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26 juin 2015
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
13/21639
COUR D’APPEL D’AIX EN PROVENCE
9e Chambre C
ARRÊT AU FOND
DU 26 JUIN 2015
N° 2015/ 353
Rôle N° 13/21639
[B] [W]
C/
SAS INTRAMAR RORO, représentée par son liquidateur amiable : M. [I] [H]
Grosse délivrée le :
à :
-Me Claire FLAGEOLLET, avocat au barreau de MARSEILLE
– Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE
Copie certifiée conforme délivrée aux parties le :
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARSEILLE – section CO – en date du 25 Septembre 2013, enregistré au répertoire général sous le n° 12/921.
APPELANT
Monsieur [B] [W], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Claire FLAGEOLLET, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEE
SAS INTRAMAR RORO, représentée par son liquidateur amiable : M. [I] [H], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Frédéric MARCOUYEUX, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 21 Avril 2015 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur Louis-Marie DABOSVILLE, Président de Chambre qui a rapporté
Madame Catherine VINDREAU, Conseiller
Madame Hélène FILLIOL, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier lors des débats : Madame Florence ALLEMANN-FAGNI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 Juin 2015.
ARRÊT
CONTRADICTOIRE
Prononcé par mise à disposition au greffe le 26 Juin 2015.
Signé par Monsieur Louis-Marie DABOSVILLE, Président de Chambre et Madame Florence ALLEMANN-FAGNI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Monsieur [B] [W] a commencé à travailler au [Localité 1] [Localité 3] de [Localité 2] en tant qu’ouvrier docker professionnel intermittent.
Il a intégré la société INTRAMAR SA à compter du 3 mai 1993 en qualité d’ouvrier docker mensualisé, sous contrat à durée indéterminée.
Cet emploi est soumis à la convention collective de la manutention portuaire.
A compter du 1° février 2011, son contrat de travail a fait l’objet d’un transfert au sein de la société INTRAMAR RORO,
Le 14 janvier 2012, Monsieur [W] a été convoqué à un entretien préalable pour le 24 du même mois, et le 8 février 2012, un licenciement lui a été notifié pour motif économique.
La société INTRAMAR RORO a fait l’objet d’une procédure de liquidation anticipée par jugement du 17 octobre 2011.
Monsieur [H] a été désigné comme mandataire amiable.
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Le 12 avril 2012, Monsieur [W] a saisi le Conseil de Prud’hommes de [Localité 2] pour contester son licenciement et demander à l’encontre de son employeur le règlement des sommes dues.
————————————————-
Par jugement du 25 septembre 2013, le Conseil de Prud’hommes de [Localité 2] a débouté les parties de leurs demandes.
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Monsieur [W] a interjeté appel de cette décision.
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Au visa de ses conclusions écrites et réitérées lors des débats, et auxquelles la Cour se réfère quant aux prétentions et moyens invoqués, Monsieur [W] demande de :
Vu les dispositions de l’article L.1233-3 du code du travail,
Vu les dispositions de l’article L.1226-9 du code du travail,
Vu les dispositions de l’article R.1456-1 du code du travail,
Vu les dispositions de l’article L.1235-15 du code du travail,
Vu les pièces versées aux débats,
– Réformer le jugement du Conseil de Prud’hommes de MARSEILLE du 25 septembre 2013,
– Dire et juger que la rupture du contrat de travail du salarié à l’initiative de 1’employeur est dépourvue de cause réelle et sérieuse,
– Dire et juger que la société INTRAMAR RORO ne justifie pas d’un motif économique, n’a pas respecté son obligation de reclassement, n’a pas respecté son obligation de consultation des délégués du personnel, ni respecté l’ordre des licenciements sans mettre en place de critères,
– Dire et juger que le licenciement ne repose pas sur un motif réel et sérieux,
– Condamner la société INTRAMAR RORO à payer à Monsieur [W] les sommes suivantes:
‘ 90.000,00 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
‘ 5.784,00 euros de dommages et intérêts pour non respect de la consultation des délégués du personnel;
‘ 11.568,00 euros au titre du non respect de la priorité de réembauchage ;
– Condamner la société INTRAMAR RORO à payer à Monsieur [W] la somme de 2.000,00 euros sur le fondement des dispositions de 1’Article 700 du CPC de première instance et d’appel, outre les entiers dépens.
Au visa de ses conclusions écrites et réitérées lors des débats, et auxquelles la Cour se réfère quant aux prétentions et moyens invoqués, la société INTRAMAR RORO demande de :
‘ Constater que la société INTRAMAR RORO justifie de difficulté économique réelle et sérieuse, de la disparition du poste de Monsieur [W] et de recherches de reclassement interne et d’un reclassement interne ainsi que du respect de la procédure de licenciement et de l’ordre des licenciements.
‘ Constater que le licenciement économique prononcé à l’égard de Monsieur [W] par la concluante est fondé
‘ Constater que Monsieur [W] a bénéficié d’un reclassement externe, par réintégration du statut de docker intermittent au BCMO
En conséquence
‘ Confirmer le jugement entrepris
‘ Débouter Monsieur [W] de l’intégralité de ses demandes comme irrecevables et infondées
‘ Condamner Monsieur [W] à payer à la société INTRAMAR RORO la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile
A titre infiniment subsidiaire et seulement si par extraordinaire la Cour considérait le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
‘ Constater que Monsieur [W] ne subit aucun préjudice.
En conséquence
‘ Faire application du minimum prévu par la loi.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement
Le contenu de la lettre de licenciement en date du 8 février 2012 qui fixe les limites du litige précise ce qui suit:
‘Dans le prolongement de la convocation à l’entretien préalable fixé au 24 janvier 2012 auquel vous vous êtes présenté le 26 janvier, je vous informe que je suis contraint, après réflexion, de vous licencier pour le motif économique suivant :
‘ Les difficultés économiques rencontrées par la société INTRAMAR RORO notamment en raison de la perte du marché CMN, qui constitue une perte d’activité très conséquente pour l’entreprise dans un contexte de crise du secteur d’activité, et l’absence de perspective d’amélioration de l’activité à court terme et dans un avenir prévisible, obligent la société à la suppression de votre poste.
‘ Nous avons envisagé toutes les solutions pour ne pas affecter l’emploi, mais la suppression de votre poste se révèle incontournable en raison de la baisse d’activité et des difficultés économiques qu’elle suscite.
‘ Nous avons opéré des recherches de reclassement tant au niveau du groupe auquel appartient INTRAMAR RORO qu’au plan externe mais aucune possibilité de reclassement au travers d’un contrat à durée indéterminée (à temps plein ou partiel) n’a été identifiée, c’est pourquoi je suis contraint de procéder à la rupture de votre contrat.
Toutefois vous bénéficiez d’un droit inconditionnel au reclassement au sein du BCMO, qui a été alerté de la situation.
Nous vous invitons en conséquence à vous rapprocher du BCMO afin que vous puissiez continuer votre activité de docker professionnel au travers du statut « intermittent ».
Votre préavis d’une durée de trois mois, que nous vous dispensons d’exécuter, débutera à la date de première présentation de la présente lettre.
Nous vous précisons qu’au cours de la durée légale de votre préavis vous avez, selon la convention collective, 20 heures par mois, pour rechercher un emploi.
Durant l’année qui suivra la fin de la durée légale de votre préavis, vous bénéficierez d’une priorité de ré embauchage dans notre entreprise à condition que vous nous informiez, par courrier, de votre désir d’en user. Celle-ci concerne les postes compatibles avec votre qualification et également ceux qui correspondraient à une nouvelle qualification acquise après la rupture de votre contrat de travail, et qu’il conviendrait, le cas échéant, de nous préciser. ‘
Aux termes de l’article L.1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
Selon l’article L.1233-4 du code du travail, le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l’accord exprès du salarié, sur un emploi d’une catégorie inférieure ; les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.
Le manquement par l’employeur à son obligation de reclassement préalable au licenciement prive celui-ci de cause réelle et sérieuse et ouvre droit au profit du salarié au paiement de dommages-intérêts.
Les possibilités de reclassement doivent être recherchées au sein de l’entreprise et, le cas échéant, du groupe auquel elle appartient, parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.
Le licenciement économique d’un salarié ne pouvant intervenir que si le reclassement de l’intéressé dans l’entreprise ou dans le groupe dont il relève est impossible, il appartient à l’employeur de justifier qu’il a recherché toutes les possibilités de reclassement existantes ou qu’un reclassement était impossible.
En l’espèce, la société INTRAMAR RORO se prévaut de ce que, dès que connu la perte du marché CMN fin septembre 2011, elle a entrepris de réaliser le transfert du personnel concerné par cette activité à la société CMM, repreneur de ce marché et qu’elle a, par ailleurs, sollicité, mais vainement, les sociétés de son propre groupe ( SOCOMAN, MARSEILLE MANUTENTION) et la maison mère RORO MARSEILLE, ce malgré les difficultés économiques de cette dernière, qui, de plus, n’emploie pas de dockers;
Force est cependant de constater que Monsieur [W] est en droit d’opposer l’existence de nombreuses failles dans cet exposé dès lors qu’il se heurte à des zones d’ombre avérées :
Monsieur [W] souligne ainsi que les demandes de reclassement ont été envoyées par des courriers du 21 janvier 2012, lors que dès le 14 janvier il avait été convoqué à un entretien préalable pour le 24 du même mois ; que les registres d’entrée et sortie du personnel des deux l’entreprises sollicitées ne sont pas produits ; que parallèlement-et ce point n’est pas discuté-la société INTRAMAR RORO a fait état devant le BCMO de discussions entreprises auprès de la CMM et sous l’égide du syndicat CGT en vue d’aboutir à des transferts des contrats de certains salariés, ce qui conduisait, de fait, à contourner les dispositions régissant l’ordre des licenciements et les conditions mêmes des reclassements ; ainsi que le souligne l’appelant l’ensemble de ces éléments ne permet pas de dire que l’employeur justifie de réelles recherches de reclassement ; de fait, il résulte des écritures mêmes de l’intimée que-assez logiquement du reste-a été tenu pour acquis que Monsieur [W] serait reclassé au sein du BCMO-et tel a été le cas ;
Néanmoins, nonobstant cette réalité, la méconnaissance théorique par l’employeur de dispositions relatives au reclassement constitue un manquement à l’obligation de reclassement préalable au licenciement et prive celui-ci de cause réelle et sérieuse ;
Ordre des licenciements
Lorsque le licenciement d’un salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse, il ne peut cumuler des indemnités pour perte injustifiée de son emploi et pour inobservation de l’ordre des licenciements ;
Il n’y a donc pas lieu, après avoir retenu l’absence de cause réelle et sérieuse, d’examiner le moyen relatif aux critères d’ordre de licenciement ;
Priorité de réembauche
Il résulte de l’article L.1233-45 du code du travail que le salarié licencié pour motif économique bénéficie d’une priorité de réembauche durant un délai d’un an à compter de la date de la rupture de son contrat s’il en fait la demande dans ce même délai, que dans ce cas, l’employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible compatible avec sa qualification, qu’en outre l’employeur informe les représentants du personnel des postes disponibles et affiche la liste de ces postes et que le salarié ayant
acquis une nouvelle qualification bénéficie également de la priorité de réembauche au titre de celle-ci, s’il en informe l’employeur;
Le délai d’un an court à compter de la fin du préavis que celui-ci soit exécuté ou non ;
Force est de constater en l’espèce que Monsieur [W] ne donne aucune précision sur la date à laquelle il aurait formulé une telle demande, dont, en tout état de cause, il ne justifie pas;
La demande est rejetée ;
Sur l’absence de consultation des délégués du personnel
Au regard des dispositions de l’article L 1233-8 du Code du Travail il appartient à l’employeur de justifier de ce que le non respect de cette formalité procède de l’existence d’un effectif inférieur à onze salariés depuis douze mois ; contrairement à ce que soutient Monsieur [W], les conditions déterminant cette consultation s’apprécient, non jusqu’à la date du licenciement-ce qui n’aurait de fait aucun intérêt-mais au moment où la procédure de licenciement collectif est engagée, soit en l’espèce en janvier 2011 ; or, selon Monsieur [W] , l’effectif de douze salariés a été atteint depuis 1° février 2011 ;
En conséquence le moyen n’est pas fondé ;
Sur les incidences indemnitaires
Au visa de l’article L 122-14-4 devenu L 1235-3 du code du travail applicable en l’espèce, et tenant à l’ancienneté du salarié, à son âge, sa qualification, sa capacité à trouver un nouvel emploi (Monsieur [W] ayant été réembauché par le BCMO) eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et à sa rémunération, ainsi qu’aux circonstances de la rupture, et de tous éléments de préjudice soumis à appréciation, il convient de fixer l’indemnité à la somme de 30 000 € ;
En application de l’article L 1235-4 du code du travail, à partir des éléments produits par la salariée, l’employeur devra rembourser à l’organisme intéressé les indemnités de chômage versées à cette dernière dans la limite du plafond prévu par ce texte.
Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile
Aucune considération tirée de l’équité ne conduit à condamner l’une ou l’autre des parties sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant par décision prononcée par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en matière prud’homale,
Déclare l’appel recevable en la forme.
Infirme partiellement le jugement du Conseil de Prud’hommes de [Localité 2] en toutes ses dispositions
Statuant à nouveau sur les points infirmés
Dit le licenciement de Monsieur [W] sans cause réelle et sérieuse
Condamne la société INTRAMAR RORO à payer à Monsieur [W] les sommes suivantes:
– indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse: 30 000 euros,
Y ajoutant
Ordonne le remboursement par la société INTRAMAR RORO à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à Monsieur [W] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois ;
Dit n’y avoir lieu à faire application de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel.
Rejette toutes autres demandes
Condamne la société INTRAMAR RORO aux dépens de l’instance.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT