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20 septembre 2022
Cour d’appel d’Angers
RG n°
21/02359
COUR D’APPEL
D’ANGERS
CHAMBRE A – CIVILE
LE/IM
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 21/02359 – N° Portalis DBVP-V-B7F-E5CR
Ordonnance du 27 Septembre 2021
Juge de la mise en état d’ANGERS
n° d’inscription au RG de première instance 20/00392
ARRET DU 20 SEPTEMBRE 2022
APPELANTE :
Madame [Z] [N] veuve [X] agissant à titre personnel et ès qualités d’ayant-droit d'[F] [X]
née le 01 Avril 1961 à [Localité 9]
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Olivier PFLIGERSDORFFER, avocat postulant au barreau d’ANGERS, et Me Julia LAMBERTINI substituant Me Dimitri PINCENT, avocat plaidant au barreau de PARIS
INTIMEES :
E.U.R.L. ARENES FINANCE agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 5]
S.A. MMA IARD agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentées par Me Marion BARRE substituant Me Philippe LANGLOIS de la SCP ACR AVOCATS, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 71220023, et Me GOZLAN substituant Me Arnaud PERICARD, avocat plaidant au barreau de PARIS
S.A. CNA INSURANCE COMPANY (EUROPE) prise en la personne de son représentant légal domiclié en cette qualité au siège
[Adresse 6]
[Localité 8]
Représentée par Me Florent DELORI de la SCP OUEST DEFENSE & CONSEIL, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 2003023, et Me SAYBAK substituant Me Marie-Claire QUETTIER, avocat plaidant au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue publiquement à l’audience du 23 Mai 2022 à 14 H 00, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme ELYAHYIOUI, Vice-présidente placée, qui a été préalablement entendue en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame MULLER, Conseiller faisant fonction de Président
Monsieur BRISQUET, Conseiller
Madame ELYAHYIOUI, Vice-présidente placée
Greffière lors des débats : Madame LEVEUF
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 20 septembre 2022 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MULLER, Conseiller faisant fonction de Président, et par Christine LEVEUF, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
Les époux [F] [X] – [Z] [N] ont souscrit le 24 avril 2009 auprès de la société Arènes Finance, conseiller en gestion de patrimoine (ci-après le CGP), gérée par M. [V] [B], un placement dit Aristophil à hauteur de 700.000 euros portant sur l’acquisition, par le biais d’un contrat de vente de parts indivises (Coraly’s) d’une collection d’oeuvres intitulée ‘Les Grandes Signatures II’ d’une valeur estimée à 10.000.000 euros.
À l’issue d’une période de cinq ans, les époux [F] [X] – [Z] [N] ont été avisés que leur placement avait généré une plus-value de 280.000 euros portant leur capital à 980.000 euros. Ils ont perçu la somme de 215.300 euros après déduction fiscale et ont prorogé parallèlement leur souscription Aristophil le 07 mai 2014 à hauteur de 750.000 euros par l’acquisition en indivision (Coraly’s) de parts dans la collection ‘Grandes Pensées, Illustres Personnages’ d’une valeur estimée à 8.500.000 euros (à hauteur de 300.000 euros) et dans la collection ‘Novembre – Le Manuscrit de Flaubert’ d’une valeur estimée à 3.000.000 euros (à hauteur de 150.000 euros) ainsi que dans l’acquisition en propriété (contrat de vente Amadeus) de la collection ‘Les Grands Peintres’ pour sa valeur estimée à 300.000 euros.
Après communication au cours de l’année 2014 d’un procès-verbal de la Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) sur la société Aristophil, une enquête préliminaire a été ouverte, avant que les investigations ne se poursuivent dans le cadre d’une information judiciaire à compter de mars 2015. Par la suite et le 16 févier 2015, cette société, présidée par M. [R] [O], a été placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Paris procédure convertie en liquidation judiciaire le 5 août 2015.
M. [F] [X] est décédé le 11 décembre 2019.
Faisant valoir que le CGP avait manqué à son obligation d’information quant aux caractéristiques essentielles du placement Aristophil, quant à l’opportunité de ce placement au regard de leurs attentes et quant à l’évolution du marché ainsi que concernant le niveau de risque de ce placement, Mme [Z] [N] veuve [X], agissant en son nom propre et ès qualités d’ayant droit de son époux décédé, a fait assigner devant le tribunal judiciaire d’Angers, par exploits des 10, 13 et 14 février 2020, la société Arènes Finance, la société MMA IARD en tant qu’assureur responsabilité civile professionnelle de celle-ci et la société CNA Insurance Company (Europe) en tant qu’assureur responsabilité civile professionnelle concernant la commercialisation du produit Aristophil pour solliciter, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
– la condamnation in solidum des défenderesses à :
– réparer le préjudice de perte de chance de ne pas souscrire le contrat litigieux en lui versant la somme de 315.400 euros à titre de dommages et intérêts, outre intérêt légal à compter du 16 décembre 2019 (date de la mise en demeure faite à la société Arènes Finance de formuler une proposition indemnitaire) et capitalisation des intérêts,
– réparer le préjudice de perte de chance de faire fructifier le capital investi dans Aristophil dans un produit d’épargne plus avantageux en lui versant une somme de 115.500 euros à titre de dommages et intérêts, outre intérêt légal à compter du 16 décembre 2019 et capitalisation des intérêts,
– la condamnation des défenderesses à réparer le préjudice moral par elle subi en lui versant une somme de 10.000 euros de dommages et intérêts,
– la condamnation des deux compagnies d’assurances à garantir les condamnations prononcées à l’encontre de leur assurée,
– la condamnation in solidum des défenderesses à lui verser une somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens.
Les sociétés Arènes Finance, MMA IARD et CNA Insurance Company ont saisi le juge de la mise en état de conclusions d’incident aux fins de constatation de la prescription de l’action engagée par Mme [N] veuve [X].
Par ordonnance du 27 septembre 2021, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d’Angers a :
– déclaré prescrite l’action de Mme [Z] [X] à l’encontre de la société Arènes Finance, de la société MMA IARD et de la CNA Insurance Company,
– débouté d’une part la société Arènes Finance et la société MMA IARD, d’autre part la CNA Insurance Company de leurs demandes respectives d’indemnité fondée sur l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamné Mme [Z] [X] aux dépens de l’instance.
Par déclaration déposée au greffe de la cour le 5 novembre 2021, Mme [N] veuve [X] a interjeté appel de cette décision en ses dispositions déclarant son action prescrite et la condamnant aux dépens.
Le 13 janvier 2022, les parties ont été avisées de la fixation de l’audience de plaidoiries au 23 mai 2022 avec ordonnance de clôture prononcée au 27 avril de la même année, calendrier qui sera respecté.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures déposées le 19 avril 2022, Mme [N] veuve [X] demande à la présente juridiction de :
– infirmer l’ordonnance rendue le 27 septembre 2020 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d’Angers en ce qu’elle :
– a déclaré prescrite son action à l’encontre de la société Arènes Finance, de la société MMA IARD et de la CNA Insurance Company,
– l’a condamnée aux dépens de l’instance,
– la déclarer recevable en son action dirigée contre les sociétés Arènes Finance, CNA Insurance Company (Europe) et MMA IARD,
– débouter les sociétés Arènes Finance, MMA IARD et CNA Insurance Company (Europe) de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
– renvoyer l’examen de l’affaire au fond devant le tribunal judiciaire d’Angers,
– condamner les sociétés Arènes Finance, MMA IARD et CNA Insurance Company (Europe), chacune, à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Aux termes de leurs dernières écritures déposées le 25 avril 2022, les sociétés Arènes Finance et MMA IARD demandent à la présente juridiction de :
– confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a dit l’action engagée par Mme [Z] [X] irrecevable car prescrite,
– débouter Mme [Z] [X] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions à leur encontre,
– condamner Mme [Z] [X] à leur payer la somme de 5.000 euros chacune, au titre des frais irrépétibles, ainsi qu’aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières écritures déposées le 20 avril 2022, la SA CNA Insurance Company (Europe) demande à la présente juridiction de :
– confirmer l’ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire d’Angers le 27 septembre 2021 en ce qu’elle a :
– déclaré prescrite l’action de Mme [Z] [X] à l’encontre de la société Arènes Finance, de la société MMA IARD et de la CNA Insurance Company,
– condamné Mme [Z] [X] aux dépens de l’instance,
– débouter Mme [X] de l’ensemble de ses demandes à son encontre,
En tout état de cause,
– condamner Mme [X] à lui verser la somme de 4.000 euros, au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamner Mme [X] aux dépens.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 494 du Code de procédure civile, aux dernières écritures, ci-dessus mentionnées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la prescription
En droit, l’article 2224 du Code civil dispose que : ‘Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer’.
Le premier juge a rappelé qu’en application de ces dispositions, le délai de prescription de l’action en responsabilité contractuelle commence à courir à compter de la réalisation du dommage ou du jour où il est révélé à la victime. Par ailleurs, il a été considéré que ‘s’il est constant que le dommage consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste dès la conclusion du contrat, il est néanmoins admis par la jurisprudence, y compris celle citée par les sociétés défenderesses, que le point de départ de la prescription peut être retardé au jour où les conditions d’existence du droit sont révélées en cas d’absence d’informations suffisantes ou en cas d’informations erronées dans la phase pré-contractuelle’. Dans ces conditions il a été recherché si les propositions formées au regard des attentes des investisseurs d’une part et d’autre part si le schéma contractuel qui leur avait finalement été proposé justifiaient d’un report du point de départ de la prescription de l’action en responsabilité.
S’agissant des attentes des clients du CGP, il a été retenu que :
– une étude patrimoniale avait été réalisée le 15 novembre 2007 aux fins de déterminer les besoins des investisseurs,
– par la suite le CGP a présenté plusieurs propositions de placements aux mois de février et avril 2009, dont ‘un ‘Investissement Indivision Oeuvre d’Art’ à hauteur de 100.000 euros’, cette somme ne correspondant pas même à 10% des capitaux devant être investis, les plus amples propositions portant sur des assurances vie et contrats de capitalisation,
– le choix d’investir une somme de 700.000 euros dans le produit Aristophil, le 24 avril 2009, correspond à une volonté d’optimisation fiscale au titre de l’ISF,
– l’argument tiré de la surévaluation des oeuvres au regard du prix de leur cession dans le cadre de la procédure collective est d’une part non démontré mais au surplus sans intérêt dès lors que le préjudice invoqué n’est pas une perte en capital mais celui résultant de la perte de chance de ne pas contracter, ‘ce qui implique d’apprécier le moyen tenant à une surévaluation des oeuvres au regard de l’obligation d’information pré-contractuelle’, or au regard d’évaluations des oeuvres notamment par des experts indépendants et inscrits sur la liste éponyme de la cour d’appel de Paris et de la notoriété de la société Aristophil dans le domaine culturel, il ne pouvait être considéré que le CGP avait ‘relayé auprès des époux [X] une information sans lien avec la réalité quant à la méthode d’évaluation des oeuvres ni que lui-même pouvait en suspecter une surévaluation’
– le professionnel ‘avait avisé les époux [X] d’un risque quant à la valeur de leur investissement, laquelle n’était pas garantie en ce qu’elle était soumise à une éventuelle dévaluation des oeuvres tenant aux aléas du marché ; la garantie du prix d’acquisition par la compagnie Lloyd’s inscrite dans le document afférent aux garanties Aristophil ne pouvant donc impliquer un prix de cession nécessairement du même montant que le prix d’acquisition’.
Concernant le schéma contractuel lié à l’investissement litigieux, il était rappelé que :
– il reposait sur un contrat de vente (acquisition soit d’une collection soit de parts indivises de la collection) doublé d’un contrat de dépôt, garde et conservation d’une durée maximale de cinq ans par lequel la société Aristophil s’engageait à la conservation des oeuvres et au sein duquel se trouvait notamment une clause intitulée ‘Promesse de vente’ prévoyant notamment que ‘le Propriétaire promet unilatéralement de vendre à la société la collection dont il est propriétaire au terme de 5 ans du contrat de dépôt, de garde et de conservation’,
– il ne pouvait aucunement être retenu que la rédaction de cette clause était ambigue et il résultait clairement de sa lecture que la société Aristophil n’avait aucune obligation de rachat des parts de collections vendues, et cela alors même que les clients avaient pu admettre par courrier de leur avocat que le CGP les avait avisés de cette absence d’obligation tout en précisant qu’en pratique cela avait toujours été le cas, comme au demeurant le démontre le rachat de la première collection au sein de laquelle les époux [X] avaient investi.
Dans ces conditions, il a été considéré qu’il n’était pas justifié de motifs permettant de reporter le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité engagée par Mme [N] veuve [X], de sorte qu’il a été fixé aux dates de souscription des engagements litigieux. Ainsi en agissant courant février 2020, pour des contrats conclus en avril 2009 et mai 2014, les demandes formées par Mme [N] veuve [X] ont été déclarées irrecevables, cette dernière étant tardive en son action.
Aux termes de ses dernières écritures, l’appelante rappelle qu’en application des dispositions de l’article 2224 du Code civil ‘la prescription d’une action en responsabilité contractuelle ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu précédemment connaissance’. De sorte qu’il a pu être considéré ‘qu’en matière d’action en responsabilité, le point de départ de la prescription devait être fixé à la date de «la manifestation du dommage» et non à celle du manquement du professionnel’. Au surplus, elle souligne que si ses contradictrices lui opposent également diverses décisions portant sur la prescription, elles sont sans lien avec le présent litige dès lors qu’elles portent sur la souscription de prêts ou d’assurances, or en l’espèce, il s’agit de la souscription d’un produit d’investissement dans un cadre plus général de fraude (schéma Ponzi) constitutif de pratique commerciale trompeuse ou d’escroquerie. Au demeurant elle souligne que désormais la Cour de cassation a modifié son appréciation du point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité du banquier dispensateur de crédit pour manquement à son devoir de mise en garde à l’égard de l’emprunteur ‘non averti’ en retenant comme date de réalisation du dommage, le premier incident de paiement. Elle en déduit qu’il convient de rechercher à quelle date, en sa qualité d’investisseur profane, elle a pu constater la survenance de son dommage, seul élément lui permettant de constater le manquement au devoir de conseil et d’information qu’elle invoque. A ce titre, elle rappelle que son préjudice de perte de chance ‘couvre notamment le fait d’avoir acquis auprès de la société Aristophil, et par l’intermédiaire [du CGP], la pleine-propriété ou la propriété de parts indivises de collections d”uvres manifestement surévaluées alors même que ces valeurs étaient présentées comme intangibles par la venderesse’. Ainsi, elle indique qu’au jour des investissements litigieux, les clients, qui ne disposaient d’aucune documentation quant aux oeuvres visées, ne pouvaient envisager que le prix versé ne correspondait pas à la valeur réelle des pièces acquises. Au surplus, elle souligne qu”aucune information contraire ne leur a été fournie par le conseiller. Ce dernier s’en remettait aux affirmations de la société Aristophil (présence d’expertises alors qu’elles faisaient défaut contrairement à ce qu’a retenu le premier juge) sans réaliser le travail de vérification auquel il était tenu dans le cadre de son devoir d’information et de conseil’. S’agissant de cette surévaluation, elle soutient qu’elle ne lui a été révélée qu’aux premières cessions intervenues dans le cadre de la procédure collective (le 20 décembre 2017), mais avait été constatée antérieurement tant par la DGCCRF puis confirmée par les investigations du juge d’instruction. Elle précise que l’indivision ‘Grandes Pensées etc’ a été vendue pour un prix correspondant à 0,325 euros la part et son investissement en pleine propriété pour 300.000 euros a été revendu pour 28.300 euros, un tel écart ne se justifiant pas uniquement par le contexte de procédure collective. A ce titre et hormis le fait que ce raisonnement est celui adopté par de nombreuses décisions, elle indique qu’il ‘convient d’ajouter que suivant le discours de vente qui lui [leur’] était délivré, les époux [X] avaient compris que la notion de risque était relative à la seule (et éventuelle) dévaluation des ‘uvres soumises aux aléas du marché. Néanmoins, suivant le document à en-tête de la société Aristophil qui leur a été remis par [le CGP], la «valeur du prix d’acquisition» des Lettres et Manuscrits était nécessairement garantie dans leur esprit par la compagnie Lloyd’s, cette couverture d’assurance suggérant d’ailleurs l’existence d’une estimation faite par les experts de cette compagnie d’assurance voire une garantie de remboursement en cas de perte de valeur’. Dans ces conditions, l’appelante considère qu’il ne peut être retenu que le point de départ du délai de prescription de son action soit la date des souscriptions litigieuses. Par ailleurs, elle souligne qu’au jour de régularisation des contrats litigieux, il n’était pas possible aux investisseurs de savoir que la rémunération du placement n’était aucunement garantie. En effet, d’une part les termes employés dans les conventions ne permettent pas au client profane de comprendre que la société Aristophil ne s’engageait aucunement à racheter les collections, et d’autre part elle indique qu’il ne leur a été délivré aucune information quant aux risques attachés à un défaut de rachat par le vendeur. Au surplus elle observe, à l’image d’une précédente juridiction, que : ‘cette ambiguïté entre l’écrit des contrats et les propos tenus par la force de vente était volontairement mise en place par Aristophil. De même, à quoi servait de promettre 8% par an, si cela ne débouchait pas sur le versement de ce rendement à la fin du contrat. […] Évidemment, le rachat systématique représentait le fondement du modèle économique Aristophil’. De l’ensemble, et s’agissant de la date à partir de laquelle, le délai de prescription de son action a commencé à courir l’appelante indique que ‘les griefs à l’appui de la démonstration du manquement au devoir d’information et de conseil ne pouvaient se révéler qu’à l’issue de la nouvelle durée d’investissement confirmée de cinq années ‘ présentée par l’intermédiaire comme intangible ‘, c’est-à-dire dans l’hypothèse où la société Aristophil ne lèverait pas l’option d’achat et ne rachèterait pas les ‘uvres et [qu’ils] se seraient rendu compte qu’ils étaient finalement propriétaires d”uvres et de parts indivises invendables d’une collection d”uvres largement surévaluées, incapables de progresser en valeur de 8% par an puisque le marché des lettres et manuscrits n’avait pas la progression de valeur mécanique que lui prêtaient les commercialisateurs du produit’. Cependant, elle précise que pendant le cours de cette période de cinq années est intervenue la déconfiture de la société venderesse, de sorte que ce ne pourrait, en tout état de cause, aucunement être antérieurement au 27 février 2015, date à laquelle les investisseurs ont été invités à déclarer leurs créances au passif, que la prescription de la présente action aurait pu commencer à courir. Enfin, s’agissant du fait que la presse a fait la publicité de l’enquête préliminaire ouverte à l’encontre des représentants de la société Aristophil dès le mois d’octobre 2014, elle indique que sa contradictrice ‘érige en fait en présomption irréfragable la connaissance anticipée par voie de presse d’informations pourtant couvertes par le secret (il en va ainsi de l’essence même d’une enquête préliminaire, par nature officieuse, qui devait durer jusqu’au 5 mars 2015, date du réquisitoire introductif)’. Au surplus, elle souligne que les informations délivrées par voie de presse étaient contestées tant par M. [O] que par les CGP et qu’en tout état de cause, elle n’a aucune obligation de se tenir informée par la presse fût-elle nationale. Elle en déduit que retenir un tel point de départ au délai de prescription ‘reviendrait finalement à caractériser, non pas [sa] connaissance de l’existence de son dommage à cette date, mais au contraire et implicitement, à établir une faute commise par cette dernière [l’appelante]. Cette faute tiendrait à un prétendu défaut de diligence lié à l’absence de consultation d’articles de presse rédigés au conditionnel (…)’.
Aux termes de leurs dernières écritures le CGP et son assureur les MMA indiquent que l’obligation du premier n’est que de moyens et ne consiste qu”à fournir une information et un conseil appropriés à son client à l’occasion d’un investissement. Dans ces conditions, si dommage il y a, celui-ci se manifeste au jour de la conclusion du contrat, dès lors que le préjudice qui est alors éventuellement causé par le mauvais conseil, ou la mauvaise information, consiste en une perte de chance d’investir de manière différente. Ainsi, la jurisprudence considère que le dommage se manifeste au jour de la conclusion du contrat qui est à l’origine de l’action en responsabilité’. Ainsi, les intimés soulignent que la jurisprudence considère notamment que le point de départ du délai de prescription du banquier prêteur de deniers, pour défaut de respect de son obligation de mise en garde court à compter de la souscription du prêt. Ils rappellent au surplus, que la Cour de cassation en 2018 a considéré que le délai de prescription de l’action en responsabilité du prestataire de services d’investissement pour manquement à ses obligations d’évaluation de la situation du client, de conseil et d’information courait à compter de la date de conclusion du contrat de gestion de portefeuille. S’agissant de l’application de ce positionnement aux CGP ayant commercialisé le produit Aristophil, les intimés indiquent que les juridictions de première instance ayant eu à connaître de la prescription de telles actions en responsabilité ont, pour Vesoul, Créteil, Amiens, Argentan, Besançon, Montpellier, Pontoise, Marseille, Pau, Reims, Caen et Castres et cela entre 2020 et 2022, pu retenir ce point de départ du délai de prescription. Ainsi, ils considèrent notamment que la seule lecture des contrats était dénuée d’ambiguïté et permettait de percevoir l’absence d’obligation de rachat du vendeur etc… A ce titre, ils soutiennent que ce positionnement ‘se justifie par le fait que le point de départ ne peut être reporté à la discrétion de celui qui l’invoque, sauf à rendre une action imprescriptible’. S’agissant des juridictions d’appel, les intimés rappellent qu’entre 2021 et 2022, les cours d’appel de Lyon, Besançon, Bordeaux, Agen et Paris ont retenu qu’en ‘cas de mise en cause d’un professionnel au titre d’un défaut de conseil et/ou d’information, le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité contre ce professionnel ne peut être postérieur à la date de réalisation de l’investissement mis en cause, en ce compris à l’occasion d’acquisitions de manuscrits auprès d’Aristophil’. Or en l’espèce, ils soulignent que l’appelante fonde ses prétentions sur un manquement du CGP à ses obligations de conseil et d’information, qui sont des préalables à l’engagement souscrit, date à laquelle le client perd sa chance de ne pas contracter de sorte que les demandes formées sont irrecevables pour ne pas avoir été engagées avant le 24 avril 2014, pour le premier engagement et le 7 mai 2019 pour les trois autres. S’agissant du report du point de départ du délai de prescription à la date d’ouverture de la procédure collective, les concluants indiquent qu’une telle procédure est indépendante du mécanisme juridique mis en place avec les investisseurs mais soulignent également que les époux [X]-[N] pouvaient aisément comprendre qu’il n’existait aucune obligation de rachat (cette acquisition majorée de 8% par an étant conditionnée par la levée d’une option d’Aristophil), la seule promesse mentionnée étant de vente. A ce titre, ils soulignent que leur contradictrice a, par courrier, admis qu’il lui avait été précisé que la société venderesse n’avait aucune obligation de racheter les collections objet des ventes. De plus, ils indiquent qu’il ne peut également être tiré argument du rapport du Chef de la brigade de répression de la délinquance économique, concluant au fait que les clients entendaient une parole distincte de la part des commerciaux n’évoquant ‘que le rachat automatique’ par la société Aristophil, dès lors que le présent CGP n’a pas fait l’objet d’auditions par ce service d’investigations. S’agissant du report du délai de prescription à la date de la vente des collections, établissant leur caractère manifestement surévalué, le CGP et son assureur soutiennent que cet argument ne saurait prospérer au regard du fait que :
– ‘l’appelante ne démontre pas [que le CGP] pouvait, au jour de la conclusion du contrat, avoir des doutes sur une éventuelle surévaluation des manuscrits vendus par Aristophil, alors que les informations dont [il] disposait ne pouvaient que lui laisser penser que les acquisitions présentaient toutes les garanties de sérieux dans un secteur du patrimoine culturel national’ et cela alors même que des avis d’experts validaient les estimations de l’époque,
– cette situation est sans lien avec le préjudice invoqué (perte de chance de ne pas conclure) qui ne résulte que des malversations commises par la société Aristophil.
Ainsi, les intimés soutiennent que ‘si la surévaluation des ‘uvres ne s’est révélée que postérieurement à la conclusion du contrat, il n’en reste pas moins que la perte de chance de ne pas contracter était quant à elle constituée dès la conclusion du contrat, fixant ainsi le point de départ du délai de la prescription. Cela est parfaitement logique et en conformité avec la jurisprudence précitée, qui considère que le dommage résultant d’un manquement du CGP/ CIF à une obligation d’information ou de mise en garde prive son client d’une chance de mieux investir ses capitaux et cette perte de chance, distincte du préjudice qui pourrait ultérieurement résulter des opérations effectivement réalisées, est constituée dès la conclusion du contrat’.
Enfin, concernant les décisions de la Cour de cassation du mois de janvier 2022, portant sur le point de départ du délai de prescription de l’action des emprunteurs, assurés dans ce cadre, engageant la responsabilité de leur banquier pour défaut de garantie du risque finalement survenu, les intimés soutiennent qu’elles n’ont aucunement vocation à s’appliquer en l’espèce, dès lors que l’appelante était avisée des risques et des modalités dans lesquelles l’opération se réalisait d’une part et d’autre part qu’il a d’ores et déjà été admis que les termes des contrats ‘Aristophil’ ont été considérés comme suffisamment clairs. Dans ces conditions, il est conclu à la confirmation de la décision de première instance.
Aux termes de ses dernières écritures, la société CNA rappelle que par application de l’article 2224 du Code civil, l’action en responsabilité aux fins de réparation d’une perte de chance de ne pas conclure, se prescrit par cinq ans à compter du jour de souscription de l’engagement. Elle précise que dans le cadre des contentieux dits Aristophil il a régulièrement été considéré, tant par les juges de la mise en état que par les juridictions d’appel, qu’il n’y avait pas lieu à déroger à cette règle de prescription. A ce titre, l’intimée souligne que si le point de départ de la prescription d’une telle action peut être repoussé, il s’agit d’une exception impliquant la démonstration par la victime du fait qu’elle ne pouvait avoir connaissance de son dommage au jour de la conclusion de la convention. Sur les demandes formées par sa contradictrice, l’intimée observe que désormais cette dernière semble fonder ses prétentions indemnitaires sur un défaut d’information quant à la garantie de rachat et la valeur des oeuvres acquises, il n’en demeure pas moins que son assignation invoquait également une mauvaise information quant aux caractéristiques du placement, aux modalités de rachat et par conséquent les différentes formes que pouvait prendre la fin de ce contrat. A ce titre, elle soutient que l’ensemble de ces éléments était décelable au jour des souscriptions litigieuses dès lors que ‘ces derniers sont effectivement visibles par nature dans la mesure où ils consistent en la non remise d’information ou de supports d’information’. S’agissant des plus amples arguments tirés de l’ignorance de l’absence de garantie de la rémunération de l’investissement la société CNA précise ‘que le mécanisme de l’opération d’investissement n’a pas évolué et existait depuis le jour de la conclusion du contrat, de sorte que Mme [X] ne peut valablement soutenir qu’elle en aurait eu connaissance au jour où elle a appris la liquidation judiciaire d’Aristophil, liquidation qui n’a en tout état de cause pas de lien avec le mécanisme de l’opération litigieuse’. En tout état de cause, l’intimée indique que l’ouverture de la procédure collective est sans lien avec les griefs formés par l’appelante qui ne peut aucunement affirmer que le point de départ du délai de prescription de son action soit à cette date. Au demeurant, elle rappelle que le premier juge a exactement retenu qu’il ne peut aucunement être affirmé que les investisseurs n’avaient pas été avisés par leur CGP de l’absence de garantie de rachat dans le cadre de cette opération et cela alors même qu’outre cette information effectivement délivrée, il résultait de la seule lecture des pièces contractuelles que seule une promesse de vente était formalisée à l’exclusion de toute promesse d’achat à terme. Concernant les pièces produites par l’appelante et notamment les avis et courrier du chef de brigade et magistrat instructeur, elle indique qu’il n’est aucunement démontré que ces éléments concernent tant la présente demanderesse en réparation ou même la société Arènes Finance. Ainsi, la société CNA indique, concernant les conditions de rachat, ‘afin de déterminer le point de départ de la prescription, le seul élément qui importe est de savoir si, à la date de la conclusion du contrat, les investisseurs pouvaient légitimement ignorer les faits fondant leur action, et donc, réaliser qu’il n’y avait pas de garantie de rachat de leur investissement par la société Aristophil et que ledit investissement présentait en conséquence un risque à ce titre. Or, la durée de l’investissement est indifférente à cette question. Ainsi, en matière d’investissement dans les produits financiers, la jurisprudence refuse de repousser le point de départ de la prescription à l’échéance du produit structuré, dès lors qu’il est établi que l’investisseur pouvait avoir connaissance, dès la souscription, du caractère risqué de son investissement’. S’agissant de la perte de valeur des oeuvres, la société CNA soutient qu’il s’agit d’un débat indifférent sur la question de la prescription, dès lors que la présente action porte sur la réparation d’une perte de chance de ne pas souscrire cet investissement ‘or, ainsi que cela a été démontré, un tel préjudice se manifeste à la date de la signature de l’investissement litigieux. La perte de valeur que Mme [X] invoque désormais n’impacte quant à elle que l’évaluation du préjudice subi. En revanche, la perte de valeur n’a aucun impact sur l’existence même de la perte de chance de ne pas souscrire l’investissement, visible pour sa part dès la régularisation du contrat. Dès lors, le fait que Mme [X] n’ait pas été en mesure de connaître l’étendue du dommage afférent à la perte de chance de ne pas souscrire, et ce au jour de l’investissement n’a pas d’impact sur le point de départ du délai de prescription’. De plus, l’intimée soutient que l’appelante ne démontre pas d’une part la perte de valeur des collections qu’elle a acquises et d’autre part que son CGP ait commis un manquement contractuel à ce titre, au regard des informations disponibles à cette date (interventions d’experts inscrits et garantie délivrée par le Lloyd’s). Subsidiairement si la date des conventions litigieuses n’était pas retenue comme le point de départ du délai de prescription de la présente action, l’intimée observe que l’ouverture d’une enquête préliminaire à l’encontre de la société Aristophil est un fait notoire depuis l’automne 2014, divers organes de presse s’en faisant le relai (Charlie Hebdo, quechoisir.org, Le Point, Le Parisien, Le Figaro, Libération, L’Obs, Le Monde) de sorte qu’elle en déduit que ‘dès la fin de l’année 2014, Mme [X] ne pouvait ignorer que la société Aristophil ne pourrait en tout état de cause lever les options d’achat qui lui ont été concédées’. Au surplus, elle souligne qu’à cette date (décembre 2014) la société Aristophil avait adressé un courrier à l’ensemble de ses clients avisant de l’enquête et de ses conséquences notamment quant au blocage des comptes ne permettant plus le paiement des créanciers divers ainsi que le financement de la levée des options. Dans ces conditions, il est conclu à la confirmation de la décision de première instance.
Sur ce :
Il résulte des écritures ci-dessus reprises qu’en substance la responsabilité du CGP est recherchée pour manquement à ses devoirs d’information et de conseil et partant à l’obligation préalable qu’il aurait dans ce cadre de se renseigner sur le produit d’investissement qu’il propose.
A ce titre, il est constant et au demeurant non réellement contesté que le délai de prescription quinquennal de cette action, visant à l’indemnisation d’une perte de chance de ne pas contracter ou contracter dans des conditions plus bénéfiques, commence à courir au jour de la réalisation du dommage à savoir de la date de souscription de l’engagement litigieux. Cependant, ce même délai peut commencer à courir à la date à laquelle le préjudice se révèle à sa victime, si cette dernière ne pouvait en avoir connaissance au jour du contrat.
Au soutien de ses prétentions, l’appelante établit que son conjoint a :
– le 24 avril 2009, régularisé un contrat permettant la souscription à une indivision portant sur une collection dénommée ‘les grandes signatures II’ à hauteur de 140 parts pour un prix unitaire de 5.000 euros soit un total de 700.000 euros,
– le même jour, régularisé un contrat de vente de ces mêmes parts d’indivision dont il est précisé qu’elle est valorisée à hauteur de 10.000.000 euros,
– conclu avec la société Aristophil un contrat dit de dépôt, garde et conservation de cette collection vendue sous forme de parts d’indivision.
Elle démontre également qu’aux termes d’un contrat dit ‘passerelle’ du 7 mai 2014, son conjoint et elle-même ont vendu à la société Aristophil les 140 parts d’indivision précédemment acquises pour un prix, plus-value incluse et avant application de la fiscalité liée à l’opération, de 980.000 euros. Dans le même cadre, les époux [X]-[N] ont acquis de la société Aristophil 6.000 parts de l’indivision portant sur la collection dénommée ‘grandes pensées illustres personnages’ (valorisée 8.500.000 euros) pour un prix total de 300.000 euros.
A la même date, Mme et M. [X] ont également acquis une part de l’indivision portant sur une collection valorisée à 3.000.000 euros dénommée ‘novembre – le manuscrit de Flaubert’ pour un prix de 150.000 euros.
Enfin le 7 mai 2014 et toujours par l’intermédiaire de leur CGP, ils ont acquis en pleine propriété une collection dénommée ‘les grands peintres’ pour un prix de 300.000 euros.
Les conservation, garde, etc de ces collections ont également été confiées à la société Aristophil, venderesse.
En résumé le schéma de cette forme d’investissement était l’acquisition d’oeuvres permettant une diversification du patrimoine des clients et à terme une revente au vendeur initial au prix d’achat majoré du rendement annuel fixé à l’acte de cession (8% l’an). Dans l’attente de cette plus-value l’investisseur pouvait bénéficier de l’avantage attaché au statut fiscal des oeuvres d’art.
A ce titre l’appelante engage la responsabilité du CGP lui ayant présenté ce produit pour avoir manqué à ses obligations d’information et de conseil en relevant que son préjudice inclut nécessairement la perte de chance de ne pas acquérir en pleine propriété ou indivisément des collections d’oeuvres surévaluées de manière importante lors de leur cession.
Or, il ne peut aucunement être soutenu que l’appelante avait connaissance ou pouvait avoir connaissance de cette situation au jour de la souscription des engagements litigieux.
A ce titre, il doit être souligné que les prétentions de l’appelante sont bien distinctes d’une éventuelle dépréciation de la valeur des pièces acquises au sein des collections visées aux conventions litigieuses. Ainsi, s’il est constant que l’appelante a été avisée d’un risque de baisse de valeur des manuscrits et autres lettres au regard des variations du marché, elle soutient que dès l’origine les collections vendues l’étaient à un prix ne correspondant à aucune réalité commerciale.
Au surplus la documentation publicitaire communiquée aux débats mentionne s’agissant des ‘garanties Aristophil’, ‘3- garantie d’expertise et d’authentification de l’ensemble des valeurs en convention, réalisée par des experts indépendants agréés par la cour d’appel des TGI (sic). 4- garantie de la valeur du prix d’acquisition des lettres et manuscrits, couverte par une assurance spéciale Lloyd’s’, cette situation et méconnaissance étant au demeurant confortée par le fait que la première convention s’est conclue par un rachat de la collection avec la plus-value visée au contrat.
Par ailleurs et contrairement aux affirmations de l’appelante l’ouverture d’une procédure collective à l’égard de la société Aristophil n’est aucunement de nature à permettre d’établir sa connaissance de l’éventuelle surévaluation des collections objet des contrats de vente.
Cette connaissance résulte, avant même les cessions aux enchères publiques des oeuvres acquises et revendues par la société Aristophil, de la procédure pénale engagée.
En effet, dans ce cadre, la DGCCRF a pu rédiger, le 6 février 2014, un procès-verbal exposant notamment : « les montants des indivisions sont largement supérieurs aux prix d’achat des manuscrits qui la composent. Pour fixer le prix d’une indivision, Aristophil augmente en moyenne de 147 % le prix d’achat total des manuscrits qui la composent (pour ces 17 collections). L’augmentation la plus importante est de 317 % pour la collection Académie française et la moins élevée de 69 % pour la collection [S] [D].
Les évolutions conséquentes entre le prix d’achat et le montant de l’indivision constatées sur cet échantillon de collections, ne sont pas dues à l’évolution du marché, même en prenant comme élément d’appréciation les estimations confiantes et particulièrement avantageuses mises en avant par Aristophil pour conforter les investisseurs dans leurs espoirs quant aux plus-values, soit 9,9 % par an.
En effet, les biens qui composent les indivisions ont été acquis par la société Aristophil entre 2009 et 2012. Entre ces dates et le moment où les biens sont proposés à la vente sous forme de parts d’indivision, leurs valeurs s’envolent, dans des proportions sans commune mesure avec l’état du marché tel que présenté par Aristophil. La création d’une indivision aboutit donc à une augmentation du prix des produits, de 147 % en moyenne pour les collections identifiées, sans corrélation avec l’évolution des prix du marché, du seul fait de la société Aristophil».
Par la suite, la brigade de répression de la délinquance économique a dressé un rapport de synthèse au magistrat instructeur, précisant notamment : «la société Aristophil achetait à des prix élevés, que ce soit auprès des marchands ou en ventes publiques, appliquait une marge importante, puis rachetait au client la collection au prix de vente augmenté du rendement de 40 – 45 % [rendement de l’investissement sur l’ensemble de la période], avant de revendre la collection, certes, en prenant une marge plus faible, mais l’addition des marges et des plus-values octroyées aux clients, faisaient s’envoler les prix. Finalement, contrairement à ce que scandait [R] [O], les prix de vente pratiqués par Aristophil étaient totalement déconnectés des prix du vrai marché des lettres et manuscrits ; en fait, ils se situaient ailleurs, sur le marché virtuel qu’il avait créé !»
S’agissant du fait que cette procédure pénale et notamment en ce qu’elle a été suivie par le procureur de la République en la forme préliminaire ait été de notoriété publique dès l’automne 2014 ce qui permettrait de faire courir le délai de prescription à compter de cette date, il doit être souligné que peu importe que divers organes de la presse nationale s’en soient fait l’écho, il n’existe aucunement d’obligation pour l’investisseur de se tenir informé par ce biais du devenir des investissements qu’il a réalisés par l’intermédiaire d’un conseil compétent en la matière.
En tout état de cause, soutenir une telle obligation à l’égard du client ne disposant pas de compétences particulières en matière de procédure pénale ou même financière serait, en l’espèce, de nature à interroger quant au comportement du conseiller en gestion de patrimoine proposant le produit litigieux, en 2014 alors même que la lecture des articles de presse produits par la société CNA établit que l’association Que Choisir émet des mises en garde relativement à ce placement depuis 2011 ; que l’AMF a alerté sur des irrégularités dès 2008, avant de se rétracter, ces investissements n’intégrant pas son domaine de compétence ; que Libération a également enquêté sur cette société et publié ses résultats le 1er février 2012 et qu’enfin la presse s’est également faite l’écho de l’existence d’investigations suivies contre Aristophil par la police belge depuis 2012.
En tout état de cause, ces publications ne sont aucunement de nature à démontrer qu’à l’automne 2014, l’appelante savait, ou aurait dû savoir qu’à tout le moins certaines des collections vendues par la société Aristophil étaient suspectées d’être surévaluées.
Par ailleurs s’agissant du courrier rédigé le 4 décembre 2014 par M. [O], à l’adresse de ‘tous [leurs] clients’ et conseillers de ces derniers, outre qu’il n’est aucunement établi que l’appelante ait effectivement été rendue destinataire de cette missive, il doit être souligné qu’il n’en résulte pas l’établissement de la connaissance des éventuelles surévaluations des collections ainsi commercialisées. En effet, le fait que la société indique qu’en raison des saisies pratiquées dans le cadre de la procédure pénale, elle ne soit plus en situation d’honorer ses paiements, ne porte aucunement en soit le fait que les biens vendus n’aient pas la valeur qui était présentée.
Ainsi et faute de production d’éventuel avis à se constituer partie civile voire même de justification de la date exacte de constitution, la présente juridiction ne peut que constater, d’une part que l’accès aux pièces liées à une enquête en la forme préliminaire n’est en principe pas possible et d’autre part que l’information judiciaire a été ouverte selon réquisitoire introductif du 5 mars 2015, date à partir de laquelle l’appelante a pu se constituer partie civile et avoir accès aux pièces de la procédure.
Dans ces conditions et faute de plus amples éléments, il ne peut qu’être constaté qu’au jour de la conclusion des contrats aujourd’hui litigieux, l’appelante ne pouvait avoir connaissance de la surévaluation qu’elle invoque désormais au soutien de ses prétentions indemnitaires, cette connaissance ne résultant que de la procédure suivie contre la société Aristophil dans un cadre pénal.
Par ailleurs et s’agissant du fait que le CGP ne pouvait avoir connaissance de cette situation au jour de la conclusion des conventions par les époux [X]-[N] de sorte qu’il ne peut être considéré qu’il ait manqué à ses obligations d’information et de conseil, il doit être souligné que cela ne relève aucunement de l’appréciation de la recevabilité de l’action en responsabilité au regard de son éventuelle prescription, mais de l’appréciation du fond des demandes en réparation, dont la présente juridiction, statuant sur appel d’une décision du juge de la mise en état n’est pas saisie.
De l’ensemble, il résulte qu’il ne peut aucunement être considéré que le délai de prescription de la présente action ait commencé à courir avant l’ouverture de l’information judiciaire ayant permis aux investisseurs de se constituer partie civile et partant d’avoir connaissance des éléments faisant état des surévaluations des collections qu’ils ont acquises mais dont ils n’ont jamais été mis en possession.
Dans ces conditions, en agissant au cours du mois de février 2020, soit moins de cinq années après le réquisitoire introductif, l’appelante ne peut aucunement être considérée comme tardive de sorte que la décision de première instance doit être infirmée à ce titre et la fin de non-recevoir rejetée.
Sur les plus amples demandes formées par la société CNA :
En droit, les articles 31 et 32 du Code de procédure civile disposent que : ‘L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé’,
‘Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir’.
Aux termes de ses dernières écritures, la société CNA soutient que l’appelante ne démontre aucunement sa qualité d’assureur responsabilité civile professionnelle du CGP. S’agissant de la police n° FN 1925, elle observe que seule la société Art Courtage y est présentée comme assurée, et cela alors même qu’il n’est pas affirmé que cette dernière ait mandaté la société Arènes Finances. S’agissant des autres polices invoquées par sa contradictrice, elle indique qu’il n’est pas plus établi que le CGP, attrait à la présente procédure, ait qualité d’assuré dans le cadre de ces conventions. Dans ces conditions elle conclut à l’irrecevabilité des demandes formées à son encontre.
Aux termes de ses dernières écritures, l’appelante indique que trois polices d’assurances sont susceptibles d’être mobilisées en l’espèce les n° FN 1925, 1549 et 5989. A ce titre, elle rappelle que les représentants d’Aristophil précisaient qu’une police RC professionnelle souscrite auprès de CNA couvrait l’ensemble des distributeurs. De plus, elle souligne que la commercialisation du produit Aristophil était initialement confiée à deux sociétés, puis à compter de 2013 l’une ayant été absorbée par l’autre, par un agent unique. Cette société, Script’invest, avait souscrit une assurance ‘pour le compte de qui il appartiendra’, de sorte que ses mandataires étaient couverts (n° FN 1549). Au demeurant, elle souligne que la société Art Courtage avait également souscrit deux autres assurances (N°FN 1925 et 5989) couvrant ses mandataires directs ou indirects. Or, l’appelante souligne que l’enquête a établi que la commercialisation du produit Aristophil était devenu le monopole de la société Art Courtage, M. [O] attestant de son mandat exclusif.
Sur ce :
Il doit liminairement être observé que cette fin de non-recevoir avait été soutenue devant le premier juge qui ne l’avait pas étudiée au regard de la reconnaissance par cette juridiction du caractère prescrit des demandes formées.
En l’espèce, l’appelante communique aux débats une attestation rédigée le 23 septembre 2013, par M. [O] qui ‘(en sa qualité de président de la société Aristophil) atteste que la société Art Courtage France (RCS 499 532 679) est [leur] distributeur exclusif sur le territoire de la France métropolitaine et de l’outre-mer et ce depuis le 15 juin 2011″.
Si cette attestation est de nature à interroger au regard d’une attestation d’assurance RC professionnelle souscrite par la société Script’invest (société absorbée selon l’appelante) couvrant la période du 01/07/2012 au 30/06/2013, auprès de la société CNA, il n’en demeure pas moins, qu’il résulte de ces éléments d’une part qu’il n’est pas contesté par l’assureur que la société Art Courtage et ses mandataires étaient couverts par une assurance RC professionnelle d’une part et d’autre part qu’il est démontré que le second agent commercialisateur était également couvert par une police similaire, avant d’être absorbé (le président de la société Aristophil, indiquant en 2013 qu’il n’existe plus qu’un seul agent à ce titre).
Dans ces conditions, il ne peut qu’être constaté que Mme [N] veuve [X] démontre avoir intérêt à agir à l’encontre de la société CNA, l’existence d’une couverture s’agissant de la présente situation ne relevant pas de l’analyse de la recevabilité de la demande mais du fond.
Dans ces conditions, la fin de non-recevoir doit également être rejetée à ce titre.
Sur les demandes accessoires
Les sociétés intimées qui succombent doivent être condamnées aux dépens d’appel et les dispositions de la décision de première instance à ce titre doivent être infirmées, les demanderesses à la fin de non-recevoir devant être condamnées à les supporter.
Enfin l’équité commande de condamner les intimées au paiement à l’appelante de la somme de 2.500 euros par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile et leurs demandes formées à ce titre doivent être rejetées.