Originalité des oeuvres : 20 mai 2020 Cour de cassation Pourvoi n° 18-19.067

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Originalité des oeuvres : 20 mai 2020 Cour de cassation Pourvoi n° 18-19.067
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20 mai 2020
Cour de cassation
Pourvoi n°
18-19.067

CIV. 1

MF

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 20 mai 2020

Rejet non spécialement motivé

Mme BATUT, président

Décision n° 10201 F

Pourvoi n° X 18-19.067

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 MAI 2020

M. R… E…, domicilié […] , a formé le pourvoi n° X 18-19.067 contre l’arrêt rendu le 27 mars 2018 par la cour d’appel de Paris (pôle 5, chambre 1), dans le litige l’opposant :

1°/ à Mme I… A…, épouse B…, domiciliée […],

2°/ à la société Classiques G, société à responsabilité limitée, dont le siège est […] ,

défenderesses à la cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Canas, conseiller référendaire, les observations écrites de Me Bouthors, avocat de M. E…, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme A…, après débats en l’audience publique du 10 mars 2020 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Canas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.

1. Les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l’encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

2. En application de l’article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n’y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.

EN CONSÉQUENCE, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. E… aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. E… et le condamne à payer à Mme A…, épouse B…, la somme de 3 000 euros ;

Ainsi décidé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt mai deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES à la présente décision

Moyens produits par Me Bouthors, avocat aux Conseils, pour M. E….

Premier moyen de cassation

Le moyen reproche à la cour d’avoir condamné in solidum M. E… et son éditeur à payer 4.000 € à Mme A… en réparation de l’atteinte portée à son droit de divulgation en ce qui concerne son mémoire « L’origine au laboratoire de la fiction » ;

aux motifs que M. E… et la société Classique G soutiennent que le droit de divulgation de Mme A… est épuisé par la divulgation qu’a fait Mme A… de son mémoire ; qu’ils font valoir à cet égard que malgré la prétendue volonté de Mme A… de ne pas éditer son mémoire au sein d’une maison d’édition, ce mémoire a bel et bien fait l’objet de sa part de communications à la communauté universitaire et scientifique aux fins d’obtention de qualifications à des fonctions professorales, en Allemagne en 2003 et en France en 2006, et qu’il a ainsi fait l’objet d’une publication en vertu du règlement de l’habilitation de l’Université de Halle-Wittenberg, d’une soutenance publique en Allemagne, d’un colloque qui s’est tenu à l’Université de Genève en décembre 2000 et d’une communication aux rapporteurs et membres du Conseil national des Universités en France, tous ces événements traduisant la volonté de Mme A… de révéler son oeuvre au public, à tout le moins à ses pairs ; que les appelants ajoutent qu’en toute hypothèse, ils n’ont pas divulgué le mémoire de Mme A…, l’oeuvre étant divulguée lorsqu’elle est dévoilée, révélée, portée à la connaissance du public alors que la reprise de quelques passages ne peut emporter divulgation, ne permettant pas aux lecteurs de l’ouvrage de M. E… d’avoir accès au contenu et à la substance du mémoire de Mme A… ; que Mme A… répond que son oeuvre était inédite avant d’être reprise par M. E… puisque le manuscrit n’était ni publié, ni déposé en Allemagne ou en France, comme l’autorisent les règles universitaires, que son mémoire n’a pas été déposé à la bibliothèque de l’Université de Hallc-Wittenberg, que les documents transmis aux membres siégeant au Conseil national des Universités en France sont confidentiels et ne sauraient être utilisés à d’autres fins que celles pour laquelle ils ont été transmis aux commissions, à savoir l’examen du mémoire et de l’aptitude de son auteur à être qualifié ; qu’elle ajoute que son mémoire n’a pas non plus été présenté oralement et que sa reprise même partielle par M. E… constitue une violation de son droit de divulgation ;

Que l’article L. 111 -1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial ; que l’article 121-2 énonce que l’auteur seul a le droit de divulguer son oeuvre et qu’il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle-ci ; que l’article L. 122-5 du même code prévoit que : “Lorsque l’oeuvre ci été divulguée, l’auteur ne peut interdire (…) 3 ° Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source : a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’oeuvre à laquelle elles sont incorporées (
) ;

Qu’en l’espèce, il sera retenu que le mémoire de Mme A… n’avait pas fait l’objet de divulgation dès lors que son auteur avait choisi de ne pas le faire publier dans sa version initiale, telle que présentée aux instances universitaires allemande et française, et qu’il est établi que cette publication a eu lieu en 2017 seulement (pièces 30 et 38 de l’intimée) ; que Mme A… justifie par ailleurs qu’elle n’avait pas déposé son mémoire dans la librairie de l’Université de Halle-Wittenberg en Allemagne, les thèses d’habilitation n’étant pas soumises à ce type de dépôt (sa pièce 17) ; que l’intimée justifie également que les bases de données de plusieurs bibliothèques universitaires ne référencent pas son mémoire (sa pièce 18) et qu’elle produit des attestations de deux universitaires (attestations L… et V…) qui font état de l’obligation de confidentialité à laquelle sont soumis les membres des commissions de qualification ou de recrutement quant au contenu des dossiers des candidats (lettre de motivation, articles, ouvrages, thèses…) sauf accord du candidat intéressé, de sorte que les appelants ne peuvent se prévaloir du fait que M. E… a obtenu communication du travail de Mme A… par un rapporteur du Conseil national des universités, cette communication purement officieuse n’ayant pu avoir lieu que du fait du non-respect de cette règle de confidentialité ; que le témoignage de M. N…, ancien président de section au CNU, produit par les appelants, ne vient pas contredire les témoignages fournis par Mme A… puisqu’il confirme la confidentialité des débats lors des sessions du CNU et ne conteste cette confidentialité que pour les pièces remises par les candidats “qui sont dans notre domaine en grande partie des articles ou des ouvrages déjà publiés ou en voie de publication” alors qu’il vient d’être dit que le mémoire de Mme A…, adressé au CNU en 2005, n’a été publié par l’intéressée qu’en 2017 ;

Que la circonstance que le mémoire de Mme A… se trouve cité dans la partie bibliographique d’une revue scientifique allemande de 2003 (pièce 90 des appelants) ne démontre pas l’accord de Mme A… pour une telle citation ; que l’intervention de Mme A… lors d’un colloque en décembre 2000 à l’Université de Genève sur le sujet de “Reproduire l’origine du langage dans le laboratoire de la fiction. Histoire et fonction des spéculations sur l’expérience d’« isolement enfantin » n’est pas révélatrice de la divulgation du mémoire en cause, les thèmes du mémoire et de l’intervention invoquée auraient-ils un champ commun ; qu’enfin, la soutenance publique de son mémoire par Mme A… ne sera pas retenue comme constitutive de divulgation, la preuve n’étant pas rapportée que l’auteure avait manifesté sa volonté de ne pas modifier son mémoire à l’issue de sa soutenance et l’intimée expliquant au surplus qu’en Allemagne, l’examen oral correspondant à la soutenance française porte sur un sujet différent de celui du mémoire présenté ;

Que par conséquent, comme les premiers juges l’ont retenu, M. E… et son éditeur ne peuvent se prévaloir de l’exception d’analyse ou de courte citation prévue par l’article L. 122-5, 3°, a) du code de la propriété intellectuelle ; que, contrairement à ce que soutiennent les appelants, la reprise même très partielle du mémoire de Mme A… ou la citation de ce mémoire et du nom de son auteure en notes de bas de page dans l’ouvrage de M. E… constituent une violation du droit de divulgation dont bénéficie l’auteur, qui seul peut choisir l’opportunité, le moment et les modalités de la publication de son oeuvre (arrêt p. 10 à 12) ;

1°) alors que, d’une part, le droit de divulgation prévu à l’article L.121-2 du code de la propriété intellectuelle s’épuise au premier usage qui en est fait ; que la soutenance publique d’une thèse par un candidat lui-même soumis à l’obligation académique de mettre son travail à disposition de la communauté des chercheurs, constitue un acte matériel de divulgation épuisant sur ce point le droit de son auteur ; qu’il importe peu à cet égard que cette thèse ait fait l’objet d’une édition ultérieure par son auteur ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, motif inopérant pris du caractère prétendument restreint de la première divulgation, la cour a méconnu les exigences du texte précité ;

2°) alors, d’autre part, que le fait, dans une oeuvre critique, d’indiquer l’existence d’une thèse universitaire soutenue publiquement ainsi que le nom de son auteur, et d’en discuter certaines perspectives, ne constitue pas un acte de divulgation de la thèse elle-même mais participe du débat propre à la libre recherche scientifique garantie par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait sous couvert d’une interprétation extensive de l’article L.121-2 du code de la propriété intellectuelle, la cour n’a pas établi la balance des intérêts en présence et a méconnu en conséquence l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme.

