Paquets de cigarettes neutres : la CJUE saisie

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Paquets de cigarettes neutres : la CJUE saisie

Paquets et conditionnements neutres

Il était acquis que les  unités de conditionnement, les emballages extérieurs et les suremballages des cigarettes et du tabac à rouler sont neutres et uniformisés (article L. 3512-20 du code de la santé publique – CSP). Saisi par plusieurs fabricants, le Conseil d’Etat a censuré plusieurs dispositions de l’ordonnance n° 2016-623 du 19 mai 2016 portant transposition de l’article 13 de la directive 2014/40/UE sur la présentation et la vente des produits du tabac, le tout assorti d’une saisine préjudicielle de la CJUE.

Selon la directive 2014/40/UE tout emballage extérieur ainsi que le produit du tabac proprement dit ne peuvent comprendre aucun élément ou dispositif qui i) contribue à la promotion d’un produit du tabac ou incite à sa consommation en donnant une impression erronée quant aux caractéristiques, effets sur la santé, risques ou émissions du produit ; les étiquettes ne comprennent aucune information sur la teneur en nicotine, en goudron ou en monoxyde de carbone du produit du tabac ; ii)  suggère qu’un produit du tabac donné est moins nocif que d’autres ou vise à réduire l’effet de certains composants nocifs de la fumée ou présente des propriétés vitalisantes, énergisantes, curatives, rajeunissantes, naturelles, biologiques ou a des effets bénéfiques sur la santé ou le mode de vie ; iii) évoque un goût, une odeur, tout arôme ou tout autre additif, ou l’absence de ceux-ci ; iv)  ressemble à un produit alimentaire ou cosmétique ; v) suggère qu’un produit du tabac donné est plus facilement biodégradable ou présente d’autres avantages pour l’environnement.

Les unités de conditionnement et tout emballage extérieur ne suggèrent pas d’avantages économiques au moyen de bons imprimés, d’offres de réduction, de distribution gratuite, de promotion de type “deux pour le prix d’un” ou d’autres offres similaires.  Les éléments interdits peuvent comprendre notamment les messages, symboles, noms, marques commerciales, signes figuratifs ou autres.

Dispositions sanctionnées immédiatement

D’une part, le Conseil d’Etat a d’ores et déjà sanctionné, eu égard à la confusion qu’il opère entre l’avertissement général et le message d’information, le c) du 1° du I de l’article L. 3512-22 selon lequel « Ce message (sanitaire) est apposé deux fois lorsque ces produits sont conditionnés dans des boites pliantes à couvercle basculant ».

D’autre part, les juges suprêmes ont censuré le nouvel article L. 3513-12 du CSP qui a introduit une contribution pouvant aller jusqu’à 7 600 euros au titre de l’obligation faite aux fabricants et importateurs de notifier les produits du vapotage contenant de la nicotine. Ce droit ayant la nature d’un prélèvement fiscal, le Gouvernement ne pouvait se borner à renvoyer à un décret le soin d’en fixer le montant sans déterminer le plafond du barème de ce droit à un niveau qui ne soit pas manifestement déraisonnable.

L’article L. 3513-12 du CSP a été annulé en ce qu’il fixe à un niveau supérieur à 500 euros la limite de la contribution pour notification des produits de la cigarette électronique.

Enfin, en matière d’interdiction des marques, l’ordonnance ne pouvait entièrement déléguer  aux ministres, le pouvoir d’encadrer les conditions de commercialisation de certaines marques. Ce contrôle a priori peut conduire à l’interdiction de faire usage de marques dont les fabricants sont propriétaires et touche, dès lors, aux principes fondamentaux du régime de la propriété. En ne définissant pas les modalités essentielles d’exercice de ce pouvoir et en ne prévoyant pas de régime transitoire applicable aux marques existantes, le Gouvernement n’a entouré d’aucune garantie le contrôle des marques et des dénominations commerciales qu’il a instauré. Le Gouvernement, agissant dans le cadre de l’article 38 de la Constitution, est resté, sur ce point, en-deçà de la compétence de l’autorité investie du pouvoir de prendre des mesures relevant du domaine de la loi.

Saisine de la CJUE

Il existe plusieurs questions sérieuses d’interprétation sur les nouvelles dispositions du CSP et notamment celles de savoir si les nouvelles dispositions légales doivent conduire à proscrire l’utilisation, sur les conditionnements, de noms de marque au seul motif qu’ils évoquent certaines qualités y compris, lorsque la marque a acquis une notoriété qui l’a rendue indissociable du produit qu’elle désigne. Par ailleurs, se pose la question de la légalité et la proportionnalité des nouvelles dispositions au regard du droit de propriété, de la liberté d’expression, de la liberté d’entreprise et de sécurité juridique. Enfin, se pose la question des délais raisonnables de déploiement du paquet et des conditionnements neutres.

Droit de propriété c/ Santé publique

 

Le droit de propriété, la liberté d’entreprendre et la liberté d’expression constituent des droits garantis par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Le Conseil d’Etat a recherché si l’article 13 de la directive ne contrevient pas à ces principes fondamentaux du droit de l’Union européenne et en particulier à l’article 17 qui énonce que « Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. …  La propriété intellectuelle est protégée ».

Il est jugé de façon constante par la CJUE que le droit de propriété n’est pas une prérogative absolue et que son exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union européenne. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l’usage du droit de propriété, à condition qu’elles répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti.

Par l’arrêt du 10 décembre 2002 British American Tobacco (Investments) Ltd et Imperial Tobacco Ltd, C-491/01, la CJUE a jugé que l’interdiction, limitée à l’emballage des produits du tabac, d’utiliser une marque qui incorpore un élément indiquant qu’un produit du tabac particulier est moins nocif que les autres, il n’en demeure pas moins qu’un fabriquant de produits du tabac peut continuer, malgré la suppression de cet élément descriptif sur l’emballage, à individualiser son produit par d’autres signes distinctifs.  Sous réserve de cette limite, elle en a déduit l’absence de violation du droit fondamental de propriété.

Marques et liberté d’expression

Ensuite, l’article 11 de la charte associé à l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme protège le droit à la liberté d’expression sous réserve de certaines restrictions proportionnées parmi lesquelles la protection de la santé. Selon la jurisprudence Philip Morris Brands SARL et a. c/ Secretary of State for Health, C-547/14 (4 mai 2016), la  liberté d’expression couvre l’utilisation, par un entrepreneur de ses marques et mentions sur les emballages et les étiquettes des produits du tabac.

Liberté d’entreprendre c/ santé publique

Par son arrêt du 4 mai 2016, Pillbox 38 (UK) Ltd c/ Secretary of State for Health, C-477/14, la CJUE a eu l’opportunité de préciser que la protection conférée par l’article 16 de la charte comporte la liberté d’exercer une activité commerciale, la liberté contractuelle et la concurrence libre. La liberté d’entreprise ne constituant pas une prérogative absolue, elle peut aussi être retreinte de façon proportionnée.

Application du principe de proportionnalité

Selon une jurisprudence constante de la CJUE, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union européenne, exige que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs. Lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés. Quant au principe de sécurité juridique, il exige, notamment, qu’une réglementation de l’Union européenne permette aux intéressés de connaître sans ambiguïté l’étendue de leurs droits et de leurs obligations afin d’être en mesure de prendre leurs dispositions en connaissance de cause.

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