Article
Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d’un recours dirigé contre la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, adoptée le 30 juin 2006.
Par ce recours, les saisissants mettent en cause la procédure législative suivie pour adopter la loi déférée et adressent différentes critiques aux dispositions des articles 1er, 2, 3, 14, 16, 21, 22, 23, 24 et 44 de la loi.
Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :
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I. – Sur la procédure législative
A. – Les députés requérants soutiennent, en premier lieu, que la procédure législative aurait été irrégulière, à deux égards.
La critique porte, d’une part, sur le déroulement de la discussion qui a conduit, en première lecture à l’Assemblée nationale, à l’adoption des dispositions qui sont devenues celles de l’article 1er de la loi déférée. Selon le recours, le retrait de l’article 1er du projet de loi de la discussion à l’Assemblée nationale, qui a été un temps décidé par le Gouvernement, aurait constitué une remise en cause des décisions de l’Assemblée et aurait porté atteinte à l’exercice du droit d’amendement. Selon les saisissants, la réintroduction ultérieure dans la discussion des dispositions retirées n’aurait pas purgé ces irrégularités initiales.
Le recours met en cause, d’autre part, l’intervention de la commission mixte paritaire qui a été réunie pour proposer un texte sur les dispositions demeurant en discussion après une lecture par chaque assemblée. Il fait valoir, sur ce point, que la commission mixte paritaire aurait adopté 55 amendements réécrivant des dispositions essentielles du projet, outrepassant les limites imparties au droit d’amendement à ce stade de la discussion parlementaire.
B. – Le Gouvernement estime que ces différentes critiques ne sont pas de nature à justifier la censure de la loi déférée.
1. Pour ce qui concerne, en premier lieu, la discussion, à l’Assemblée nationale, des dispositions dont est issu l’article 1er de la loi déférée, il convient de rappeler que la discussion sur le projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 12 novembre 2003, s’est déroulée, devant cette assemblée, en deux étapes, d’abord entre le 20 et le 22 décembre 2005, puis entre le 7 et le 21 mars 2006. Plus de quatre-vingts heures de débat ont été consacrées par l’Assemblée nationale, en première lecture, à l’examen de ce texte.
En raison des positions divergentes qui s’étaient manifestées sur l’article 1er du projet lors du débat du mois de décembre, le Gouvernement a souhaité, à la reprise des travaux en mars, que la discussion porte sur un texte de synthèse, élaboré entre-temps, tirant les conséquences des premiers débats. C’est pourquoi, dans le souci d’une meilleure clarté des débats, le Gouvernement a, tout à la fois, présenté un amendement n° 272 portant article additionnel après l’article 1er proposant cette rédaction nouvelle et décidé de retirer de la discussion l’article 1er initial du projet de loi. Il s’agissait d’en venir directement à la discussion du texte de compromis appelé à se substituer au texte initial ; dans cet esprit, il apparaissait inutile et redondant de poursuivre une discussion vaine sur l’article 1er dans sa version initiale, dont le Gouvernement demanderait le rejet, pour reprendre ensuite la même discussion sur les bases nouvelles de l’article additionnel résultant de l’amendement n° 272. C’est par lettre du 3 mars 2006 adressée au président de l’Assemblée nationale que le ministre de la culture et de la communication, agissant au nom du Gouvernement, a indiqué qu’il retirait de la discussion l’article 1er du projet de loi, sur le fondement de l’article 84 du règlement de l’Assemblée nationale ; ce retrait a été annoncé en séance publique le 6 mars 2006, la veille de la reprise de la discussion sur le texte ; l’amendement n° 272 a été déposé ce même jour.
La discussion s’est engagée le mardi 7 mars 2006 sur l’amendement n° 272 du Gouvernement, qui a fait l’objet de sous-amendements. Mais elle a donné lieu à plusieurs rappels au règlement et à de nombreux incidents de procédure. Ce qui a conduit le Gouvernement, compte tenu de l’évolution du débat parlementaire, à renoncer, le mercredi 8 mars au soir, au retrait de l’article 1er initial ; il a alors rapporté le retrait de l’article 1er et décidé de réinvoquer les amendements qui avaient été déposés sur cet article, à l’issue de l’examen de l’amendement n° 272 du Gouvernement dont le vote a été réservé. La discussion s’est alors déroulée de la façon suivante : ont été examinés, d’abord, les sous-amendements à l’amendement n° 272, puis le vote sur cet amendement a été réservé ; la discussion sur l’article 1er a ensuite été reprise là où le débat en était resté avant son retrait avec l’examen des 14 amendements restant en discussion, aucun nouvel amendement n’ayant été déposé ; enfin, l’article a été mis au vote et rejeté avant que l’amendement n° 272 ne soit mis aux voix et adopté.
Le Gouvernement estime que cette succession d’événements n’a pas, dans les circonstances de l’espèce, porté atteinte à la sincérité du débat parlementaire. Il considère qu’à supposer que le retrait de l’article 1er soit regardé comme irrégulier la reprise de la discussion de l’article 1er, après que le retrait de l’article a été tenu pour nul et non avenu, a rétabli le cours normal du débat, de telle sorte que l’adoption des dispositions qui sont devenues celles de l’article 1er de la loi déférée ne peut, en tout état de cause, être jugée contraire aux règles constitutionnelles régissant la procédure législative.
On doit observer, s’agissant du retrait de l’article 1er de la discussion, qu’il a toujours été admis, en pratique, sous la Ve République, que le Gouvernement, auquel appartient l’initiative des lois en vertu de l’article 39 de la Constitution, puisse renoncer à un projet de loi qu’il a déposé sur le bureau d’une assemblée, ou à une partie de ce projet de loi. L’article 84 du règlement de l’Assemblée nationale précise ainsi que « les projets de loi peuvent être retirés par le Gouvernement à tout moment jusqu’à leur adoption définitive » et on connaît de nombreux exemples où le Gouvernement a procédé au retrait de certains articles d’un projet de loi au cours de la discussion de ce projet.
Ainsi, pour s’en tenir à quelques exemples, ont été retirés en cours de discussion, avant le début de l’examen de l’article, l’article 65 du projet de loi de finances pour 1985, l’article 26 du second projet de loi de finances rectificative pour 1986, l’article 64 du projet de loi de finances pour 1987, les articles 1er et 23 du projet de loi de finances rectificative pour 1995, l’article 26 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1998. Il est aussi advenu que des articles soient retirés après que leur examen eut débuté : ainsi l’article 7 du projet de loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier retiré le 12 juin 1991 après l’intervention d’un parlementaire inscrit sur l’article ; ou l’article 17 du projet de loi sur l’octroi de mer retiré le 15 juin 1992 ; ou encore l’article 9 du projet de loi sur les géomètres experts retiré le 11 janvier 1994. Il est encore arrivé qu’un article soit retiré, avant qu’il ne soit mis aux voix, alors que son examen avait débuté et qu’il avait fait l’objet d’amendements votés : c’est, en effet, dans ces conditions qu’a été retiré l’article 5 du projet de loi sur les prix agricoles le 13 décembre 1961. Ces différents exemples de retrait paraissent s’inscrire dans les prévisions de l’article 84 du règlement de l’Assemblée nationale qui précise que le retrait peut avoir lieu « à tout moment » jusqu’à l’adoption définitive par le Parlement.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose, en vertu de l’article 44 de la Constitution, du droit d’amendement. Il lui était, dès lors, loisible de déposer l’amendement n° 272 proposant un texte modifié intégrant les réflexions complémentaires suscitées par le débat parlementaire du mois de décembre 2005. Combiné au retrait de l’article 1er initial, cet amendement visait à rendre la discussion plus claire, dans l’esprit de satisfaire aux exigences constitutionnelles relatives à la sincérité du débat parlementaire. On peut, à cet égard, relever, même si l’enchaînement précis des faits diffère, que le Conseil constitutionnel a déjà admis, dans certaines circonstances, que le Parlement puisse adopter un article additionnel, introduit par voie d’amendement, traitant du même sujet que celui qui faisait l’objet d’un article du texte précédemment retiré ou écarté (voir la décision n° 84-172 DC du 26 juillet 1984 ; la décision n° 2005-512 DC du 21 avril 2005). Il importe toutefois que la sincérité du débat n’en soit pas affectée, c’est-à-dire que la procédure ne traduise pas de manoeuvre et que les membres de l’assemblée aient pu apprécier, en connaissance de cause, la portée de leurs votes.
Au cas présent, l’intention du Gouvernement était de contribuer à la clarté du débat en faisant en sorte qu’il porte sur une nouvelle rédaction intégrant les préoccupations qui avaient été exprimées à l’Assemblée nationale au mois de décembre ; c’est pourquoi il estime que la mise en oeuvre de ces procédures de retrait et de dépôt concomitant d’amendement ne traduit pas, dans les circonstances présentes, d’irrégularité au regard des exigences constitutionnelles.
La reprise des débats, le 7 mars 2006, a toutefois montré que la mise en oeuvre de ces procédures faisait l’objet de vives contestations risquant de compromettre la suite du débat. C’est ce qui a conduit le Gouvernement à décider, finalement, de renoncer au retrait de l’article 1er. Cette décision de retrait a ainsi été rapportée, ce qui a eu pour conséquence de permettre au débat de reprendre sur la version initiale de l’article 1er et sur les amendements qui avaient été déposés sur cette version. Au terme de ce débat, le vote sur l’article 1er initial est intervenu avant le vote sur l’article additionnel résultant de l’amendement n° 272 ; les votes des députés, qui ont pu être émis en toute connaissance de cause, se sont traduits, de façon cohérente, par le rejet de l’article 1er initial et l’adoption de l’amendement portant article additionnel.
En tout état de cause, la reprise de la discussion sur la version initiale de l’article 1er et sur les amendements qui avaient été déposés sur ce texte montre que, contrairement à ce que soutient le recours, il n’a pas été porté atteinte à l’exercice du droit d’amendement des membres de l’Assemblée nationale et qu’aucun vote de l’Assemblée n’a été remis en cause. A supposer que le retrait de l’article 1er et le dépôt simultané de l’amendement n° 272 traduise une irrégularité, la décision ayant rapporté le retrait et la reprise du débat sur l’article 1er a fait disparaître toutes les conséquences qui ont pu résulter de l’épisode du retrait.
Dans ces conditions, le Gouvernement considère que les critiques adressées à la procédure d’adoption des dispositions qui sont devenues l’article 1er de la loi déférée ne peuvent conduire à la censure, par le Conseil constitutionnel, de ces dispositions.
2. En second lieu, les griefs formulés par le recours à l’encontre de l’intervention de la commission mixte paritaire ne pourront qu’être écartés.
Conformément à ce que prévoit l’article 45 de la Constitution, le Premier ministre a provoqué la réunion d’une commission mixte paritaire afin que cette commission propose un texte sur les dispositions restant en discussion. L’urgence ayant été déclarée, le Premier ministre pouvait, dans le respect de la Constitution, mettre en oeuvre cette faculté après une lecture par chaque assemblée. Cette décision a été prise parce que la perspective d’un accord à ce stade entre les deux assemblées apparaissait crédible et parce que, en termes de calendrier, le texte avait, notamment, pour objet de transposer la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001, dont le délai de transposition était expiré et dont le défaut de transposition avait exposé la France à une action en manquement devant la Cour de justice des Communautés européennes.
On sait que l’article 45 de la Constitution, qui dispose que la commission mixte paritaire est chargée de proposer un texte sur « les dispositions restant en discussion », interdit, en principe, l’adoption de mesures nouvelles ainsi que la modification de dispositions qui ont déjà été adoptées en termes identiques par les deux assemblées. Les seuls amendements susceptibles d’être adoptés après la réunion de la commission mixte paritaire sont ainsi ceux qui sont « en relation directe » avec une disposition restant en discussion et ceux qui sont « dictés par la nécessité de respecter la Constitution, d’assurer une coordination avec d’autres textes en cours d’examen ou de corriger une erreur matérielle » (décision n° 2001-453 DC du 18 décembre 2001 ; décision n° 2004-501 DC du 5 août 2004 ; décision n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006).
Au cas présent, les amendements qui ont été adoptés par la commission mixte paritaire étaient tous en relation directe avec des dispositions demeurant en cours de discussion. Ils ont tous directement porté sur des articles qui n’avaient pas fait l’objet d’une adoption conforme par les deux assemblées à l’issue de la première lecture, à l’exception de celui qui a modifié les dispositions qui sont devenues celles de l’article 49 de la loi déférée. Mais, sur ce dernier point, l’objet de l’amendement tendait à la coordination des dispositions de cet article 49, relatives à l’outre-mer, avec la rédaction finalement retenue pour les dispositions, demeurant en discussion, de l’article 4 de la loi ; il était ainsi, lui aussi, en relation directe avec des dispositions restant en discussion, conformément à ce qui est admis par la jurisprudence constitutionnelle.
Les différents amendements mis en cause par la saisine ont ainsi été adoptés dans le respect des exigences résultant de l’article 45 de la Constitution. Contrairement à ce qui est soutenu, il n’y a pas lieu, à ce stade, de porter une appréciation sur la teneur des amendements et sur la portée que les modifications apportées ont pu avoir, au fond, sur l’économie du texte de loi.
Ainsi, le Gouvernement considère que les griefs articulés par la saisine à l’encontre de la procédure législative ne sont pas de nature à faire douter de la conformité à la Constitution de la loi déférée.
II. – Sur les articles 1er, 2 et 3
A. – Les articles 1er, 2 et 3 de la loi déférée, qui ont été pris pour assurer la transposition de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, modifient notamment les articles L. 122-5, L. 211-3 et L. 342-3 du code de la propriété intellectuelle qui déterminent les actions auxquelles ne peuvent s’opposer l’auteur, le titulaire de droits voisins ou le producteur d’une base de données. Les articles 1er, 2 et 3 ajoutent certaines exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins. Ils précisent aussi que ces exceptions ne peuvent porter atteinte à « l’exploitation normale » de l’oeuvre, de l’enregistrement ou de la base de données, ni « causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes » de l’auteur, du titulaire des droits voisins ou du producteur de la base de données.
Les auteurs du recours soutiennent que ces dernières dispositions seraient trop imprécises et ne satisferaient pas aux exigences constitutionnelles de prévisibilité et d’intelligibilité de la loi ainsi qu’au principe constitutionnel de légalité des délits et des peines.
B. – Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne cette argumentation.
Les dispositions critiquées relatives à « l’atteinte à l’exploitation normale » de l’oeuvre et au « préjudice injustifié » porté aux « intérêts légitimes » de l’auteur se bornent à transcrire, aux articles L. 122-5, L. 211-3 et L. 342-3 du code de la propriété intellectuelle, des dispositions classiques résultant de divers instruments internationaux et, notamment, de plusieurs directives communautaires. Ces instruments visent à s’assurer que les législations des Etats parties ne comportent pas d’exceptions aux droits des auteurs dont la mise en oeuvre serait attentatoire à leurs intérêts. Elles traduisent l’idée que les auteurs détiennent en principe l’exclusivité des droits sur leurs oeuvres et que les exceptions qui peuvent y être apportées par les législations nationales doivent être encadrées et limitées. C’est ainsi qu’elles édictent les trois règles suivantes, souvent connues sous l’appellation de « test en trois étapes », selon lesquelles les exceptions ou limitations apportées aux droits de l’auteur doivent correspondre à des cas spéciaux énumérés, qu’elles ne doivent pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre, et qu’elles ne doivent pas causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.
Des stipulations en ce sens ont été introduites à l’article 9, § 2, de la Convention de Berne par la conférence de Stockholm de 1967 et, plus tard, pour tous les droits patrimoniaux, à l’article 13 de l’accord ADPIC de 1994 et aux articles 10 et 16 des deux traités OMPI du 20 décembre 1996 sur le droit d’auteur et les droits voisins. Des dispositions du même ordre ont été introduites dans la législation communautaire, à l’article 6, § 3, de la directive 91/250/CEE du Conseil du 14 mai 1991 relative à la protection juridique des programmes d’ordinateurs, à l’article 6, § 3, de la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996 relative à la protection juridique des bases de données, à l’article 5, § 5, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, que la loi déférée entend transposer. Pour assurer la transposition de ces prescriptions communautaires, le code de la propriété intellectuelle comporte déjà des dispositions qui reprennent ces règles : ainsi le V de l’article L. 122-6-1, pour ce qui concerne les logiciels.
