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13 septembre 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/12304
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRET DU 13 SEPTEMBRE 2023
(n°104/2023, 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : 21/12304 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CD67I
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Juin 2021 – Tribunal Judiciaire de Paris – 3ème chambre – 3ème section – RG n° 19/07475
APPELANT
Monsieur [T] [X]
Né le 03 Février 1977 à [Localité 11] (93)
Demeurant [Adresse 1]
[Localité 3]
Représenté et assisté de Me Benoît PILLOT, avocat au barreau de PARIS, toque : G0333
INTIMEES
S.A.S. HABITAT FRANCE
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de BOBIGNY sous le numéro 389 389 545
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Jessica CHUQUET de la SELEURL CABINET CHUQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : E0595
Assistée de Me Eric COHEN, avocat au barreau de PARIS, toque : C1958
S.A.S. CAFOM DISTRIBUTION
Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de BOBIGNY sous le numéro 337 810 501
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Jessica CHUQUET de la SELEURL CABINET CHUQUET, avocat au barreau de PARIS, toque : E0595
Assistée de Me Eric COHEN, avocat au barreau de PARIS, toque : C1958
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 16 mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Déborah BOHÉE, conseillère, et Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre
Mme Françoise BARUTEL, conseillère
Mme Déborah BOHÉE, conseillère.
Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON
ARRÊT :
Contradictoire
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Carole TREJAUT, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
M. [T] [X] se présente comme un photographe indépendant, spécialisé notamment dans l’architecture, la décoration et le design, ayant collaboré de décembre 2013 à janvier 2018 avec la société CAFOM DISTRIBUTION, holding de la société HABITAT FRANCE spécialisée dans la vente de meubles et d’accessoires de décoration contemporains, pour la réalisation de ses catalogues notamment.
M. [X] expose avoir, le 5 février 2018, après la cessation des relations contractuelles, mis en demeure la société CAFOM DISTRIBUTION de lui régler une facture échue restée impayée et d’acquérir ou de cesser l’exploitation des droits d’auteur qu’il estime détenir sur les photographies qu’il a réalisées pour le compte d’HABITAT.
La société CAFOM DISTRIBUTION ayant alors procédé au règlement de la facture mais répondu que les factures émises au titre des clichés réalisés pendant la collaboration comportaient cession de droits, M. [X] a fait constater par huissier de justice, les 24 et 25 avril 2018, l’exploitation par la société HABITAT FRANCE de ses photographies sur les sites internet et et sur les comptes sociaux de cette société (Facebook, Instagram, Pinterest et Youtube), avant d’assigner les sociétés HABITAT FRANCE et CAFOM DISTRIBUTION en contrefaçon de droits d’auteur par actes des 5 et 7 juin 2019.
Par ordonnance du 10 juillet 2020, le juge de la mise en état a débouté les sociétés HABITAT FRANCE et CAFOM DISTRIBUTION de leur demande tendant à l’annulation de l’assignation leur ayant été délivrée pour insuffisante identification des ‘uvres revendiquées et de leur originalité.
Par un jugement rendu le 22 juin 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :
– débouté M. [X] de ses demandes en contrefaçon de droits d’auteur ;
– condamné M. [X] à verser aux sociétés HABITAT FRANCE et CAFOM DISTRIBUTION la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné M. [X] aux dépens ;
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Le 30 juin 2021, M. [X] a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions, transmises le 28 septembre 2021, M. [X] demande à la cour de :
Vu les articles L. 111-1 et suivants, L. 121-1 et suivants, L.131-3, L.132-7, L. 331-1 et suivants et L. 335-2 du code de la propriété intellectuelle,
Vu l’article 1134 ancien du code civil, devenu articles 1103 et 1104 du code civil,
– recevoir M. [X] en son appel et le disant bien fondé,
– infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de,
– recevoir M. [X] en ses demandes et, y faisant droit,
– dire et juger qu’en reproduisant et en diffusant sans autorisation, sur les sites Internet accessibles aux adresses www.habitat.fr et www.lavieestdesign.com et sur ses comptes sur les réseaux sociaux Facebook, Instagram, Pinterest, les photographies objets du présent litige réalisées par M. [X], la société la société HABITAT FRANCE a, avec l’assistance de la société CAFOM DISTRIBUTION, violé les droits patrimoniaux et moraux de M. [X], ce qui constitue des actes de contrefaçon ;
– en conséquence :
– condamner in solidum les sociétés HABITAT FRANCE et CAFOM DISTRIBUTION à payer à M. [X] la somme de 111.200 euros pour la violation de ses droits patrimoniaux et la somme de 30.000 euros pour violation de ses droits moraux pour la reproduction sans autorisation et les altérations de ses photographies sur les sites Internet accessibles aux adresses www.habitat.fr et www.lavieestdesign.com et sur les comptes de la société HABITAT FRANCE sur les réseaux sociaux Facebook, Instagram, Pinterest,
– ordonner la publication de l’arrêt à intervenir sur les sites Internet accessibles aux adresses www.habitat.fr et www.lavieestdesign.com et sur les comptes de la société HABITAT FRANCE sur les réseaux sociaux Facebook, Instagram, Pinterest aux frais de la société HABITAT FRANCE, dans la limite de 4.000 euros par publication, ces publications devant intervenir au-dessus de la ligne de flottaison,
– condamner in solidum les sociétés HABITAT FRANCE et CAFOM DISTRIBUTION à payer à M. [X] la somme de 12.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner les sociétés HABITAT FRANCE et CAFOM DISTRIBUTION aux entiers dépens de première instance et d’appel, lesquels comprendront les frais de constat d’huissier exposés par M. [X], dont distraction faite au profit de Me PILLOT, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions, transmises le 23 décembre 2021, les sociétés HABITAT FRANCE et CAFOM DISTRIBUTION demandent à la cour de :
Vu les dispositions du code de propriété intellectuelle et notamment les articles L.111-1, L.112-2 et L.131-3 ;
Vu l’ancien article 1134 devenu articles 1103 et 1104 et l’article 1194 du code civil ;
Vu les pièces versées aux débats ;
– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
– y ajoutant,
– condamner M. [X] à payer aux sociétés HABITAT et CAFOM DISTRIBUTION, la somme de 10.000 euros chacune sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DECISION
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur les demandes en contrefaçon de droits d’auteur de M. [X]
Sur l’existence d’une cession de ses droits d’auteur par M. [X]
M. [X] soutient qu’en violation de l’article L.131-3 du code de la propriété intellectuelle, il n’y a pas eu de cession de droits quant aux photos qu’il a réalisées au cours de la relation contractuelle, et ce pour une utilisation postérieure à la fin de cette relation ; que ses photos sont des oeuvres protégées par le droit d’auteur ; qu’il ne saurait être considéré, sur le seul fondement de l’exécution de bonne foi des contrats, qu’il a tacitement consenti à ce que les intimées puissent indéfiniment utiliser ses oeuvres, et ce en dépit de l’interdiction qui leur a été faite par la lettre de mise en demeure du 5 février 2018, et les modifier à leur guise sans autorisation du photographe ; qu’aucune cession valable au regard de l’article L.131-3 du code de la propriété intellectuelle ne peut résulter de la mention ‘Cession de droit d’auteur’ figurant sur les factures qu’il a émises ; que cette mention était indiquée, dans son esprit, pour l’AGESSA (la sécurité sociale des artistes auteurs) seulement à des fins fiscales, ce qui confirme la nécessaire application du droit d’auteur ; qu’en tout état de cause, le tribunal ne peut en même temps conclure à la non application du droit d’auteur pour faire application de la règle générale de l’exécution de bonne foi des contrats et se fonder sur cette même notion pour considérer qu’il y aurait eu une cession valable de droits d’auteur.
Les sociétés HABITAT FRANCE et CAFOM DISTRIBUTION répondent que dans le cadre de la relation contractuelle, M. [X] a incontestablement cédé ses droits en toute connaissance de la destination de ses photographies dans la mesure où il gérait le studio de création CAFOM ; que l’absence d’écrit invoqué par M. [X] est, dans le cadre d’une relation de quatre années, sans aucune portée juridique ; que toutes les prestations réalisées par M. [X] ont donné lieu à l’édition de notes de cession de droits d’auteur portant sur les vues réalisées sur la période concernée par les factures ; qu’il est absurde que M. [X], qui gérait le studio de création, et donc le traitement et l’insertion des photographies dans les catalogues et sur les sites internet d’HABITAT, affirme qu’il n’aurait pas consenti aux usages qu’il a lui-même mis en ‘uvre ; qu’en application de l’adage « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude », M. [X] ne saurait se saisir d’une situation qu’il a lui-même orchestrée, ce qui serait parfaitement contraire aux dispositions de l’article 1194 du code civil (ancien article 1135) (‘Les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi’) ; que M. [X] aurait pu choisir de limiter ses cessions dans le temps, ce qu’il n’a pas fait ; qu’il convient de s’en tenir à ce qui était la commune intention des parties et qu’il n’existe en l’espèce aucune ambiguïté sur l’intention du photographe de permettre à HABITAT/CAFOM de reproduire les photographies représentant des meubles commercialisés par HABITAT ; que dans de telles circonstances, la jurisprudence reconnaît qu’il n’y a pas lieu de respecter les prescriptions de l’article L.131-3 du code de la propriété intellectuelle et déduit des circonstances et de la commune intention des parties l’existence d’une cession implicite au profit de la société ayant commandé les ‘uvres réalisées.
Ceci étant exposé, l’alinéa 2 de l’article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa dernière version résultant de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine et en vigueur depuis le 1er octobre 2016, dispose que ‘Les contrats par lesquels sont transmis des droits d’auteur doivent être constatés par écrit’.
Les deux premiers alinéas de l’article L. 131-3 du même code précisent que ‘La transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée. Lorsque des circonstances spéciales l’exigent, le contrat peut être valablement conclu par échange de télégrammes, à condition que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité conformément aux termes du premier alinéa du présent article (…)’.
Il en résulte que depuis la loi du 7 juillet 2016, un écrit doit nécessairement constater la cession de droits d’auteur en respectant les exigences posées par l’article L.131-3 qui impose une mention distincte dans l’acte de cession pour chaque droit cédé (reproduction, représentation, diffusion, traduction, etc.) ainsi que la délimitation du domaine d’exploitation des droits cédés quant à son étendue (supports, formats…), sa destination (domaine d’activité), son lieu et sa durée.
En l’espèce, la relation contractuelle entre M. [X] et la société CAFOM DISTRIBUTION a commencé le 17 décembre 2013, avec un contrat de travail à durée déterminée qui a pris fin le 17 mars 2014, et s’est poursuivie, M. [X] ayant alors le statut d’indépendant et émettant des factures intitulées ‘notes de cession de droits d’auteur’, jusqu’au 30 janvier 2018.
Il y a donc lieu de distinguer la période antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 7 juillet 2016 et la période postérieure.
Les photographies revendiquées n’étant pas datées et les ‘notes de cession de droits d’auteur’ établies par M. [X] ne précisant pas les photographies auxquelles elles se rapportent, il convient de se reporter aux conclusions de l’appelant qui fournissent (pages 6 à 198) une liste de ces photographies – au nombre de 250 – avec des vignettes les reproduisant et des développements pour exposer les conditions de leur réalisation (origine de l’image, sujet de l’image, moyens techniques, retouches…) qui permet, le plus souvent, de déterminer le moment où elles ont été prises et cédées à la société CAFOM DISTRIBUTION en fonction de la date du catalogue HABITAT concerné.
