Oeuvre originale : 20 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/12643

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Oeuvre originale : 20 septembre 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/12643
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20 septembre 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/12643

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRÊT DU 20 SEPTEMBRE 2023

(n°111/2023, 13 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/12643 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CD755

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Mai 2021 – Tribunal Judiciaire de PARIS – 3ème chambre 2ème section – RG n°20/00803

APPELANTE

S.A.S.U. GANTOIS INDUSTRIES, agissant en la personne de son président en exercice, M. [D] [M], domicilié en cette qualité au siège social situé

[Adresse 1]

[Localité 4]

Immatriculée au rcs d’Epinal sous le numéro 531 918 456

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque J 151

Assistée de Me Jean-Pierre STOULS plaidant pour le Cabinet STOULS & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, case 1141

INTIMEE

S.A.R.L. DAMPERE, prise en la personne de son gérant en exercice, M. [W] [Y] [E], domicilié en cette qualité au siège social situé

[Adresse 2]

[Localité 3]

Immatriculée au rcs de Meaux sous le numéro 791 306 335

Représentée par Me Olivier ROUX de l’AARPI ALTES, avocat au barreau de PARIS, toque C 210

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 23 mai 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Françoise BARUTEL, conseillère et Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, présidente de chambre

Mme Françoise BARUTEL, conseillère

Mme Déborah BOHÉE, conseillère.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRÊT :

contradictoire

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Carole TREJAUT, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

La société GANTOIS INDUSTRIES (ci-après, la société GANTOIS), immatriculée le 22 avril 2011, se présente comme ayant pour activités la conception et la vente de tôles perforées dont certaines à motifs décoratifs. Elle est titulaire d’un modèle de l’Union européenne n°002889824-0007, dit « EXAU », enregistré le 4 décembre 2015, sur lequel elle revendique également des droits d’auteur, comportant la représentation graphique suivante :

L’ensemble est décrit comme un modèle de tôle perforée selon un motif longitudinal ondulatoire, chaque vague étant elle-même constituée de plusieurs lignes ondulantes asymétriques, c’est-à-dire qui ne s’emboîtent pas, ni ne s’empilent parfaitement les unes sur les autres, chacune de ces lignes étant composée d’une succession de trous de diamètres différents.

Elle est également titulaire d’un modèle de l’Union européenne n°002889824-0005, également enregistré le 4 décembre 2015, comportant la représentation graphique suivante :

Les tôles perforées sont utilisées notamment pour recouvrir les façades extérieures de bâtiments.

La société DAMPERE, immatriculée le 13 mars 2013 et créée par un ancien cadre de la société GANTOIS, se présente comme ayant pour activités l’étude et la réalisation d’éléments de construction métallique, tels que des clôtures ou éléments séparatifs en métal.

Ayant découvert que la société DAMPERE proposait à la vente des tôles perforées reprenant, selon elle, les caractéristiques de son modèle « EXAU », la société GANTOIS l’a, par courrier du 4 septembre 2018, vainement mise en demeure d’avoir à cesser toute fabrication, réalisation et commercialisation du produit litigieux.

Elle a ensuite, selon procès-verbal établi le 26 octobre 2019, fait procéder à un constat d’huissier relatif à la façade du parking d’un magasin SUPER U réalisée en bardage gris foncé d’aspect métallique et perforé :

C’est dans ce contexte que, par acte signifié le 17 janvier 2020, la société GANTOIS a fait assigner la société DAMPERE devant le tribunal judiciaire de Paris pour voir constater l’atteinte à ses droits de propriété intellectuelle.

Dans un jugement rendu le 7 mai 2021, modifié par un jugement rectificatif d’erreur matérielle du 14 mai 2021, le tribunal judiciaire de Paris a’:

– rejeté la demande tendant à la nullité du dessin et modèle communautaire enregistré n°002889824-0007 [“EXAU”],

– débouté la société GANTOIS de l’ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon,

– débouté la société GANTOIS de l’ensemble de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale,

– rejeté la demande tendant à la nullité le dessin et modèle communautaire enregistré n°002889824-0005,

– débouté la société DAMPERE de sa demande au titre de la procédure abusive,

– condamné la société GANTOIS à payer à la société DAMPERE la somme de 7.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société GANTOIS aux dépens,

– dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire.

Le 5 juillet 2021, la société GANTOIS a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, numérotées 4 et notifiées le 21 mars 2023, la société GANTOIS INDUSTRIES demande à la cour de’:

Vu les articles L. 511-1, L. 513-2, L. 513-5, L 521-5, L. 522-1, L. 522-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle,

Vu les articles L 111-1 et suivants, ainsi que les articles L. 331-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle,

Vu l’article 1240, anciennement 1382, du code civil,

– faire droit à l’appel principal de la société GANTOIS INDUSTRIES et débouter la société DAMPERE de son appel incident’;

– infirmer le jugement sauf en ce qu’il a jugé que le modèle de l’Union Européenne du 4 décembre 2015 n°002889824-0007 de la société GANTOIS INDUSTRIES était valable’;

– statuant à nouveau,

– débouter la société DAMPERE de sa demande de nullité du modèle de l’Union Européenne du 4 décembre 2015 n°002889824-0007 de la société GANTOIS INDUSTRIES’;

– condamner la société DAMPERE pour actes de contrefaçon de modèle et de droits d’auteur et atteinte aux droits de la société GANTOIS INDUSTRIES sur son modèle de tôles ayant fait l’objet d’un enregistrement dans l’Union Européenne n°002889824-0007 et protégé au titre des droits d’auteur’;

– condamner la société DAMPERE pour actes de concurrence déloyale distincts’;

– ordonner la production de tous documents ou informations détenus par la société DAMPERE, notamment bancaires et comptables, permettant à la société GANTOIS INDUSTRIES de déterminer l’ampleur des actes contrefaisants’;

– faire défense à la société DAMPERE de commercialiser tous modèles de tôles perforées constituant une reproduction des caractéristiques du modèle n°002889824-0007 de la société GANTOIS INDUSTRIES dans un délai de trois jours à compter de la signification de l’arrêt à intervenir à peine d’une astreinte définitive de 1 000 euros par infraction constatée, l’infraction s’entendant de chaque fait de commercialisation d’un modèle de tôles perforées reprenant les caractéristiques du modèle de GANTOIS INDUTRIES’;

– ordonner la confiscation et la remise à la société GANTOIS INDUSTRIES aux fins de destruction aux frais de la société DAMPERE de tous les stocks de tôles reproduisant les caractéristiques de son modèle n°002889824-0007 dans un délai de cinq jours à compter de la signification du jugement à intervenir à peine d’une astreinte définitive de 1 000 euros par jour de retard’;

– ordonner la destruction aux frais de la société DAMPERE de toutes les tôles en place chez ses clients et reproduisant les caractéristiques de son modèle n°002889824-0007 dans un délai de dix jours à compter de la signification de l’arrêt à intervenir à peine d’une astreinte définitive de 1 000 euros par jour de retard’;

– condamner la société DAMPERE à payer à la société GANTOIS INDUSTRIES la somme de 100 000 euros de provision à valoir sur son préjudice résultant des actes de contrefaçon de modèle et de droits d’auteur, sauf à parfaire’;

– condamner la SARL DAMPERE à payer à la société GANTOIS INDUSTRIES la somme de 100 000 euros de provision à valoir sur son préjudice résultant des actes de concurrence déloyale, sauf à parfaire’;

– ordonner la publication de l’arrêt à intervenir aux frais de la société DAMPERE dans trois journaux au choix de la société GANTOIS INDUSTRIES dans la limite de 5 000 euros HT par insertion’;

– rejeter les demandes reconventionnelles et toute autre plus amples et/ou contraires de la société DAMPERE’;

– condamner la société DAMPERE à payer à la société GANTOIS INDUSTRIES la somme de 15.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, et en tous les dépens, en ce compris les frais de constat, et dont distraction au profit de Me FROMANTIN, sur son affirmation de droit.

Dans ses dernières conclusions, numérotées 3 et notifiées le 13 mars 2023, la société DAMPERE demande à la cour de’:

Vu le règlement CE n°6/2002 du Conseil du 12 décembre 2001, notamment ses articles 5, 6, 24 et 25,

Vu les articles L111-1, L 112-2, du code de la propriété intellectuelle,

Vu l’article 1240 du code civil,

Vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile,

Vu les articles L 211-11 et L 211-11-1 et R 211-7 du code de l’organisation judiciaire,

Vu la jurisprudence citée,

– à titre principal,

– confirmer le jugement du 7 mai 2021 en ce qu’il a :

– débouté la société GANTOIS INDUSTRIES de l’ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon,

– débouté la société GANTOIS INDUSTRIES de l’ensemble de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale,

– condamné la société GANTOIS INDUSTRIES à payer à la société DAMPERE la somme de 7.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société GANTOIS INDUSTRIES aux dépens,

– constater que la société GANTOIS INDUSTRIES n’a pas interjeté appel du jugement du 14 mai 2021 qui a constaté l’erreur matérielle dans le jugement du 7 mai 2021 et « DIT que dans le dispositif la somme allouée au titre de l’article 700 du code de procédure civile, la somme de « 6000 euros » – est remplacée par « 7000 euros »,

– juger irrecevables en appel les demandes de la société GANTOIS INDUSTRIES en contrefaçon de droits d’auteur,

– recevoir l’appel incident de la société DAMPERE,

– infirmer le jugement du 7 mai 2021 en ce qu’il a :

– rejeté la demande tendant à la nullité du dessin et modèle communautaire enregistré n°002889824-0007,

– rejeté la demande tendant à la nullité du dessin et modèle communautaire enregistré n°002889824-0005,

– débouté la société DAMPERE de sa demande au titre de la procédure abusive,

– en conséquence :

– déclarer nul le dessin et modèle communautaire enregistré n°002889824-0007,

– déclarer nul le dessin et modèle communautaire enregistré n°002889824-0005,

– condamner la société GANTOIS INDUSTRIES à payer à la société DAMPERE la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

– en tout état de cause :

– débouter la société GANTOIS INDUSTRIES de l’intégralité de ses demandes,

– condamner la société GANTOIS INDUSTRIES à payer à la société DAMPERE la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif,

– condamner la société GANTOIS INDUSTRIES à payer à la société DAMPERE les frais irrépétibles comprenant la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel, ainsi que la somme de 849,20 euros TTC correspondant au procès-verbal de constat dressé par Me [N], huissier de justice, le 16 décembre 2021,

– condamner la société GANTOIS INDUSTRIES aux entiers dépens de l’instance.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 4 avril 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur les demandes en contrefaçon de la société GANTOIS

Sur les demandes en contrefaçon du modèle de l’Union européenne n°002889824-0007 dit « EXAU’»

Sur la validité du modèle «’EXAU’»

La société DAMPERE soutient que le modèle communautaire n°002889825-0007 est dépourvu de nouveauté’; que l’ornementation qui a fait l’objet d’une demande de dessin et modèle par GANTOIS n’est pas de la création de GANTOIS mais est antérieure à la date du dépôt’; que GANTOIS achète des «’ornementations », des modèles de tôles perforées, à des agences spécialisées qui les conçoivent et en cèdent les droits d’utilisation et de reproduction ; que GANTOIS a donc utilisé le dessin d’un autre et a tenté de se l’approprier en tant que dessin et modèle’; qu’il est d’ailleurs révélateur que GANTOIS ne donne aucune indication quant à la création du dessin objet du modèle’; que le dessin était déjà commercialisé par la société PROTECTOR ALUMINUM le 27 février 2015, antérieurement à la date de dépôt du modèle revendiqué’; que le motif objet du dessin et modèle existe également à l’identique sous forme de motif de papeterie DUTCH DOOBADOO créé par Mme [B]’; que le motif revendiqué par GANTOIS est encore identique à un modèle de pochoir vendu depuis 2015 par [A] [C]’sur le site internet ETSY ; que contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, le site archive.org a bien autorité’et les antériorités qu’elle produit ont date certaine ; qu’en outre, en faisant valoir que M. V., son gérant, qui avait été précédemment salarié chez GANTOIS jusqu’en 2012 (soit 3 ans avant le dépôt), avait eu connaissance du succès du motif dès 2012 et et l’avait par la suite copié, la société GANTOIS reconnaît qu’elle a elle-même auto-antériorisé son modèle ; que de fait, le catalogue 2012 de GANTOIS comporte une tôle métallique perforée antériorisant son modèle.

Elle ajoute que le modèle est également et à tout le moins nul pour défaut de caractère individuel’; que le dessin et modèle communautaire n°002889824-0007 présente un caractère de “déjà vu” et produit la même impression d’ensemble au regard des antériorités précitées et également d’autres créations antérieures'(portail BECHEREL, image CURLY PAT), et ce d’autant que, s’agissant d’une ornementation, le créateur disposait d’une liberté de création sans limite’; qu’une divulgation faite dans n’importe quel point du globe est par principe effective’; qu’il suffit que l’accès à l’art antérieur ait été pratiquement possible’; que la charge de la preuve de l’exception prévue à l’article 7 du règlement communautaire n°6/2002 pèse sur le titulaire du dessin et modèle qui invoque cette exception dans le but d’éviter l’annulation de son titre de propriété industrielle.

La société GANTOIS répond que son modèle est valable’; que la preuve de la date certaine de la capture d’écran produite par DAMPERE afin de prouver l’absence de nouveauté du modèle n’est pas rapportée’; que DAMPERE ne fait pas la démonstration d’une divulgation qui pouvait être raisonnablement connue des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté’; que la société PROTECTOR ALUMINIUM est établie en Australie’; que les captures d’écran concernant le motif de papeterie créé par Mme [B] datent de 2020 et ne peuvent donc antérioriser un droit de 2015′; que la date du dessin de [A] [C] est pas certaine non plus’; que la commercialisation de ce dessin semble concerner les Etats-Unis.

La société GANTOIS soutient que les antériorités invoquées, qui n’ont pas de date certaine et ne satisfont pas aux exigences de l’article 7 du règlement communautaire n° 6/2002, sont insusceptibles de détruire le caractère individuel de son modèle dès lors qu’elles produisent une impression d’ensemble différente’; que les caractéristiques des antériorités opposées sont tout à fait différentes, s’agissant notamment du portail BECHEREL qui présente un entrecroisement de lignes là où il y a des lignes ondulantes parallèles au sein de son modèle qui produit un effet presque de «’mille-feuilles’».

Ceci étant exposé, l’article 4 § 1 du règlement communautaire n° 6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins et modèles communautaires dispose que la protection d’un dessin ou modèle communautaire n’est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel. Selon les articles 5 § 1 b) et 6 § 1 b) du même règlement, un dessin ou modèle communautaire enregistré est considéré comme nouveau si aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué au public avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement du dessin ou modèle pour lequel la protection est demandée ou, si une priorité est revendiquée, la date de priorité, et comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité. L’article 6 § 2 indique, en outre, que pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle. Par ailleurs, l’article 8 § 1 du même règlement dispose qu’un dessin ou modèle communautaire ne confère pas de droits sur les caractéristiques de l’apparence d’un produit qui sont exclusivement imposées par sa fonction technique.

Et, en application de l’article 7 du même règlement, un dessin ou modèle communautaire enregistré est réputé avoir été divulgué au public s’il a été publié à la suite de l’enregistrement ou autrement, ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, avant la date visée à l’article 5, paragraphe 1, point a), et à l’article 6, paragraphe 1, point a), ou à l’article 5, paragraphe 1, point b), et à l’article 6, paragraphe 1, point b), selon le cas, sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné, opérant dans la Communauté. Toutefois, le dessin ou modèle n’est pas réputé avoir été divulgué au public s’il a seulement été divulgué à un tiers sous des conditions explicites ou implicites de secret.

La nouveauté d’un dessin ou modèle s’apprécie par comparaison globale entre le modèle tel qu’il est déposé et le modèle antérieurement divulgué qui est opposé, tous deux pris dans leur ensemble constitué par la combinaison de leurs éléments caractéristiques, et non par l’examen de chacun des éléments qui les composent pris isolément. Seule l’identité entre le modèle et la création divulguée, qui découle de l’absence de différences ou de l’existence de différences insignifiantes révélées par cet examen global, est destructrice de nouveauté, et il appartient à celui qui conteste la nouveauté du modèle de rapporter la preuve du contenu et de la date certaine de la divulgation de l’antériorité qu’il oppose.

L’examen du caractère individuel, quant à lui, doit être effectué de manière globale, en tenant compte du degré d’attention de l’utilisateur averti, se définissant comme doté non d’une attention moyenne, mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré, de l’importance respective qu’il y a lieu d’accorder aux différentes caractéristiques des dessins ou modèles comparés et, enfin, du degré de liberté du créateur qui varie selon la nature du produit.

En l’espèce, la société DAMPERE produit en cause d’appel un extrait du catalogue GANTOIS de l’année 2012 (sa pièce 19) qui comporte une tôle métallique perforée avec des ligne droites, non ondulantes, ce qui est très différent des caractéristiques du modèle revendiqué et ne peut donc le priver de sa nouveauté et de son caractère individuel. Elle produit encore une page du site www.dutchdoobadoo.nl concernant un motif de papeterie (pièce 6) et une page du site www.etsy.com concernant un modèle de pochoir «’Allower’» (pièce 9), mais ces documents ne présentent aucune date certaine et ne peuvent donc être utilement invoqués à titre d’antériorités.

Elle produit également, pour la première fois en appel, un constat d’huissier de justice en date du 16 décembre 2021 (sa pièce 16) comportant notamment une capture d’écran du site archive.org faisant apparaître la date du 27 février 2015 et concernant une page extraite du site protectoraluminium.com, laquelle présente une série d’écrans décoratifs (decorative screens), et notamment un modèle référencé «’Profile 27’» qui comporte des lignes ondulantes asymétriques, chacune composée d’une succession de trous de différents diamètres.

Cette capture d’écran du site archive.org, qui propose des informations horodatées sur l’historique des modifications apportées à un fichier ou une page internet, présente une force probante suffisante pour établir l’existence de la page du site protectoraluminium.com montrant le modèle «’Profile 27’» à la date du 27 février 2015, soit antérieurement à la date du dépôt de la demande d’enregistrement du modèle «’EXAU’» de la société GANTOIS, étant rappelé en outre qu’en matière civile, les constatations de l’huissier de justice 2font foi jusqu’à preuve contraire, laquelle n’est ici nullement rapportée. La société GANTOIS n’établit pas, par aillleurs, que la circonstance que la société PROTECTOR ALUMINIUM est établie en Australie a pour conséquence que la divulgation du modèle «’Profile 27’» ne pouvait raisonnablement être connue des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans la Communauté, au sens de l’article 7 précité du règlement n° 6/2002, dès lors notamment que l’antériorité opposée par la société DAMPERE a été obtenue à partir du moteur de recherches GOOGLE depuis la France et que les milieux spécialisés sont des professionnels du secteur de la construction, susceptibles, dans la pratique normale des affaires, d’effectuer des recherches de produits sur tout site internet leur étant accessible, tel le site de la société australienne.

La surface du dessin «’Profile 27’» ainsi présenté ne permet pas de conclure à une identité avec le dessin du modèle de la société GANTOIS susceptible d’en détruire la nouveauté. Cependant, force est de constater que le modèle de la société GANTOIS ne produit pas sur l’utilisateur averti – en l’espèce, comme le suggère la société DAMPERE non contredite sur ce point, principalement voire exclusivement un professionnel du secteur de la construction -, une impression d’ensemble différente de celle produite par l’écran décoratif antérieur «’Profile 27’» de la société PROTECTOR ALUMINIUM’tel qu’il apparaît sur le procès-verbal versé au débat’:

Modèle de la société GANTOIS « Profile 27’» de PROTECTOR AUMINIUM

Cette appréciation est renforcée par le fait que s’agissant d’une «’ornementation’», ainsi qu’indiqué sur le certificat d’enregistrement du modèle, le créateur disposait d’une liberté très importante pour l’élaboration de son dessin, comme le confirment les exemples de réalisation fournis par la société GANTOIS (sa pièce 4).

L’antériorité fournie par la société DAMPERE apparaît donc de nature à priver de caractère individuel le modèle de la société GANTOIS et à entraîner sa nullité, les demandes en contrefaçon de dessin et modèle de cette dernière ne pouvant alors prospérer.

Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu’il a rejeté la demande de nullité du dessin et modèle «’EXAU’» mais confirmé en ce qu’il a débouté la société GANTOIS de l’ensemble de ses demandes en contrefaçon de ce dessin et modèle.

Sur les demandes en contrefaçon de droits d’auteur sur le dessin « EXAU’»

La société GANTOIS demande l’infirmation du jugement, prétendant démontrer que son dessin présente des caractéristiques esthétiques et originales, non fonctionnelles, traduisant l’empreinte de la personnalité de l’auteur et un apport créatif indéniable, et qu’il doit bénéficier par conséquent de la protection par le droit d’auteur. Elle indique que son modèle est un habillage de bâtiment qui donne un aspect original total et visuel, que cet habillage est arbitraire et empreint d’une physionomie particulière dessinée par les ondulations et les perforations de tailles différentes.

La société DAMPERE soutient que les demandes en appel sur le fondement du droit d’auteur sont irrecevables, puisque la société GANTOIS s’est abstenue devant le premier juge de caractériser l’originalité de l”uvre revendiquée et qu’elle ne parvient pas, en appel, à caractériser ladite originalité.

Ceci étant exposé, l’article L.111-l du code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une ‘uvre de l’esprit jouit sur cette ‘uvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. En application de l’article L.112-l du même code, ce droit appartient à l’auteur de toute oeuvre de l’esprit, quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une ‘uvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale. Néanmoins, lorsque l’originalité d’une ‘uvre de l’esprit est contestée, il appartient à celui qui revendique la protection au titre du droit d’auteur d’identifier ce qui caractérise cette originalité.

La cour rappelle que l’originalité d’une oeuvre prétendue est une condition de fond et non pas de recevabilité de l’action en contrefaçon de droits d’auteur, le défaut d’originalité conduisant donc au débouté du demandeur à l’action en contrefaçon et non à son irrecevabilité. La fin de non recevoir soulevée par la société DAMPERE ne peut donc qu’être rejetée et il convient de statuer sur l’originalité du dessin «’EXAU’».

En l’espèce, la société GANTOIS définit ainsi qu’il suit les caractéristiques originales de son dessin de tôle « EXAU’» :

“- tôle perforée selon un motif longitudinal ondulatoire ;

– chaque vague est elle-même constituée de plusieurs lignes ondulantes asymétriques, c’est-à-dire qui ne s’emboîtent pas, ni ne s’empilent parfaitement les unes sur les autres ;

– chacune de ces lignes est composée d’une succession de trous de diamètres différents”.

Elle ajoute que les perforation sont placées de façon à dessiner un mouvement. Elle soutient que ces caractéristiques sont «’non seulement esthétiques mais originales, en ce qu’elles traduisent l’empreinte de la personnalité de l’auteur et un apport créatif indéniable, vu l’emploi qui est fait pour décorer des façades de bâtiments’».

Mais, alors que, comme il a été dit, le modèle de la société GANTOIS ne génère pas une impression globale différente de celle produite par le décor antérieur «’Profile 27’» de la société PROTECTOR ALUMINIUM, la brève description strictement objective que fournit ainsi la société GANTOIS ne peut caractériser une démarche originale et créatrice portant l’empreinte de la personnalité d’un auteur.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu’il a débouté la société GANTOIS de ses demandes fondées sur la contrefaçon de droits d’auteur.

Sur les demandes de la société GANTOIS en concurrence déloyale

La société GANTOIS soutient que les agissements de la société DAMPERE sont par ailleurs constitutifs d’actes distincts de concurrence déloyale compte tenu des lourds investissements qu’elle a consacrés à la conception de son modèle et qui sont aujourd’hui pillés sans vergogne par la société DAMPERE qui en propose une copie quasi servile’; que la société DAMPERE échappe ainsi à tous frais d’étude et de conception en bénéficiant de ses efforts commerciaux et financiers ; qu’il existe nécessairement un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle, résultant de la simple ressemblance visuelle entre les dessins ; que le gérant actuel de la société DAMPERE n’est autre que son ancien responsable produits qui avait une parfaite connaissance de la phase préparatoire et du succès du motif «’EXAU’» et qui, ayant créé la société DAMPERE, s’est empressé de copier le modèle.

La société DAMPERE soutient que la société GANTOIS ne verse aucune pièce démontrant les lourds investissements allégués’; que la concurrence déloyale suppose une faute, laquelle n’est en l’espèce nullement démontrée’; que la société GANTOIS se contente de reprocher, au titre de la concurrence déloyale, la copie de son dessin et modèle, ce qui ne caractérise aucun acte distinct de la contrefaçon ; que la seule existence d’un risque de confusion, qui, s’il ne conditionne pas la contrefaçon de modèle, est induit par l’exigence d’une impression visuelle globale non différente pour l’utilisateur averti, ne suffit pas, en l’absence d’autres agissements, à caractériser un acte distinct de concurrence déloyale’; qu’il n’est pas prouvé que son gérant aurait eu connaissance du modèle’en cause.

Ceci étant exposé, la cour rappelle que sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme, sur le fondement dans l’article 1240 du code civil, les comportements fautifs, tels que ceux visant à créer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ou à tirer indûment profit d’une valeur économique d’autrui procurant un avantage concurrentiel résultant d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements, et que ces notions doivent être appréciées au regard du principe de la liberté du commerce et de l’industrie qui implique qu’un article qui ne fait pas l’objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l’absence de faute, telle que 3la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ou la captation indue des efforts et de la notoriété d’autrui, circonstances attentatoires à l’exercice paisible et loyal du commerce.

En l’espèce, la société GANTOIS qui a vu rejeter ses demandes en contrefaçon, faute de reconnaissance des droits privatifs qu’elle revendique sur son dessin «’EXAU’», est recevable à invoquer, au titre d’un acte distinct de concurrence déloyale, la copie, selon elle, quasi servile, de son dessin. Toutefois, comme l’ont retenu les premiers juges qui, ayant rejeté la demande d’annulation du modèle «’EXAU’», ont examiné l’existence de la contrefaçon, le dessin exploité par la société DAMPERE ne produit pas l’effet visuel d’ondulation caractérisant le dessin «’EXAU’», outre que les bandes perforées du produit litigieux se rejoignent pour former des ramifications évoquant des branches d’arbre, ce qui donne à l’ensemble un mouvement plus aléatoire. Le risque de confusion n’est ainsi pas démontré, d’autant que le public pertinent est composé essentiellement de professionnels qui seront sensibles à ces différences.

Le grief de parasitisme n’est pas plus établi, la société GANTOIS, qui s’est manifestement inspirée du dessin PROTECTOR ALUMINIUM préexistant, n’étant pas en mesure de justifier de ses investissements de création et de développement. La thèse de l’appropriation du dessin par son ancien salarié, devenu le gérant de la société DAMPERE, est sans pertinence compte tenu de la préexistence (février 2015) du dessin antérieur de la société PROTECTOR ALUMINIUM générant la même impression d’ensemble.

Pour ces motifs, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes en concurrence déloyale de la société GANTOIS.

Sur la demande de la société DAMPERE de nullité du modèle de l’Union Européenne du 4 décembre 2015 n° 002889824-0005

La société DAMPERE indique s’être aperçue que la société GANTOIS avait effectué concomitamment au dépôt de dessin et modèle communautaire n°002889824-0007 opposé au titre de la contrefaçon, d’autres dépôts d’ornementation’; que le modèle n°002889824-0005 s’avère être la reprise à l’identique du modèle n°17 de la société PROTECTOR ALUMINIUM.

La société GANDOIS ne présente aucune argumentation pour répondre à cette demande de nullité.

La page extraite du site protectoraluminium.com contenue dans le procès-verbal de constat d’huissier précité produit en pièce 16 en appel par la société DAMPERE avec une capture d’écran du site archive.org datée du 27 février 2015 présente également un modèle référencé «’Profile 17’»’:

Les dimensions de la reproduction du dessin «’Profile 17’» ne sont pas suffisantes pour permettre de conclure à une parfaite identité avec le dessin du modèle n° 002889824-0005 de la société GANTOIS susceptible d’en détruire la nouveauté. Par ailleurs, le modèle postérieur de la société GANTOIS ne produit pas sur l’utilisateur averti, à savoir, principalement un professionnel du secteur de la construction, la même impression d’ensemble de celle générée par l’écran décoratif antérieur «’Profile 17’» de la société PROTECTORALUMINIUM, le premier faisant apparaître de façon irrégulière des empattements noirs disséminés ici et là entre les motifs végétaux qui ne sont pas visibles sur le motif «’Profile 17’» tel qu’il ressort du procès-verbal de constat d’huissier, outre que le motif «’Profile 17’» comporte des éléments végétaux ronds qui ne se retrouvent pas dans le modèle GANTOIS’:

Modèle de la société GANTOIS «’Profile 17’» de PROTECTOR ALUMINIUM

L’antériorité fournie par la société DAMPERE n’est donc pas de nature à priver de nouveauté ni de caractère individuel le modèle de la société GANTOIS et à entraîner sa nullité.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu’il a rejeté la demande tendant à la nullité du dessin et modèle communautaire enregistré n°002889824-0005.

Sur la demande de la société DAMPERE pour procédure et appel abusifs

La société DAMPERE soutient que la société GANTOIS a fait preuve de déloyauté en procédant à une demande de dessin et modèle pour une ornementation qu’elle savait préexistante et en se prévalant de ce titre pour agir contre un concurrent, dirigé par un de ses anciens salariés au comportement irréprochable, afin d’empêcher’une jeune entreprise de se développer dans des conditions de marché et de concurrence normales ; que le détournement du droit de la propriété intellectuelle de sa finalité et l’intention de nuire sont caractérisés et son préjudice, notamment moral, avéré’; que l’appel est également abusif.

La société GANTOIS ne répond pas sur ce point.

L’accès au juge étant un droit fondamental et un principe général garantissant le respect du droit, ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le fait d’agir en justice ou d’exercer une voie de recours légalement ouverte est susceptible de constituer un abus.

La société DAMPERE ne démontre pas la faute commise par la société GANTOIS qui a agi sur le fondement d’un titre enregistré en cours de validité et a interjeté appel d’un jugement ayant reconnu la validité de ce titre, et qui a ainsi pu légitimement se méprendre sur l’étendue de ses droits.

Elle ne démontre pas en outre l’existence d’un préjudice distinct de celui causé par la nécessité de se défendre en justice qui sera réparé par l’allocation d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le jugement sera donc confirmé ce qu’il a rejeté la demande de la société DAMPERE. Sa demande formée au titre de la procédure d’appel sera pareillement rejetée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société GANTOIS, partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de la société GANTOIS au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société DAMPERE peut être équitablement fixée à 7’000 €, en ce compris les frais du procès-verbal d’huissier de justice du 16 décembre 2021, cette somme complétant celle allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement sauf en ce qu’il a rejeté la demande tendant à la nullité du dessin et modèle communautaire enregistré n°002889824-0007 [“EXAU”],

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Annule le dessin et modèle communautaire enregistré n°002889824-0007 [“EXAU”] dont est titulaire la société GANTOIS INDUSTRIES,

Rejette la fin de non recevoir soulevée par la société DAMPERE relativement aux demandes de la société GANTOIS INDUSTRIES en contrefaçon de droits d’auteur,

Rejette la demande de la société DAMPERE au titre de l’appel abusif,

Condamne la société GANTOIS INDUSTRIES aux dépens d’appel et au paiement à la société DAMPERE de la somme de 7’000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, en ce compris les frais du procès-verbal d’huissier de justice du 16 décembre 2021 établi par Me [N].

La Greffière La Présidente

 


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