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28 mars 2013
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
12/11492
COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE
9e Chambre A
ARRÊT AU FOND
DU 28 MARS 2013
N°2013/371
Rôle N° 12/11492
[F] [W]
C/
[J] [E]
CGEA AGS DE MARSEILLE
Grosse délivrée le :
à :
Me Emilie LOMBARD, avocat au barreau de MARSEILLE
Me Stéphane AGUIRAUD, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARSEILLE en date du 13 Juin 2012, enregistré au répertoire général sous le n° 11-1865.
APPELANTE
Madame [F] [W], demeurant [Adresse 2]
comparant en personne, assistée de Me Emilie LOMBARD, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIME
Maître [J] [E] Es qualité de « Mandataire liquidateur » de la « SARL AICS AGENCE IMMOBILIERE A CARACTERE SOCIAL », demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Stéphane AGUIRAUD, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substitué par Me Hélène MAIRESSE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
PARTIE(S) INTERVENANTE(S)
CGEA AGS DE MARSEILLE, demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Michel FRUCTUS, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Colette AIMINO-MORIN, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 25 Février 2013, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Monsieur Michel VANNIER, Président, chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Michel VANNIER, Président
Monsieur Gilles BOURGEOIS, Conseiller
Madame Laure ROCHE, Conseiller
Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 28 Mars 2013
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 28 Mars 2013
Signé par Monsieur Michel VANNIER, Président et Mme Nadège LAVIGNASSE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE :
Par contrat à durée indéterminée en date du 16 octobre 2008, la société Agence Immobilière à Caractère Social (ci-après la société), qui emploie habituellement plus de 11 salariés, a embauché madame [W] en qualité de directrice adjointe d’un centre d’hébergement d’urgence à [Localité 1], les rapports entre les parties étant régis, selon le contrat de travail, par la convention collective des agences immobilières.
La salariée a été licenciée pour motif économique le 5 novembre 2010, a saisi la juridiction prud’hommale le 14 avril 2011 après la cession d’une partie de l’actif de la société et elle a régulièrement interjeté appel, par lettre postée le 26 juin 2012, du jugement rendu le 13 juin 2012 par le conseil de prud’hommes de Marseille qui l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes ; elle conclut à la réformation de cette décision et demande à la cour :
– à titre principal de fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société aux sommes suivantes :
* 21.949,56 euros de solde d’indemnité de préavis,
* 65.848,68 euros de dommages et intérêts pour non respect des critères d’ordre des licenciements ;
– à titre subsidiaire de juger que sa contestation de la légalité de la décision d’autorisation du licenciement de l’inspecteur du travail du 2 novembre 2010 présente un caractère sérieux, de sursoir à statuer et de saisir la juridiction administrative par la voie de la question préjudicielle afin qu’elle se prononce sur la légalité de cette autorisation administrative.
Maître [E], ès qualités de mandataire liquidateur de la société, conclut à la confirmation du jugement déféré et au rejet de l’ensemble des demandes de l’appelante.
Le centre de gestion et d’études Ags, délégation régionale de l’Ags du sud-est, demande à la cour de confirmer la décision dont appel, de juger qu’il devra être mis hors de cause dès lors que les conditions de mise en oeuvre de sa garantie ne sont pas réunies, les créances sollicitées par l’appelante ne résultant pas, selon lui, directement de la rupture du contrat de travail, de juger encore que le jugement d’ouverture de la procédure collective a entraîné l’arrêt des intérêts légaux et conventionnels et, en tout état, de fixer en deniers ou quittances les créances de madame [W], enfin de juger qu’il devra faire l’avance des créances que dans les termes et conditions fixés par la loi et les règlements.
Pour un plus ample exposé des faits de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il y a lieu de se référer à la décision déférée et aux écritures déposées, oralement reprises à l’audience du 25 février 2013.
MOTIFS DE LA DECISION :
La cour estime que les premiers juges, par des motifs pertinents qu’elle approuve, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties.
La société Aics, créée en 1994, avait pour activité, à l’origine, la gestion d’une agence immobilière à usage social à destination de locataires défavorisés, occupant 6 salariés ; elle avait obtenu en fin d’année 2008 le marché de la gestion de l’unité d’hébergement d’urgence (U.H.U.) de la ville de [Localité 1] disposant d’une capacité de 360 lits et occupant 52 salariés, avec un centre médical incorporé ; c’est alors que madame [W] avait été recrutée le 16 octobre 2008 avec pour mission d’assurer, sous l’autorité du directeur général, la gestion et l’animation de l’U.H.U. qui fonctionnait grâce aux subventions allouées par la ville et l’Etat.
Le 13 juillet 2010, un projet de restructuration de l’U.H.U. était adressé au comité d’entreprise qui était convoqué pour délibération le 21 juillet 2010 sur le projet de réorganisation au sein de l’U.H.U. qui supposait alors d’envisager notamment la suppression des postes d’éducateurs spécialisés et de Cesf.
Le 2 août 2010, madame [W] était convoquée à un entretien préalable à licenciement économique pour le 26 août suivant – entretien qui devait être reporté au 30 septembre suivant pour un motif qui sera vu ci-après – la convocation mentionnant que dans le cadre de la réorganisation projetée, la société allait procéder au licenciement du directeur général ce qui la conduisait à envisager de supprimer le poste de directeur générale adjointe.
Le procès verbal de la réunion du conseil de surveillance du 30 août 2010 révèle qu’à cette époque le plan de licenciement économique concernait monsieur [V], directeur général qui allait devenir président du conseil de surveillance, mesdames [X], chargée de développement, [K], consultant immobilier, [Z], assistante administrative et madame [W] dont le licenciement en cours était annoncé comme effectif à la mi-octobre ‘compte tenu de son statut de salariée protégée [elle était à l’époque conseiller prud’hommal] et du souci d’atteindre la date anniversaire de deux ans de contrat lui permettant d’accéder à la CRP’ ; ainsi, très concrètement, ce report dans le temps du licenciement de madame [W], dont l’autorisation n’a été demandé que le 6 octobre alors que sa convocation à l’entretien préalable remontait au 2 août, effectivement autorisé par décision de l’inspection du travail du 2 novembre 2010, était uniquement destiné à lui octroyer des indemnités de rupture plus conséquentes que celles auxquelles elle aurait pu prétendre en ayant moins de deux années d’ancienneté, à une époque même où la société était dans une situation financière dramatique qui allait la mener, malgré les mesures de restructuration prises, à déposer son bilan.
En effet, la société a été mise en redressement judiciaire le 2 février 2011 et il résulte du rapport du 10 mars 2011 de l’administrateur judiciaire que le passif était de 773.440,00 euros au 31 décembre 2008 (après seulement 2 mois de gestion de l’U.H.U.), de 1.289.804,00 euros au 31 décembre 2009 et de 1.140.120,00 euros au 30 septembre 2010, donc quelques semaines seulement avant le licenciement de madame [W] ; l’expert désigné dans le cadre de la procédure préalable de conciliation avait relevé notamment le ‘poids très lourd des charges de personnel’dont l’administrateur judiciaire estime qu’elles étaient très nettement disproportionnées par rapport à la taille, aux ressources et à la situation financière de cette structure’ – la cour observant en effet, pour ne s’en tenir qu’à la seule appelante, qu’elle bénéficiait d’un salaire brut particulièrement élevé de près de 6.000,00 euros par mois – et que ‘la gestion chaotique du personnel (absence, maladies…) semble à elle seule avoir obéré considérablement le budget de cette entité [gérée, la cour le rappelle, par la directrice adjointe [W]], lequel a semble-t-il également été aggravé par la gestion du centre médical’.
Par jugement du 18 mars 2011, le tribunal de commerce de Marseille a ordonné la cession de l’U.H.U. au profit de la fondation Armée du Salut pour la somme de 192.551,00 euros dont 1,00 euros correspondant aux éléments incorporels et 192.550,00 euros correspondant aux charges relatives aux congés payés, aux chèques vacances et aux tickets restaurants.
– sur l’accord collectif applicable :
Le contrat de travail signé le 16 octobre 2008 prévoit que les rapports entre les parties sont régis par la convention collective des agences immobilières.
Madame [W] soutient qu’il résulte tant de l’objet social de la société, qui est une agence immobilière à caractère social opérant dans le domaine de l’insertion par le logement, que de l’activité réellement exercée au sein de l’unité d’hébergement d’urgence qu’elle gérait et animait, U.H.U. dont il n’est pas sérieusement discuté par les intimés qu’il s’agissait d’un centre d’activité autonome ainsi que le démontre d’ailleurs sa seule cession à l’Armée du Salut, que l’employeur aurait dû appliquer les accords collectifs de travail concernant les centres d’hébergement et de réadaptation sociale et dans les services d’insertion pour les adultes qui prévoient, en leur article 3.14, que les directeurs ont droit à un délai-congé de 6 mois en cas de licenciement ; c’est pourquoi, et alors qu’elle a pourtant bénéficié comme il a été vu d’un report de son licenciement pour lui permettre d’avoir deux années d’ancienneté dans l’entreprise et donc de bénéficier des indemnités de rupture afférentes à cette ancienneté (2.743,70 euros soit une somme supérieure à ce que prévoit la convention collective des agences immolières) et alors même que l’employeur lui a versé en supplément, à titre ‘d’indemnité d’accord’, la somme de 8.231,08 euros, elle réclame 21.949,56 euros de solde d’indemnité de préavis (4 mois supplémentaires) en application de l’article susvisé.
Toutefois, et contrairement à ce que fait soutenir l’appelante, le mandataire liquidateur conteste (pages 4 et 5 de ses conclusions) et à juste titre que les accords susvisés s’appliquaient à l’Aics puisqu ‘il ne résulte d’aucune pièce du dossier que l’employeur les aurait signés ni qu’il était membre d’une organisation signataire de ces accords ni qu’ils avaient fait l’objet d’un arrêté d’extension à la date du licenciement de madame [W], laquelle ne s’explique toujours pas en cause d’appel sur ces moyens soulevés par son contradicteur.
Madame [W] soutient néanmoins que, l’employeur aurait volontairement appliqué ces accords, notamment dans le calcul de l’indemnité conventionnelle de licenciement qui lui a été versée – reposant sur un mois de salaire par année de service en qualité de cadre alors que la convention collective des agences immobilières ne prévoit qu’une indemnité calculée sur la base du 1/4 du salaire mensuel par année d’ancienneté – et elle fait observer à ce sujet que son solde de tout compte mentionne, outre l’indemnité conventionnelle de licenciement, une ‘indemnité d’accord’, ce dernier terme ne pouvant qu’être, selon elle, une référence explicite aux ‘accords collectifs de travail’ dont elle réclame l’application.
Cependant, s’il est admis qu’un employeur puisse appliquer des conventions ou accords auxquels il n’est pas soumis, encore faut-il qu’il en manifeste une volonté explicite ou une volonté implicite se manifestant notamment par son application constante dans l’entreprise, constitutive d’un usage ; or, en l’espèce, il a été vu que malgré sa situation financière dramatique qui allait la conduire à déposer son bilan à court terme, la société est allé au-delà du raisonnable pour accroître les indemnisations de madame [W] et si elle n’a pas porté son indemnisation supplémentaire à 6 mois de salaire c’est bien parce qu’elle n’entendait pas appliquer les accords collectifs de travail concernant les centres d’hébergement et de réadaptation sociale ; ainsi, en l’espèce, le terme ‘accord’ employé dans le solde de tout compte ne peut être qu’une référence aux seuls accords passés entre l’employeur et la salariée.
De ce chef, le jugement déféré sera confirmé.
– sur les critères d’ordre des licenciements :
Il convient d’ajouter à la motivation des premiers juges et de rappeler que, si en matière de licenciement économique l’employeur doit établir un ordre des licenciements, il n’est pas tenu de le faire lorsque tous les emplois d’une catégorie sont supprimés.
Madame [W], dont la fonction de directrice adjointe d’un centre d’hébergement d’urgence ne relève pas de la même catégorie que celle du chargé de clientèle de l’agence immobilière recruté le 7 mai 2010, se compare toutefois à son directeur général, monsieur [V], qui avait une ancienneté bien supérieure à la sienne puisqu’il était entré dans l’entreprise le 1° mars 2003, qui passait, selon elle, 90 % de son temps de travail sur l’U.H.U. et qui vivait en couple avec 1 enfant alors qu’elle même était mariée avec 2 enfants et travaillait à plein temps sur l’unité d’hébergement ; elle soutient en conséquence que lorsque monsieur [V] a été licencié le 17 août 2010 – pour prendre la fonction de président du conseil de surveillance après avoir bénéficié des indemnités de rupture de son contrat de travail – son poste aurait dû lui revenir plutôt que d’être attribué à l’ancien président du conseil de surveillance, monsieur [Y], lui-même recruté comme directeur général le 1° septembre 2010 au salaire mensuel brut de plus de 8.000,00 euros, salaire qui sera ramené à guère plus de 2.500,00 euros par l’administrateur judiciaire avant que la juridiction prud’homale rejette tout lien de subordination entre l’intéressé et la société Aics.
Il résulte toutefois du procès verbal du conseil de surveillance du 30 août 2010 que monsieur [Y] a été recruté dans le but bien précis, en augmentant son temps de travail consacré déjà à l’agence immobilière, ‘d’assumer de faire fonction de directeur général à fin de mettre en oeuvre le plan de redressement’ ; madame [W] a bien conscience que la comparaison qu’elle opère avec l’intéressé n’est pas efficiente puisqu’elle reconnait que pour prendre son poste, elle aurait dû suivre ce qu’elle nomme ‘une courte formation’ alors que, compte tenu de la déconfiture de la société, l’urgence commandait de mener le plan de restructuration de l’entreprise et non de retarder sa mise en oeuvre en attendant que le nouveau directeur obtienne les compétences nécessaires pour le mener à bien, la cour estimant que ce genre de compétences ne s’acquiert pas aux termes d’une ‘courte formation’ ; il était donc nécessaire de supprimer le seul poste de directeur adjoint du centre d’hébergement d’urgence pour qu’il ne soit plus gérer que par un seul cadre occupé par ailleurs à diriger une agence immobilière ne relevant pas des compétences de madame [W].
De ce chef, le jugement déféré sera encore confirmé.
– sur l’illégalité de l’autorisation administrative de licenciement :
Lorsqu’une autorisation administrative de licenciement a été accordée à l’employeur le juge judiciaire ne peut sans violer le principe de la séparation des pouvoirs apprécier le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement.
En l’espèce, madame [W], qui a été concernée par l’enquête contradictoire réalisée par l’inspecteur du travail le 25 octobre 2010 dans les locaux de l’entreprise, elle-même à l’époque conseiller prud’hommal et qui avait donc toutes les compétences nécessaires pour apprécier la teneur et la portée de la décision administrative du 2 novembre 2010 autorisant son licenciement, a fait le choix éclairé et conscient de n’exercer aucun recours contre cette décision qui s’est fondée sur la réalité avérée des difficultés économiques de l’entreprise, sur le fait qu’il n’y avait qu’un seul poste de directrice adjointe qui était supprimé et sur l’absence de possibilité de reclassement sur un autre poste dans l’entreprise qui, selon l’inspecteur du travail, n’appartient à aucun groupe, l’appartenance à un tel groupe n’étant au demeurant nullement démontrée par les pièces versées aux débats.
La question de la légalité de la décision administrative autorisant le licenciement de madame [W] ne présente donc pas un caractère sérieux
Le jugement déféré sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Confirme le jugement déféré,
Condamne madame [W] aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT