploi revendiqué, étant rappelé que seul M. [V] [J] a diligenté la procédure ayant mis fin au contrat de travail du 21 novembre 2011 et qu’il a seul signé la lettre de rupture de ce contrat.
L’absence de respect par M. [V] [J] des conditions posées par la loi pour conclure le contrat de travail intermittent du 21 novembre 2011 entraîne la requalification de ce contrat en contrat à durée indéterminée à temps plein, ce qui conduit la cour à condamner M. [J] au paiement des rappels calculés suivant décompte versé aux débats pour la période courant de décembre 2014 à
décembre 2017, dont le quantum n’a pas été discuté par l’intimé.
M. [M] peut prétendre, sur la base d’un horaire mensuel de 151, 67 heures, à un rappel de salaire, de prime d’ancienneté, d’indemnité conventionnelle de congés payés ( 13 %) et d’indemnité de licenciement se décomposant comme suit :
– 34 602 € à titre de rappel de salaire,
– 4 677,51 € à titre de rappel de prime d’ancienneté,
– 5 106,65 € à titre d’indemnité de congés payés conventionnelle
– 6 264,02 € à titre de rappel d’indemnité de licenciement.
Le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a débouté M. [J] de ses demandes de rappel de salaire, de prime d’ancienneté, d’indemnité de congés payés et de rappel d’indemnité de licenciement.
Sur le surplus des demandes
Il sera fait droit, par infirmation du jugement dont appel, à la demande de remise de bulletins de paie mensuels et d’une attestation pôle emploi rectifiés conformément au présent arrêt, sans que le prononcé d’une astreinte soit justifié.
M. [J] qui succombe sera condamné aux dépens de première instance et d’appel sans qu’il soit nécessaire de prévoir sa condamnation aux frais d’exécution de l’arrêt, et à payer à M. [M] la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, le jugement déféré étant infirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription des demandes de M. [U] [M],
L’infirme sur le surplus de ses dispositions,
statuant à nouveau des chefs infirmés, et, y ajoutant,
Requalifie en contrat de travail à temps plein le contrat de travail intermittent
du 21 novembre 2011,
Condamne M. [V] [J] à payer à M. [U] [M] les sommes suivantes :
– 34 602 € à titre de rappel de salaire de décembre 2014 à décembre 2017,
– 4 677,51 € à titre de rappel de prime d’ancienneté,
– 5 106,65 € à titre d’indemnité de congés payés conventionnelle
– 6 264,02 € à titre de rappel d’indemnité de licenciement,
Rappelle que ces condamnations sont assorties des intérêts au taux légal à compter du jour de la réception par M. [V] [J] de la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes de Castres,
Ordonne la remise par M. [V] [J] à M. [U] [M] des bulletins de paie mensuels et d’une attestation pôle emploi conformes au présent arrêt et rejette la demande d’astreinte,
Condamne M. [V] [J] au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [V] [J] aux dépens de première instance et d’appel.
Le présent arrêt a été signé par S.BLUMÉ, présidente et par C.DELVER, greffière.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
C.DELVER S.BLUMÉ
.