Oeuvres d’Art : 23 mai 2023 Cour d’appel de Reims RG n° 22/01253

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Oeuvres d’Art : 23 mai 2023 Cour d’appel de Reims RG n° 22/01253
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23 mai 2023
Cour d’appel de Reims
RG n°
22/01253

ARRET N°

du 23 mai 2023

R.G : N° RG 22/01253 – N° Portalis DBVQ-V-B7G-FGFT

[L]

c/

S.A.R.L. FONCIERE CHAMPENOISE

AL

Formule exécutoire le :

à :

la SELAS ACG & ASSOCIES

la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE- SECTION INSTANCE

ARRET DU 23 MAI 2023

APPELANT :

d’un jugement rendu le 26 avril 2022 par le Juge des contentieux de la protection de Chalons-en-Champagne

Monsieur [F] [C] [L]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représenté par Me Gérard CHEMLA de la SELAS ACG & ASSOCIES, avocat au barreau de REIMS, Me Olivier BEAUGRAND, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

S.A.R.L. FONCIERE CHAMPENOISE

[Adresse 5]

[Localité 6]

Représentée par Me Jean-baptiste DENIS de la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER DAILLENCOURT, avocat au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

M. Benoît PETY, président de chambre

Mme Anne LEFEVRE, conseiller

Mme Christel MAGNARD, conseiller

GREFFIER :

Madame Lucie NICLOT, greffier

DEBATS :

A l’audience publique du 11 avril 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 23 mai 2023,

ARRET :

Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 23 mai 2023 et signé par M. Benoît PETY, président de chambre, et Madame Lucie NICLOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Par acte sous seing privé du 1er juillet 2018, Mme [D] [K] a donné à bail à M. [F] [C] [L] des locaux à usage d’habitation sis [Adresse 8] à [Localité 10] (Marne), moyennant un loyer mensuel de 400 euros.

Le 9 octobre 2020, la société Foncière Champenoise, SARL, venant aux droits de Mme [K] selon jugement d’adjudication du 4 février 2020, a donné congé pour vendre au 30 juin 2021 à minuit à M. [L].

Par acte d’huissier du 13 avril 2021, elle a fait assigner M. [L] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne en résiliation du bail, expulsion.

Lors de l’audience du 15 février 2022, la société Foncière Champenoise a sollicité :

– la validation du congé du 9 octobre 2020,

– la résiliation du bail à effet du 30 juin 2021 à minuit,

– l’expulsion de M. [L],

– sa condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation de 400 euros par mois à compter du 1er juillet 2021 jusqu’à complète libération des lieux,

– le rejet des prétentions adverses,

– la condamnation de M. [L] aux dépens et au paiement d’une indemnité de 2 500 euros pour frais irrépétibles.

M. [L] a demandé le rejet des prétentions adverses, ainsi que la condamnation de la société Foncière Champenoise :

– au paiement des sommes suivantes :

4 400 euros au titre du préjudice résultant du changement des serrures,

52 735 euros au titre du préjudice matériel,

5 000 euros au titre du préjudice moral,

6 800 euros au titre du préjudice de jouissance pour indécence des lieux loués,

1 000 euros pour défaut de raccordement à internet et aux lignes téléphoniques,

– à l’exécution, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, des travaux de :

. mise aux normes de l’électricité,

. changement des prises,

. remplacement du système de chauffage,

. remède aux infiltrations et à l’humidité dans le logement,

– avec suspension de l’obligation au paiement des loyers jusqu’à réalisation des travaux,

– au paiement d’une somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que des dépens.

Le jugement du 26 avril 2022 a, sous exécution provisoire de droit :

– validé le congé délivré le 9 octobre 2020 à M. [L],

– dit que M. [L] est devenu occupant sans droit ni titre depuis le 1er juillet 2021,

– ordonné la libération des locaux et la restitution de toutes les clés du logement à compter de la signification du jugement, sous peine d’expulsion,

– condamné M. [L] à payer à la société Foncière Champenoise une indemnité d’occupation

mensuelle égale au montant du loyer et des charges (indexation incluse) du 1er juillet 2021 jusqu’à libération effective et définitive des lieux,

– condamné la société Foncière Champenoise à payer à M. [L] la somme de 1 200 euros au titre du préjudice résultant du changement de serrures,

– condamné la société Foncière Champenoise à payer à M. [L] la somme de 6 800 euros au titre du préjudice de jouissance résultant de l’indécence des lieux loués,

– débouté les parties de leurs autres demandes,

– rejeté leurs prétentions sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– laissé à chaque partie la charge des dépens respectivement exposés.

Le 9 juin 2022, M. [L] a fait appel de cette décision en toutes ses dispositions.

Par conclusions du 9 septembre 2022, il demande à la cour de l’infirmer dans son intégralité à l’exception du principe de la condamnation du bailleur au titre du préjudice de jouissance résultant de l’indécence des lieux loués, afin de :

– juger nul le congé délivré le 9 octobre 2020,

– débouter la société Foncière Champenoise de sa demande en résiliation du bail,

– la débouter de ses demandes d’expulsion des lieux loués, de condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation de 400 euros par mois, d’une indemnité pour frais irrépétibles et des dépens,

– la condamner au paiement des sommes suivantes :

4 400 euros au titre du préjudice de M. [L] pour changement des serrures,

52 735 euros au titre de son préjudice matériel,

5 000 euros au titre de son préjudice moral,

15 000 euros au titre du préjudice de jouissance, actualisé, pour indécence des lieux loués,

1 000 euros au titre du défaut de raccordement à internet et aux lignes téléphoniques,

– condamner la société Foncière Champenoise à exécuter les travaux ci-après, pour remédier à l’indécence des lieux :

. mise aux normes de l’électricité,

. changement de prises,

. remplacement du système de chauffage,

. travaux pour remédier aux infiltrations et à l’humidité dans la maison,

ce, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du prononcé de l’arrêt,

– suspendre l’obligation de paiement du loyer dans l’attente de la réalisation desdits travaux, à compter du 4 février 2020,

– en toutes hypothèses, condamner la société Foncière Champenoise aux dépens et au paiement d’une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Selon écritures du 5 décembre 2022, la société Foncière Champenoise conclut :

– à la confirmation du jugement en ce qu’il valide le congé pour vendre, prononce la résiliation du bail à effet du 30 juin 2021 à minuit, prononce l’expulsion des lieux, condamne M. [L] à verser une indemnité d’occupation de 400 euros à compter du 1er juillet 2021 et le déboute du reste de ses demandes,

– à l’infirmation du jugement du chef du préjudice résultant du changement de serrure et du préjudice de jouissance,

– au débouté de l’intégralité des prétentions de M. [L],

– à sa condamnation au paiement d’une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– à sa condamnation aux dépens de première instance et d’appel.

L’instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 21 mars 2023.

Motifs de la décision :

Sur la demande de M. [L] concernant l’application de la loi du 6 juillet 1989 :

La loi n°89-462 du 6 juillet 1989 comporte un titre Ier ‘Des rapports entre bailleurs et locataires’, dont l’article 2 prévoit : ‘Les dispositions du présent titre sont d’ordre public. Le présent titre s’applique aux locations de locaux à usage d’habitation ou à usage mixte professionnel et d’habitation, et qui constituent la résidence principale du preneur, ainsi qu’aux garages, aires et places de stationnement, jardins et autres locaux, loués accessoirement au local principal par le même bailleur. La résidence principale est entendue comme le logement occupé au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, soit par le preneur ou son conjoint, soit par une personne à charge au sens du code de la construction et de l’habitation.’

Selon l’article 15 II de ladite loi, ‘Lorsqu’il est fondé sur la décision de vendre le logement, le congé doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente projetée. Le congé vaut offre de vente au profit du locataire : l’offre est valable pendant les deux premiers mois du délai de préavis (…). A l’expiration du délai de préavis, le locataire qui n’a pas accepté l’offre de vente est déchu de plein droit de tout titre d’occupation sur le local.’

L’article 15 III précise : ‘Le bailleur ne peut s’opposer au renouvellement du contrat en donnant congé (…) à l’égard de tout locataire âgé de plus de 65 ans et dont les ressources annuelles sont inférieures à un plafond de ressources en vigueur pour l’attribution des logements locatifs conventionnés fixé par arrêté du ministre chargé du logement, sans qu’un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités lui soit offert dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948″ L’âge du locataire est apprécié à la date d’échéance du contrat. Le montant de ses ressources est apprécié à la date de notification du congé.

M. [L] fait valoir que l’occupation effective par le locataire s’apprécie, selon une jurisprudence constante, à la date pour laquelle le congé a été donné, et qu’à cette date les locaux du [Adresse 8] à [Localité 10] constituaient sa résidence principale, de sorte que le bail a été automatiquement renouvelé en vertu de l’article 15 III précité, sans que la société Foncière Champenoise puisse s’y opposer.

La bailleresse soutient que la résidence principale de M. [L] se situait au [Adresse 3] à [Localité 7] lors de la délivrance du congé, ce qui l’empêche de se prévaloir des dispositions dudit article 15 III.

Il est constant que les dispositions de la loi du 6 juillet 1989 ne sont pas applicables à un local à usage d’habitation qui n’est pas affecté à l’habitation principale du preneur lors de la délivrance du congé. Il appartient au locataire qui invoque le bénéfice des prérogatives légales d’établir la réalité de l’habitation à titre de résidence principale à la date de l’effet du congé, c’est-à-dire au 30 juin 2021.

M. [L] verse aux débats, notamment :

– un avis de situation déclarative établi le 13 mai 2021 et une taxe d’habitation 2021 (exonération totale) à l’adresse de [Localité 10].

– un bail commercial daté du 22 octobre 2015 concernant les locaux du [Adresse 3] à [Localité 7], lesquels se composent d’une boutique et d’une arrière-boutique consacrées à la vente d’épicerie fine, confiserie, café, thé, crêpes, glaces, souvenirs, photo, prêt-à-porter, sans qu’aucune cuisine ou cuisson puisse être effectuée sur place.

– une liste de meubles présents dans la maison louée, établie par Mme [K], première propriétaire des lieux, le 30 octobre 2020.

– des factures justifiant de l’occupation de la maison : facture Orange du 13 octobre 2020, facture d’eau pour l’année 2021 (93,66 euros), factures EDF de janvier à décembre 2020 et de février à octobre 2021 (dont les montants évoluent de 41 euros en moyenne en 2020 à 61 euros en moyenne en 2021).

– une attestation d’assurance habitation auprès de Luxior Assurances intégrant l’assurance responsabilité civile liée à la résidence principale, valable du 12 juin 2020 au 12 juin 2021. Les dispositions particulières du contrat précise qu’il s’agit de la résidence principale du locataire occupant, pour une inhabitation inférieure à 90 jours par an (pièce n° 30).

– un constat d’huissier de justice dressé le 14 mai 2020 en présence de M. [T], représentant la société adjudicataire de l’immeuble, qui fait état d’une maison fermée, dont M. [T] a fait changer les serrures, qu’il a fait vider de tous meubles et nettoyer, ainsi que le jardin, en vue d’une revente future. Le constat précise que M. [L] demande que les clés lui soient restituées, ainsi que le matériel emporté, notamment du matériel ancien de photographie et de projection. Le jour du constat, M. [T] a rapporté 7 cartons et 3 caisses de ce matériel, outre de la vaisselle et quelques objets, mais il refuse de donner les nouvelles clés à M. [L].

– le témoignage de M. [X] du 21 octobre 2021, selon lequel lui-même et M. [L] ont le projet de créer un musée technique de la photographie et, dans cette perspective, se sont établis à 35 km l’un de l’autre, l’un à [Localité 10], l’autre à [Localité 9] en Seine-et-Marne. M. [L] comptait faire de la maison litigieuse son atelier pour réparer des appareils anciens, transmettre progressivement son magasin de photographies parisien à M. [H] [U] et se consacrer au projet de musée. La vente de l’immeuble marnais à la société Foncière Champenoise, pressée de vider les lieux pour les revendre, a contraint M. [L] à loger chez M. [X] de mars à août 2020. Il a ensuite dû se rendre régulièrement chez son ami pour de longues journées de travail (réponse aux enchères en ligne, réparation d’appareils, dont certains pour la vente, d’autres pour la collection), dans la mesure où le bailleur refusait d’installer une bonne connection informatique à [Localité 10], de sorte que M. [L] passait alors les nuits et les week-ends dans les lieux loués (pièce n°17).

– le témoignage de M. [H] [U] du 30 novembre 2021, qui expose avoir été embauché et formé par M. [L], spécialiste de la technique argentique, qui lui a laissé peu-à-peu gérer la boutique parisienne, pour se consacrer à l’achat de matériel et à la réparation à distance, ne tenant plus la boutique que les samedis. Le témoin précise que M. [L] souhaite, depuis longtemps, consacrer ses vieux jours à la création d’un musée de la photographie argentique (pièce n°24).

La société Foncière Champenoise s’appuie, quant à elle, notamment sur les pièces ci-après :

– la lettre recommandée avec avis de réception de notification de la vente sur adjudication adressée le 17 janvier 2020 par l’avocat du créancier à M. [L] à [Adresse 8], et retournée avec la mention ‘destinataire inconnu à l’adresse’ (pièce n° 5 du bailleur et n°10 de M. [L]).

– un procès-verbal descriptif du bien daté du 17 mai 2019, lors duquel M. [L] déclare habiter [Adresse 3] à [Localité 7]. L’huissier note que ‘la maison n’est de toute évidence pas habitée, malgré un encombrement notamment du sous-sol (…) et un ameublement sommaire. Les portes sont visiblement peu ouvertes à en voir les toiles d’araignées et les poussières et végétation qui s’accumulent devant.’

– un courriel de M. [L] à M. [T], daté du 14 mai 2020, dans lequel il indique : ‘Mon médecin m’a vivement enjoint de m’éloigner un temps de [Localité 7] et de quitter le petit studio que j’occupe avec ma compagne.’

– les témoignages des personnes ayant vidé la maison pour le compte de la société Foncière Champenoise, qui font état de ‘beaucoup de verre cassé, tout en vrac’, d’une maison ouverte, avec un carreau de porte cassé, complètement désordonnée, donnant l’impression d’avoir été visitée.

– les attestations de voisins, des 3 et 17 juin 2020, selon lesquels, depuis l’annonce de la vente aux enchères, ‘le portail était régulièrement ouvert et il y avait des allées et venues. J’ai pensé qu’il s’agissait du locataire ou du propriétaire qui vidait la maison’. Un autre voisin décrivant les ‘multiples péripéties’ connues par cette maison : entièrement close avec quelques apparitions furtives, investie par la gendarmerie, mise sous scellés, ensuite réouverte à tous vents de nombreux mois (volets et fenêtres béants), puis réoccupée mais inhabitée régulièrement.

– le procès-verbal de signification du congé pour vente du 9 octobre 2020, remis à la personne de M. [L] demeurant [Adresse 4].

– un extrait Kbis au 22 août 2022 de la SAS Arc-en-Ciel, immatriculée le 13 janvier 2021, ayant pour activités les photographies, présidée par M. [H] [U], dont M. [L] est directeur général (domicilié au [Adresse 2] à [Localité 7]), et dont l’établissement se trouve au [Adresse 1] à [Localité 7].

Il appartient à M. [L], pour bénéficier de la protection de l’article 15, III de la loi du 6 juillet 1989, d’établir qu’il a eu pour résidence principale la maison de [Localité 10] au moins huit mois sur l’année précédant le 1er juillet 2021, selon les dispositions des textes précités.

Il résulte des documents cités que M. [L] n’a pu occuper les lieux loués de mars à août 2020, ceux-ci ayant été entièrement vidés par le nouveau propriétaire, mais qu’il y vit effectivement depuis septembre 2020, tout en allant travailler en journée chez M. [X], ce qui caractérise une occupation de 10 mois jusqu’à juin 2021 inclus. En effet, les pièces versées par le bailleur intéressent, pour l’essentiel, une période antérieure à la période utile, ou postérieure à celle-ci s’agissant du dernier document cité.

M. [L], né le 17 mai 1943, était âgé de 78 ans à la date du 30 juin 2021. Au jour de la notification du congé, 9 octobre 2020, il percevait un revenu annuel de 5 146 euros (selon l’avis d’impôt sur les revenus de 2020, pièce n°29), alors que le plafond des ressources pour un foyer d’une personne, à respecter au 1er janvier 2020, était de 20 870 euros selon l’arrêté du 26 décembre 2019.

En conséquence, en raison de son âge et de ses ressources, M. [L] était un locataire protégé auquel la société Foncière Champenoise ne pouvait donner congé sans lui offrir, dans les limites géographiques prévues à l’article 13 bis de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948, un logement correspondant à ses besoins et à ses possibilités. Par suite, le bailleur ne peut s’opposer au renouvellement du bail et le congé délivré le 9 octobre 2020 est nul.

Le jugement entrepris est donc réformé de ce chef, ainsi qu’en ce qu’il ordonne la libération des locaux par M. [L], l’expulsion de celui-ci et sa condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation.

Sur les demandes en indemnisation formées par M. [L] :

Au titre du préjudice résultant du changement des serrures

L’article 1719 du code civil dispose : ‘Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière :

1° de délivrer au preneur la chose louée et, s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent. (…)

3° d’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail’.

La société Foncière Champenoise a changé les serrures du logement en mars 2020, puisque la facture du serrurier est datée du 18 mars 2020. Selon le jugement déféré, il est acquis que les nouvelles clés ont été transmises au preneur le 11 juin 2020.

Le premier juge a exactement apprécié que le préjudice souffert de ce fait devait être évalué à trois mois de loyers, soit 1 200 euros.

Au titre du préjudice matériel et du préjudice moral :

La société Foncière Champenoise a fait vider la maison de tous les meubles et objets personnels qui la contenaient. Les photographies du procès-verbal descriptif du 19 mai 2019 révèlent qu’une vingtaine de cartons encore emballés étaient entreposés dans la maison, tandis que le procès-verbal du 14 mai 2020 constate la restitution par M. [T] d’un sac, de 7 cartons et de 3 caisses. Les personnes de l’Association Chlorophylle intervenues pour vider la maison soulignent son état ‘complètement désordonné’, comme si elle ‘avait été visitée (beaucoup de verre cassé, tout en vrac)’. Ils précisent que la plupart des objets ont été portés à la déchetterie, car ‘rouillé, hors d’usage, cassé’, et que ‘ce qui restait de valeur a été stocké pour éventuellement le donner à nos salariés’, puis a été rendu après que M. [T] a alerté l’association. M. [R] atteste notamment de ce qu’il n’a vu ni alliance, ni bijoux, ni oeuvre d’art ou feuille d’or, et MM. [J] et [O] confirment ses dires (ces trois personnes ont débarrassé la maison).

L’énumération fournie par M. [L] ne peut suffire à établir la contenance de la maison. La liste dressée par Mme [K] correspond aux objets du quotidien dont la valeur vénale est très faible (électroménager, vaisselle, draps…). Il est toutefois certain que le logement était pourvu de quelques meubles utilisables et d’objets ayant une valeur sentimentale. En outre, la disparition totale et inattendue de l’équipement et de la décoration de sa maison a nécessairement affecté M. [L]. Ce dernier communique deux certificats médicaux : celui daté du 10 juin 2021 d’un ophtalmologiste constate une occlusion de la veine temporale de la rétine de l’oeil droit liée à ‘un contexte de stress violent’, l’autre certificat fait suite à la consultation du 16 juin 2021 par un docteur en psychologie clinique, qui relève des crises de larmes, pensées répétitives, retour anarchique de souvenirs ramenant le patient vers un traumatisme, avec des manifestations psychosomatiques telles qu’une occlusion de la veine temporale de la rétine et une perte de poids, éléments ‘apparus à la suite de l’éviction de sa maison et de la perte de ses effets personnels’.

Les éléments exposés permettent d’apprécier aux sommes respectives de 5 000 euros et 2 000 euros les préjudices matériel et moral soufferts par M. [L]. La décision combattue est réformée sur ces points.

Au titre du préjudice de jouissance pour indécence des lieux loués

Par application de l’article 6 de la loi 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, en sa rédaction applicable au bail :

« Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, répondant à un critère de performance énergétique minimale et doté des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation. Un décret en Conseil d’Etat définit le critère de performance énergétique minimale à respecter et un calendrier de mise en ‘uvre échelonnée (…).

Le bailleur est obligé :

a) De délivrer au locataire le logement en bon état d’usage et de réparation ainsi que les équipements mentionnés au contrat de location en bon état de fonctionnement (…) ;

b) D’assurer au locataire la jouissance paisible du logement et, sans préjudice des dispositions de l’article 1721 du code civil, de le garantir des vices ou défauts de nature à y faire obstacle hormis ceux qui, consignés dans l’état des lieux, auraient fait l’objet de la clause expresse mentionnée au a ci-dessus ;

c) D’entretenir les locaux en état de servir à l’usage prévu par le contrat et d’y faire toutes les réparations, autres que locatives, nécessaires au maintien en état et à l’entretien normal des locaux loués (…)’

L’article 2 du décret n°2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent prévoit que:

« Le logement doit satisfaire aux conditions suivantes, au regard de la sécurité physique et de la santé des locataires:

1. Il assure le clos et le couvert. Le gros ‘uvre du logement et de ses accès est en bon état d’entretien et de solidité et protège les locaux contre les eaux de ruissellement et les remontées d’eau. Les menuiseries extérieures et la couverture avec ses raccords et accessoires assurent la protection contre les infiltrations d’eau dans l’habitation (…) .

2. Il est protégé contre les infiltrations d’air parasites. Les portes et fenêtres du logement ainsi que les murs et parois de ce logement donnant sur l’extérieur ou des locaux non chauffés présentent une étanchéité à l’air suffisante. Les ouvertures des pièces donnant sur des locaux annexes non chauffés sont munies de portes ou de fenêtres. Les cheminées doivent être munies de trappes (…);

3. Les dispositifs de retenue des personnes, dans le logement et ses accès, tels que garde-corps des fenêtres, escaliers, loggias et balcons, sont dans un état conforme à leur usage;

4. La nature et l’état de conservation et d’entretien des matériaux de construction, des canalisations et des revêtements du logement ne présentent pas de risques manifestes pour la santé et la sécurité physique des locataires;

5. Les réseaux et branchements d’électricité et de gaz et les équipements de chauffage et de production d’eau chaude sont conformes aux normes de sécurité définies par les lois et règlements et sont en bon état d’usage et de fonctionnement;

6. Le logement permet une aération suffisante. Les dispositifs d’ouverture et les éventuels dispositifs de ventilation des logements sont en bon état et permettent un renouvellement de l’air et une évacuation de l’humidité adaptés aux besoins d’une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements;

7. Les pièces principales, au sens du troisième alinéa de l’article R. 111-1 du code de la construction et de l’habitation, bénéficient d’un éclairement naturel suffisant et d’un ouvrant donnant à l’air libre ou sur un volume vitré donnant à l’air libre. »

La Direction de la Solidarité Départementale de la Marne a procédé à une évaluation de l’état du logement le mercredi 19 janvier 2022, qui aboutit aux constats suivants (pièce n°28) :

– les installation électriques sont très dangereuses et vétustes. La plupart des prises ne fonctionnent pas. De ce fait, M. [L] a installé plusieurs spots dans différentes pièces pour prétendre à un éclairage. Plusieurs rallonges et de nombreuses prises multiples sont branchées. Il existe un fort risque d’incendie.

Le compteur est vétuste et hors norme (sans différentiel). M. [L] coupe le compteur dès qu’il quitte le logement, même pour quelques heures, car il craint un incendie.

La chaudière n’est pas fonctionnelle. M. [L] ne peut accéder à la cuve et être fourni en fuel. Ainsi les radiateurs fixes ne sont pas utilisés, d’où les nombreux chauffages d’appoint dans chaque pièce de la maison. Le ballon d’eau chaude est défectueux et plein de calcaire, de sorte que M. [L] n’a pas d’eau chaude.

– les fenêtres ne présentent pas de système de ventilation et sont en simple vitrage.

– le papier peint de la cuisine et de la salle-à-manger se décolle. Les deux chambres sont humides et leur peinture s’écaille.

Par courrier du 7 juin 2022 (pièce n°32), l’Agence Régionale de Santé Grand Est, suite à une inspection à domicile du 2 mai 2022, relève des désordres et en donne connaissance à M. [L] et au maire de [Localité 10] pour qu’il prescrive au propriétaire des travaux de mise en conformité, à savoir :

– mise en sécurité de l’installation électrique avec fourniture d’une attestation par un professionnel qualifié,

– installation des ventilations réglementaires pour assurer le renouvellement permanent de l’air dans l’ensemble du logement,

– pose des ventilations réglementaires dans les pièces de service,

– mise à disposition d’un moyen de chauffage suffisant et sécurisé, adapté aux caractéristiques du logement et notamment à l’isolation.

A l’évidence, de tels désordres ne relèvent pas d’un défaut d’entretien du locataire, comme le prétend la société Foncière Champenoise, mais d’installations d’électricité, de chauffage et de ventilation inadaptées, absentes ou dangereuses. M. [L] en subissant les effets depuis plusieurs années, il convient de fixer à 8 000 euros le préjudice actualisé souffert de ce fait, que le juge des contentieux de la protection avait évalué en avril 2022 à 6 800 euros.

En outre, la cour condamne la société Foncière Champenoise à exécuter les travaux propres à remédier à l’indécence des lieux, à savoir :

– mise aux normes de l’électricité,

– changement des prises,

– remplacement du système de chauffage,

– travaux pour remédier à l’humidité de la maison, par la pose de ventilations règlementaires.

Et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, passé deux mois à compter de la signification du présent arrêt.

En outre, le montant du loyer doit être réduit de moitié dans l’attente de la réalisation desdits travaux, à compter du prononcé du présent arrêt.

M. [L] est débouté de sa demande en exécution de travaux ‘afin de remédier aux infiltrations’, dans la mesure où les documents produits ne font aucunement état de désordres de ce type dans l’habitation.

Au titre du défaut de raccordement à internet et aux lignes téléphoniques

Par courrier daté du 13 janvier 2021, l’avocat de M. [L] demande à la société Foncière Champenoise d’autoriser l’intervention des services d’Orange ou de tout autre opérateur pour qu’il soit procédé à un raccordement effectif au réseau internet et aux travaux correspondants, et ce au titre de la jouissance paisible des lieux.

Par lettre datée du 20 janvier 2021, l’avocat de la société Foncière Champenoise répond à M. [L] que la bailleresse est parfaitement d’accord avec un raccordement internet de l’immeuble, qu’aucun refus n’a été opposé au locataire et qu’elle prendra en charge les frais de raccordement et d’installation depuis la voie publique jusqu’à l’immeuble.

Par ailleurs, M. [L] produit copie d’un courrier qu’il aurait adressé au service client d’Orange le 3 mai 2021, pour se plaindre de ce que le technicien mandaté le 26 octobre 2020 avait invoqué la nécessité de changer tous les cables, ce qui nécessitait l’approbation du propriétaire, lequel aussitôt contacté téléphoniquement s’y était opposé, alors que le changement total de l’installation n’est nullement requis, techniquement, en l’espèce. M. [L] communique également l’attestation déjà évoquée de M. [X], qui fait état d’un refus du propriétaire d’actualiser la ligne pour permettre une ‘bonne connection informatique’ (pièces n° 23 et 17).

Les pièces citées n’établissent pas la réalité d’un raccordement inexistant ou insuffisant à internet, les parties s’opposant à cet égard sans produire de document explicite sur la difficulté rencontrée par le locataire. Partant, le jugement est confirmé en ce qu’il déboute M. [L] de sa demande en indemnisation du préjudice résultant d’une connection incorrecte.

Sur les autres demandes :

M. [L] est reconnu fondé pour l’essentiel en ses positions. La société Foncière Champenoise est dès lors condamnée à supporter les dépens de première instance et d’appel.

Dans ces conditions, l’équité commande de condamner en outre la société Foncière Champenoise à payer à M. [L] une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

 


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