En l’absence de toute justification d’une protection particulière tirée de la propriété intellectuelle attachée à des travaux de recherche (documentation historique et scientifique), un éditeur peut se prévaloir de la liberté du commerce et de l’industrie, peut commercialiser un ouvrage en s’inspirant desdits travaux.
Citation des sources
L’éditeur devra simplement prendre le soin de ne pas créer de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine des sources.
Sur ce dernier point, l’ouvrage en cause indique expressément, dès sa préface, qu’il s’inspire de travaux de toponymistes réputés, au rang desquels figure notamment ceux de l’auteur de l’ouvrage dont les nombreux passages ont été repris.
Un public distinct
A noter que dans cette affaire, les deux ouvrages ne s’adressaient pas à la même cible ni au même public.
Les ouvrages de l’auteur cité sont le fruit d’études et de recherches spécifiques et s’adressent à un public de spécialistes avertis, d’universitaires, de chercheurs ou d’amateurs éclairés dans le domaine de la toponymie ou de disciplines périphériques.
En revanche, le livre rédigé par l’auteur de l’œuvre seconde, agrémenté de nombreuses photographies en couleurs, correspond davantage à un guide touristique bâti autour de la toponymie et de la culture locale (occitane).
Des différences fondamentales
La comparaison des ouvrages a confirmé leurs différences fondamentales, le premier ne pouvant être considéré comme une reprise servile des travaux de l’auteur même s’il s’avère effectivement qu’il comporte des définitions de lieux empruntées à celui-ci.
REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS COUR D’APPEL DE LIMOGES Chambre civile ARRÊT DU 27 OCTOBRE 2022 N° RG 21/00766 –��N° Portalis DBV6-V-B7F-BIH3B AFFAIRE : M. [W] [K], INSTITUT D’ETUDES OCCITANES DU LIMOUSIN C/ M. [T] [H] GS/MK Demande en cessation de concurrence déloyale ou illicite et/ou en dommages et intérêts Grosse délivrée à Me Frédérique AVELINE Le VINGT SEPT OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX la chambre civile a rendu l’arrêt dont la teneur suit par mise à disposition du public au greffe : ENTRE : Monsieur [W] [K], né le 07 Septembre 1975 à [Localité 5], demeurant [Adresse 3] représenté par Me Frédérique AVELINE de la SCP AVELINE MANDON BARDAUD-CAUSSADE, avocat au barreau de LIMOGES INSTITUT D’ETUDES OCCITANES DU LIMOUSIN, dont le siège social est sis : [Adresse 1] représentée par Me Frédérique AVELINE de la SCP AVELINE MANDON BARDAUD-CAUSSADE, avocat au barreau de LIMOGES APPELANTS d’une décision rendue le 24 JUIN 2021 par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LIMOGES ET : Monsieur [T] [H], né le 29 Janvier 1939 à [Localité 4] (87), demeurant [Adresse 2] représenté par Me Anne DEBERNARD-DAURIAC de la SELARL SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de LIMOGES Me Eric DAURIAC, avocat au barreau de LIMOGES INTIME — –==oO§Oo==— Suivant avis de fixation de la Présidente de chambre chargée de la mise en état, l’affaire a été fixée à l’audience du 08 Septembre 2022. L’ordonnance de clôture a été rendue le 29 juin 2022. La Cour étant composée de Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, de Monsieur Gérard SOURY et de Madame Marie-Christine SEGUIN, Conseillers, assistés de Mme Mandana SAFI, Greffier. A cette audience, Monsieur Gérard SOURY, Conseiller, a été entendu en son rapport oral, les avocats sont intervenus au soutien des intérêts de leurs clients. Puis Mme Corinne BALIAN, Présidente de chambre, a donné avis aux parties que la décision serait rendue le 27 Octobre 2022 par mise à disposition au greffe de la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi. — –==oO§Oo==— LA COUR — –==oO§Oo==— FAITS et PROCÉDURE M. [T] [H] effectue depuis plus de quarante ans des recherches sur la langue et la culture occitane et il est l’auteur de nombreux ouvrages, notamment en matière de toponymie qui est une discipline linguistique portant sur l’étude des noms de lieux. Soutenant que l’association Institut d’études occitanes du Limousin (l’éditeur) avait édité un ouvrage intitulé ‘de la Chassagne au Monteil’ dont l’auteur, M. [W] [K], ne faisait que reprendre servilement le fruit de ses recherches et ses commentaires, M. [H] a assigné ceux-ci devant le tribunal judiciaire de Limoges pour obtenir la réparation de ses préjudices économique et moral, ainsi que le retrait de la vente de cet ouvrage sur le fondement de l’article 1240 du code civil en soutenant être victime de parasitisme. Par jugement du 24 juin 2021, le tribunal judiciaire a accueilli les demandes de M. [H], sauf à en limiter le montant et à rejeter sa demande en réparation d’un préjudice financier. M. [K] et l’éditeur ont relevé appel de ce jugement. MOYENS et PRÉTENTIONS M. [K] et l’éditeur concluent au rejet des demandes de M. [H] et à la condamnation de ce dernier à leur payer des dommages-intérêts pour procédure abusive. Ils font valoir que M. [H] ne justifie pas avoir accompli un travail intellectuel original susceptible d’une protection particulière et que les noms des lieux objets de ses études relèvent du patrimoine universel. Ils ajoutent que le livre litigieux est le fruit d’un travail d’enquête propre à M. [K]. M. [H] conclut à la confirmation du jugement, sauf à lui allouer une somme de 14.122 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice financier. MOTIFS M. [H] fonde son action sur les dispositions de l’article 1240 du code civil en soutenant l’existence d’actes de parasitisme imputables à M. [K] et à son éditeur à l’occasion de la publication de l’ouvrage intitulé ‘de la Chassagne au Monteil’. Le parasitisme se définit comme l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans investissement particulier, de sa notoriété, de ses efforts et de son savoir-faire. L’ouvrage ‘de la Chassagne au Monteil’ rédigé par M. [K] traite des noms de lieux du parc naturel régional de [Localité 6] en limousin, ainsi que cela résulte expressément de la mention figurant sous son titre, ces lieux étant répertoriés dans l’index des pages 120 à 130. Ce livre se rattache à la toponymie et son auteur reconnaît expressément, dès sa préface, s’être inspiré des travaux des chercheurs spécialisés dans cette discipline, notamment ceux de M. [H] dont l’autorité et la notoriété en ce domaine ne donnent pas lieu à contestation et dont pas moins de neuf ouvrages sont cités dans les références bibliographiques (pages 118 et 119). Il se distingue cependant des ouvrages de M. [H] en ce qu’il ne cible pas du tout le même public. Les ouvrages écrits par M. [H] sont le fruit d’études et de recherches spécifiques et s’adressent à un public de spécialistes avertis, d’universitaires, de chercheurs ou d’amateurs éclairés dans le domaine de la toponymie ou de disciplines périphériques. En revanche, le livre rédigé par M. [K], agrémenté de nombreuses photographies en couleurs, correspond davantage à un guide touristique bâti autour de la toponymie et de la culture occitane propre au parc naturel régional de [Localité 6] et s’adresse au grand public. Dans ses ouvrages, M. [H] procède à une étude étymologique des noms de lieux, répertoriés de manière alphabétique pour un secteur géographique déterminé, en se référant aux caractéristiques de ces lieux et aux langues qui y ont été en usage (latin, dialecte germanique, occitan,…) pour expliquer leur origine et leurs spécificités. Comme telle, cette démarche intellectuelle ne présente aucune originalité particulière. En effet, il s’agit d’une simple méthode de travail – que M. [H] ne prétend d’ailleurs pas avoir mise au point – qui est appliquée par la communauté des chercheurs exerçant dans le domaine de la toponymie, avec des variantes pouvant concerner les langues de référence en fonction des lieux considérés. Cette étude porte sur des noms de lieux qui relèvent du patrimoine universel, ainsi que le souligne à juste titre M. [K]. Dans le cadre de ses travaux, M. [H] a pu lui-même s’inspirer des recherches effectuées par divers auteurs qu’il cite d’ailleurs dans la bibliographie présente en fin de chacun de ses ouvrages. La comparaison de l’ouvrage litigieux avec ceux dont M. [H] est l’auteur vient confirmer leurs différences fondamentales, le premier ne pouvant être considéré comme une reprise servile des travaux de M. [H] même s’il s’avère effectivement qu’il comporte des définitions de lieux empruntées à celui-ci. En l’absence de toute justification d’une protection particulière tirée de la propriété intellectuelle attachée aux travaux de M. [H], les intimés, qui se prévalent du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, ont pu, sans commettre de faute, commercialiser un ouvrage en s’inspirant des travaux de celui-ci, sauf pour eux à prendre soin de ne pas créer de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine de leurs sources. Sur ce dernier point, il a été précédemment relevé que l’ouvrage litigieux indique expressément, dès sa préface, qu’il s’inspire de travaux de toponymistes réputés, au rang desquels figure notamment M. [H] dont pas moins de neuf ouvrages sont cités dans les références bibliographiques, en sorte que les appelants ne sauraient se voir reprocher d’avoir entretenu une confusion dans l’esprit du public sur l’origine des travaux exploités dans leur ouvrage. Il s’ensuit qu’en l’absence de faute de M. [K] et de son éditeur, M. [H] ne peut qu’être débouté de son action indemnitaire à leur encontre. L’action indemnitaire de M. [H], qui a été accueillie en première instance, ne peut être qualifiée d’abusive. La demande des appelants en paiement de dommages-intérêts de ce chef sera rejetée. — –==oO§Oo==— PAR CES MOTIFS — –==oO§Oo==— LA COUR , Statuant par décision contradictoire, rendue par mise à disposition au greffe, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi ; INFIRME le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Limoges le 24 juin 2021; Statuant à nouveau, DÉBOUTE M. [T] [H] de son action; REJETTE la demande de M. [W] [K] et de l’association Institut d’études occitanes du Limousin en paiement de dommages-intérêts; CONDAMNE M. [T] [H] à payer à M. [W] [K] et à l’association Institut d’études occitanes du Limousin une somme globale de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile; CONDAMNE M. [T] [H] aux dépens de première instance et d’appel. LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT, Mandana SAFI. Corinne BALIAN. | |