Il apparaît ainsi que de nombreuses photographies ont été réalisées pour les catalogues HABITAT automne/hiver 2014/2015, automne/hiver 2015/2016, printemps/été 2014, printemps/été 2015, printemps/été 2016 ou pour des catalogues annuels 2014/2015, 2015/2016 ou pour le catalogue printemps 2015 ou pour les ‘catalogues journal’ Noël 2015 ou printemps 2014 ou ‘journal HABITAT 2014 Oasis Urbaine’, ou encore pour l’abécédaire HABITAT 2014 ou pour ‘une série Noël 2014″, ce dont il se déduit qu’elles ont été commandées, réalisées et remises à HABITAT avant l’entrée en vigueur, le 1er octobre 2016, de la loi précitée. Il s’agit des photos numérotées 2, 3, 16, 35, 40, 41, 46, 51, 55, 80, 83, 84, 94, 95, 98 à 119, 121 à 32, 147, 160, 162, 163, 164, 168 à 171, 177, 179 à 182, 186 à 193, 196 à 205, 213, 215, 217, 229, 230, 232, 233, 234 et 246.
Pour toutes ces photographies, réalisées pour partie alors que l’appelant était lié par un CDD à la société CAFOM DISTRIBUTION avec la qualité de photographe-retoucheur (statut agent de maîtrise) et pour partie alors qu’il était en relation d’affaires avec cette dernière, exécutant alors des contrats de commande, M. [X] ne conteste pas avoir connu dès l’origine la destination de ces clichés, à savoir la promotion des meubles et objets de décoration commercialisés par la société HABITAT FRANCE, ce qui impliquait leur reproduction et leur représentation dans les catalogues édités par cette dernière et sur son site internet marchand et, plus généralement, leur exploitation sur différents supports et en différents formats, pour les besoins de la commercialisation par la société HABITAT FRANCE de ses produits, laquelle, compte tenu de la nature de ces produits (mobilier, objets de décoration, linge de maison…), pouvait s’étendre sur plusieurs saisons. Les factures qu’il a émises à l’occasion de la réalisation de ses prestations mentionnent toutes une ‘cession de droits’, ce qui incluait implicitement l’accord de M. [X] pour l’ensemble des utilisations requises par la promotion des produits concernés.
M. [X] a par ailleurs nécessairement consenti au recadrage de ses photos ou à leur retouchage pour les besoins de cette promotion, et ce d’autant plus qu’il est constant qu’il entrait dans ses fonctions de procéder au retouchage des photographies. Le contrat de travail précise d’ailleurs qu’il était employé en qualité de ‘photographe-retoucheur, responsable de studio’ et mentionne, parmi les missions du salarié, ‘réaliser les retouches photos nécessaires pour livrer un produit fini aux différents intervenants’.
Comme l’a relevé le tribunal, M. [X] n’a jamais émis la moindre objection relative à l’utilisation de ses photographies, y compris celles retouchées ou recadrées, ni sollicité de rémunération complémentaire tant qu’a duré la relation contractuelle avec son donneur d’ordre.
Selon l’ancien article 1134 code civil, en vigueur jusqu’au 1er octobre 2016, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi.
Les éléments qui viennent d’être relevés établissent que M. [X] a implicitement et valablement cédé à la société CAFOM DISTRIBUTION ses droits d’auteur sur les photographies qu’il a réalisées pour son compte jusqu’en octobre 2016 et qu’il était dans l’intention commune des parties que ces photographies soient utilisées pour les entiers besoins de la promotion et de la commercialisation des produits proposés par la société HABITAT FRANCE, les utilisations aujourd’hui incriminées par M. [X] n’étant que la stricte continuation des exploitations consenties, aucun détournement des photographies pour un usage autre que celui destiné à la promotion et la commercialisation des produits HABITAT n’étant démontré ni même invoqué.
En revanche, à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 7 juillet 2016, les contrats de cession des droits d’auteur devant être constatés par écrit en application de l’article L. 131-2 alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle introduit par cette loi, et répondre aux prescriptions de l’article L. 131-3 du même code, il ne peut être considéré que les factures intitulées ‘notes de cession de droits d’auteur’, qui ne visent ni les photographies concernées ni les conditions de leur exploitation par la société CAFOM DISTRIBUTION, valent cession régulière de ses droits d’auteur par M. [X].
Il convient par conséquent de dire si les photographies réalisées et cédées postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 7 juillet 2016 sont éligibles à la protection par le droit d’auteur, autrement dit de statuer sur leur originalité, sans que M. [X] puisse, pour contester la nécessité de cet examen, se retrancher derrière le fait que dans la réponse à son courrier de mise en demeure, le conseil de la société CAFOM ait indiqué ‘Concernant les droits d’auteur sur les photographies figurant tant sur les catalogues de la société HABITAT que sur le site internet habitat.fr, je note que toutes les notes d’honoraires adressées par M. [T] [X] font mention de la ‘CESSION DE DROIT D’AUTEUR’, ce dont il ne peut se déduire une reconnaissance de l’originalité des clichés, ou le fait qu’il est crédité dans les catalogues HABITAT comme le seul photographe, ou encore le fait qu’il est un photographe professionnel reconnu, notamment dans les domaines de la mode, de l’architecture et de la décoration.
Sur la protection des photographies par le droit d’auteur : l’originalité des photographies revendiquées
M. [X] soutient que les photographies objets du litige sont originales au sens du droit d’auteur ; qu’une photographie publicitaire est originale dès lors que le photographe a su mettre en valeur le produit grâce à un éclairage et une lumière spécifiques ; que l’originalité d’une photographie découle des choix effectués par son auteur ; qu’en l’espèce, chaque photographie est le résultat d’une véritable recherche esthétique destinée à réaliser, par ses choix, une photographie reproduisant tout à la fois la réalité de différents lieux de vie dans lesquels les articles vendus par la société HABITAT FRANCE pourraient se trouver ; qu’à cette recherche esthétique particulière s’ajoute un savoir-faire incontestable qui ressort de son cahier ‘exemples d’indications de retouches réalisées pour l’ensemble des images créées et imaginées par [T] [X]’ produit au débat ; qu’il a mis en scène les prises de vues d’une manière très personnelle ; que ses photographies sont le résultat de choix esthétiques délibérés et ne se limitent pas à une simple reproduction fidèle de l’objet photographié ; que pour chacune d’elles, il s’agit d’une mise en scène, d’un décor, d’une mise en lumière, ou encore de retouches, qui sont le résultat de son rôle exclusif dans les prises de vues et leur préparation ; que tous ces choix sont le fruit d’une réflexion personnelle ; que les intimées ont reconnu cette protection par le droit d’auteur en invoquant la cession de ‘droit d’auteur’ ; que les ‘guidelines’ invoquées par les intimées, au demeurant établies par ses soins, ne concernent que les photographies ‘pack shot’ (un produit photographié sur un fond uni) sur lesquelles aucun droit d’auteur n’est revendiqué.
Les sociétés HABITAT FRANCE et CAFOM DISTRIBUTION soutiennent que le savoir-faire technique d’un photographe n’entraîne pas systématiquement l’originalité de ses photographies ; que M. [X] a dû tenir compte de lignes directrices (‘guidelines’) qui lui ont été communiquées pour permettre une exploitation des photographies correspondant aux besoins des sociétés HABITAT/CAFOM ; qu’il appartient à celui qui se prévaut d’un droit d’auteur dont l’existence est contestée de définir et d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue ; que M. [X] concentre ses explications au sujet de l’originalité de ses photographies sur ses choix techniques d’objectifs et de focales, ce qui n’est pas satisfaisant pour permettre d’apprécier l’originalité des ‘uvres qu’il revendique ; qu’on peut trouver d’innombrables exemples de photographies similaires, voire identiques, dans les catalogues de sociétés ayant la même activité que HABITAT FRANCE ; que l’originalité des photos ne peut résulter du choix par M. [X] du moment de la journée où la prise de vue a été réalisée, de la position des produits ou du photographe, de l’éclairage, du cadrage, des retouche, etc. ; qu’en comparant les différents catalogues HABITAT, on constate que les mêmes types de photographies sont réalisés d’année en année ; que plusieurs photographes ont travaillé pour HABITAT FRANCE, durant la même période de collaboration de M. [X], sans qu’il soit possible d’identifier la paternité desdites photographies, ce qui démontre bien que l’empreinte de la personnalité de M. [X] ne ressort pas des photographies litigieuses.
Ceci étant exposé, conformément à l’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une ‘uvre de l’esprit jouit sur cette ‘uvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. En application de l’article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l’auteur de toute ‘uvre de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. Selon l’article L. 112-2, 9° du même code, sont considérées comme ‘uvres de l’esprit les oeuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie.
Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une ‘uvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale en ce sens qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur et n’est pas la banale reprise d’un fonds commun non appropriable.
Néanmoins, lorsque l’originalité d’une ‘uvre de l’esprit est contestée, il appartient à celui qui revendique la protection au titre du droit d’auteur de caractériser l’originalité de l’oeuvre revendiquée, c’est à dire de justifier de ce que cette oeuvre présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur. C’est donc à tort que M. [X] argue, en pages 224 et 225 de ses écritures, que c’est aux intimées qu’il revient de démontrer l’absence d’originalité des clichés.
Toutes les photographies restant à examiner sont des photographies de commande destinées à la promotion des produits commercialisés par la société HABITAT, ce dont il se déduit que les choix de M. [X] étaient nécessairement très contraints. De fait, les intimées produisent plusieurs courriels (leur pièce 8) révélant que M. [X] devait suivre des ‘guidelines’ validées par le donneur d’ordre et des consignes très précises données notamment par M. [G], directeur marketing, et Mme [K] qui contrôlaient étroitement son travail (ex. courriels de M. [G] à M. [X] : ‘Avez vous du temps ce jeudi pour revoir ensemble des guidelines ” ; ‘Je trouve que la pyramide est plus élégante, l’alignement à droite me semble un peu ennuyeux à la longue’, ce à quoi M. [X] réponds ‘Ok, je refais’ ; courriels de Mme [K] à M. [X] : ‘Les guidelines que je vous ai transmises ont été validées par [N] [[G]]. Il est important de les suivre’ ; ‘Hello [T], On avait demandé une pyramide de draps de bain, je ne comprends pas bien pourquoi cette règle n’est pas suivie. Je suis ouverte aux propositions si vous trouvez une meilleure manière de montrer les produits mais je préfère que vous nous soumettiez ces propositions. J’ai peur qu’il faille re-shooter ces produits’ ; M. [G] écrit encore : ‘il faut être un peu plus pur dans la grande photo, compte tenu du lieu qui est plus minimaliste. Les accessoires doivent mieux se détacher les uns des autres’ et ‘plus de cool attitude dans la pose de personnes. La personne est trop raide sur la chaise’ et encore ‘Une fois imprimées, certaines images me perturbent et doivent être modifiées’. Un courriel du 17 mars 2015 indique que M. [G] et Mme [K] ont décidé plusieurs retouches précisément définies concernant les visuels du catalogue P/E 2015 (‘ajout de matière sur la gauche … afin de ne pas couper la lampe’, ‘réduire l’intensité de l’ombre de la table sur le meuble FABEL’, ‘supprimer les toiles brodées’, ‘densifier la fenêtre’, ‘rendre l’image plus gaie, plus frais’, ‘réchauffer un peu l’image’, ‘attention à ne pas être trop sombre sur la table’…). Il est relevé que les ‘guidelines’ produites par les intimées (pièces 1.1 à 1.6) concernent principalement des objets seuls sur fond blanc, soit des ‘packshots’ sur lesquels M. [X] ne revendique pas de droits d’auteur, mais pas exclusivement, montrant également des ambiances d’intérieur ou d’extérieur avec du mobilier et des objets (pièces 1.5, 1.6) et que le contrat de travail de M. [X] précisait expressément que le salarié devait ‘suivre et faire appliquer un cahier des charges technique et esthétique précis (Guideline)’ sans qu’il soit soutenu par l’appelant que son statut ultérieur de photographe indépendant ait entraîné pour lui une plus grande liberté dans l’exécution de ses prestations.
Il ressort de ces éléments que si M. [X], en sa qualité de photographe professionnel spécialisé dans le design et la décoration, a nécessairement bénéficié d’une certaine latitude dans l’exécution de ses clichés, quant au choix des agencements retenus, du matériel photographique utilisé, des cadrages, des éclairages, etc, ainsi qu’en témoignent trois de ses assistantes (ses pièces 34 à 36), son travail, dont l’unique but était de valoriser les produits HABITAT et d’en accroître l’attractivité commerciale, était manifestement très encadré.
Par ailleurs, force est de constater que dans les développements qu’il fournit aux pages 6 à 198 de ses écritures pour expliciter sa démarche pour chacune des photographies revendiquées, que la cour a examinés dans leur intégralité, M. [X] décrit essentiellement des éléments objectifs et un savoir-faire technique de photographe professionnel au travers, pour chaque cliché, d’explications relatives à l”origine de l’image’, au ‘sujet de l’image’, aux ‘moyens techniques /éclairages’ et aux ‘retouches’. Pour exemples, pour la photographie n° 5 représentant une vue partielle d’un bureau sur lequel ont été déposés un pot à crayons et des articles de papeterie, il indique :
a/ ORIGINE DE L’IMAGE:
Création d’images originales réalisées dans une demeure bourgeoise « [Adresse 10] » à [Localité 9], dans le 78. Image tirée du catalogue digital annuel 2017/2018.
b/ SUJET DE L’IMAGE:
Création d’un univers du bureau, axé sur la papeterie et les accessoires de bureautique. Pour cette image j’ai décidé de faire un focus comme si le lecteur allait s’asseoir à son bureau. De cette manière, je fais aussi indirectement un détail sur la matière du bureau.
c/ MOYENS TECHNIQUES / ECLAIRAGES
Pour cette image, j’ai disposé deux types de sources. La première à l’extérieur, un éclairage HMI très dur avec une mire de Freynel dirigé au travers de la fenêtre, pour donner l’idée d’un soleil. La seconde à gauche de la scène, un ensemble d’éclairages flash sur générateurs réalisé en indirect sur des panneaux blancs.
Afin d’être précis, j’ai utilisé un objectif 100 mm macro focaliser sur les accessoires en marbre. L’idée étant de créer un flou au premier et au dernier plan de l’image. Cette technique permet d’isoler le sujet principal, et de le mettre en avant.
d/ RETOUCHES
Sur cette image, ont été retouchées essentiellement le mur du fond ainsi que la fenêtre, et les reflets diverses des accessoires de papeterie afin de les rendre sans défauts’ ; pour la photographie n° 31 concernant une gamme de vases, il précise :
‘a/ ORIGINE DE L’IMAGE:
Image originale réalisée dans la [Adresse 12] de [Localité 8], tirée du Dossier de Presse Habitat Printemps-été 2017.
b/ SUJET DE L’IMAGE:
Création d’une image originale, dont l’idée était de présenter une gamme de vases sur un banc, tel un artisan qui venait de les créer. La mer en toile de fond en était l’inspiration à la fois sur la transparence et la couleur. Une image à la fois simple et forte. Toutefois, j’ai dû réintégrer à la retouche une mer que j’avais photographié au mois d’août, ainsi qu’un ciel réalisé depuis en avion.
c/ MOYENS TECHNIQUES / ECLAIRAGES
Pour cette image, je me suis placé au raz de l’eau avec un appareil sur pied muni de 80 mm. J’ai shooté avec une grande profondeur de champ (F 32) pour avoir un maximum de détails sur le paysage et bien définir la transparence des vases. Au niveau des éclairages, j’ai décidé d’utiliser des flashs de studio, alimentés par des batteries indépendantes. Montés avec de larges bols beautés munis de calques diffusants 1/4, J’ai pu éclairer de manière naturelle la scène de face.
