Ordinateur appartenant au salarié : les conséquences pour l’employeur

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Ordinateur appartenant au salarié : les conséquences pour l’employeur

La propriété de l’ordinateur du salarié conditionne le caractère privé ou professionnel des données et le caractère licite ou illicite des moyens de preuve. L’atteinte au droit de propriété du salarié peut être admise en cas d’extraction de données par l’employeur.

Achat de matériel par le salarié

En l’espèce, l’employeur ne versait aucun élément relatif à l’achat du matériel, la présidente de l’association (employeur) rappelant, dans un courrier, qu’il a été utilisé comme poste informatique principal par l’association depuis plusieurs années et ‘je serais surprise qu’il n’ait pas été financé par l’association’.

Preuve de l’achat  

Le salarié a versé aux débats diverses attestations, dont celle du directeur technique de l’association, affirmant l’avoir aidé à acquérir cet ordinateur et l’avoir configuré, pour sa mise en fonction, et détaillant les modalités de cet achat.

Statut d’ordinateur personnel

Dès lors, la juridiction a considéré que l’ordinateur utilisé par le salarié était un ordinateur personnel et non un ordinateur mis à sa disposition par l’employeur, et en a déduit l’irrecevabilité des preuves recueillies par l’employeur de manière illicite, car portant atteinte au droit de propriété du salarié.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 9

ARRET DU 12 MAI 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/12649 –��N° Portalis 35L7-V-B7C-B6WOI

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Octobre 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° 15/12718

APPELANTE

Association LES ETES DE LA DANSE DE PARIS

[…]

[…]

Représentée par Me Diane VEZIES, avocat au barreau de PARIS

INTIME

Monsieur A X

[…]

[…]

Représenté par Me Patricia MOYERSOEN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0609

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Mars 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Françoise SALOMON, présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Françoise SALOMON, présidente de chambre

Mme Graziella HAUDUIN, présidente de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

Greffier : Mme Anouk ESTAVIANNE, lors des débats

ARRÊT :

— contradictoire

— mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

— signé par Madame Françoise SALOMON, présidente et par Madame Anouk ESTAVIANNE, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

L’association Les Etés de la Danse de Paris a pour objet ‘l’organisation d’un festival annuel de danse l’été à Paris et de se donner tout moyen à cet effet’. Elle a engagé M. X en qualité de directeur de festival, statut cadre, d’abord dans le cadre d’un contrat à durée déterminée du 1er juin 2005, renouvelé par avenant du 1er janvier 2006, puis dans celui d’un contrat ‘nouvelles embauches’ du 1er décembre 2006. Le salarié percevait une rémunération brute mensuelle de 3 790 euros.

L’association emploie moins de onze salariés et applique la convention collective nationale pour les entreprises artistiques et culturelles du 1er janvier 1984.

Convoqué le 24 septembre 2015 à un entretien préalable fixé au 7 octobre, avec mise à pied conservatoire, le salarié a été licencié pour faute lourde par lettre du 19 octobre suivant.

Sollicitant la nullité de son licenciement ou invoquant subsidiairement son caractère injustifié, il a saisi la juridiction prud’homale le 4 novembre 2015.

Par jugement du 17 octobre 2018, le conseil de prud’hommes de Paris a condamné l’employeur au paiement des sommes suivantes :

—  8 155,92 euros de rappel de salaire sur l’indexation conventionnelle et 815,59 euros au titre des congés payés afférents,

—  2 718,03 euros de rappel de salaire sur mise à pied et 271,80 euros au titre des congés payés afférents,

—  18 950 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 1 895 euros au titre des congés payés afférents,

—  20 845 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement,

—  2 425,60 euros de solde d’indemnité de congés payés,

—  22 500 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

—  1 500 euros au titre de ses frais irrépétibles.

Le conseil a débouté les parties du surplus de leurs demandes.

L’employeur a interjeté appel de cette décision le 5 novembre 2018.

Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 juillet 2019, l’appelant demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamné au paiement de diverses sommes et, statuant à nouveau, de débouter l’intimé de toutes ses demandes, de réduire le quantum du rappel

de salaire sur progression conventionnelle à 4 043 euros et, reconventionnellement, de condamner l’intimé à lui payer les sommes de :

—  12 000 euros de dommages-intérêts pour concurrence déloyale,

—  10 000 euros de dommages-intérêts pour préjudice moral,

—  2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles exposés en première instance et 10 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel,

et d’ordonner la compensation à due proportion entre les créances respectives des parties.

Par conclusions transmises le 29 avril 2019 par voie électronique, l’intimé sollicite la confirmation du jugement, sauf en ce qu’il a rejeté le surplus de ses demandes et, statuant à nouveau de ces chefs :

— constater l’irrecevabilité des pièces n°4, 6, 13 et 14 produites par l’appelant,

— à titre principal, dire son licenciement nul et :

— ordonner sa réintégration dans le délai de 10 jours à compter de la notification de l’arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et se réserver le pouvoir de liquider l’astreinte,

— ordonner le paiement de la totalité des salaires courant depuis le 20 octobre 2015 jusqu’au prononcé de sa réintégration sous déduction des revenus de remplacement, ces sommes portant intérêts au taux légal à compter de la réception, par l’appelant, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes ainsi que le versement à son profit de 30 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement nul,

— à titre subsidiaire si sa réintégration était impossible, lui allouer 30 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement nul,

— très subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu’il a dit son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse mais l’infirmer en ce qu’il l’a débouté de sa demande de dommages-intérets pour licenciement brutal ou vexatoire et pour atteinte à image et réputation, d’un montant de 11 250 euros,

— condamner l’appelante au paiement des sommes de :

—  3 790 euros de dommages-intérêts pour défaut d’organisation de visite médicale,

—  3 790 euros de dommages-intérêts pour privation des congés annuels,

—  22 500 euros de dommages-intérêts pour manquement de l’employeur à ses obligations de sécurité et d’exécution loyale du contrat de travail,

—  22 500 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

—  22 500 euros de dommages-intérêts pour travail dissimulé,

— un rappel d’indemnité compensatrice de congés payés à hauteur de 5 270,87 euros pour l’exercice 2013/2014 (30 jours), 2 811,13 euros au titre de l’exercice 2014/2015 (16 jours) et 4 392,24 euros pour l’exercice 2015/2016 (25 jours),

—  10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l’instruction est intervenue le 9 février 2021 et l’affaire a été plaidée le 10 mars.

MOTIFS

Sur la demande de rejet des pièces n°4, 6, 13 et 14 de l’association

Le salarié soulève l’irrecevabilité de ces pièces.

La pièce n°4 est un extrait de l’agenda de la présidente de l’association et la pièce n°6 une attestation. Il n’y a pas lieu de rejeter ces pièces, qui ont pû être débattues contradictoirement.

Les pièces n°13 et 14 sont un procès-verbal de constat d’huissier et une expertise privée réalisée à la demande de l’employeur de l’ordinateur du salarié, ordinateur dont le caractère privé ou professionnel est en débat et conditionne le caractère licite ou illicite de ce moyen de preuve.

L’employeur ne verse aucun élément relatif à l’achat de ce matériel, la présidente de l’association rappelant, dans son courrier du 3 novembre 2015, qu’il a été utilisé comme poste informatique principal par l’association depuis plusieurs années et ‘je serais surprise qu’il n’ait pas été financé par l’association’.

Le salarié verse aux débats diverses attestations, dont celle de M. Y, directeur technique de l’association, affirmant l’avoir aidé à acquérir cet ordinateur et l’avoir configuré, pour sa mise en fonction, et détaillant les modalités de cet achat.

Dès lors, la cour retient que l’ordinateur utilisé par le salarié était un ordinateur personnel et non un ordinateur mis à sa disposition par l’employeur, et en déduit l’irrecevabilité des preuves recueillies par l’employeur de manière illicite, car portant atteinte au droit de propriété du salarié. La cour écarte en conséquence les pièces n°13 et 14 de l’employeur.

Sur la demande de nullité du licenciement

Le salarié sollicite la nullité de son licenciement en raison du harcèlement et de l’atteinte à ses droits et libertés fondamentales qu’il prétend avoir subis.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Il résulte des dispositions des articles L.1152-1 et L.1154-1 de ce code que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement au sens de l’article L.1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au cas d’espèce, le salarié rappelle qu’étant un ancien danseur de l’Opéra de Paris, il a créé ce festival dont la première édition a eu lieu en 2005. Au soutien de sa demande, il invoque le retrait de la direction artistique du festival, la suppression de deux postes de permanents dont le sien remplacés par l’embauche en décembre 2015 d’un directeur administratif et financier, le retrait de son nom de

l’affiche du festival en 2015, le fait qu’à compter du 17 décembre 2014, la présidente ait exigé de signer tous les documents, puis que, courant 2015, la délégation de signature lui ait été retirée, le fait de lui avoir demandé de travailler pendant son arrêt maladie en septembre 2015 et son licenciement pour faute lourde.

Ni l’embauche d’un directeur administratif et financier, intervenue au demeurant postérieurement aux licenciements du salarié et de son adjoint, devenu inapte à son poste, en avril 2016, ni son licenciement, ne sont des agissements constitutifs de harcèlement.

Il ne résulte pas de la lettre du 21 septembre 2015 que l’employeur a demandé au salarié de venir travailler pendant son arrêt maladie.

Les autres éléments, pris dans leur ensemble, et les certificats médicaux produits, font présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Le salarié soutient que la présidente de l’association et sa fille souhaitaient s’approprier ses prérogatives dans le domaine artistique et qu’une réorganisation était en cours en septembre 2015.

Il ressort des éléments du dossier une ambiguïté quant à la dimension artistique du poste de directeur de festival occupé par le salarié. Ses attributions, détaillées dans le contrat ‘nouvelles embauches’, consistent en la direction du festival, la coordination des différents prestataires et les rencontres avec les compagnies de D ainsi que le choix des programmes, cette dernière mission revêtant incontestablement une dimension artistique. Toutefois, les premiers festivals ont été organisés par le salarié en collaboration avec l’ancienne étoile du D de l’Opéra de Paris et ancienne directrice de l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris Mme Z, ‘conseiller artistique’ selon les coupures de presse, directeur artistique selon le courrier adressé par le salarié le 9 mars 2004 au ministre des affaires étrangères, de la manifestation. Le salarié invoque également le ‘comité artistique’ du festival dans ses lettres de présentation aux ministres de la culture et des affaires étrangères.

Il résulte des statuts de l’association et des procès-verbaux des réunions de son conseil d’administration que ce conseil arrêtait le programme des rencontres.

Au regard de ces éléments, la cour retient que les choix artistiques étaient arrêtés par le conseil d’administration, sur proposition du directeur de festival, et relève que ce dernier ne produit aucun élément relatif à son éviction dans ce processus.

En tout état de cause, les trois contrats de travail successifs prévoient que le salarié exercera ses activités ‘sous le contrôle et la direction de Madame E F’, présidente de l’association qui a signé ses contrats de travail. Selon les statuts de l’association, son président ‘représente l’association dans tous les actes de la vie civile (…) Il ordonnance les dépenses, fait ouvrir pour le compte de l’association tous comptes bancaires et postaux (…) et peut, sous sa responsabilité, consentir toute délégation de pouvoir à un salarié de l’association ou à un Membre d’Honneur ou Actif. Il peut notamment déléguer sa signature au directeur et au trésorier pour les affaires relevant de leur compétence.’

Le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration du 17 décembre 2014 indique, en dernier point : ‘A ce moment-là, la Présidente attire l’attention sur la gestion de la communication du Festival et soulève une question de fond ; elle a reçu avec surprise un mailing signé par le Directeur. Ce mailing a été envoyé à 20 000 adresses, ce que confirme A X. La Présidente rappelle que l’envoi de tout document requiert sa validation et s’étonne donc de l’avoir ni lu ni validé. Une discussion s’engage avec le Directeur qui quitte brusquement la réunion. Les membres du Conseil d’Administration sont très étonnés par cette attitude qui ne surprend pas la Présidente et à l’unanimité ils confirment leur soutien à la Présidente. Ils proposent pour l’avenir une double signature pour l’envoi de tous les documents.’

Le 19 décembre 2014, le salarié a adressé un mail d’apaisement après son ‘départ intempestif’ à la présidente, laquelle lui a envoyé le même jour une mise en garde en précisant : ‘Ta réaction, nullement justifiable pour autant, faisait suite aux remarques que j’ai faites devant notre conseil d’administration s’agissant de la communication diffusée par email au public le 10 décembre dernier sous ta signature. Comme je te l’ai dit, il est inapproprié qu’une communication de cette importance, ouvrant la saison 2015, ait été faite sous ta seule signature, sans que j’en sois informée et qui plus est, comme tu l’as admis, sans relecture de ta part (…)

Je te rappelle que l’association est en grande difficulté financière et que la clôture de l’exercice 2014 est critique. Le lancement de la nouvelle saison est un enjeu tout aussi important si ce n’est davantage (…) Ton attitude dans ce contexte constitue un manquement sérieux dans l’exercice de tes responsabilités.’

Les attestations des membres du conseil d’administration versées aux débats établissent, d’une part, que la présidente mettait systématiquement le salarié en valeur lors des réunions de cette instance, et, d’autre part, que l’attitude de l’intéressé et son départ brusque ont choqué ces membres.

Au-delà d’un problème de communication entre le salarié et la présidente de l’association, dont le pouvoir de direction ne peut être remis en cause, l’employeur justifie des difficultés financières à l’origine de la mise en place d’une nouvelle organisation. Le procès-verbal de la réunion du bureau du conseil d’administration du 15 janvier 2015 dont l’objet est ‘accords entre Les Etés de la Danse et l’AFLED (American Friends of the Etes de la Danse) en 2015 et responsabilités du Directeur A X au sein de l’Association’, mentionne le prêt de 243 000 dollars obtenu au travers d’un bienfaiteur américain pour faire face aux sommes encore dues par les Etés de la Danse au San C D lors de l’édition 2014 du festival, prêt sans intérêt dont le remboursement est exigible au 31 décembre 2015 et pour lequel le mari de la présidente de l’association s’est porté caution morale, ce prêt permettant la poursuite des activités de l’association en 2015.

La présidente a détaillé les principales exigences de la convention qui ont été approuvées à l’unanimité :

— Un plan de trésorerie des Etés de la Danse avec un compte-rendu mensuel,

— Toute prise d’engagement financier limitée à 100 euros sans son autorisation,

— Double signature selon les circonstances,

— Remboursement de frais sur présentation d’une note de frais conforme et avec tous les justificatifs et visa du trésorier ou du trésorier adjoint.

L’employeur établit ainsi que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et tenant, pour certaines, à l’attitude du salarié et, pour d’autres, à la nécessité de redresser financièrement l’association.

Le seul retrait du nom du salarié de l’affiche du festival en 2015, fait isolé, ne permet pas de retenir un harcèlement moral. La cour confirme le jugement en ce qu’il l’a écarté.

Sur l’atteinte aux droits et libertés fondamentales

Le salarié invoque une atteinte à sa vie privée et au secret de ses correspondances, à sa liberté de travail et d’entreprendre ainsi qu’à son droit de propriété au motif que l’employeur a procédé à des manipulations sur son ordinateur personnel.

Ces circonstances justifient le rejet des pièces n°13 et 14 et l’irrecevabilité de ces moyens de preuve pour justifier du bien-fondé du licenciement, mais non la nullité du licenciement.

Dès lors, la cour déboute le salarié de ses demandes de nullité de son licenciement et de dommages-intérêts pour harcèlement moral, par confirmation du jugement.

Sur la rupture du contrat de travail

La faute lourde est caractérisée par l’intention de nuire à l’employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d’un acte préjudiciable à l’entreprise.

Tenu d’une obligation de loyauté pendant l’exécution de son contrat de travail en application de l’article L.1221-1 du code du travail, le salarié doit s’abstenir de tout acte contraire à l’intérêt de l’entreprise et en particulier de tout acte de concurrence.

En l’occurrence, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée de la manière suivante :

‘Eu égard au caractère inexcusable des faits que vous avez commis, nous avons décidé de vous notifier votre licenciement pour faute lourde pour les motifs ci-après détaillés.

Lundi 21 septembre 2015, à l’ouverture du bureau, nous avons découvert :

D’une part, que vous vous êtes rendu dans les locaux de l’association durant le week-end du 19 et 20 septembre, en-dehors des heures d’ouverture, sans autorisation, et ce alors même que vous étiez en arrêt maladie.

D’autre part que vous avez emporté à cette occasion le disque dur externe de sauvegarde informatique des données de l’association contenant l’ensemble des informations administratives comptables et financières de l’association et toutes les informations relatives à l’organisation du festival et au mécénat de l’association.

Enfin, que vous avez profité de votre présence dans les locaux de l’association durant le week-end du 10 au 20 septembre pour tenter d’installer un logiciel de contrôle à distance sur l’ordinateur affecté à l’activité de l’association. Vous avez effectué cette manipulation d’installation du logiciel ‘TeamViewer’ sans concertation aucune et de manière dissimulée. Cette opération a endommagé le système de fonctionnement de l’ordinateur et rendu celui-ci inutilisable, provoquant la perte des données informatiques de l’association.

La soustraction à l’insu de l’association de son volume de sauvegarde informatique et l’altération de l’ordinateur affecté à l’activité de l’association en le rendant inutilisable constituent des actes d’une extrême gravité et une violation absolue de l’obligation de loyauté qui vous incombe en qualité de salarié de l’association et à plus forte raison au regard des responsabilités qui sont les vôtres.

Ces faits ont eu de très lourdes conséquences, à savoir la perte de toutes les données informatiques de l’association en-dehors de la copie de sauvegarde que vous avez emportée.

Par ailleurs, vous avez également soustrait les dossiers de presse de l’association et vous les conservez depuis lors sans autorisation. Ces documents sont d’une importance cruciale pour l’association notamment au titre de la démonstration de sa notoriété.

Leur soustraction à l’insu de l’association constitue un acte d’une extrême gravité et une violation de votre obligation de loyauté.

En outre, le Bureau de l’association a constaté le 25 septembre dernier que vous avez une nouvelle fois et à l’insu de l’association :

— procédé le 1er septembre 2015 au dépôt à l’Institut national de la propriété intellectuelle d’une nouvelle marque figurative ‘Les étés de la danse’ dans les classes 9, 16 et 41 sous votre seul nom en qualité de titulaire.

Le dépôt sous votre nom de la marque associée à la notoriété de l’association et constituant sa dénomination depuis 2003 constitue une nouvelle violation de l’obligation de loyauté qui vous incombe en vertu de votre contrat de travail. Ce dépôt est de surcroît constitutif à la fois d’un acte de concurrence déloyale et de parasitisme.

Cette découverte a apporté un éclairage nouveau aux faits fautifs dont vous êtes l’auteur.

En effet, le dépôt à votre nom d’une nouvelle marque figurative Les étés de la danse, sans concertation ni autorisation effectuée le 1er septembre 2015 démontre le caractère volontaire et prémédité tant de la soustraction des données informatiques de l’association et des manipulations anormales effectuées sur l’ordinateur affecté à l’association lors du week-end du 19 et 20 septembre, que de votre intention de vous approprier la paternité et la notoriété de l’association en soustrayant ses dossiers de presse dans le dessein de l’empêcher de revendiquer sa notoriété.

Avec du recul, ces faits s’inscrivent dans la droite lignée des faits pour lesquels vous aviez déjà été rappelé à l’ordre au mois de décembre 2014, pour avoir procédé à l’envoi d’une communication au nom de l’Association, sans concertation préalable avec le Bureau de l’Association ni même l’aval de la Présidente et sous votre seule et unique signature.

Enfin, lundi 5 octobre 2015, et ce alors que votre contrat était suspendu à double titre, à la fois en raison de la prolongation de votre arrêt maladie et de la mise à pied à titre conservatoire qui vous a été notifiée le 24 septembre dernier, nous avons déploré de votre part une connexion à la messagerie générique de l’association sans autorisation aucune, d’autre part la lecture d’une correspondance confidentielle qui ne vous était pas destinée et enfin son détournement au profit de votre conseil.

Par ces agissements, d’une gravité exceptionnelle, vous avez volontairement tenté de nuire à l’association.

Nous considérons donc que ces faits constituent une faute lourde rendant impossible votre maintien même temporaire dans l’association.

En outre, nous avons constaté à l’occasion de votre absence ces derniers jours que vous aviez omis de compléter le registre du personnel comme cela vous avait été demandé par le bureau de l’association. Il s’agit d’une obligation légale qui vous avait été confiée en qualité de directeur et sur laquelle votre attention avait été attirée à plusieurs reprises. Nous déplorons ce manquement qui s’ajoute hélas à vos agissements de ces derniers jours.’

Le fait pour le directeur du festival de se rendre au bureau de l’association, en-dehors de ses horaires de travail n’est pas fautif.

Les manipulations par le salarié de son ordinateur personnel ne peuvent constituer un manquement aux obligations découlant de son contrat de travail.

Aucun élément pertinent n’est produit par l’employeur au sujet de la disparition alléguée des dossiers de presse, la capture d’un écran de téléphone portable sans date étant dépourvue de valeur probante.

Le salarié établit qu’il a personnellement déposé une demande d’enregistrement de la marque Les étés de la Danse de Paris auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI) le 31 mars 2005. Ancienne présidente de l’association, Mme Z atteste y avoir expressément consenti, eu égard à la qualité de fondateur de l’association et de directeur du festival de l’intéressé. Ce dernier expose qu’ayant omis de procéder au renouvellement de la marque, il a effectué un dépôt en ligne le 1er septembre 2015. L’employeur a formé une opposition à enregistrement le 26 octobre suivant, opposition notifiée au salarié qui a déclaré renoncer à sa demande d’enregistrement dans le délai de deux mois suivant cette notification. Il ne résulte pas de cette chronologie une volonté du salarié d’attenter aux droits de l’employeur, lequel s’était dès le 20 septembre 2016 désisté de son instance engagée devant le tribunal de grande instance de Paris.

Enfin, l’employeur n’est pas fondé à reprocher au salarié d’avoir pris connaissance d’un mail dont il était en copie.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour retient qu’en l’absence de manquement du salarié aux obligations découlant de son contrat de travail, son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, par confirmation du jugement.

Sur les conséquences financières de la rupture

La cour confirme le jugement en ce qu’il a alloué au salarié les sommes de :

—  2 718,03 euros à titre de rappel de salaire pendant sa mise à pied conservatoire, outre 271,80 euros au titre des congés payés afférents,

—  18 950 euros d’indemnité compensatrice de préavis et 1 895 euros au titre des congés payés afférents, compte tenu des dispositions conventionnelles et de l’âge du salarié,

—  20 845 euros d’indemnité conventionnelle de licenciement.

Le jugement sera également confirmé en ce qu’il a alloué au salarié la somme de 22 500 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le fondement des dispositions de l’article L.1235-5 du code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur.

Sur la demande de rappel de salaire conventionnel

L’employeur reconnaît le bien-fondé de la demande formée par le salarié au visa de l’article X.2 de la convention collective, mais soulève la prescription des demandes relatives aux salaires antérieurs au 19 octobre 2012.

Aux termes de l’article L. 3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Selon l’article 21 V de la dite loi, les dispositions réduisant à trois ans le délai de prescription de l’action en paiement de salaire s’appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq années.

En l’occurrence, l’action a été engagée le 4 novembre 2015, soit pendant la période transitoire. Le salarié peut dès lors solliciter un rappel de salaire pour la période du 4 novembre 2010 à son licenciement, la période antérieure étant prescrite.

La cour condamne en conséquence l’employeur à lui verser la somme de 5 383,50 euros à ce titre, outre 538,35 euros au titre des congés payés afférents, par infirmation du jugement sur le quantum.

Sur la demande de rappel de congés payés

Eu égard à la finalité qu’assigne aux congés payés annuels la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, il appartient à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu’il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement.

En l’espèce, le salarié soutient avoir été mis dans l’impossibilité de prendre ses congés d’été. Il ressort toutefois de ses propres mails qu’il a indiqué être en congés du 2 au 24 juillet 2014 et du 3 au 30 août 2015.

L’employeur ne justifie pas avoir pris les mesures propres à assurer au salarié la possibilité de prendre ses congés payés pour l’année 2013, à l’exception de 7 jours pris en fin d’année, comme indiqué par le salarié dans un mail.

L’employeur reconnaît en outre lui devoir la somme de 2 425,60 euros à ce titre, correspondant à 6 jours non pris en 2014 et 10 jours acquis et non pris en 2015.

Dès lors, la cour condamne l’employeur au paiement de la somme de 5 912,40 euros au titre des congés payés non pris, par infirmation du jugement sur le quantum.

Le préjudice subi de ce fait par le salarié étant réparé par l’octroi d’une indemnité compensatrice de congés payés, sa demande de dommages-intérêts pour privation de congés payés sera rejetée, par confirmation du jugement.

Sur la demande de dommages-intérêts complémentaires

Le salarié sollicite des dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire, préjudice moral, atteinte à son image et à sa réputation.

Le salarié justifiant, en raison des circonstances brutales et vexatoires de la rupture, d’un préjudice distinct de celui résultant de la perte de l’emploi, peut prétendre à des dommages-intérêts.

Tel est manifestement le cas en l’occurrence et la cour condamne l’employeur à payer au salarié la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts à ce titre, par infirmation du jugement.

Sur la demande de dommages-intérêts pour absence de visite médicale

Faute pour le salarié de justifier d’un préjudice résultant de ce manquement de l’employeur, la cour rejette sa demande indemnitaire, par confirmation du jugement.

Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail

Le salarié ne justifie ni d’un manquement de l’employeur à son obligation de loyauté pendant l’exécution de son contrat de travail, ni d’un préjudice subi à ces titres. La cour le déboute de cette demande, par confirmation du jugement.

Sur la demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

Conformément à l’article L.8221-5 du code du travail dans sa rédaction applicable en la cause, est constitutif de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour l’employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.

Le salarié ne démontre pas que l’employeur se serait volontairement soustrait à cette obligation.

Il convient, par confirmation du jugement, de le débouter de sa demande.

Sur les demandes reconventionnelles de l’employeur

L’employeur sollicite des dommages-intérêts pour préjudice moral et pour concurrence déloyale en invoquant trois griefs qu’il convient d’examiner successivement.

La cour relève préalablement que l’existence de la société Val Production, société de production du salarié, était connue de l’employeur. L’objet de cette société, soit la réalisation, l’organisation et la diffusion de spectacles, réalisation de prestations techniques et artistiques, enregistrement, production de disques, Cd, dvd, conseil dans l’organisation de spectacles, est distinct de celui de l’association. Enfin, l’association était hébergée dans les locaux de cette société, ce qui permettait au salarié, avec l’accord de l’employeur, de passer de l’une à l’autre.

La cour ayant retenu que l’ordinateur utilisé par le salarié pour l’association était sa propriété, l’employeur n’est pas fondé à invoquer une perte de données. S’agissant de la défense de sa marque, la cour a écarté toute faute du salarié. Enfin, la cour a retenu que l’employeur ne démontrait pas avoir été privé de ses revues de presse.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la cour déboute l’employeur de ses demandes reconventionnelles, par confirmation du jugement.

Sur les autres demandes

Il convient de rappeler que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception, par l’association Les Etés de la Danse de Paris, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter du jugement pour celles qui sont confirmées et du présent arrêt pour les autres.

L’équité commande d’allouer au salarié la somme supplémentaire de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles d’appel.

L’employeur, qui succombe, supportera les dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Déboute M. X de sa demande de rejet des pièces n°4 et 6 de l’association Les Etés de la Danse de Paris ;

Ecarte des débats les pièces n°13 et 14 de l’association Les Etés de la Danse de Paris ;

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a débouté M. X de sa demande de dommages-intérêts pour rupture brutale et vexatoire et en ce qu’il a condamné l’association Les Etés de la Danse de Paris à payer à M. X les sommes de 8 155,92 euros de rappel de salaire sur

l’indexation conventionnelle, 815,59 euros au titre des congés payés afférents et 2 425,60 euros de solde d’indemnité de congés payés ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

Déclare irrecevable car prescrite la demande de rappel de salaire sur l’indexation conventionnelle pour la période antérieure au 4 novembre 2010 ;

Condamne l’association Les Etes de la Danse de Paris à payer à M. X les sommes de :

—  5 383,50 euros de rappel de salaire à titre d’indexation conventionnelle pour la période du 4 novembre 2010 au 19 octobre 2015 ;

—  538,35 euros au titre des congés payés afférents ;

—  5 912,40 euros d’indemnité compensatrice de congés payés ;

—  3 000 euros de dommages-intérêts en raison des circonstances brutales et vexatoires du licenciement ;

Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception, par l’association Les Etés de la Danse de Paris, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et les créances indemnitaires à compter du jugement pour les créances confirmées et du présent arrêt pour le surplus ;

Condamne l’association Les Etés de la Danse de Paris à payer à M. X la somme supplémentaire de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne l’association Les Etés de la Danse de Paris aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


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