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5 avril 2019
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
16/19402
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-1
ARRÊT AU FOND
DU 05 AVRIL 2019
N° 2019/143
Rôle N° RG 16/19402 – N° Portalis DBVB-V-B7A-7OSV
[E] [I]
C/
SASU SOCIETE NOUVELLE CGVL
Copie exécutoire délivrée
le : 05.04.2019
à :
Me Marie-adélaide BOIRON, avocat au barreau de MARSEILLE
et
Me Martine DESOMBRE de la SCP DESOMBRE M & J, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARSEILLE en date du 30 Septembre 2016 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 15/01779.
APPELANT
Monsieur [E] [I]
né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 1],
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Marie-adélaide BOIRON, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
SASU SOCIETE NOUVELLE CGVL SASU prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social, demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Martine DESOMBRE de la SCP DESOMBRE M & J, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Julien DESOMBRE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
(Postulant)
représentée par Me STEPHANIE DUBOS, avocat au barreau de LYON
(Plaidant)
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 785 et 786 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Février 2019, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Nathalie FRENOY, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président
Mme Nathalie FRENOY, Conseiller
Mme Stéphanie BOUZIGE, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Malika REZIG.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 05 Avril 2019.
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 05 Avril 2019
Signé par Madame Ghislaine POIRINE, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Monsieur [E] [I], employé par la société TRANSPORTS MICHEL depuis le 16 février 2006, et affecté aux livraisons destinées à la société ALDES, a été informé par courrier de son employeur en date du 30 décembre 2008 de la perte du marché de prestataire de services au profit de la SN CGVL ainsi que d’éventuelles difficultés relatives à la date de reconduction du contrat et à la reprise de son contrat de travail.
Monsieur [I] a signé avec la Société Nouvelle Compagnie Générale de Voitures de Lyon ( SN CGVL), un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 26 janvier 2009, en qualité de chauffeur VL ( véhicules légers), coefficient 118 M et est resté affecté aux livraisons de la société ALDES.
Il a reçu notification d’un avertissement le 10 juillet 2009, d’une mise à pied disciplinaire le 7 mars 2011, d’un rappel à l’ordre le 20 avril 2012, d’un avertissement le 27 avril 2012.
La société ALDES ayant dénoncé partiellement son contrat avec lui, l’employeur a informé le salarié de sa réaffectation auprès du client STEF à Brignais (69), à compter du 1er avril 2013.
Ce dernier, n’ayant pas reçu de réponse sur ses questions relatives aux accessoires de salaire et horaires de travail, se voyait refuser toute prestation de travail le 2 avril 2013, à Gémenos.
Par courrier du 5 avril 2013, Monsieur [I] a mis en doute la perte de la ligne litigieuse, ayant constaté l’utilisation du véhicule léger qui lui était affecté auparavant par un autre salarié et indiqué qu’il ne lui paraissait pas possible d’accepter notamment pour des raisons financières une mutation à plus de 300 km de son lieu de travail habituel en 15 jours, d’autant que le motif économique invoqué était inexistant.
Après avoir reçu des explications de son employeur sur la perte partielle du marché ALDES, Monsieur [I] a refusé son affectation, a été convoqué à un entretien préalable fixé au 13 mai 2013 et licencié par courrier du 17 mai suivant, pour ne pas avoir accepté sa mutation à Brignais.
Contestant son licenciement, il a saisi le conseil de prud’hommes de Marseille qui, par jugement du 30 septembre 2016, a :
-dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse,
-débouté Monsieur [I] de ses demandes,
-débouté la SN CGVL de sa demande reconventionnelle,
-condamné le demandeur aux dépens.
Le 27 octobre 2016, [E] [I] a régulièrement interjeté appel de cette décision.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 25 janvier 2017, l’appelant demande à la cour de :
‘ le recevoir en son appel, le déclarer bien fondé,
‘ infirmer le jugement entrepris,
‘ dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,
‘ dire que son ancienneté remonte au 16 février 2006,
‘ condamner la société SN CGVL à lui payer
*7 706,96 euros à titre de rattrapage de salaire au titre des années 2009 à 2013,
*770,69 euros au titre des congés payés y afférents,
*1 793,20 euros au titre du salaire de mai 2013,
*20’000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
*847,19 euros à titre de rappel sur l’indemnité conventionnelle de licenciement,
*3 627,30 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
*362,73 euros au titre des congés payés y afférents,
‘ ordonner à la société SN CGVL de modifier le certificat de travail, l’attestation Pôle Emploi et tous les bulletins de salaire afférant aux années 2009 à 2013 pour tenir compte de l’ancienneté de Monsieur [I] au 16 février 2006, du rattrapage de ses salaires, du paiement du salaire du mois de mai 2013 et du préavis de deux mois sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé le délai d’un mois à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir,
‘ condamner la société SN CGVL à lui payer 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,
‘ dire que le conseil de prud’hommes de Marseille se réserve la possibilité de liquider l’astreinte,
‘condamner la société SN CGVL à lui payer 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à prendre en charge les dépens,
‘ ordonner la capitalisation des intérêts.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 16 mars 2017, la société SN CGVL demande à la cour de :
‘ prendre acte du fait que la demande de Monsieur [I] de la contraindre de justifier du paiement des cotisations salariales est uniquement afférente aux éventuelles condamnations de nature salariale qui pourraient être prononcées par la cour,
sur l’ancienneté de Monsieur [I]
‘ constater que les dispositions conventionnelles invoquées par Monsieur [I] ne sont pas applicables au transport de marchandises,
‘ constater que la reprise du marché par la société SN CGVL ne s’est accompagnée d’aucun transfert d’éléments d’exploitation et qu’ à ce titre, aucune entité économique autonome n’étant caractérisée, les dispositions de l’article L 1224-1 du code du travail ne trouvaient pas application,
‘ dire qu’il n’incombait à la société SN CGVL aucune obligation de reprendre le contrat de travail de Monsieur [I] et donc de maintenir ses conditions de travail ou l’ancienneté acquise auprès du précédent employeur,
‘ débouter Monsieur [I] de sa demande tendant à la fixation du début de son ancienneté au 16 février 2006, date de son embauche au sein de la société TRANSPORTS MICHEL,
‘ dire que son ancienneté débute le 26 janvier 2009 conformément aux termes du contrat de travail,
‘ débouter Monsieur [I] de sa demande de condamnation au titre de reliquat d’indemnité de licenciement,
‘ débouter Monsieur [I] de sa demande de condamnation au titre d’un rattrapage de rémunération pour la période courant de 2009 à 2013 et des congés payés afférents,
‘ débouter Monsieur [I] de sa demande tendant à obtenir la modification du certificat de travail, de l’attestation Pôle Emploi et de tous les bulletins de salaire afférant aux années 2009 à 2013 pour tenir compte de son ancienneté, du rattrapage de ses salaires, et ce, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du prononcé de l’arrêt,
sur la rupture du contrat de travail
à titre principal
‘ constater que la réaffectation de Monsieur [I] a été subséquente à la dénonciation par le client ALDES d’une partie du contrat commercial le liant à la société SN CGVL,
‘ constater que cette réaffectation n’était en aucune manière liée à un motif économique tel que défini par le code du travail ou la jurisprudence afférente,
‘ constater que la société SN CGVL avait l’obligation de proposer à Monsieur [I] une solution en vue de sa réaffectation,
‘ dire que la clause de mobilité de Monsieur [I] était licite et lui était pleinement opposable,
‘ dire que la clause de mobilité a été mise en ‘uvre dans l’intérêt de l’entreprise,
‘ dire que son refus d’intégrer sa nouvelle affectation, constituant un simple changement de ses conditions de travail, était abusif,
‘ dire que son licenciement était bien fondé sur une cause réelle et sérieuse,
‘ débouter Monsieur [I] de sa demande indemnitaire,
‘ constater que Monsieur [I] à son retour de congés payés n’a pas exécuté son contrat de travail et ce, en violation de la clause de mobilité,
‘ dire que l’absence de Monsieur [I] à son poste de travail à Brignais est fautive et ne peut dès lors donner lieu à rémunération,
‘ débouter Monsieur [I] de ses demandes salariales relatives à une indemnité compensatrice de préavis, aux congés payés afférents, au rappel de salaire sur le mois de mai 2013, correspondant à 23 jours (du 1er au 23 mai) et de manière subséquente tendant à la modification de l’attestation Pôle Emploi,
‘ constater que la clause de mobilité est parfaitement licite et mise en ‘uvre de manière loyale,
‘ débouter Monsieur [I] de sa demande indemnitaire au titre d’une prétendue exécution déloyale de son contrat de travail,
à titre subsidiaire
‘ constater le caractère totalement exorbitant de sa demande indemnitaire,
‘ par voie de conséquence et à titre infiniment subsidiaire, cantonner la condamnation de la société SN CGVL aux 6 mois prévus par le code du travail,
en tout état de cause
‘ débouter Monsieur [I] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
à titre reconventionnel
‘ condamner Monsieur [I] à lui verser 2000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à prendre en charge les dépens.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 13 décembre 2018.
MOTIFS DE L’ARRET
La société SN CGVL demande à la cour de prendre acte du fait que la demande de Monsieur [I] de la contraindre de justifier du paiement des cotisations salariales est uniquement afférente aux éventuelles condamnations de nature salariale qui pourraient être prononcées en cause d’appel; cependant, aucune demande de cette nature n’est présentée en ce sens par Monsieur [I], à l’occasion de la présente instance.
Sur l’ancienneté :
Monsieur [I] fait valoir que, contrairement à ses obligations, la société SN CGVL n’a pas repris son ancienneté alors qu’elle reprenait l’exploitation de la ligne sur laquelle il était affecté dans le cadre de son contrat avec la société TRANSPORTS MICHEL et que l’article 28 de la convention collective nationale des transports routiers prévoyant une garantie de maintien d’emploi était applicable en décembre 2008 et janvier 2009 en cas de changement de prestataire. Il sollicite donc que son ancienneté, qui remonte au 16 février 2006, soit considérée au jour de son licenciement comme égale à six ans, trois mois et six jours.
La Société Nouvelle Compagnie Générale de Voitures de Lyon affirme n’avoir eu aucune obligation de reprendre le contrat de travail de Monsieur [I] dans la mesure où d’une part, l’article L 1224 -1 ne s’applique pas à la seule perte d’un marché de services, mais au transfert d’une entité économique conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, et d’autre part, les dispositions assurant une continuité des contrats de travail en cas de changement de prestataire de la convention collective des transports routiers ont été abrogées par l’avenant du 7 juillet 2009.
Elle indique que les dispositions conventionnelles (article 28) ne sont applicables qu’aux entreprises de transport routier ou interurbain de voyageurs et non en l’espèce, s’agissant de transports routiers de fret interurbains. Monsieur [I] ayant été embauché par elle par contrat du 26 janvier 2009, elle sollicite que sa demande relative à une ancienneté plus importante soit rejetée.
Les ‘conditions de la garantie d’emploi et de la continuité du contrat de travail du personnel en cas de changement de prestataire’ (article 28) du titre VI de l’accord du 18 avril 2002 qui a été étendu par l’arrêté du 7 janvier 2004 ont été rendues ‘obligatoires pour tous les employeurs et tous les salariés compris dans le champ d’application de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950 telle que modifiée par l’avenant n°19 du 24 mars 1998″ par l’article 1er de ce texte, ‘sous réserve de l’application des dispositions de l’article L 122 ‘ 12 du code du travail, dans le cas où la succession de prestataires représente un transfert d’une entité économique autonome ‘, avant leur abrogation en juillet 2009 .
La perte du marché ayant eu lieu avant l’abrogation de ce texte, l’entreprise entrante devait garantir la poursuite du contrat de travail , aux mêmes conditions, dont la condition d’ancienneté, dans la mesure en outre où elle ne conteste pas les conditions concrètes de la reprise du contrat de travail de Monsieur [I].
Il convient donc d’accueillir la demande relative à une ancienneté remontant à l’embauche par la société TRANSPORTS MICHEL.
Le jugement de première instance doit donc être infirmé de ces chefs.
Sur le rattrapage des salaires:
Monsieur [I] soutient que dans la mesure où son contrat de travail a été repris, il devait conserver sa rémunération au même taux et bénéficier de l’ancienneté correspondante; faisant état d’une diminution de son salaire de 47 € par mois par rapport à la rémunération versée par la société TRANSPORTS MICHEL et de la majoration pour ancienneté de 2% après 2 ans d’ancienneté en application de l’article 13 de l’annexe I ‘ ouvriers’ de la convention collective, puis de 4% après 5 ans, il sollicite un rattrapage de salaire à hauteur de 7 706,96 € pour les années 2009 à 2013.
La société SN CGVL souligne qu’en l’absence de dispositions légales ou conventionnelles la contraignant à la reprise du contrat de travail de Monsieur [I], aucun rappel de salaire n’est dû.
En l’état de la reprise qui aurait dû être effective lors de l’obtention par la SN CGVL du marché des livraisons ALDES et eu égard à l’ancienneté ainsi acquise, il convient d’accueillir la demande de rappel de salaire, à hauteur du montant réclamé , conforme aux droits de l’intéressé et non strictement contesté.
Sur le rappel d’indemnité conventionnelle de licenciement:
Monsieur [I] sur le même fondement réclame 847,19 € à ce titre.
La société intimée indique qu’aucune erreur n’ a été commise dans le calcul de l’indemnité revenant à [E] [I].
Eu égard à l’ancienneté acquise et au montant du salaire de [E] [I], il convient d’accueillir la demande de rappel d’indemnité de licenciement , à hauteur du montant réclamé , conforme aux droits de l’intéressé et non strictement contesté.
Sur le licenciement:
Selon l’article L1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement adressée à [E] [I] le 17 mai 2013 indique:
‘Par courrier du 8 mars 2013, nous vous informions de votre réaffectation sur le site de notre client STEF , situé [Adresse 3], et ce à compter du 1er avril 2013. Cette affectation s’expliquait par des motifs d’organisation que vous connaissiez puisqu’ils étaient liés à la perte de la ligne sur le site sur laquelle vous travailliez jusqu’à présent au départ de Gémenos. Nous avons donc cherché à vous proposer le poste disponible présentant des caractéristiques similaires à celui que vous occupiez jusqu’à présent.
Il est à noter que cette nouvelle affectation ne modifiait d’aucune manière votre rémunération actuelle ni d’autres dispositions de votre contrat de travail. Il s’agissait donc là d’un simple changement de votre lieu de travail.
Comme nous vous l’avons expliqué par courrier, nous étions à votre disposition pour vous accompagner dans vos démarches avec l’aide entre autres d’Astria, ainsi que pour vous apporter toute l’aide dont vous auriez pu avoir besoin pour un déménagement éventuel.
Il convient également de noter que le métier de chauffeur routier impose au salarié une obligation de mobilité géographique, inhérente à l’exercice de la profession. De fait, le chauffeur routier est naturellement astreint à une obligation de mobilité ; celle-ci, inhérente à l’emploi, est de droit.
Par ailleurs, à votre embauche, vous saviez très bien que le principe de mobilité sur l’ensemble du territoire métropolitain était un élément essentiel de votre contrat de travail (article 5 du dit contrat). Vous saviez également que conformément à cet article, toute nouvelle affectation constituait un simple aménagement des conditions de travail pouvant être mise en ‘uvre dans le cadre du pouvoir de gestion et de direction de l’employeur, et auquel vous ne pouviez pas vous opposer.
Par ailleurs, vous avez reçu des informations dans ce sens à de nombreuses reprises, avec entre autres la liste de nos implantations au niveau national. Lors de votre entretien, vous avez expressément fini par refuser cette affectation pour des raisons personnelles.
En conséquence, nous considérons que les faits précédemment évoqués relèvent d’une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Votre préavis, d’une durée de deux mois, débutera la date de première présentation de ce courrier à votre domicile. Durant votre préavis, vous serez affecté à une ligne de notre client STEF, situé [Adresse 3].’
Monsieur [I] fait valoir que son licenciement motivé par son refus de mutation à Brignais, alors qu’il demeurait à Saint-Victoret, aurait dû être de nature économique et induire la détermination d’un ordre des licenciements et la proposition d’un contrat de sécurisation professionnelle.
L’appelant fait état de la clause de mobilité géographique stipulée en termes très généraux dans son contrat de travail et de la clause d’acceptation anticipée d’un déménagement en cas de nouveaux lieux d’affectation, lesquelles ne sont pas licites parce que ne définissant pas de façon précise sa zone géographique d’application pour la première et imposée sous peine de rupture du contrat, pour la seconde. Il rappelle qu’engagé en qualité de chauffeur de véhicules légers, il n’a jamais été affecté sur de grands déplacements, mais était chargé de livraisons faites dans la journée, lui permettant de rentrer chez lui tous les soirs et que la convention collective ne prévoit pas de clause de mobilité pour les ouvriers chauffeurs. Il invoque également l’atteinte portée ainsi à sa vie personnelle et familiale, alors que l’employeur ne rapporte pas la preuve de la modification de ses relations contractuelles avec son client de nature à fermer une ligne et à supprimer son emploi, ni de l’existence de ses implantations au jour de la signature du contrat de travail.
Estimant avoir subi sans son accord une modification de son contrat de travail, il invoque le caractère non fondé de son licenciement.
La Société Nouvelle Compagnie Générale de Voitures de Lyon rappelle que dans la renégociation du contrat commercial venant à échéance le 29 mars 2013, la société ALDES l’a partiellement dénoncé, la contraignant à ne conserver qu’un des deux véhicules légers et qu’un des quatre véhicules poids-lourds affectés sur ce site antérieurement. Dans la mesure où Monsieur [I] n’était pas titulaire du permis C, elle indique qu’il a été directement concerné par cette dénonciation et qu’une réaffectation lui a été proposée, dans le cadre de la nécessaire réorganisation de l’exploitation, contestant tout motif d’ordre économique à sa décision.
Expliquant qu’à l’époque, elle n’avait qu’un seul poste de chauffeur véhicules légers disponible à Brignais, en région lyonnaise, elle le lui avait proposé, avec maintien de sa rémunération, de sa qualification, de la durée de son temps de travail, comme le lui permettaient d’une part, la clause de mobilité précise, opposable au salarié, figurant à son contrat de travail et d’autre part, son statut de chauffeur astreint à une certaine mobilité et disponibilité géographique.
Elle conclut à la légitimité du licenciement intervenu et au rejet des demandes présentées par le salarié.
En vertu de l’ article L1233-3 du code du travail, un licenciement pour motif économique, décidé pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, suppose notamment des difficultés économiques, des mutations technologiques, ou une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.
Lorsque l’employeur envisage la modification d’un élément essentiel du contrat de travail pour l’un des motifs économiques énoncés à l’article L1233-3, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec avis de réception, selon l’article L1222-6, qui précise en outre que la lettre de notification informe le salarié qu’il dispose d’un mois à compter de sa réception pour faire connaître son refus.
Pour être valable, une clause de mobilité doit être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. Sa mise en oeuvre correspond à un simple changement des conditions de travail et non à une modification du contrat de travail qui nécessiterait l’accord du salarié.
En l’espèce, l’article V du contrat de travail signé par [E] [I] stipule un poste ‘basé à l’embauche dans le 13.
Dans le cadre de ses fonctions, l’employeur pourra demander au salarié de prendre son service en un lieu différent compte tenu des contraintes de l’exploitation ; il est donc expressément convenu entre les parties, que le salarié n’est pas affecté définitivement à une ligne déterminée et qu’en conséquence, il accepte le principe de toute modification de lignes sur le territoire métropolitain.
Pour des raisons touchant l’organisation et au bon fonctionnement de l’entreprise, le lieu de travail habituel de Monsieur [I] [E] pourra également être modifié et déplacé dans d’autres locaux et d’autres villes.
Monsieur [I] [E] pourra ainsi être muté dans toutes les zones d’activité de la Société Nouvelle CGVL, étant précisé qu’il est d’ores et déjà convenu entre les parties que si la Société Nouvelle CGVL estime que les conditions d’exercice des fonctions de Monsieur [I] [E] nécessitent son déménagement, celui-ci devra se réaliser.
Dans le cas où Monsieur [I] [E] refuserait d’accepter cette décision, la rupture du contrat de travail qui pourrait s’ensuivre lui serait alors imputable et Monsieur [I] [E] ne pourrait du fait de cette rupture prétendre à aucune indemnité. ‘
Cette clause de mobilité définit de façon précise sa zone géographique d’application et ne confère pas à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée; la société intimée pouvait donc affecter Monsieur [I] à Brignais, localité située en France métropolitaine et qui plus est, à proximité du siège de l’entreprise.
Il convient donc d’adopter les motifs pertinents du jugement de première instance sur ce point et de dire que la décision de la société intimée n’a pas entraîné une modification du contrat de travail de [E] [I], mais seulement de ses conditions de travail.
Par ailleurs, s’agissant en l’espèce d’une simple perte partielle de marché ( livraisons du client ALDES) entraînant la réaffectation d’une partie du personnel sans engendrer de difficultés économiques démontrées, ni nécessiter une réorganisation de l’entreprise en vue de la sauvegarde de sa compétitivité, le licenciement intervenu ne saurait être qualifié d’économique, dans la mesure en outre où aucune modification d’un élément essentiel du contrat de travail pour l’un des motifs économiques énoncés à l’article L1233-3 n’ a eu lieu.
Monsieur [I] ne saurait donc invoquer la violation des dispositions de l’article L1222-6 du code du travail.
Toutefois, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Il en va de même pour la mise en ‘uvre d’une clause de mobilité géographique, laquelle doit être motivée par des éléments objectifs tels que les intérêts de l’entreprise, les besoins de réorganisation et les attributions ou compétences spécifiques du salarié par exemple et ne porter une atteinte à la vie et personnelle et familiale de l’intéressé que si elle est justifiée par la tâche à accomplir et seulement de façon proportionnée au but recherché.
La bonne foi contractuelle étant présumée, il incombe au salarié de démontrer que la décision de l’employeur de faire jouer une clause de mobilité stipulée dans le contrat de travail a en réalité été prise pour des raisons étrangères à l’intérêt de l’entreprise, ou bien qu’elle a été mise en oeuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle.
En l’espèce, il n’est pas contesté que Monsieur [I] a été informé par courrier du 8 mars 2013 de son affectation dans la région lyonnaise à compter du 1er avril 2013, soit à plus de 300 km de son domicile, que ses différentes questions posées dans un courrier du 20 mars 2013 n’avaient pas encore reçu de réponse quand il lui a été reproché, le 3 avril, de ne pas avoir respecté sa nouvelle affectation, que par un courrier du 25 avril 2013, après les congés payés du salarié prévus de longue date du 8 au 24 avril, l’employeur lui a réitéré son instruction de se présenter sur sa ligne d’affectation de Brignais, qu’enfin, par courrier du 29 avril 2013, il a été convoqué un entretien préalable, puis licencié et sommé d’effectuer son préavis à Brignais.
Il est manifeste, par conséquent, que les conditions dans lesquelles la clause de mobilité a été mise en oeuvre (la société SN CGVL ne pouvant se prévaloir , pour augmenter la durée du délai de prévenance laissé, de son courrier du 14 février 2013 n’informant le salarié que de la perte d’une ligne et de la recherche de réaffectation pour lui, sans aucune autre précision) procédaient d’une précipitation abusive et d’un mépris de ses conditions matérielles de déménagement éventuel, nonobstant la proposition initiale, mais non réitérée, d’aide à ce sujet.
Par ailleurs, et surtout, la perte du marché n’ayant été que partielle, les pièces produites muettes ne renseignant pas sur le profil de l’autre salarié maintenu sur la ligne initiale, ni sur l’absence d’autre poste de réaffectation disponible, les sanctions disciplinaires (avertissement du 10 juillet 2009,
mise à pied disciplinaire du 7 mars 2011, rappel à l’ordre du 20 avril 2012, avertissement du 27 avril 2012) notifiées à [E] [I] accréditent une mise en oeuvre de la clause de mobilité exclusive de la bonne foi contractuelle, la décision ayant été prise en outre au mépris de l’équilibre économique du contrat de travail et de l’important bouleversement occasionné dans la vie personnelle et familiale du salarié – chargé de transport de fret interurbain, n’ayant pas vocation par ses fonctions à effectuer de grands déplacements et rentrant chez lui tous les soirs -, domicilié dans la région marseillaise, marié avec une personne peu mobile géographiquement du fait de l’exécution d’un contrat à durée indéterminée, et portant donc une atteinte aux droits du salarié non justifiée par la tâche à accomplir et disproportionnée avec le but recherché.
Il convient donc de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, par infirmation du jugement entrepris de ce chef.
Tenant compte de l’âge du salarié (52 ans ) au moment de la rupture, de son ancienneté (6 ans et 3 mois), de son salaire moyen mensuel brut (soit 1 851,81€ ), des justificatifs produits de sa situation de demandeur d’emploi consécutivement à la rupture, puis de son statut d’auto-entrepreneur, il y a lieu de lui allouer 12 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il y a lieu en outre, le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, d’accueillir la demande d’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés y afférents, à hauteur des montants réclamés, conformes aux droits de Monsieur [I].
Sur le salaire du mois de mai 2013:
Monsieur [I] réclame paiement de la somme de 1 793,20 € correspondant au salaire des 23 jours du mois de mai 2013 qui ont été retirés de son bulletin de salaire.
La société SN CGVL conclut au rejet de cette demande, le salarié n’ayant pas exécuté sa prestation de travail.
Dans la mesure où la mise en oeuvre de la clause de mobilité a été abusive, la société SNCGVL ne saurait invoquer avoir fourni du travail à Monsieur [I] à Brignais, pour se retrancher derrière l’absence de prestation de travail de ce dernier au mois de mai 2013.
Il convient donc d’accueillir la demande de rappel de salaire à hauteur de la somme réclamée, conforme aux droits de l’intéressé.
Sur la rédaction et l’exécution fautive du contrat de travail:
L’appelant considère que la rédaction de l’article 5 de son contrat de travail par lequel une clause de mobilité géographique nulle lui a été imposée et par lequel une pression a été exercée sur lui par la perspective d’une rupture brutale du contrat de travail sans aucune indemnité pour qu’il accepte un changement de son lieu de travail à l’avance, que la non- reprise de son ancienneté, que son embauche à un salaire inférieur constituent des manquements de l’employeur, à savoir la rédaction déloyale du contrat de travail et l’ exécution fautive du dit contrat, méritant sanction et réparation du préjudice subi à hauteur de 5000 €.
La société intimée conclut au rejet de cette demande.
Il a été vu que l’article V du contrat de travail de l’espèce contenait une clause de mobilité licite.
In fine, cet article stipule ‘Dans le cas où Monsieur [I] [E] refuserait d’accepter cette décision, la rupture du contrat de travail qui pourrait s’ensuivre lui serait alors imputable et Monsieur [I] [E] ne pourrait du fait de cette rupture prétendre à aucune indemnité.’
Exposant précisément la sanction encourue en cas de refus du salarié de rejoindre sa nouvelle affectation lors de la mise en ‘uvre de ladite clause de mobilité, cette stipulation ne constitue pas en
elle-même une pression exercée sur le salarié.
Il a été vu par ailleurs que le manquement de l’employeur à son obligation de reprendre l’ancienneté acquise par Monsieur [I] au sein des établissements TRANSPORTS MICHEL a donné lieu à rattrapage de salaire à la charge de la Société Nouvelle Compagnie Générale de Voitures de Lyon.
En l’absence de prejudice distinct démontré, la demande de dommages-intérêts doit donc être rejetée, par confirmation du jugement entrepris de ce chef.
Sur les intérêts:
Conformément aux dispositions de l’article 1231-7 du Code civil, les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l’article 1343-2 du Code civil, courent sur les créances salariales (indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, rappels de salaire) à compter de l’accusé de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation (soit le 17 juillet 2013), et à compter du présent arrêt pour les autres sommes.
Sur la remise de documents:
La remise d’une attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail et d’un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s’impose sans qu’il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance de la Société Nouvelle Compagnie Générale de Voitures de Lyon n’étant versé au débat.
Sur les frais irrépétibles et les dépens:
L’équité commande d’infirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l’article 700 du code de procédure civile et d’allouer à ce titre la somme de 2 000 € à [E] [I].
L’employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par infirmation du jugement entrepris de ce chef, et d’appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Infirme le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives à la rédaction et à l’exécution fautives du contrat de travail,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que l’ancienneté de [E] [I] remonte au 16 février 2006,
Dit le licenciement de [E] [I] par la Société Nouvelle Compagnie Générale de Voitures de Lyon dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne la Société Nouvelle Compagnie Générale de Voitures de Lyon à payer à [E] [I] les sommes de
– 7 706,96 € à titre de rappel de salaire,
– 770,69 € au titre des congés payés y afférents,
– 847,19 € à titre de rappel d’indemnité de licenciement,
– 1 793,20 € à titre du salaire de mai 2013,
– 3 627,30 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
– 362,73 € au titre des congés payés y afférents,
– 12 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Dit que les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil, sont dus à compter du 17 juillet 2013 pour les créances salariales et à compter du présent arrêt pour le surplus,
Ordonne la remise par la Société Nouvelle Compagnie Générale de Voitures de Lyon à [E] [I] d’une attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail et d’un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la teneur du présent arrêt, au plus tard dans le mois suivant son prononcé,
Rejette les autres demandes des parties,
Condamne la Société Nouvelle Compagnie Générale de Voitures de Lyon aux dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
Ghislaine POIRINE faisant fonction