Paiement non libératoire de la régie publicitaire : affaire Canal+

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Paiement non libératoire de la régie publicitaire : affaire Canal+

En application de l’article 21 de la loi SAPIN, le paiement du prix de l’espace publicitaire par l’annonceur entre les mains de son mandataire, n’est pas libératoire pour le mandant envers la régie publicitaire, qui commercialise les espaces publicitaires. En effet, le mandant est responsable des actes de son mandataire vis-à-vis des tiers et en l’espèce de ses impayés. Le mandataire n’ayant pas réglé l’intégralité des publicités, même s’il en a reçu le paiement de son mandant, il convient de condamner le mandant à régler à la régie publicitaire.

Absence d’effet libératoire

Le principe est l’absence d’effet libératoire du paiement du prix de l’espace publicitaire par l’annonceur entre les mains de son mandataire, l’agence publicitaire : l’annonceur reste responsable des actes de son mandataire vis-à-vis des tiers, il reste donc responsable de la défaillance de son mandataire, à l’égard de la régie publicitaire.

Affaire Canal +

Le paiement effectué par une société à la régie 6e SENS ne l’a donc pas libérée du paiement du prix de l’achat de l’espace publicitaire à l’égard de CANAL+. Celle-ci est restée tenue du paiement des factures impayées auprès de CANAL+ en sa qualité de régie.

Dispositions clefs de la loi SAPIN   

Pour rappel, la relation entre un annonceur et un intermédiaire est encadrée par la loi SAPIN n° 93- 122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. Cette loi précise les obligations de l’annonceur à l’égard de la régie publicitaire.  

L’article 20 dispose que « Tout achat d’espace publicitaire, sur quelque support que ce soit, ou de prestation ayant pour objet l’édition ou la distribution d’imprimés publicitaires ne peut être réalisé par un intermédiaire que pour le compte d’un annonceur et dans le cadre d’un contrat écrit de mandat. Ce contrat fixe les conditions de la rémunération du mandataire en détaillant, s’il y a lieu, les diverses prestations qui seront effectuées dans le cadre de ce contrat de mandat et le montant de leur rémunération respective. Il mentionne également les autres prestations rendues par l’intermédiaire en dehors du contrat de mandat et le montant global de leur rémunération. Tout rabais ou avantage tarifaire de quelque nature que ce soit accordé par le vendeur doit figurer sur la facture délivrée à l’annonceur et ne peut être conservé en tout ou partie par l’intermédiaire qu’en vertu d’une stipulation expresse du contrat de mandat. Même si les achats mentionnés au premier alinéa ne sont pas payés directement par l’annonceur au vendeur, la facture est communiquée directement par ce dernier à l’annonceur» ;

La loi Sapin impose ainsi la conclusion d’un contrat écrit de mandat entre l’annonceur et l’intermédiaire, tout en précisant que la facture est communiquée directement par le vendeur à l’annonceur.

Le contrat de mandat emportant représentation, l’article 1154 du code civil dispose que « lorsque le représentant agit dans la limite de ses pouvoirs au nom et pour le compte du représenté, celui-ci est seul tenu de l’engagement ainsi contracté et que l’annonceur reste ainsi tenu vis-à-vis de ses cocontractants des dettes contractées en son nom par son mandataire ».  

Eu égard à la loi SAPIN, il est constant que « l’annonceur doit toujours régler le support nonobstant les versements effectués entre les mains de l’agence ».

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS ORDONNANCE DE REFERE PRONONCEÉEE LE MERCREDI 27/10/2021 PAR M. B C, PRESIDENT,

ASSISTE DE M. Z A, GREFFIER, par mise à disposition RG 2021029738 03/09/2021

ENTRE :

SASU CANAL + BRAND SOLUTIONS, dont le siège social est 1 place du Spectacle 92130 issy-les-Moulineaux – RCS B 414949172

Partie demanderesse : comparant par Me Kathleen BANNET Avocat, substituant Me Olivier GUIDOUX Avocat (P221)

ET :

SARL X Y, dont le siège social est […]

Partie défenderesse : comparant par Me Hélène GILLIOT Avocat, substituant Me Benjamin JAMI Avocat (E1811)

Pour les motifs énoncés en son assignation introductive d’instance en date du 24 juin 2021, signifiée à personne habilitée, à laquelle il conviendra de se reporter quant à l’exposé des faits, la SASU CANAL + BRAND SOLUTIONS nous demande de :

Vu l’article 873 alinéa 2 du Code de procédure civile, les articles 20 et 21 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, l’article 1154 du Code civil, Vu l’ensemble des pièces versées aux débats,

Recevoir la société CANAL + BRAND SOLUTIONS et déclarer son action recevable ;

Dire l’absence de contestation sérieuse ;

Condamner la société X Y à payer à la société CANAL + BRAND SOLUTIONS la somme de 49.396,80 € TTC au titre des factures impayées ;

Condamner la société X Y à payer à la société CANAL + BRAND SOLUTIONS les frais de recouvrement de 40 € par facture ainsi que les intérêts de retard échus à compter du 10 août 2018 à hauteur du taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne majoré de 10 points de pourcentage ;

Condamner la société X Y à payer à la société CANAL + BRAND SOLUTIONS la somme de 5.000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner la société X Y aux entiers dépens de l’instance.

A l’audience du 3 septembre 2021, nous avons remis la cause au 15 octobre 2021 pour conclusions en défense.

A l’audience du 15 octobre 2021, le conseil de la SARL X Y se présente et dépose des conclusions motivées aux termes desquelles il nous demande de :

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TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS N° RG : 2021029738 ORDONNANCE DU MERCREDI 27/10/2021

Vu la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques Vu les articles 1104, 1217, 1231-1, 1343-5 du Code civil,

A titre liminaire :

Dire n’y avoir lieu à référé ;

En conséquence :

Renvoyer la société Canal + Brand Solutions à mieux se pourvoir.

Si par extraordinaire, le Tribunal de céans devant se déclarer compétent :

A titre principal:

Ordonner un sursis à statuer dans l’attente de la décision du juge commissaire sur le relevé de forclusion ;

À titre subsidiaire :

Débouter la société Canal + Brand Solutions de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Si par extraordinaire, le Tribunal de céans devait condamner la société X Alliance à payer la somme de 49.396,80 € à la société Canal + Brand Solutions:

À titre reconventionnel :

Condamner la société Canal + Brand Solutions à payer à la société X Alliance, à titre de provision, la somme de 49.396,80 € à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

En tout état de cause: Condamner la société Canal + Brand Solutions à payer à la société X Alliance la somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Le conseil de la SASU CANAL + BRAND SOLUTIONS se présente et réitère les demandes contenues dans son assignation.

Après avoir entendu les conseils des parties en leurs explications et observations, nous avons remis le prononcé de notre ordonnance, par mise à disposition au greffe, au mercredi 27 octobre 2021 à 16h.

Sur ce Sur la demande principale

Après avoir entendu les arguments des parties et examiné les pièces versées aux débats, nous relevons que :

« Par contrat de mandat du 9 juin 2016, la société X Y (ci-après X Y) a mandaté son agence publicitaire, la société 6e SENS (ci-après 6* »° SENS) pour effectuer en son nom ses opérations média ;

e CANAL+ BRAND SOLUTIONS (ci-après CANAL+) n’est pas intervenu dans le choix de

6° »* SENS en tant que mandataire par X Y, le mandant ;

X Y a mandaté le 8 juin 2018, 6° »* SENS pour effectuer en son nom une

campagne publicitaire au sein du réseau national des cinémas UGC,

CANAL+ intervenant en tant que régie publicitaire, et que le mandat incluait l’achat

d’espaces et le règlement des factures ;

En application de ce contrat, CANAL+ a sollicité auprès de 6* »* SENS le paiement de

deux factures d’un montant total de 49 396,80 € TTC: %

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TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS N° RG : 2021029738 ORDONNANCE DU MERCREDI 27/10/2021

. la facture n°PÙUG1800437 d’un montant de 44 906,40 € TTC,

. la facture n°HHM1800223 d’un montant de 4 490,40 € TTC ;

Ces factures ont été adressées en copie à X Y, CANAL+ ayant émis les ordres de publicité qui ont été signés par 6° »° sens ;

Ces factures demeurant impayées, CANAL+ a adressé des relances de paiement à X Y et à 6e SENS ;

Par courrier en date du 25 février 2019, X Y a indiqué à CANAL+ qu’elle s’était acquittée auprès de 6e SENS du paiement de la facture correspondent à la prestation effectuée pour un montant de 61 055 € TTC ;

Faute de paiement par 6e SENS, CANAL+ a rappelé à X Y le 10 avril 2019 qu’elle restait tenue des dettes contractées en son nom par son mandataire, 6e SENS et lui a alors demandé de lui régler l’intégralité des sommes dues s’élevant à la somme de 49 396,80 € TTC dans un délai maximum de 6 mois sous réserve de la signature d’un protocole transactionnel ;

Qu’en absence de réponse de X Y, le 24 mai 2019, CANAL+ lui a adressé un deuxième courrier de mise en demeure de payer la somme de 49 396,80 € TTC, en lui rappelant qu’à défaut de règlement des sommes dues dans ce délai, elle serait contrainte d’en solliciter judiciairement le paiement ; que cette deuxième mise en demeure n’a obtenu aucune réponse de X Y ;

Que le 7 mai 2021, CANAL+ a envoyé une troisième mise en demeure de payer les factures impayées sous quinze jours et que le 2 juin 2021, X Y répondait qu’elle n’était pas disposée à procéder au règlement de la somme de 49 396,80 € TTC au motif que ces sommes avaient été réglées directement auprès de 6° »* SENS par un virement du 9 juillet 2018 ;

6° » SENS, qui n’est pas dans la cause, a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, jugement publié le 6 décembre 2020 ;

Nous relevons que :

La relation entre un annonceur et un intermédiaire est encadrée par la loi SAPIN n° 93- 122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques ;

Cette loi précise les obligations de l’annonceur à l’égard de la régie publicitaire ;

L’article 20 de cette loi dispose que « Tout achat d’espace publicitaire, sur quelque support que ce soit, ou de prestation ayant pour objet l’édition ou la distribution d’imprimés publicitaires ne peut être réalisé par un intermédiaire que pour le compte d’un annonceur et dans le cadre d’un contrat écrit de mandat. Ce contrat fixe les conditions de la rémunération du mandataire en détaillant, s’il y a lieu, les diverses prestations qui seront effectuées dans le cadre de ce contrat de mandat et le montant de leur rémunération respective. Il mentionne également les autres prestations rendues par l’intermédiaire en dehors du contrat de mandat et le montant global de leur rémunération. Tout rabais ou avantage tarifaire de quelque nature que ce soit accordé par le vendeur doit figurer sur la facture délivrée à l’annonceur et ne peut être conservé en tout ou partie par l’intermédiaire qu’en vertu d’une stipulation expresse du contrat de mandat. Même si les achats mentionnés au premier alinéa ne sont pas payés directement par l’annonceur au vendeur, la facture est communiquée directement par ce dernier à l’annonceur» ;

La loi Sapin impose ainsi la conclusion d’un contrat écrit de mandat entre l’annonceur et l’intermédiaire, tout en précisant que la facture est communiquée directement par le vendeur à l’annonceur ;

Le contrat de mandat emportant représentation, l’article 1154 du code civil dispose que « lorsque le représentant agit dans la limite de ses pouvoirs au nom et pour le compte du représenté, celui-ci est seul tenu de l’engagement ainsi contracté et que l’annonceur reste ainsi tenu vis-à-vis de ses cocontractants des dettes contractées en son nom par son mandataire » ;

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Nous retenons que :

CANAL+ produit :

. une copie des contrats de mandat du 9 juin 2016 et du 8 juin 2018 signés entre X Y et 6e SENS, mandat dans lequel il est indiqué que cette dernière peut effectuer les opérations média, l’achat d’espaces et le règlement des factures ;

. la copie des factures émises à l’attention de X Y ET de 6*° »* SENS ;

Eu égard à la loi SAPIN, il est constant que « l’annonceur doit toujours régler le support

nonobstant les versements effectués entre les mains de l’agence » et que la jurisprudence

du tribunal de céans a récemment affirmé ce principe « En application de l’article 21 de la loi n° 93-122 du 22 janvier 1993, dite loi SAPIN, le paiement du prix de l’espace publicitaire par l’annonceur entre les mains de son mandataire, n’est pas libératoire pour le mandant envers la régie publicitaire, qui commercialise les espaces publicitaires. En effet, le mandant est responsable des actes de son mandataire vis-à-vis des tiers et en l’espèce de ses impayés. Le mandataire n’ayant pas réglé l’intégralité des publicités,

même s’il en a reçu le paiement de son mandant, il convient de condamner le mandant à

régler à la régie publicitaire » ;

Nous dirons que ;

Ces éléments confirment le principe de l’absence d’effet libératoire du paiement du prix de l’espace publicitaire par l’annonceur entre les mains de son mandataire, l’agence publicitaire, et que l’annonceur étant responsable des actes de son mandataire vis-à-vis des tiers, il reste responsable de la défaillance de son mandataire, à l’égard de la régie publicitaire ;

Le paiement effectué par X Y à 6e SENS ne l’a donc pas libérée du paiement du prix de l’achat de l’espace publicitaire à l’égard de CANAL+ ;

X Y reste tenue du paiement des factures impayées auprès de CANAL+ en sa qualité de régie ;

En conséquence, nous dirons que la créance de CANAL+ ne se heurte à aucune contestation sérieuse et que X Y demeure débitrice de la somme de 49.396,80 € TTC au principal et nous condamnerons X Y à régler cette somme provisionnelle de 49 396,80 € TTC à CANAL+, somme sur laquelle seront appliqués les intérêts de retard au taux d’intérêt appliqué par la Banque Centrale Européenne majoré de 10 points de pourcentage ainsi que les frais de recouvrement associés (40 € par facture) ;

Sur l’article 700 CPC

Il parait inéquitable, compte tenu des éléments fournis, d’allouer à CANAL+ la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, la déboutant pour le surplus demandé ;

Sur les dépens

Il serait équitable de condamner X Y, qui succombe, aux entiers dépens.

Par ces motifs

Statuant par ordonnance contradictoire, en premier ressort, nous :

Vu l’article 873 alinéa 2 du code de procédure civile,

TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS N° RG : 2021029738 ORDONNANCE DU MERCREDI 27/10/2021

Condamnons la SARL X Y à régler à la SASU CANAL+ BRAND SOLUTIONS la somme provisionnelle de 49.396,80 € TTC, assortie des intérêts de retard au taux appliqué par la Banque Centrale Européenne majoré de 10 points de pourcentage.

Condamnons la SARL X Y à payer à la SASU CANAL+ BRAND SOLUTIONS, par provision, la somme de 80 € au titre de l’indemnité forfaitaire de recouvrement,

Déboutons la SARL X Y de toutes ses demandes, fins et conclusions, Condamnons la SARL X Y à payer à SASU CANAL+ BRAND SOLUTIONS la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, déboutons pour le surplus ;

Condamnons en outre la SARL X Y aux dépens de l’instance, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 41,94 € TTC dont 6,78 € de TVA.

La présente décision est de plein droit exécutoire par provision en application de l’article 514 du code de procédure civile.

La minute de l’ordonnance est signée par M. B C, Président, et M. Z A, Greffier. 


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