Le Hit des années 80 On va s’aimer est irrévocablement la contrefaçon du titre « Une fille de France ».
Les défendeurs à l’action en contrefaçon, ont soulevé sans succès l’irrecevabilité du fait de l’absence de signification des décisions d’exéquatur des juridictions italiennes qui ont retenu que la chanson « On va s’aimer » constitue un plagiat de la chanson « Une fille de France » sans le limiter à la composition musicale desdites chansons. Par ailleurs les demandes de modification de la base documentaire de la SACEM ainsi que de la nouvelles répartition des droits d’auteur, formulées par les auteurs de l’oeuvre Une fille de France, ont été jugées fondées. Décisions déclarant exécutoires en France les condamnations italiennesEn l’espèce, il résulte des procès-verbaux de commissaire de justice versés au dossier que les décisions déclarant exécutoires en France les arrêts du tribunal de Milan du 6 août 2008, de la cour d’appel de Milan du 10 juin 2010, de la Cour de cassation italienne du 11 mai 2012, du tribunal de Milan du 16 avril 2015 et de la cour d’appel de Milan du 23 mai 2017 ont été signifiées le 13 juin 2023 à personne à M. [G], et les 13 et 27 juin 2023 à personne à M. [P]. En exécution de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Milan du 10 juin 2010, la Siae (société italienne de gestion collective des droits d’auteur) a procédé à la mise en réserve des rémunérations de droits d’auteur générées par l’exploitation de l’oeuvre musicale « On va s’aimer ». La SACEM a pris la même mesure de blocage au mois de juillet 2010 à la demande de la société Première Music Group. Actualisation des bases de gestion collectiveLa Siae a mis à jour la documentation de l’oeuvre musicale « On va s’aimer » en la rattachant à l’oeuvre musicale « Une Fille de France » afin que les rémunérations générées par l’exploitation de la première reviennent pour l’avenir aux ayants droit de la seconde. La SACEM a considéré qu’elle ne pouvait pas de son propre chef modifier sa base documentaire. M. [H] [G], ayant sollicité le 3 décembre 2012 la libération immédiate de ses droits, la Sacem a indiqué qu’en l’absence de déclaration en France de la force exécutoire des décisions italiennes, elle ne pouvait maintenir le blocage des rémunérations. C’est dans ce contexte que la société Première Music Group, MM. [W] et [R] ont fait assigner en référé MM. [P] et [G], les sociétés Universal et la Sacem pour obtenir le maintien de la mesure de blocage des droits et la modification de la documentation de l’oeuvre « On va s’aimer » par la SACEM. Historique de l’affaire On va s’aimerPour rappel, un premier jugement du tribunal de Milan de 2008 déclare que la chanson « On va s’aimer » constitue un plagiat de la chanson « Une fille de France » selon les termes indiqués dans les motifs de la décision », lesquels précisent que « la demande reconventionnelle de constatation de la nature plagiaire du refrain de « On va s’aimer » est par conséquent, pleinement fondée », qu’« il y a lieu de faire également droit à la demande de réparation formulée par les défendeurs pour les dommages patrimoniaux et extra-patrimoniaux subis », et « qu’il y a lieu d’interdire à la demanderesse [la société Abramo], aux tiers appelés en la cause [H] [G] et [Z] [P], ainsi qu’à l’intervenante Universal Music Italia, toute utilisation et toute exploitation, qu’elle qu’en soit la forme et quels qu’en soient les moyens, de la chanson « On va s’aimer ». Par arrêt confirmatif du 10 juin 2010 d’un jugement du tribunal de Milan du 6 août 2008, la cour d’appel de Milan a jugé que l’oeuvre « On va s’aimer » constituait une contrefaçon de l’oeuvre musicale « Une Fille de France », a condamné les sociétés Abramo et Universal Music Italia ainsi que MM. [G] et [P] à la réparation des préjudices moraux et patrimoniaux subis. L’arrêt de la cour d’appel de Milan du 30 août 2010 rejette les appels principaux et les appels incidents et confirme intégralement la décision attaquée. L’arrêt de la Cour de cassation italienne du 15 juin 2012, après avoir notamment relevé qu’ « aucun des pourvois (principal et incident) ne critique l’appréciation de la cour d’appel selon laquelle le refrain doit être considéré comme élément caractéristique aux fins d’évaluation du plagiat », « cette décision doit par conséquent être considérée comme définitive et ayant force de chose jugée. Par décisions du tribunal de grande instance de Paris des 10 novembre 2015 et 21 mars 2016 signifiées à la SACEM les 13 novembre 2015 et 12 avril 2016, les arrêts des juridictions italiennes du 6 août 2008, 10 juin 2010 et 11 mai 2012 ont été reconnus et déclarés exécutoires en France. Par ordonnance de référé rendue 1e 12 mars 2013, le président du tribunal de grande instance de Paris a ordonné à la SACEM « de mettre et maintenir en réserve les rémunérations des droits d’auteur générés par l’exploitation de l’oeuvre musicale « On va s’aimer » directement et indirectement dans le monde entier, y compris celles au titre de la répartition du 5 janvier 2012 et des répartitions suivantes, et ce jusqu’à complet accomplissement des formalités prévues par le règlement 44/2001 pour faire constater la force exécutoire de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Milan du 10 juin 2010 et de l’arrêt à venir de la même juridiction statuant dans le litige opposant les ayants droit de l’oeuvre « Une Fille de France » aux ayants droit de l’oeuvre musicale « On va s’aimer » et Les décisions déclarant exécutoires les arrêts des juridictions italiennes ont dès lors été signifiées à MM. [G] et [P], peu important en l’espèce qu’elles n’aient pas été signifiées avant le jugement du 29 mai 2020, MM. [G] et [P], qui n’ont pas exercé dans le délai courant à compter desdites significations le recours prévu par l’article 43, § 1 et 5 du règlement, n’opposant aucun grief de ce chef, outre qu’ils ont pu défendre tous leurs droits dans la présente instance, l’arrêt confirmatif de la cour d’appel de Paris du 10 décembre 2021 ayant été cassé et annulé et l’affaire remise en conséquence dans l’état où elle se trouvait avant cet arrêt, la présente cour, juridiction de renvoi, étant investie de la connaissance de l’entier litige dans ses éléments de fait et de droit, à l’exception des fins de non-recevoir opposées par la société Première Music Group et MM. [W] et [R]. La reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commercialeEn application de l’article 38 § 1 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée. En application de l’article 42 § 2 du même règlement, la déclaration constatant la force exécutoire est signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l’exécution est demandée, accompagnée de la décision si celle-ci n’a pas encore été signifiée ou notifiée à cette partie. En application de l’article 43 § 1 et 5 dudit règlement, cette partie peut former un recours contre cette déclaration dans le délai d’un mois à compter de sa signification, et ce délai est porté à deux mois et court à compter du jour où la signification a été faite à personne ou à domicile si la partie contre laquelle l’exécution est demandée est domiciliée sur le territoire d’un autre État membre que celui dans lequel la déclaration constatant la force exécutoire a été délivrée. Aux termes de l’article 47 § 3 dudit règlement, pendant le délai du recours prévu à l’article 43 § 5, contre la déclaration constatant la force exécutoire et jusqu’à ce qu’il ait été statué sur celui-ci, il ne peut être procédé qu’à des mesures conservatoires sur les biens de la partie contre laquelle l’exécution est demandée. Selon la Cour de justice des Communautés européennes, devenue la Cour de justice de l’Union européenne, l’exigence de signification de la décision qui autorise l’exécution a pour fonction, d’une part, de protéger les droits de la partie contre laquelle l’exécution est demandée et, d’autre part, de permettre, sur le plan probatoire, une computation exacte du délai de recours rigoureux et impératif ouvert à cette partie et que, si seule importait la connaissance par celle-ci de la décision qui autorise l’exécution, cela risquerait de vider de sa substance l’exigence d’une signification (CJCE, 16 février 2006, Verdoliva, C-3/05). |
Résumé de l’affaire : L’affaire concerne deux œuvres musicales : « Une Fille de France », composée par M. [N] [W] et coécrite par MM. [K] [R] et [Z] [P], et « On va s’aimer », composée par M. [H] [G] avec des paroles de M. [Z] [P]. En 2002, la société Abramo a assigné MM. [W] et [R] ainsi que la société Première Music Group en déclaration de non-contrefaçon de « Une Fille de France » par « On va s’aimer ». Les défendeurs ont contre-attaqué en revendiquant une contrefaçon. En 2010, la cour d’appel de Milan a jugé que « On va s’aimer » était une contrefaçon de « Une Fille de France », condamnant les sociétés Abramo et Universal Music Italia ainsi que MM. [G] et [P] à réparer les préjudices. La SACEM et la Siae ont mis en réserve les droits d’auteur de « On va s’aimer » suite à cette décision. En 2013, la SACEM a été contrainte de maintenir cette réserve jusqu’à ce que les décisions italiennes soient reconnues en France. En 2020, le tribunal judiciaire de Paris a ordonné à la SACEM de modifier sa documentation pour relier les deux œuvres et de répartir les droits d’auteur en faveur des ayants droit de « Une Fille de France ». Les sociétés Universal et MM. [G] et [P] ont fait appel de ce jugement. En 2021, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement, mais les sociétés Universal ont formé un pourvoi. En 2023, la Cour de cassation a annulé partiellement l’arrêt de la cour d’appel de Paris, renvoyant l’affaire pour un nouvel examen. Les parties continuent de se disputer la répartition des droits d’auteur et les conséquences des décisions judiciaires antérieures.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
délivrées aux parties AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
le :
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 1
ARRÊT DU 09 OCTOBRE 2024
(n° 116 /2024 , 15 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 23/17970 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CIPTU
Saisine après cassation d’un arrêt du pôle 5-chambre 2 de la cour d’appel de PARIS du 10 décembre 2021 (RG 20/09007) qui se prononçait sur l’appel interjeté à l’égard d’un jugement du 29 mai 2020 du tribunal judiciaire de PARIS (RG 18/13857)
DEMANDERESSES À LA SAISINE DE LA COUR D’APPEL DE RENVOI
S.A.S. UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING
Inscrite au registre du commerce et des sociétés de sous le numéro 582019279, agissant en la personne de son ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au au siège social situé
[Adresse 2]
[Localité 14]
Société UNIVERSAL MUSIC ITALIA S.R.L.,
Société de droit italien, agissant en la personne de ses représentants domiciliées en cette qualité au siège social situé
[Adresse 3]
[Localité 4] (ITALIE)
Toutes les deux ayant pour avocat postulant Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125, et pour avocat plaidant lors de l’audience Me Nicolas BOESPFLUG, avocat au barreau de PARIS, toque : E 329
DÉFENDEURS À LA SAISINE DE LA COUR D’APPEL DE RENVOI
M. [Z] [P]
Né le 10 mars 1954 à [Localité 20]
De nationalité française
Demeurant [Adresse 8] – [Localité 17]
Ayant pour avocat plaidant Me Christian VALENTIE, avocat au barreau de PARIS, toque C 2441, et pour avocat plaidant Me François BINET, avocat au barreau de PARIS, toque R 0104, qui a procédé par dépôt de dossier de plaidoirie
M. [H] [G]
Né le 28 décembre 1951 à [Localité 20]
De nationalité française
Demeurant [Adresse 7] – [Localité 16]
Représenté par Me Gilles GOLDNADEL, avocat au barreau de PARIS, toque C1773, substitué à l’audience par Me Jade LAURENÇON-MARCOPOULOS, avocat au barreau de PARIS, toque C1773
PREMIERE MUSIC GROUP
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé
[Adresse 1]
[Localité 15]
M. [N] [W]
Né le 01 mars 1954
De nationalité française
Domicilié [Adresse 21]
[Localité 19] (PORTUGAL)
M. [K] [R]
Né le 19 octobre 1937
De nationalité française
Domicilié [Adresse 11] – [Localité 15]
Ces trois derniers ayant pour avocat postulant Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU – CICUREL – MEYNARD – GAUTHIER – MARIE, avocat au barreau de PARIS, toque P 0240, et pour avocat plaidant à l’audience Me Jean-Marie GUILLOUX, avocat au barreau de PARIS, toque G 0818
SOC AUTEUR COMPOSITEUR EDITEUR MUSIQUE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé
[Adresse 5]
[Localité 18]
Ayant pour avocat postulant Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque B1055, et pour avocat plaidant à l’audience Me Louis BURKARD, de l’AARPI ARTLAW, avocat au barreau de PARIS, toque P 0327
Société ABRAMO ALLIONE EDIZIONI MUSICALI SRL
Société de droit italien, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège situé
[Adresse 9]
[Localité 4] (ITALIE)
Non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 807 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 septembre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, et Mme Françoise BARUTEL, conseillère chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries lors du délibéré de la Cour composée de:
– Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre,
– Mme Françoise BARUTEL, conseillère,
– Mme Deborah BOHEE, conseillère.
Greffier lors des débats : M. Soufiane HASSAOUI
ARRÊT :
rendu par défaut ;
par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
signé par Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, et par Soufiane HASSAOUI, greffier présent lors de la mise à disposition auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
L’oeuvre « Une Fille de France » est une composition musicale de M. [N] [W] dont les paroles ont été coécrites par MM. [K] [R] et [Z] [P]. Elle a été déposée à la SACEM le 2 décembre 1975 et est éditée par la société Première Music Group.
L’oeuvre « On va s’aimer » est une composition musicale de M. [H] [G] dont les paroles associées ont été écrites par M. [Z] [P]. Elle a été déclarée le 7 novembre 1983 à la société italienne de droits d’auteur et est coéditée par les sociétés italiennes Abramo Allione Edizioni Musicali (Abramo) et Universal Music Italia. La société Universal Music Publishing assure la sous-édition de cette oeuvre en France. Cette oeuvre est interprétée par [H] [G].
Le 16 juillet 2002, la société Abramo a fait assigner MM. [W] et [R] ainsi que la société Première Music Group devant le tribunal ordinaire de Milan en déclaration de non-contrefaçon de l’oeuvre musicale « Une Fille de France » par l’oeuvre musicale « On va s’aimer ». Les défendeurs à cette action ont mis en cause MM. [P] et [G] et ont formulé une demande reconventionnelle en contrefaçon de l’oeuvre musicale « Une Fille de France » par l’oeuvre musicale « On va s’aimer ».
Par arrêt confirmatif du 10 juin 2010 d’un jugement du tribunal de Milan du 6 août 2008, la cour d’appel de Milan a jugé que l’oeuvre « On va s’aimer » constituait une contrefaçon de l’oeuvre musicale « Une Fille de France », a condamné les sociétés Abramo et Universal Music Italia ainsi que MM. [G] et [P] à la réparation des préjudices moraux et patrimoniaux subis par MM. [W] et [R] et la société Première Music Group, et a interdit aux sociétés Abramo et Universal Music Italia et à MM. [G] et [P] la poursuite de toute utilisation et exploitation de l’oeuvre musicale « On va s’aimer ». Le 11 mai 2012, la Cour de cassation italienne a rejeté le pourvoi principal formé par MM. [G] et [P] ainsi que les pourvois incidents des sociétés Abramo et Universal Music Italia.
Une expertise contradictoire a été diligentée sur la détermination des droits d’auteur perçus par les ayants droit de l’oeuvre musicale « On va s’aimer » pour la période d’exploitation écoulée entre janvier 1995 et avril 2013.
En exécution de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Milan du 10 juin 2010, la Siae (société italienne de gestion collective des droits d’auteur) a procédé à la mise en réserve des rémunérations de droits d’auteur générées par l’exploitation de l’oeuvre musicale « On va s’aimer ». La SACEM a pris la même mesure de blocage au mois de juillet 2010 à la demande de la société Première Music Group.
La Siae a mis à jour la documentation de l’oeuvre musicale « On va s’aimer » en la rattachant à l’oeuvre musicale « Une Fille de France » afin que les rémunérations générées par l’exploitation de la première reviennent pour l’avenir aux ayants droit de la seconde. La SACEM a considéré qu’elle ne pouvait pas de son propre chef modifier sa base documentaire.
M. [H] [G], ayant sollicité le 3 décembre 2012 la libération immédiate de ses droits, la Sacem a indiqué qu’en l’absence de déclaration en France de la force exécutoire des décisions italiennes, elle ne pouvait maintenir le blocage des rémunérations.
C’est dans ce contexte que la société Première Music Group, MM. [W] et [R] ont fait assigner en référé MM. [P] et [G], les sociétés Universal et la Sacem pour obtenir le maintien de la mesure de blocage des droits et la modification de la documentation de l’oeuvre « On va s’aimer » par la SACEM.
Par ordonnance de référé rendue 1e 12 mars 2013, le président du tribunal de grande instance de Paris a :
ordonné à la SACEM « de mettre et maintenir en réserve les rémunérations des droits d’auteur générés par l’exploitation de l’oeuvre musicale « On va s’aimer » directement et indirectement dans le monde entier, y compris celles au titre de la répartition du 5 janvier 2012 et des répartitions suivantes, et ce jusqu’à complet accomplissement des formalités prévues par le règlement 44/2001 pour faire constater la force exécutoire de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Milan du 10 juin 2010 et de l’arrêt à venir de la même juridiction statuant dans le litige opposant les ayants droit de l’oeuvre « Une Fille de France » aux ayants droit de l’oeuvre musicale « On va s’aimer » et
dit n’y avoir lieu à référé sur la demande portant sur la modification de la documentation de l’oeuvre musicale « On va s’aimer ».
Par décisions du tribunal de grande instance de Paris des 10 novembre 2015 et 21 mars 2016 signifiées à la SACEM les 13 novembre 2015 et 12 avril 2016, les arrêts des juridictions italiennes du 6 août 2008, 10 juin 2010 et 11 mai 2012 ont été reconnus et déclarés exécutoires en France.
Par arrêt du 23 mai 2017, rendu sur appel du jugement du 16 avril 2015, statuant sur ce point, la cour d’appel de Milan a condamné les sociétés Abramo et Universal Music Italia et MM. [P] et [G], in solidum, au paiement en faveur de la société éditrice Première Music Group et des auteur et compositeur MM. [W] et [R] de la somme de l.574.550,80 euros à titre de réparation des dommages patrimoniaux, en sus de la somme de 50.000 euros allouée à MM. [W] et [R], chacun, au titre des préjudices extra-patrimoniaux.
Les sociétés Abramo et Universal Music Italia et MM. [P] et [G] ont formé un pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel de Milan du 23 mai 2017. La Cour de cassation italienne a rendu une décision en date du 19 mai 2021 faisant droit à certains moyens de cassation des demandeurs aux pourvois et renvoyant les parties devant la cour d’appel de Milan autrement composée. La procédure est actuellement pendante.
Par décisions du tribunal de grande instance de Paris des 27 janvier 2016 et 4 avril 2018 signifiées à la SACEM les 28 janvier 2016 et 4 mai 2018, les arrêts des juridictions italiennes du 16 avril 2015 et 23 mai 2017 ont été reconnus et déclarés exécutoires en France.
C’est dans ces circonstances que par acte en date du 6 novembre 2018, la société Première Music Group, MM. [W] et [R] ont fait assigner MM. [P] et [G], la société Abramo, les sociétés Universal Music Italia et Universal Music Publishing et la SACEM devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d’obtenir la modification de la documentation relative à l’oeuvre « On va s’aimer » et la répartition des droits afférents.
Par jugement du 29 mai 2020, le tribunal judiciaire de Paris :
ORDONNE à la SACEM, passé un délai de 20 jours suivant la signification du jugement, de :
radier l’oeuvre « On va s’aimer » de sa documentation ;
enregistrer dans sa documentation, sous l’oeuvre « Une fille de France » (Code ISWC : [Numéro identifiant 22]), le sous-titre « On va s’aimer » comme suit :
Une Fille de France (sous-titre : On va s’aimer) Code ISWC : [Numéro identifiant 22]
[N] [W], Compositeur Code IPI : [Numéro identifiant 12]
[Z] [P], Auteur Code IPI : [Numéro identifiant 13]
[K] [R], Auteur Code IPI : [Numéro identifiant 6]
PREMIERE MUSIC GROUP (fonds X MUSIC), Éditeur Code IPI : [Numéro identifiant 10]
enregistrer au crédit du compte de l’oeuvre « Une Fille de France » l’ensemble des rémunérations de droit d’auteur générées par l’oeuvre « On va s’aimer » pour toute exploitation de l’oeuvre à partir du mois d’avril 2013 jusqu’au terme de la durée de protection de l’oeuvre ;
ORDONNE à la SACEM de procéder à la répartition des rémunérations de droits d’auteur non encore réparties par elle au titre de l’exploitation de l’oeuvre « On va s’aimer » postérieurement à la répartition du 5 avril 2013 ainsi que toutes les rémunérations de droits d’auteur à venir générées par cette oeuvre, au profit des ayants droit de l’oeuvre « Une Fille de France » pour toute exploitation de l’oeuvre jusqu’au terme de la durée de protection, conformément aux quotes-parts suivantes :
« Une Fille de France » (sous-titre : « On va s’aimer »)
Code ISWC : [Numéro identifiant 22]
REJETTE la demande de mainlevée des mesures conservatoires prises sur les rémunérations de droits d’auteur générées par l’exploitation de l’oeuvre « On va s’aimer » en vertu de l’ordonnance du 12 mars 2013 et relatives aux rémunérations dues au titre de la période antérieure à avril 2013 ;
FAIT INTERDICTION à la SACEM de répartir aux ayants droit de l’oeuvre « On va s’aimer » toutes rémunérations de droits d’auteur résultant de l’exploitation de cette oeuvre postérieurement à la répartition du 5 avril 2013 ;
MM. [H] [G] et [Z] [P] ont relevé appel de ce jugement.
Par un arrêt du 10 décembre 2021 (pôle 5, chambre 2), la cour d’appel de Paris a :
confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Paris ;
rejeté la demande de sursis à statuer de M. [H] [G] ;
rejeté les fins de non-recevoir de M. [Z] [P] et M. [H] [G] ;
rejeté les fins de non-recevoir de la société Première Music Group, M. [N] [W] et M. [K] [R] ;
condamné in solidum les sociétés Universal Music Publishing, Universal Music Italia, M. [Z] [P] et M. [H] [G] à payer à la société Première Music Group, M. [N] [W] et M. [K] [R] une indemnité de 5.000 euros à chacun, soit la somme totale de 15.000 euros, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
condamné in solidum les sociétés Universal Music Publishing, Universal Music Italia, M. [Z] [P] et M. [H] [G] aux dépens d’appel.
Les sociétés Universal ont formé un pourvoi. M. [G] a formé un second pourvoi, ces deux pourvois ayant été joints.
Par un arrêt en date du 25 mai 2023, la première chambre civile de la Cour de cassation « casse et annule, sauf en ce qu’il rejette les fins de non-recevoir de la société Première Music Group et de MM. [W] et [R], l’arrêt du 10 décembre 2021 de la cour d’appel de Paris ; remet, sauf sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ; condamne in solidum la société Première Music Group ainsi que MM. [W] et [R] aux dépens ; en application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ».
Dans cet arrêt, la cour de cassation, au visa des articles 38 § 1, 42 § 2, 43 § 1 et 5, et 47 § 3 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, a jugé que :
« Pour rejeter la fin de non-recevoir soulevée par MM. [G] et [P] tirée de l’absence de signification des décisions déclarant exécutoires en France les arrêts de la cour d’appel de Milan et de la Cour de cassation italienne, l’arrêt retient, d’une part, que ces décisions ont été portées à leur connaissance dans le cadre de la présente procédure et que ceux-ci ne peuvent arguer qu’ils n’ont pas été en mesure d’exercer le recours prévu à l’article 43 du règlement n° 44/2001, qui ne soumet pas l’ouverture du recours à la signification préalable de la décision, d’autre part, que MM. [P] et [G] ne soutiennent pas utilement que la SACEM n’est pas détentrice des droits leur appartenant alors que, en application de l’article 1er des statuts de cette société, l’auteur, par son adhésion, fait apport à celle-ci de l’exercice de ses droits patrimoniaux.
En statuant ainsi, alors que les décisions italiennes déclarées exécutoires déniaient à MM. [G] et [P] tout droit d’auteur sur l’oeuvre musicale « On va s’aimer » et que le litige avait pour objet la modification par la SACEM de la documentation relative à cette oeuvre en exécution de ces décisions, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Les sociétés Universal Music Italia et Universal Music Publishing ont saisi la présente cour, désignée comme cour de renvoi, le 6 novembre 2023.
Dans leurs dernières conclusions, transmises le 27 mai 2024, les sociétés Universal Music Italia et Universal Music Publishing demandent à la cour de :
Infirmer le jugement déféré sauf en ce qu’il a rejeté la demande de mainlevée de la mise en réserve en exécution de l’ordonnance de référé du 12 mars 2013 des droits d’auteur provenant de l’exploitation de l’oeuvre « On va s’aimer » au titre de la période antérieure au mois d’avril 2013.
Confirmer le jugement déféré en ce qu’il a rejeté la demande de mainlevée de la mise en réserve en exécution de l’ordonnance de référé du 12 mars 2013 des droits d’auteur provenant de l’exploitation de l’oeuvre « On va s’aimer » au titre de la période antérieure au mois d’avril 2013.
Ordonner à la SACEM de maintenir et de mettre en réserve les droits d’auteur afférents à l’oeuvre « On va s’aimer » jusqu’à ce qu’il ait été définitivement statué par les juridictions italiennes sur le préjudice de la société PREMIERE MUSIC GROUP et de Messieurs [N] [W] et [K] [R].
Ordonner à la société PREMIERE MUSIC GROUP et Messieurs [N] [W] et [K] [R] de restituer à la SACEM les droits d’auteur provenant de l’exploitation de l’oeuvre « On va s’aimer » que celle-ci leur a versés en exécution de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 décembre 2022.
Condamner in solidum la société PREMIERE MUSIC GROUP et Messieurs [N] [W] et [K] [R] à payer aux sociétés UNIVERSAL MUSIC ITALIA et UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING une indemnité de 10 000 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamner in solidum la société PREMIERE MUSIC GROUP et Messieurs [N] [W] et [K] [R] aux dépens dont distraction au profit de l’AARPI TEYTAUD SALEH dans les conditions de l’article 699 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions, transmises le 29 mai 2024, M. [Z] [P] demande à la cour de :
Recevoir Monsieur [Z] [P] en son appel et le déclarer bien fondé,
Infirmer le jugement rendu le 29 mai 2020 par le Tribunal judiciaire de PARIS en toutes ses dispositions sauf en ce qu’elle a refusée d’ordonner la mainlevée des mesures conservatoires,
Et, statuant à nouveau,
Déclarer irrecevables l’intégralité des demandes telles que formées par la société PREMIERE MUSIC ainsi que par Messieurs [K] [R] et [N] [W],
À titre subsidiaire
Débouter la société PREMIÈRE MUSIC GROUP Monsieur [N] [W] et plus particulièrement Monsieur [K] [R] de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
En tout état de cause
Débouter la société PREMIERE MUSIC ainsi que par Messieurs [K] [R] et [N] [W], de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions,
Condamner solidairement la société PREMIERE MUSIC ainsi que par Messieurs [K] [R] et [N] [W] à payer à Monsieur [Z] [P] la somme d’un montant de 50.000 € en application des dispositions de l’article 700 du CPC,
Condamner solidairement la société PREMIERE MUSIC ainsi que par Messieurs [K] [R] et [N] [W] aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction, pour ces derniers, au profit de Maître Christian VALENTIE, et ce dans les termes de l’article 699 du CPC.
Dans ses uniques conclusions, transmises le 15 février 2024, M. [H] [G] demande à la cour de :
Recevoir Monsieur [H] [G] en son appel et le déclarer bien fondé,
Infirmer le jugement rendu par Tribunal de Grande Instance de PARIS le 29 mai 2020 en ce qu’il a :
Ordonné à la SACEM de Radier l’oeuvre « On va s’aimer»» de sa documentation; Enregistrer dans sa documentation, sous l’oeuvre « Une fille de France (Code ISWC: [Numéro identifiant 22]), 1e sous-titre « On va s’aimer » ; Enregistrer au crédit du compte de l’oeuvre « Une Fille de France » l’ensemble des rémunérations de droit d’auteur générées par l’oeuvre «On va s’aimer » pour toute exploitation de l’oeuvre à partir du mois d’avril 2013 jusqu’au terme de la durée de protection de l’oeuvre ;
Ordonné à la SACEM de procéder à la répartition des rémunérations de droits d’auteur non encore réparties par elle au titre de l’exploitation de l’oeuvre «On va s’aimer » postérieurement à la répartition du 5 avril 2013 ainsi que toutes les rémunérations de droits d’auteur à venir générées par cette oeuvre, au profit des ayants droit de l’oeuvre « Une Fille de France » pour toute exploitation de l’oeuvre jusqu’au terme de la durée de protection de l’oeuvre accordée conformément aux quotes-parts demandées par la Société PREMIERE MUSIC GROUP ;
Fait interdiction à la SACEM de répartir aux ayants droit de l’oeuvre « On va s’aimer» toutes rémunérations de droits d’auteur résultant de l’exploitation de cette oeuvre postérieurement à la répartition du 5 avril 2013;
Rejeté les autres demandes en ce inclus celles présentées au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau :
Déclarer irrecevables l’intégralité des demandes telles que formulées par la société PREMIERE MUSIC GROUP, Monsieur [N] [W] et [K] [R]
Débouter la Société PREMIERE MUSIC GROUP, Monsieur [N] [W] et Monsieur [K] [R] de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.
Dire et juger que l’absence du co-auteur de la chanson « Une fille de France », Monsieur [P], constitue un vice de procédure.
Condamner la Société PREMIERE MUSIC GROUP, Monsieur [N] [W] et Monsieur [K] [R] à la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Condamner solidairement la Société PREMIERE MUSIC GROUP, Monsieur [N] [W] et Monsieur [K] [R] aux entiers dépenses de l’instance et d’appel.
Dans leurs uniques conclusions, transmises le 19 février 2024, la société Première Music Group, MM. [W] et [R] demandent à la cour de :
À titre principal :
Confirmer le Jugement du Tribunal judiciaire de Paris du 29 mai 2020 en toutes ses dispositions;
En conséquence :
Débouter les sociétés UNIVERSAL MUSIC ITALIA et UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING de leur demande visant à ce qu’il soit ordonné à la SACEM de maintenir et de mettre en réserve les droits d’auteur afférents à l’oeuvre « On va s’aimer » jusqu’à ce qu’il ait été définitivement statué par les juridictions italiennes sur le préjudice de la société PREMIERE MUSIC GROUP et de Messieurs [N] [W] et [K] [R] ;
Débouter les sociétés UNIVERSAL MUSIC ITALIA et UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING de leur demande visant à ce qu’il soit ordonné à la société PREMIERE MUSIC GROUP et Messieurs [N] [W] et [K] [R] de restituer à la SACEM les droits d’auteur provenant de l’exploitation de l’oeuvre « On va s’aimer » que celle-ci leur a versés en exécution de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 décembre 2022 ;
En tout état de cause :
Condamner in solidum les sociétés UNIVERSAL MUSIC ITALIA, UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING Monsieur [Z] [P] et Monsieur [H] [G] à verser, respectivement à d’une part, la société PREMIERE MUSIC GROUP, de deuxième part à Monsieur [N] [W], et de troisième part à Monsieur [K] [R], chacun, la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner in solidum tout succombant aux entiers dépens.
Dans ses uniques conclusions, transmises le 16 février 2024, la SACEM demande à la cour de :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé infondée et a rejeté la demande de condamnation de la SACEM au titre des dépens et de l’article 700 du Code de Procédure civile, ce chef du jugement n’étant en l’état critiqué par aucune des parties à l’instance ;
Pour le surplus,
Donner acte à la SACEM qu’elle s’en rapporte à la décision de la Cour de céans concernant l’éventuelle modification de sa documentation afférente à l’oeuvre « On va s’aimer » ;
Mais si cette modification devait être ordonnée dans un sens différent de celle retenue par le Tribunal,
Ordonner qu’elle le soit dans le respect des Statuts et du Règlement général de la SACEM qui obligent toutes les parties à l’instance, ce qui signifie que la répartition des redevances de droits de l’oeuvre « On va s’aimer » devra se faire :
– concernant les droits d’exécution publique par tiers, c’est-à-dire :
1/3 pour l’auteur ou les auteurs des paroles, à parts égales s’il y en a plusieurs,
1/3 pour le compositeur ou les compositeurs, à parts égales s’il y en a plusieurs,
1/3 pour le ou les éditeurs, à parts égales s’il y en a plusieurs,
– et concernant les droits de reproduction mécanique, ainsi que la Cour le jugera approprié ;
Condamner la (ou les) partie(s) qui succombera (ront) à supporter l’intégralité des dépens.
Il résulte des procès-verbaux versés à la procédure que la société Première Music Group, et MM. [W] et [R], de première part, M. [H] [G], de deuxième part, et les sociétés Universal, de troisième part, ont transmis les actes en vue de la signification de leurs conclusions à la société Abramo, respectivement en date des 8 mars, 8 avril et 3 juin 2024. Il n’est cependant pas justifié, en l’absence de retour de l’autorité italienne, que la société Abramo a bien été touchée.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 juin 2024.
En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.
Sur le chef du jugement non contesté
La cour constate que le jugement entrepris n’est pas contesté en ce qu’il a rejeté la demande de mainlevée des mesures conservatoires prises sur les rémunérations de droits d’auteur générées par l’exploitation de l’oeuvre « On va s’aimer » en vertu de l’ordonnance du 12 mars 2013 et relatives aux rémunérations dues au titre de la période antérieure à avril 2013.
Sur l’irrecevabilité résultant de l’absence de signification des jugements conférant un caractère exécutoire aux décisions italiennes sur le territoire français
M. [G] prétend que les décisions d’exequatur ne lui ont pas été signifiées ; que les décisions italiennes n’ont donc pas de caractère exécutoire et que la société Première Music Group et MM. [W] et [R] n’ont donc pas d’intérêt à agir.
M. [P] fait valoir que les jugements rendant exécutoires les décisions italiennes ne lui ont pas été signifiés préalablement à l’assignation introductive d’instance ayant abouti au jugement du 29 mai 2020 ; que ces décisions ne lui ont été signifiées que le 27 juin 2023 ; qu’à défaut d’une signification préalable à l’action, l’action de la société Première Music Group et de MM. [W] et [R] devant les tribunaux français n’est pas recevable.
Les sociétés Première Music Group et MM. [W] et [R] font valoir que depuis l’arrêt de cassation ils ont fait signifier les déclarations d’exequatur à l’ensemble des parties.
Sur ce,
En application de l’article 38 § 1 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée.
En application de l’article 42 § 2 du même règlement, la déclaration constatant la force exécutoire est signifiée ou notifiée à la partie contre laquelle l’exécution est demandée, accompagnée de la décision si celle-ci n’a pas encore été signifiée ou notifiée à cette partie.
En application de l’article 43 § 1 et 5 dudit règlement, cette partie peut former un recours contre cette déclaration dans le délai d’un mois à compter de sa signification, et ce délai est porté à deux mois et court à compter du jour où la signification a été faite à personne ou à domicile si la partie contre laquelle l’exécution est demandée est domiciliée sur le territoire d’un autre État membre que celui dans lequel la déclaration constatant la force exécutoire a été délivrée.
Aux termes de l’article 47 § 3 dudit règlement, pendant le délai du recours prévu à l’article 43 § 5, contre la déclaration constatant la force exécutoire et jusqu’à ce qu’il ait été statué sur celui-ci, il ne peut être procédé qu’à des mesures conservatoires sur les biens de la partie contre laquelle l’exécution est demandée.
Selon la Cour de justice des Communautés européennes, devenue la Cour de justice de l’Union européenne, l’exigence de signification de la décision qui autorise l’exécution a pour fonction, d’une part, de protéger les droits de la partie contre laquelle l’exécution est demandée et, d’autre part, de permettre, sur le plan probatoire, une computation exacte du délai de recours rigoureux et impératif ouvert à cette partie et que, si seule importait la connaissance par celle-ci de la décision qui autorise l’exécution, cela risquerait de vider de sa substance l’exigence d’une signification (CJCE, 16 février 2006, Verdoliva, C-3/05).
En l’espèce, il résulte des procès-verbaux de commissaire de justice versés au dossier que les décisions déclarant exécutoires en France les arrêts du tribunal de Milan du 6 août 2008, de la cour d’appel de Milan du 10 juin 2010, de la Cour de cassation italienne du 11 mai 2012, du tribunal de Milan du 16 avril 2015 et de la cour d’appel de Milan du 23 mai 2017 ont été signifiées le 13 juin 2023 à personne à M. [G], et les 13 et 27 juin 2023 à personne à M. [P].
Les décisions déclarant exécutoires les arrêts des juridictions italiennes ont dès lors été signifiées à MM. [G] et [P], peu important en l’espèce qu’elles n’aient pas été signifiées avant le jugement du 29 mai 2020, MM. [G] et [P], qui n’ont pas exercé dans le délai courant à compter desdites significations le recours prévu par l’article 43, § 1 et 5 du règlement, n’opposant aucun grief de ce chef, outre qu’ils ont pu défendre tous leurs droits dans la présente instance, l’arrêt confirmatif de la cour d’appel de Paris du 10 décembre 2021 ayant été cassé et annulé et l’affaire remise en conséquence dans l’état où elle se trouvait avant cet arrêt, la présente cour, juridiction de renvoi, étant investie de la connaissance de l’entier litige dans ses éléments de fait et de droit, à l’exception des fins de non-recevoir opposées par la société Première Music Group et MM. [W] et [R].
L’irrecevabilité opposée du fait de l’absence de signification des décisions d’exéquatur, qui manque en fait, ou de sa tardiveté sera donc rejetée.
Sur l’irrecevabilité résultant de l’absence de mise en cause de M. [P] en sa qualité de co-auteur des paroles de l’oeuvre « Une fille de France »
M. [P] fait valoir qu’il est tant le co-auteur des paroles de « Une fille en France » que l’unique auteur des paroles de « On va s’aimer » ; qu’il aurait dû être également cité en justice en tant qu’auteur des paroles de « Une fille en France » et être également bénéficiaire des décisions de justice italiennes ; que les décisions de justice italiennes et françaises tendent à prouver qu’il n’a été considéré que comme l’auteur des paroles de « On va s’aimer » ; que les demandes de la société Première Music Group et de MM. [W] et [R] sont donc irrecevables.
Sur ce,
La cour constate que MM. [P] et [G] ont été appelés en cause dans l’instance italienne initiale « dans leur qualités respectives », de sorte que, ainsi que l’a pertinemment relevé le tribunal judiciaire de Paris dans son jugement du 29 mai 2020, dès l’origine, M. [P] a bien été attrait et partie aux instances successives en sa double qualité de coauteur des paroles associées à la composition musicale de l’oeuvre «Une fille de France » et d’auteur des paroles associées à la composition musicale « on va s’aimer ».
Aucune irrecevabilité ne peut en conséquence être relevée de ce chef, étant au surplus observé que M. [P], en qualité de co-auteur des paroles de l’oeuvre ‘Une fille de France’ bénéficie des demandes de MM. [W], [R] et de la société Première Music Group relatives à la modification de la documentation de la Sacem et à la répartition des rémunérations qu’elle collecte.
Ce moyen d’irrecevabilité sera rejeté.
Sur la modification de la base documentaire de la SACEM et de la répartition des droits d’auteur
M. [G] prétend que, dans sa décision en date du 23 mai 2017, la cour d’Appel de Milan a estimé, concernant l’évaluation des réparations dues aux victimes de la contrefaçon, qu’il fallait procéder à un abattement de 5% au titre de l’apport reconnu à l’interprète ; qu’un raisonnement par analogie conduit nécessairement à lui accorder un pourcentage sur les rémunérations de droits d’auteurs générées postérieurement à la répartition du 5 avril 2013 par l’exploitation de l’oeuvre « On va s’aimer » ; qu’il convient donc d’infirmer le jugement du tribunal de Paris concernant la répartition des rémunérations de droits d’auteur non encore réparties par la SAEM ; que par un arrêt du 19 mai 2021, la Cour de cassation italienne a reproché aux juges du fond de n’avoir pas pris en considération « le succès différent de ces deux oeuvres sur le marché » ; que la contrefaçon ne concerne que la musique ; qu’aucun des demandeurs à l’action ne peut prétendre à de quelconques droits sur les paroles de l’oeuvre musicale « On va s’aimer » ni à aucune quote-part de rémunération de ce chef ; que la cour d’appel de Milan, saisie sur renvoi après cassation, n’a toujours pas statué de manière définitive sur le préjudice ; que la cour d’appel de Paris ne saurait à tout le moins accorder à ces derniers plus de droits que les décisions italiennes ; que par conséquent, l’oeuvre musicale « On va s’aimer » n’a pas à être radiée de la documentation de la SACEM ni enregistrée dans la documentation de la SACEM comme un titre de l’oeuvre musicale « Une fille de France ».
M. [P] soutient que le plagiat n’est que partiel, qu’en cas de contrefaçon partielle la jurisprudence refuse d’accorder à la victime de la contrefaçon l’intégralité des droits d’auteur ; que la cour d’appel de Milan n’a toujours pas statué et qu’en conséquence l’oeuvre « On va s’aimer » n’a pas à être radiée ; que MM. [W] et [R] ne disposent donc d’aucun titre pour justifier de leurs demandes.
Les sociétés Universal font valoir qu’il résulte de l’arrêt de la Cour de cassation italienne du 19 mai 2021 que les requérants ne peuvent prétendre avoir été privés que d’une partie des droits d’auteur afférents à l’oeuvre « On va s’aimer » ; que le juge français saisi sur le fondement des décisions italiennes ne saurait investir les ayants droit de l’oeuvre « Une fille de France» de la totalité des droits d’auteur afférents à l’oeuvre « On va s’aimer » ; qu’en cas de contrefaçon partielle, la jurisprudence refuse d’accorder à la victime de la contrefaçon l’intégralité des droits d’auteur produits par l’oeuvre contrefaisante ; que le juge français ne peut accueillir les demandes des requérants tant que les juridictions italiennes ne se seront pas définitivement prononcées sur la fixation du préjudice de ceux-ci ; que l’arrêt de la Cour de cassation italienne s’oppose à la confirmation du jugement déféré ; que le résultat de la procédure devant la cour de renvoi italienne est déterminant pour la liquidation du dommage jusqu’en avril 2013 mais aussi pour la détermination correcte de la répartition des futurs revenus de l’exploitation de l’oeuvre « On va s’aimer » après avril 2013 puisque les principes établis par l’arrêt de la Cour de cassation italienne doivent nécessairement avoir effet après cette date ; que sinon la société Première Music Group et MM. [W] et [R] bénéficieraient d’avantages économiques indus en profitant du succès différent des deux oeuvres ; que la SACEM devra maintenir sous séquestre toutes les sommes dérivant de l’exploitation de « On va s’aimer » non seulement jusqu’en avril 2013 mais aussi après cette période et ne procéder à aucune modification de la documentation relative à « On va s’aimer » jusqu’à la décision de la cour d’appel de renvoi ; qu’il y a donc bien lieu de distinguer entre ce qui est contrefaisant et ce qui ne l’est pas ; que le jugement doit être infirmé en ce qu’il a accueilli les demandes.
La société Première Music Group et MM. [W] et [R] font valoir que le tribunal de Milan a jugé que la chanson « On va s’aimer » est une contrefaçon de la chanson « Une fille de France » ; qu’il a interdit aux sociétés Abramo et Universal et à MM. [G] et [P] toute utilisation et exploitation de la chanson « on va s’aimer » ; que la cour d’appel de Milan a confirmé ce jugement en toutes ces dispositions ; que la Cour de cassation a rejeté le pourvoi par arrêt du 11 mai 2012 ; que la contrefaçon n’a pas été qualifiée de partielle ; que ces décisions irréversibles sont pleinement exécutoires en France ; que les décisions d’exequatur ont été signifiées à l’ensemble des parties ; que la procédure italienne encore pendante concerne seulement le quantum des dommages-intérêts antérieurs à avril 2013 ; que MM. [G] et [P] ont été condamnés à titre définitif pour plagiat ; qu’il n’y a pas lieu de distinguer le refrain des autres parties de l’oeuvre ; qu’il n’y a donc pas lieu d’attendre que les juridictions italiennes se soient prononcées sur la fixation du préjudice antérieur.
Sur ce,
Il est constant que les demandes de la société Première Music Group et de MM. [W] et [R] portent sur la modification de la documentation Sacem et de la répartition des droits d’auteur pour la période postérieure au mois d’avril 2013, et que les décisions du tribunal de Milan du 16 avril 2015, de la cour d’appel de Milan du 23 mai 2017 et de la Cour de cassation italienne du 19 mai 2021 concernent la liquidation du dommage antérieur à avril 2013 causé par la contrefaçon de l’oeuvre ‘Une fille de France’.
Il doit également être constaté que le jugement du tribunal de Milan de 2008 « déclare que la chanson « On va s’aimer » constitue un plagiat de la chanson « Une fille de France » selon les termes indiqués dans les motifs de la décision », lesquels précisent que « la demande reconventionnelle de constatation de la nature plagiaire du refrain de « On va s’aimer » est par conséquent, pleinement fondée », qu’« il y a lieu de faire également droit à la demande de réparation formulée par les défendeurs pour les dommages patrimoniaux et extra-patrimoniaux subis », et « qu’il y a lieu d’interdire à la demanderesse [la société Abramo], aux tiers appelés en la cause [H] [G] et [Z] [P], ainsi qu’à l’intervenante Universal Music Italia, toute utilisation et toute exploitation, qu’elle qu’en soit la forme et quels qu’en soient les moyens, de la chanson « On va s’aimer » ».
L’arrêt de la cour d’appel de Milan du 30 août 2010 rejette les appels principaux et les appels incidents et confirme intégralement la décision attaquée. Enfin l’arrêt de la Cour de cassation italienne du 15 juin 2012, après avoir notamment relevé qu’ « aucun des pourvois (principal et incident) ne critique l’appréciation de la cour d’appel selon laquelle le refrain doit être considéré comme élément caractéristique aux fins d’évaluation du plagiat », que « cette décision doit par conséquent être considérée comme définitive et ayant force de chose jugée. Dès lors il convient de remarquer que la constatation du plagiat doit se référer exclusivement aux aspects qui concernent le refrain et non pas aux oeuvres musicales dans leur intégralité », a rejeté le pourvoi principal de MM. [G] et [P] et les pourvois incidents.
Les décisions des juridictions italiennes, qui n’ont donc pas retenu une contrefaçon partielle contrairement à ce que prétendent les sociétés Universal et MM. [G] et [P], mais ont jugé que la chanson « On va s’aimer » constitue un plagiat de la chanson « Une fille de France » sans le limiter à la composition musicale desdites chansons, qui ont fait droit à la demande reconventionnelle formulée par la société Première Music Group et MM. [W] et [R] à l’encontre des sociétés Abramo, Universal Music Italia et MM. [G] et [P], sans distinction, les condamnant dans leurs qualités respectives à la réparation des préjudices moraux et patrimoniaux de l’ensemble des demandeurs reconventionnels y compris M. [R], co-auteur des paroles de la chanson « Une fille de France », sont devenues irrévocables.
En conséquence, la circonstance que la décision de la cour d’appel de Milan statuant par arrêt du 23 mai 2017 uniquement sur la liquidation du préjudice résultant des actes de contrefaçon invoqués jusqu’en avril 2013 a été partiellement cassée, notamment s’agissant de la minoration de la restitution des bénéfices réalisés par le contrefacteur devant tenir compte des frais supportés par celui-ci et de la contribution propre au succès de l’oeuvre dépendant de la notoriété de l’interprète, est étrangère au présent litige qui concerne la modification de la documentation de la Sacem et la répartition des rémunérations de droits d’auteur après le mois d’avril 2013 résultant de la reconnaissance devenue irrévocable du caractère contrefaisant de l’oeuvre musicale ‘On va s’aimer’ et de l’interdiction de toute utilisation et exploitation faite en conséquence à ses ayants droit.
Dès lors, MM. [G] et [P] et les sociétés Universal ne peuvent bénéficier des revenus générés par l’oeuvre contrefaisante « On va s’aimer », et partant contester utilement le jugement du 29 mai 2020 qui a justement retenu que les demandes de modification de la base documentaire de la Sacem formées par MM. [W] et [R] ainsi que par la société Première Music Group étaient fondées, les premiers juges ayant également pertinemment relevé que les droits d’artiste-interprète de M. [G] sur l’oeuvre ‘On va s’aimer’ sont sans incidence, le litige se limitant à la modification de la documentation de la Sacem et à la répartition des rémunérations qu’elle collecte, étant enfin rappelé que M. [P], en qualité de co-auteur des paroles de l’oeuvre ‘Une fille de France’ bénéficie des demandes de MM. [W] et [R] ainsi que de la société Première Music Group relatives à la modification de la documentation de la SACEM et à la répartition des rémunérations y afférentes.
Il convient en conséquence de faire droit aux demandes formées par MM. [W] et [R] et par la société Première Music Group, et de débouter MM. [G] et [P] et les sociétés Universal de toutes leurs demandes, en ce compris la demande de cette dernière de restitution des sommes versées en exécution de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 10 décembre 2022.
Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
Par arrêt rendu par défaut,
Statuant dans les limites de la cassation partielle,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute les sociétés Universal Music Italia et Universal Music Publishing de leur demande de restitution à la SACEM des droits d’auteur provenant de l’exploitation de l’oeuvre « On va s’aimer » versés à la société Première Music Group et à MM. [N] [W] et [K] [R] en exécution de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 10 décembre 2022 ;
Condamne MM. [H] [G] et [Z] [P] et les sociétés Universal Music Italia et Universal Music Publishing in solidum aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile, et vu l’article 700 du code de procédure civile, les condamne in solidum à verser à ce titre, les sommes de 4 000 euros à M. [N] [W], de 4 000 euros à M. [K] [R] et de 4 000 euros à la société Première Music Group.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,