Second moyen de cassation

Le moyen reproche à la cour d’avoir confirmé le jugement en ce qu’il a, d’une part, retenu que dans l’ouvrage « Educations négatives », M. E… et son éditeur ont reproduit sans autorisation des écrits de Mme A… et ont ainsi commis des actes de contrefaçon, alloué à ce titre à Mme A… 2.000 € en réparation de l’atteinte portée à son droit de paternité, outre 6.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; d’autre part, dit que la reconnaissance du caractère illicite des reprises litigieuses ne portait pas une atteinte disproportionnée aux principes de liberté d’expression et de libre recherche scientifique ; de troisième part, enjoint sous astreinte à M. E… et son éditeur d’annexer aux ouvrages litigieux déjà édités une note avertissant le lecteur que 9 passages de l’ouvrage « Educations négatives » sont des citations du mémoire de Mme A… intitulé « L’origine au laboratoire de la fiction » soutenu en 2003 à l’université […], […] [
] et enjoint à M. E… et à son éditeur, si l’ouvrage litigieux devait être réédité, d’y inclure les citations ci-dessus en en précisant la source ;

aux motifs, sur la contrefaçon, que M. E… et la société Classique G contestent la protection par le droit d’auteur du mémoire de Mme A… ; qu’ils font valoir que celle-ci ne démontre pas, pour chacun des 55 passages invoqués, l’originalité de son texte, les prétendus choix opérés par Mme A… découlant nécessairement, selon eux, de son travail de recherche ; que Mme A… expose que partant d’Hérodote qui raconte que “le pharaon Psammétique fit élever des enfants nouveau-nés à l’écart de toute société humaine pour savoir quelle langue ils parleraient spontanément”, elle a étudié de manière systématique les expériences d’isolement, de l’Antiquité à G… K… et W… M…, en passant par C… K…, une partie essentielle de son ouvrage étant consacrée à la littérature du XVIII ème siècle, qu’elle qualifie d’”âge d’or” des spéculations sur l’isolement enfantin ; qu’elle ajoute que cette identification du motif par-delà ses variations lui permet de montrer sa fertilité épistémologique, c’est-à-dire son rôle dans le développement de la réflexion sur l’individu et la société aux différentes époques où il apparaît ; qu’elle précise qu’elle a analysé minutieusement ces textes, utilisant un langage riche et châtié, et distingué les différents modes opératoires des récits historiques et fictifs de l’expérience, décrivant comment des textes souvent commentés comme des manifestations du mythe du bon sauvage ou du mythe de l’enfant de la nature, étaient en réalité des réitérations fictives de l’expérience de Psammétique et qu’elle s’est attachée à dégager la structure de l’expérience d’isolement conformément à une typologie originale et inédite de variables qu’elle a élaborée en particulier dans l’introduction de son mémoire ;

Considérant que le droit de l’article L. 111-1 susmentionné du code de la propriété intellectuelle est conféré, selon l’article L. 112-1 du même code, à l’auteur de toute oeuvre de l’esprit, quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ; qu’il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une oeuvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale ; que lorsque cette protection est contestée en défense, l’originalité d’une oeuvre doit être explicitée par celui qui s’en prétend auteur, seul ce dernier étant à même d’identifier les éléments traduisant sa personnalité ;

Que les premiers juges ont retenu à raison que l’oeuvre revendiquée par Mme A… est à l’évidence, considérée globalement, une oeuvre protégeable par le droit d’auteur en ce qu’elle a été validée comme thèse universitaire et a permis à son auteure d’enseigner dans les universités allemandes ; que néanmoins, comme le tribunal, la cour examinera au cas par cas, pour chacune des similitudes invoquées, si elle constitue la reprise de caractéristiques originales de l’oeuvre de Mme A… ;

Qu’en ce qui concerne les 7 passages du mémoire de Mme A… pour lesquels le tribunal a retenu la contrefaçon, que l’article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que : “Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque” ; que l’article L. 335-3 du même code indique que : “Est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une oeuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi “;

Que c’est par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte que le tribunal a retenu comme contrefaisantes les reprises par M. E…, dans son ouvrage « Educations négatives », des six passages suivants tirés du mémoire de Mme A… :

– en p. 14 du mémoire (reprise n°7 dans les écritures de Mme A…) : « A défaut d’un personnage qui incarnerait l’instance expérimentale dans le texte, c ‘est le récit lui-même (…) ” ;
– en p. 266 du mémoire (reprise n° 39) : “un autre enfant, qui porte le nom programmatique d’F…, par un philosophe qui, lui, répond au nom d’P…, comme l’élève de la nature de Y… T… . ” ; qu’il sera ajouté que M. E… reprend également, sans nécessité, la construction de la phrase de Mme A… (“par un philosophe (…) qui, lui, répond au nom d’P…, comme (…) Y… T… ” ) ;
– en p. 266 et p. 267 (reprise n° 42) : “Dans un premier temps, les enfants ont les yeux bandés, ils sont au pain et à l’eau et ne s’orientent que grâce au toucher (…) Le bandeau, machine “artistement ajustée” (,..)Les enfants découvrent alors l’univers de la cave (
)”;
– en p. 268 (reprise n° 52) : « Au bout d’un certain temps, se sentant trop vieux pour l”amour, P… tire F… de la cave. U… et F… s’aiment à nouveau. A la mort d’P…, ils héritent de sa fortune et finissent leurs jours en marge de la société, dans une retraite philosophique très voltairienne, qui convient à ces esprits forts mais bons, que, du fait de leur absence de préjugés, ils n’ont jamais cessé d’être. ” ; qu’il sera ajouté que le texte de O…, dont le passage en cause constitue un commentaire, ne comprend pas les expressions “se sentant trop vieux pour l’amour, P… tire F… de la cave” ni “en marge de la société” que M. E… reprend sans nécessité dans le passage litigieux de son ouvrage ;
– en p. 283 (reprise n° 51 ) : “U… (…) découvre avec stupeur et horreur la violence, le code de l’honneur (…), l’emmaillotage des enfants, l’hypocrisie des moeurs (…), la misère (…) ” ; qu’il sera ajouté que le texte de O…, dont le passage en cause constitue un commentaire, ne comprend pas les expressions “U… découvre avec stupeur la violence (…) code de l’honneur, l’emmaillotage des enfants, l’hypocrisie des moeurs (…) la misère”, termes que M. E… reprend sans nécessité, dans l’ordre même adopté par Mme A… ;
– en p. 305 : ” X… n’en propose pas moins (…) : enfants des deux sexes totalement isolés ; couples ; enfants des deux sexes isolés mais suffisamment proches pour pouvoir se rencontrer ; et enfin deux groupes mixtes, mais avec une proportion inégale de garçons et de filles (…). ” ; qu’il sera ajouté que M. E… reprend également, sans nécessité, la ponctuation utilisée par Mme A… (deux points, points virgules) ;

Qu’en revanche, la cour estime que le rapprochement de la formulation par Mme A… en page p.272 (reprise n° 44) : “Le langage intérieur d’P…, ce “mentalais ” dont le développement est présenté par le texte comme inné, possède encore une propriété traditionnellement attribuée à la langue adamique (ou encore recherchée par les créateurs de langues philosophiques), puisqu’il donne accès directement aux choses (…)” de la formulation de M. E… en p.176 : “(…) L’Elève de la nature postule un langage intérieur, adamique et universel, qui donnerait un accès direct aux choses et serait le moyen de faire l’économie de la désignation (…)” ne révèle pas de reprise fautive dès lors que M. E… justifie que la notion de “langue adamique” se retrouve dans l’ouvrage de Q… H… « La recherche de la langue parfaite dans la culture européenne » paru en 1993 et que lui-même l’a utilisée dans son ouvrage paru en 2005 « Leçons de choses. Remarques sur les pouvoirs de l’objet dans quelques fictions d’expérimentations pédagogiques », soit avant d’avoir connaissance, en février 2006, du mémoire de Mme A… (arrêt p. 13 et 14) ;

Qu’en ce qui concerne les 48 autres passages du mémoire de Mme A… [
], en application de l’article 6 du code de procédure civile, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à fonder leurs prétentions ; que Mme A… invoque dans le dispositif de ses conclusions 48 autres passages de l’ouvrage de M. E… dont elle estime qu’ils constituent des reprises contrefaisantes de son mémoire ; que cependant, dans le corps de ses conclusions, elle n’explicite ses demandes que pour 32 de ces passages, soit au titre de “reprises quasi à l’identique ” soit au titre de “reprises de quelques termes ” et de “paraphrase ” ; que seuls ces 32 passages seront donc examinés ci-après ;

Qu’au titre des autres reprises « quasi à l’identique » [
] :

reprise n° 35 – formulation de Mme A… en page 358 : “D… se place (…). Mais sa démarche se veut véritablement empirique et rigoureuse. ”
– formulation de M. E… en page 166 : “Sans doute la démarche de D… se veut-elle véritablement empirique et rigoureuse”
Qu’à la différence du tribunal, la cour estime que c’est sans nécessité que M. E… a repris les termes “se veut (…) véritablement empirique et rigoureuse” dans son commentaire de la “démarche”
de D… :

reprise n° 40 – formulation de Mme A… en page 267 : ” O… ne s’embarrasse pas de tous les développements romanesques conçus par Y… T… . Chez lui, l’intention expérimentale s’affirme sans détours et sans scrupules quant aux moyens : U… est une enfant achetée ! ”
– formulation de M. E… en page 173 : “À l’inverse de la duplicité du dispositif imaginé par T… dans la première édition de L’Elève de la nature, l’intention expérimentale s’exprime ici sans détours : U… est une enfant achetée (…) ” ;
Que M. E… a repris ici, en des termes très similaires et sans nécessité (« l’intention expérimentale s ‘affirme [s’exprime] sans détours ” ; “U… est une enfant achetée “), l’analyse personnelle de Mme A… de l’oeuvre de O… ; que ces reprises sont contrefaisantes (arrêt p. 15) ;

Qu’au titre des « reprises de quelques termes et la paraphrase » :

[
]

– reprise n° 18 – formulation de Mme A… en pages 31-32 : ” À la différence des fictions qui se déploient tout d’abord sans la contrainte d’une quelconque vérification empirique, les hypothèses, qui sont aussi des constructions mentales, contiennent une présomption de réalité : ce sont des descriptions de la réalité en attente d’une vérification empirique (…)
– formulation de M. E… en page 108 : “Comme hypothèses expérimentales, ces appels entretiennent avec le « réel » un rapport a priori plus direct et contraignant que les expériences de pensée puisqu’ils contiennent une présomption de réalité : les constructions mentales et les scénarios fictifs qu’ils élaborent sont des descriptions anticipées d’une réalité en attente d’une confirmation ou d’une infirmation empirique. ”
Qu’au sein d’un court passage, M. E… reprend plusieurs expressions contenues dans un même paragraphe du mémoire de Mme A… (“contiennent une présomption de réalité : » ; « descriptions (…) réalité en attente” ; “constructions mentales”), les termes de “confirmation ou infirmation empirique” ne constituant que la paraphrase de ceux de “vérification empirique ” choisis par Mme A… ; que ces reprises sont contrefaisantes ;

[
]
et aux motifs, sur le contrôle de proportionnalité entre les droits en balance, que les appelants soutiennent, au visa notamment de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que la mise en oeuvre du droit d’auteur, et notamment du droit de divulgation, de Mme A… porte une atteinte disproportionnée aux libertés d’expression et de recherche scientifique, ce que le tribunal n’a pas pris en compte ; qu’ils font valoir que la liberté de la recherche scientifique implique de pouvoir citer des données et des oeuvres, y compris des thèses non publiées à partir du moment où elles ont été soutenues, et que l’intention de M. E… était purement scientifique, celle de la discussion des opinions scientifiques, et non le pillage systématique allégué par Mme A… ; que celle-ci oppose notamment que M. E… a choisi de reprendre des mots, des phrases, des concepts, des plans de son oeuvre originale inédite sans toujours citer ses sources en violation du droit de courte citation, et sans expliquer pourquoi il n’a pu faire autrement et que rien ne justifie la reprise de son oeuvre, sans son autorisation ni sa citation, pour le travail de recherche de M. E… ; que comme il a été dit, le mémoire de Mme A… n’ayant pas été, au jour des reprises litigieuses, divulgué par son auteure qui souhaitait y apporter des amendements – cette liberté d’amélioration de son travail par l’auteure devant être prise en considération dans l’appréciation des droits en balance, pour les raisons scientifiques mêmes qui sont mises en avant par M. E… -, ce dernier ne peut utilement invoquer son droit de citation ; que pour les autres reprises contrefaisantes retenues par la cour, consistant en des emprunts au travail de Mme A… sans citation de celle-ci, M. E… ne saurait se prévaloir d’un quelconque intérêt scientifique ; que la reconnaissance du caractère illicite des reprises opérées par M. E… ne porte donc aucune atteinte disproportionnée aux principes dont il se réclame de liberté d’expression et liberté de recherche scientifique (arrêt p. 23) ;

et aux motifs adoptés des premiers juges selon lesquels le tribunal a retenu comme contrefaisantes les reprises par M. E…, dans son ouvrage « Educations négatives », des six passages suivants tirés du mémoire de Mme A… :

En revanche, le tribunal a relevé [sept] passages écrits par Madame I… A… qui peuvent être qualifiés d’originaux et qui ont été repris textuellement par Monsieur R… E… sans citer correctement leur auteur.

1 – formulation de Madame I… A… en p. 14 : « A défaut d’un personnage qui incarnerait l’instance expérimentale dans le texte, c’est le récit lui-même qui assume cette fonction de preuve (pseudo-) expérimentale. »

– formulation de Monsieur R… E… en p.101-102 : « […] à défaut d’un personnage qui incarnerait l’instance expérimentale dans le texte, le récit lui-même est conçu comme une expérimentation. »

Ce passage est attribué dans le livre de Monsieur E… à Madame I… A… dont le nom et la thèse sont mentionnés en bas de page ; cependant, les défendeurs ne peuvent pas bénéficier de l’exception de courte citation prévue par l’article L 122-5 du code de propriété intellectuelle pour cette thèse non divulguée par Madame A…. Cette reprise est donc contrefaisante.

2 – formulation de Madame I… A… en p.305 : « X… n’en propose pas moins de poursuivre ironiquement la spéculation : il faudrait grouper les enfants de diverses manières de manière à pouvoir faire des comparaisons : enfants des deux sexes totalement isolés ; couples ; enfants des deux sexes isolés mais suffisamment proches pour pouvoir se rencontrer ; et enfin deux groupes mixtes, mais avec une proportion inégale de garçons et de filles (vingt garçons pour six ou huit filles et vice versa). »

– formulation de Monsieur R… E… en p. 145 : « X… n’en développe pas moins la fiction virtuelle et ironique de cette entreprise en élaborant un complexe programme d’expérimentations, fondé […] sur des groupes d’enfants méthodiquement constitués : enfants des deux sexes totalement isolés les uns des autres ; couples d’enfants ; enfants des deux sexes suffisamment proches pour pouvoir se rencontrer ; et enfin deux groupes mixtes, mais avec des proportions inégales de garçons et de filles […] »

La demanderesse décrit de façon originale l’expérience pensée par X… et il n’est pas justifié du fait que l’expression textuellement reprise par Monsieur R… E… soit tirée de l’oeuvre primaire commentée. Ce passage est donc contrefaisant.

3 – formulation de Madame I… A… en p.266 : « un autre enfant, qui porte le nom programmatique d’F…, par un philosophe qui, lui, répond au nom d’P…, comme l’élève de la nature de Y… T… . »

– formulation de Monsieur R… E… en p.173 : « […] un garçon portant le prénom programmatique d’F…, par un philosophe expérimentateur qui, lui, répond au nom d’P…, comme le héros du roman de […]. »

Il s’agit d’une expression peu commune qui peut être qualifiée d’originale et qui a été reprise à l’identique par Monsieur R… E… sans citer ni même faire référence à son auteur. Ce passage est donc contrefaisant.

4 – formulation de Madame I… A… en p.266 et p.267 : « Dans un premier temps, les enfants ont les yeux bandés, ils sont au pain et à l’eau et ne s‘orientent que grâce au toucher […] Le bandeau, machine “artistement ajustée”, n’est pas sans évoquer de futures machines sadiennes. Par la suite, le philosophe fait ôter le bandeau. Les enfants découvrent alors l’univers de la cave […] Un somnifère est parfois mêlé à l’eau, ce qui permet à l’expérimentateur de leur donner les soins nécessaires. »

– formulation de Monsieur R… E… en p. 173-174 : « Dans un premier temps, les enfants ont les yeux bandés, ils sont au pain […] et à l’eau […] et ne s’orientent que grâce au toucher. Une « machine de cuir artistement ajustée » les aveugle. On finit par la leur ôter (on les endort en mettant de l’arcane dans leur eau pour qu’ils ne se rendent compte de rien). Les enfants découvrent alors l’univers de la cave. »
Monsieur R… E… reprend sans la citer la manière originale qu’a Madame I… A… de présenter l’extrait de l’oeuvre de Du O…. Ce passage est donc contrefaisant.

5 – [
]

6 – formulation de Madame I… A… en p.283 : “U… […] découvre avec stupeur et horreur la violence, le code de l’honneur et les duels, l’emmaillotage des enfants, l’hypocrisie des moeurs, les inégalités sociales, la misère, les enfants estropiés qui mendient.

– formulation de Monsieur R… E… en p.207 : “U… découvre avec stupeur la violence, l’absurdité du code de l’honneur, l’emmaillotage des enfants, l’hypocrisie des moeurs, la misère, etc”.

Madame I… A… a choisi de commenter un passage de l’oeuvre de Du O… de façon originale et Monsieur R… E… a repris cette énumération de façon quasi-textuelle : même liste et même ordre. Il s’agit d’une reprise contrefaisante.

7 – formulation de Madame I… A… en p.268 : « Au bout d’un certain temps, se sentant trop vieux pour l’amour, P… tire F… de la cave. U… et F… s’aiment à nouveau. A la mort d’P…, ils héritent de sa fortune et finissent leurs jours en marge de la société, dans une retraite philosophique très voltairienne, qui convient à ces esprits forts mais bons, que, du fait de leur absence de préjugés, ils n’ont jamais cessé d’être. »

– formulation de Monsieur R… E… en p.207 : « Se sentant trop vieux pour l’amour, P… tire F… de sa cave. […] F… et U… choisissent alors de vivre en marge de la société dans une position d’extériorité critique, qui ne les empêche pas de se faire les bienfaiteurs de l’humanité. Avec une tonalité moins satirique et plus utopique, c’est à nouveau sur une critique « sauvage » de la société que débouche le deuxième tome de L’Élève de la nature. L ‘isolement expérimental permet, dans les deux cas, la métamorphose des enfants-cobayes en philosophes critiques dans la perspective d’une refondation politique. »

Le défendeur a repris une expression peu commune créée par Madame I… A… alors qu’il n’est pas démontré que c’est une expression tirée de l’oeuvre primaire commentée. Il s’agit encore d’un passage contrefaisant. Par conséquent, dans son ouvrage “Educations négatives”, Monsieur R… E… a reproduit sans son autorisation des écrits de Madame I… A… et a ainsi commis des actes de contrefaçon au préjudice de celle-ci.

1°) alors qu’aux termes de l’article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle définissant la contrefaçon comme la représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur d’une oeuvre originale, il appartient aux juges du fond de rechercher et d’apprécier les ressemblances avec les éléments essentiels de l’oeuvre citée en tenant compte de leur existence et de leur domaine ; qu’en l’état d’études universitaires portant toutes deux sur un corpus limité d’oeuvres primaires objet d’analyse, la cour n’a pas précisé si et en quoi les seuls fragments désarticulés qu’elle a retenus au titre de la contrefaçon, en dépit de leur banalité (« prénom programmatique », « découvre avec stupeur », « se sentant trop vieux pour l’amour », « des marges véritablement empiriques et rigoureuses », « et intentions expérimentales », « présomption de réalité », « constructions mentales », « réalité en attente d’une confirmation ou d’une infirmation empirique »
), eussent porté sur des éléments essentiels de la thèse prétendument citée, privant ainsi son arrêt de toute base légale au regard du texte précité, ensemble l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

2°) alors en tout état de cause qu’il appartient au juge du fond, expressément requis d’établir in concreto la balance des intérêts en présence, de s’assurer que, sous couvert de protection du droit d’auteur, il n’avait pas été porté d’atteinte excessive à la libre recherche scientifique et à la liberté d’expression du professeur requérant ; qu’au regard des intentions loyales de M. E… qui avait cité sa collègue sans le moindre pillage intellectuel ou formel du mémoire de cette dernière, et en l’état du très faible nombre des éléments finalement incriminés au regard des prétentions adverses, la cour s’est bornée à faire prévaloir le droit d’auteur pour un objet peu significatif contre les droits fondamentaux de l’exposant, méconnaissant ainsi derechef l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

 


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