d/ RETOUCHES
Comme indiqué précédemment, j’ai réintégré un ciel photographié depuis un avion et une mer beaucoup plus bleu réalisée durant des vacances d’août. L’ensemble des vases ont été entièrement nettoyer et gommés de tout défauts. Bien qu’arborant une lumière douce, j’ai saturé de manière excessive la couleur bleue pour la rendre plus idyllique ; pour la photographie n° 57 concernant du mobilier de jardin, il indique :
‘a/ ORIGINE DE L’IMAGE:
Image originale réalisée dans les hauteurs de [Localité 7], tirée du catalogue « Habitant N°1 » page 11 .
b/ SUJET DE L’IMAGE:
Création d’une image originale, sur le thème table et repas estival. Comme à chaque présentation presse ou catalogue printanier, je présente une série de tables, chaises et nouvelle vaisselle dans un environnement de jardin ensoleillé. L’idée est de donner aux gens l’envie de se réapproprier la nature et de la partager entre amis ou en famille.
c/ MOYENS TECHNIQUES / ECLAIRAGES
L’idée est de toujours pouvoir décliner, combiner et présenter des images de même nature soit de manière isolée, soit regroupée en série. J’ai donc pris pour habitude de traiter ce sujet en particulier, souvent pris à la même hauteur, en légère plongée et shooté sur un pied à une distance d’environ 4 mètres et avec une optique 55 mm. Presque toujours avec une profondeur de champ Type f22 pour être le plus descriptif possible. Ici, l’idée était d’évoquer un petit déjeuner en famille façon « l’ami Ricoré »
Je n’utilise que quelques réflecteurs blancs pour rééquilibrer la lumière et des retours de lumière avec des miroirs. Un filtre polarisant rotatif sur mon optique pour gérer les très hautes lumières. Sans ce procéder le contraste entre les hautes et basses lumières serait très élevé et le résultat donnerait une image à fort contraste avec une perte de détails et couleurs.
d/ RETOUCHES
L’ensemble de la végétation a été ravivé, retoucher avec plus de verdure et de feuillage, l’herbe rendu plus verte. J’ai surtout travaillé un équilibre entre les parties très exposé à la lumière et les parties dans l’ombre et très foncées. La table et les chaises ont été désaturé pour les rendre parfaitement blanches et sans défauts apparents. Les cousins et autres textiles ont été déplissés et regonflés.’.
Ainsi, alors que les sujets des images sont définis par CAFOM/HABITAT et que leur réalisation, à visée exclusivement promotionnelle, est contrôlée par le commanditaire, les choix essentiellement techniques exposés par M. [X] ne suffisent pas à traduire une démarche personnelle et créatrice qui porterait l’empreinte de la personnalité du photographe.
Du reste, les intimées fournissent (leur pièce 6) des photographies d’agencements de meubles et d’objets HABITAT prises par un autre photographe que M. [X] et qui ne se différencient pas de celles prises par l’appelant, les photographies, quel que soit le photographe, reflétant avant tout le style de mobilier et de décoration urbain, jeune et dépouillé qui est celui de l’enseigne HABITAT.
En définitive, la cour estime que M. [X] ne démontre pas que les photographies revendiquées, réalisées et livrées postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 7 juillet 2016, sont originales et, à ce titre, éligibles à la protection par le droit d’auteur. Les demandes en contrefaçon de M. [X] ne peuvent donc prospérer.
Pour ces motifs, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté M. [X] de ses demandes en contrefaçon de droits d’auteur.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
M. [X], partie perdante, sera condamné aux dépens d’appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’il a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.
La somme qui doit être mise à la charge de M. [X] au titre des frais non compris dans les dépens exposés par les sociétés CAFOM DISTRIBUTION et HABITAT FRANCE peut être équitablement fixée à 3 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement,
Condamne M. [X] aux dépens d’appel et au versement aux sociétés CAFOM DISTRIBUTION et HABITAT FRANCE, ensemble, de la somme de 3 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE