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1 juillet 2020
Cour de cassation
Pourvoi n°
18-25.695
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er juillet 2020
Rejet
Mme BATUT, président
Arrêt n° 395 F-D
Pourvoi n° B 18-25.695
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 1ER JUILLET 2020
1°/ M. I… G…,
2°/ Mme N… O…, épouse G…,
tous deux domicilié […],
ont formé le pourvoi n° B 18-25.695 contre l’arrêt rendu le 2 octobre 2018 par la cour d’appel de Paris (pôle 2, chambre 1), dans le litige les opposant :
1°/ à M. JN… T…, domicilié […] ,
2°/ à Mme Y… KB…, domiciliée […],
3°/ à Mme A… LG…, domiciliée […],
4°/ à Mme L… TH…, domiciliée […],
5°/ à M. X… F…, domicilié […],
6°/ à M. K… M…, domicilié […] ,
7°/ à Mme B… G…, domiciliée […] ,
8°/ à M. H… C…, domicilié […] ,
9°/ à Mme J… C…, domiciliée […] ,
10°/ à Mme P… EB… C…, domiciliée […] ,
11°/ à Mme R… S…, domiciliée […] ,
12°/ à M. E… S…, domicilié […] ,
13°/ à M. P… S…, domicilié […] ,
14°/ à Mme Q… T…, divorcée W…, domiciliée […] ,
15°/ à M. V… D…, domicilié […] ,
16°/ à Mme U… UW…, domiciliée […] ,
17°/ à M. JK… D…, domicilié […] ,
18°/ à M. SL… D…, domicilié […],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l’appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Canas, conseiller référendaire, les observations de Me Bouthors, avocat de M. et Mme G…, de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de M. T…, de Mmes KB…, LG… et TH…, de MM. F… et M…, de Mme G…, de M. et Mme C…, de Mmes EB… C… et S…, de MM. E… et P… S…, de Mmes T… et UW…, de MM. V…, JK… et SL… D…, et l’avis de M. Lavigne, avocat général, après débats en l’audience publique du 19 mai 2020 où étaient présentes Mme Batut, président, Mme Canas, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Randouin, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 2 octobre 2018), LX… T… était propriétaire d’une importante collection de tableaux, parmi lesquels une gouache peinte en 1887 par […], intitulée […]. Il s’est vu confisquer sa collection le 1er octobre 1943 par CL… PX…, marchand de tableaux désigné administrateur provisoire et séquestre de ses biens par le commissaire aux questions juives, en exécution des mesures spoliatrices prévues par le décret du 21 mars 1941. Certains tableaux ayant été vendus par CL… PX…, notamment […], LX… T… a obtenu, le 8 novembre 1945, une ordonnance du président du tribunal civil de la Seine, confirmée par arrêt de la cour d’appel de Paris du 4 mai 1951 constatant, sur le fondement de l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945, la nullité de ces ventes et ordonnant la restitution immédiate des tableaux. Ayant été revendu, le tableau […] n’a pas été restitué à LX… T…, décédé le […]. L’oeuvre a fait l’objet de plusieurs ventes successives. En particulier, le 22 juin 1966, à l’occasion d’une vente aux enchères publiques organisée à Londres par la société Sotheby’s, il a été adjugé à un acquéreur demeuré inconnu. Enfin, le 18 mai 1995, M. G… et son épouse, résidents américains, ont acquis ce tableau lors d’une vente publique aux enchères organisée à […] par la société Christie’s. En 2017, ils ont accepté de le prêter pour une exposition organisée à […] au musée Marmottan Monet, intitulée « […], premier peintre impressionniste ».
2. Ayant appris la présence de ce tableau, M. JN… T…, petit-fils de LX… T…, a engagé, avec les autres ayants droit de LX… T… (les consorts T…), une action notamment contre M. et Mme G…, et, par jugement rendu en la forme des référés le 30 mai 2017, le tribunal de grande instance de Paris a ordonné le séquestre de l’oeuvre et désigné à cet effet l’Académie des beaux-arts jusqu’à la fin de l’exposition le 16 juillet 2017, puis, sous réserve de justification par les consorts T… de la saisine du juge du fond, l’établissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie.
3. Le 13 juillet 2017, les consorts T… ont assigné M. et Mme G…, l’Académie des beaux-arts et l’établissement public des musées d’Orsay et de l’Orangerie aux fins de voir ordonner à ce dernier de leur remettre le tableau litigieux.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. M. et Mme G… font grief à l’arrêt d’ordonner la remise du tableau aux consorts T…, alors :
« 1°/ qu’en constatant à hauteur d’appel que l’indivision demanderesse à la restitution avait été indemnisée par la commission d’indemnisation des victimes de spoliations, la cour d’appel devait faire droit à la fin de non recevoir soulevée par les appelants sur le terrain de l’article 122 du code de procédure civile ; qu’en effet, pareille indemnisation excluait la mise en oeuvre de l’ordonnance de 1945 au préjudice des appelants ;
2°/ que l’article 4 de l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 réputant de mauvaise foi les acquéreurs successifs d’un bien ayant relevé du champ d’application de cette ordonnance, ne saurait être appliqué sine die à tout acquéreur dudit bien sans méconnaître les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme, ensemble l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que porte atteinte aux droits de la défense et à une procédure juste et équitable au sens de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme toute présomption irréfragable de mauvaise foi qui développerait un effet confiscatoire à l’encontre d’une partie sans possibilité pour celle-ci d’établir utilement sa bonne foi ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, la cour d’appel a méconnu les articles 16 de la Déclaration des droits de l’homme, ensemble l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
4°/ qu’en l’état des indications figurant dans le catalogue de la vente aux enchères de la maison Christie’s en 1995 et de l’existence, près de 30 ans auparavant, d’une précédente vente publique chez Sotheby’s Londres, la cour d’appel, en se déterminant abstraitement comme elle l’a fait à la faveur d’un pur postulat, sans autrement s’interroger sur la bonne foi de M. et Mme G…, a privé son arrêt de motifs sur un point essentiel du litige en violation de l’article 455 du code de procédure civile ;
5°/ qu’aux termes de l’article 1355 du code civil, l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement ; que méconnaît ce texte la cour d’appel qui étend à l’acheteur d’une oeuvre vendue aux enchères en 1995 l’obligation de restitution antérieurement mise à la charge de l’auteur de la spoliation initiale et de ses ayants-cause par une ordonnance du 8 novembre 1945 confirmée le 4 mai 1951 par la cour d’appel de Paris ; qu’en se déterminant comme elle l’a fait, la cour a méconnu le principe de l’effet relatif de la chose jugée ;
6°/ que la loi applicable à la vente aux enchères de 1966 était la loi britannique, laquelle prévoyait une prescription acquisitive de six ans au profit de l’acheteur ; que ce point de nature à conforter les droits des requérants n’a pas été examiné par la cour d’appel qui a derechef violé l’article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Dès lors que l’indemnisation des consorts T… par la Commission d’indemnisation des victimes de spoliation (CIVS) n’avait pas pour effet de transférer la légitime propriété du bien en cause à ses possesseurs, M. et Mme G…, ni à l’Etat, payeur de l’indemnité, aucun mécanisme de subrogation ou de transfert de propriété n’étant prévu par le décret n° 99-778 du 10 décembre 1999 créant la CIVS, la cour d’appel, appréciant souverainement l’intérêt à agir des consorts T…, a pu retenir que leur demande de remise du tableau litigieux était recevable.
6. L’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 assure la protection du droit de propriété des personnes victimes de spoliation, de sorte que, dans le cas où une spoliation est intervenue et où la nullité de la confiscation a été irrévocablement constatée et la restitution d’un bien confisqué ordonnée, les acquéreurs ultérieurs de ce bien, même de bonne foi, ne peuvent prétendre en être devenus légalement propriétaires. Ils disposent de recours contre leur auteur, de sorte que les dispositions de l’ordonnance précitée, instaurées pour protéger le droit de propriété des propriétaires légitimes, ne portent pas atteinte au droit des sous-acquéreurs à une procédure juste et équitable.
7. Dès lors, sans méconnaître les articles 2, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ni l’article 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni l’article 6, § 1, de cette convention, la cour d’appel a exactement retenu que les sous-acquéreurs ne pouvaient utilement exciper de leur bonne foi à l’égard des personnes dépouillées ou de leurs héritiers continuant leur personne.
8. Si un jugement n’a autorité de la chose jugée qu’entre les parties, il n’en est pas moins opposable aux tiers. C’est donc à bon droit que la cour d’appel a énoncé que la nullité de la vente du tableau litigieux consentie par CL… PX… était un fait juridique opposable aux tiers à la transaction, en particulier aux sous-acquéreurs successifs, en dernier lieu M. et Mme G….
9. Enfin, la cour d’appel n’avait pas à déterminer si la loi anglaise était applicable, dès lors que le litige ne portait pas sur la vente aux enchères intervenue à Londres en 1966.
10. Le moyen n’est donc fondé en aucune de ses branches.