Les dispositions critiquées des articles 1er, 2 et 3 de la loi déférée procèdent à la transposition des objectifs fixés par l’article 5 de la directive du 22 mai 2001. Elles complètent la liste des exceptions au droit d’auteur, droits voisins et droits des producteurs de bases de données et déterminent ainsi la liste des cas spéciaux, conçue comme limitative, des exceptions ou limitations apportées aux titulaires de ces droits. Elles reprennent la formule relative à « l’atteinte à l’exploitation normale » et au « préjudice injustifié aux intérêts légitimes » qui conduisent, conformément à la directive et aux instruments internationaux ratifiés par la France, à une interprétation restrictive de ces exceptions et limitations, permettant d’éviter que leur mise en oeuvre ne s’avère abusive.
Ce faisant, le législateur n’est pas demeuré en deçà de la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution au titre des principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales. En termes de technique juridique, il a eu recours à des notions conduisant à procéder à des opérations de qualification juridique. Il n’a pas adopté de dispositions imprécises ou inintelligibles qui ne pourraient être appliquées. En témoigne le fait que les juridictions françaises, statuant directement au vu des stipulations de la convention de Berne ou des termes de la directive du 22 mai 2001, ont déjà été conduites à faire application de ces dispositions relatives aux exceptions ou limitations des droits : ainsi la Cour de cassation, par un arrêt du 28 février 2006 (Cass. civ. I, n° 05-15.824 et n° 05-16.002), a fait application de la notion d’atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre dans un litige relatif à l’insertion de mesures techniques de protection destinées à empêcher la copie d’une oeuvre cinématographique diffusée par DVD.
Ainsi, pour le Gouvernement, les dispositions adoptées par le législateur apparaissent suffisamment précises au regard de l’article 34 de la Constitution. Elles ne méconnaissent pas non plus le principe de clarté de la loi, qui résulte du même article, ou l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Par ailleurs, l’invocation du principe de légalité des délits et des peines, qui résulte de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à l’encontre des dispositions des articles 1er, 2 et 3 de la loi déférée apparaît en soi inopérante, dans la mesure où les dispositions critiquées sont relatives au régime civil du droit d’auteur et des droits voisins et ne définissent pas, par elles-mêmes, d’incrimination pénale. Les dispositions pénales figurent au chapitre V du titre III du livre III du code de la propriété intellectuelle. Il ne s’attache des conséquences pénales aux dispositions résultant des articles 1er, 2 et 3 de la loi déférée qu’indirectement, via notamment les termes des articles L. 335-2, L. 335-3 ou L. 335-4 du code de la propriété intellectuelle. Au demeurant, ainsi qu’il a été dit, les dispositions en cause apparaissent suffisamment précises pour pouvoir être mises en oeuvre.
III. – Sur l’article 14
A. – L’article 14 de la loi déférée, insérant deux articles au code de la propriété intellectuelle, confie à l’Autorité de régulation des mesures techniques, autorité administrative indépendante, le soin de veiller à ce que des mesures techniques n’aient pas pour conséquence d’entraîner dans l’utilisation d’une oeuvre des limitations supplémentaires et indépendantes de celles décidées par le titulaire du droit d’auteur ou de droits voisins. A cette fin, l’article L. 331-7 inséré au code de la propriété intellectuelle organise le mode de saisine de l’Autorité par les éditeurs de logiciel, les fabricants de systèmes techniques et les exploitants de service, en cas de refus d’accès à des informations essentielles à l’interopérabilité.
Les députés auteurs du recours font valoir que la saisine de l’Autorité de régulation des mesures techniques est réservée à certains opérateurs et qu’elle n’est prévue ni pour les utilisateurs des produits et services considérés ni pour les titulaires du droit d’auteur ou des droits voisins. Ils en déduisent que les dispositions de l’article 14 méconnaîtraient le principe constitutionnel garantissant le droit à un recours effectif résultant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
B. – Un tel grief, qui se méprend sur la portée du dispositif institué par le législateur, ne pourra qu’être écarté.
Conformément aux objectifs poursuivis par l’article 6 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, le législateur a adopté plusieurs dispositions relatives aux mesures techniques de protection. L’article 13 de la loi protège ainsi les mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou à limiter les utilisations non autorisées par le titulaire d’un droit d’auteur ou d’un droit voisin d’une oeuvre, d’une interprétation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme.
Le législateur a toutefois entendu instituer un dispositif destiné à favoriser l’interopérabilité et à limiter l’utilisation de mesures techniques de protection à d’autres fins que la protection du droit d’auteur et des droits voisins. De telles mesures techniques peuvent, en effet, aussi être mises en oeuvre par les fournisseurs de produits dans le but de limiter la concurrence ; elles peuvent ainsi constituer des freins à la diffusion des oeuvres et à l’accès à la culture, sans reposer alors sur le motif légitime de la protection des droits des auteurs, des interprètes ou des producteurs. Dans la ligne exprimée par le considérant n° 54 de la directive du 22 mai 2001, selon lequel « la compatibilité et l’interopérabilité des différents systèmes doivent être encouragées », le législateur a voulu favoriser l’interopérabilité des systèmes dans le but de stimuler la concurrence et l’innovation et de contribuer au développement des offres en ligne.
Il a ainsi précisé, à l’article L. 331-5 du code de la propriété intellectuelle, résultant de l’article 13 de la loi déférée, que les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d’empêcher la mise en oeuvre effective de l’interopérabilité, dans le respect du droit d’auteur, et qu’elles ne peuvent s’opposer au libre usage de l’oeuvre dans les limites des droits de propriété intellectuelle. Il a également institué une autorité administrative indépendante, l’Autorité de régulation des mesures techniques, pour veiller à ce que les mesures techniques n’entraînent pas de limitations supplémentaires par rapport à celles décidées par les titulaires du droit d’auteur et des droits voisins. Le législateur a prévu, à l’article L. 331-7 du code résultant de l’article 14 de la loi déférée, que cette autorité pourrait être saisie par tout éditeur de logiciel, tout fabricant de système technique ou tout exploitant de service pour avoir accès aux informations techniques nécessaires pour permettre l’interopérabilité des systèmes. Le législateur a confié à cette autorité un pouvoir de décision pour permettre l’accès aux spécifications techniques des mesures techniques, en s’assurant des garanties de protection des droits des créateurs. Il l’a investie d’un pouvoir de sanction et l’a habilitée à saisir le Conseil de la concurrence.
Ce faisant, le législateur n’a pas garanti au bénéfice de chaque consommateur un droit individuel à l’interopérabilité des systèmes qu’il utilise. Il a seulement institué un mécanisme permettant aux industriels d’avoir accès, sous certaines conditions, à des informations techniques permettant de concevoir des systèmes compatibles sans que soient remises en cause les mesures de protection liées au respect du droit d’auteur. L’interopérabilité ne saurait, en effet, s’entendre comme la suppression de toute forme de protection par des mesures techniques, ce qui ne garantirait plus le respect des droits des créateurs et se révélerait contraire aux objectifs de la directive du 22 mai 2001. Sans doute, la recherche de l’interopérabilité des systèmes, via l’action des opérateurs et des industriels, a-t-elle pour finalité ultime la satisfaction des consommateurs ; mais le législateur n’a pas, pour autant, consacré un droit personnel et individuel de chaque consommateur à l’interopérabilité.
Le législateur a ainsi effectué un choix, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation et compte tenu des différents intérêts en présence. Il a considéré, de façon réaliste, que les questions d’interopérabilité sont d’ordre technique, qu’elles doivent être résolues par des accords industriels conduisant à l’échange des informations techniques nécessaires à la conception et à la réalisation de systèmes compatibles et non par l’intervention directe des consommateurs. Aucune disposition constitutionnelle ne lui imposait de retenir un choix différent, pas davantage que le respect des engagements internationaux souscrits par la France.
Dans ces conditions, le législateur n’était certainement pas tenu de prévoir que l’Autorité de régulation des mesures techniques pourrait être saisie par tout consommateur ou tout titulaire de droits de propriété intellectuelle. Eu égard à l’objet et à la portée du dispositif qu’il a choisi de mettre en place, une telle saisine n’aurait pas véritablement de sens. Et le principe constitutionnel garantissant le droit à un recours effectif n’a ni pour objet ni pour effet d’imposer au législateur d’ouvrir à toute personne la possibilité de saisir une autorité administrative indépendante.
IV. – Sur l’article 16
A. – L’article 16 de la loi déférée, insérant plusieurs articles au code de la propriété intellectuelle, détermine les conditions dans lesquelles est garanti le bénéfice de l’exception pour copie privée. Il prévoit que l’Autorité de régulation des mesures techniques pourra fixer notamment le nombre minimal de copies autorisées dans le cadre de l’exception de copie privée, sous réserve cependant, et notamment, des décisions des titulaires de droits qui conservent la possibilité de recourir à des mesures techniques de protection limitant le nombre de copies.
Les auteurs du recours reprochent à ces dispositions d’instituer un régime de la copie privée incohérent, facteur d’insécurité juridique. Ils soutiennent également qu’elles porteraient atteinte au droit de propriété. Ils font, par ailleurs, référence au droit à la protection de la vie privée, à « l’équité économique » et aux « droits fondamentaux ».
B. – Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne pareille argumentation.
En premier lieu, on doit observer qu’il est toujours loisible au législateur d’aménager la portée d’une règle qu’il édicte ou d’assortir cette règle d’exceptions ou de dérogations. On ne saurait, dès lors, sous couvert d’incohérence ou de contradiction, reprocher par principe au législateur d’adopter des dispositions nouvelles qui viendraient nuancer ou limiter la portée de dispositions antérieures.
En matière de copie privée, il est vrai que l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit que lorsqu’une oeuvre a été divulguée, son auteur ne peut interdire les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective. On doit toutefois relever que ces dispositions ont pour objet et pour effet de limiter les droits de l’auteur ; elles n’ont pas pour portée de garantir aux utilisateurs de toujours pouvoir réaliser une copie de l’oeuvre à des fins d’usage privé (voir en ce sens Cass. civ. I, 28 février 2006, n° 05-15.824 et n° 05-16.002, précité ; voir aussi Cass. crim. 30 mai 2006, n° 05-83-335). En ajoutant au code de la propriété intellectuelle, par l’article 16 de la loi déférée, plusieurs articles destinés à déterminer les conditions dans lesquelles le bénéfice de l’exception de copie privée est garanti aux utilisateurs, le législateur a aménagé le régime de la copie privée, en instaurant un nouveau dispositif garantissant l’exercice effectif de la copie privée dans le cadre du régime de l’exception pour copie privée qui n’a pas été modifié. Le législateur n’a, en tout état de cause, pas adopté de dispositions incohérentes ou contradictoires.
Il était, au demeurant, tenu d’adopter ces dispositions pour respecter les conditions posées par la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, dès lors qu’il retenait l’option consistant à garantir la copie privée. S’imposaient à lui, en particulier, les termes de l’article 6 de la directive relatif aux mesures techniques de protection, dont le paragraphe 4 interdit aux Etats « d’empêcher les titulaires de droits d’adopter des mesures adéquates en ce qui concerne le nombre de reproductions ». Il incombait ainsi au législateur, ainsi qu’il l’a fait à l’article 16 (voir notamment l’article L. 331-9 résultant de cet article), de prévoir que les titulaires de droits peuvent recourir à des mesures techniques en leur assignant pour objectif de limiter le nombre de copies.
En deuxième lieu, le Gouvernement considère que les dispositions adoptées par le législateur ne portent pas une atteinte excessive au droit de propriété des auteurs et artistes interprètes. On doit relever, à cet égard, que si l’article L. 331-8 confie à l’Autorité de régulation le pouvoir de fixer le nombre minimal de copies autorisées, il précise que c’est sous réserve de l’application des articles suivants, notamment l’article L. 331-9 qui garantit le droit des titulaires de droits à limiter, par la voie de mesures techniques de protection, le nombre de copies qu’ils entendent autoriser. On doit également observer que, si la loi invite à ce que la mise en oeuvre de ces mesures techniques ne prive pas les bénéficiaires des exceptions de leur exercice effectif, elle manifeste que ce bénéfice peut être subordonné à un accès licite à l’oeuvre et ne doit pas avoir pour effet de porter atteinte à son exploitation normale ou de causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire des droits. Ces précautions apparaissent apporter des garanties suffisantes au respect du droit de propriété intellectuelle des auteurs et des artistes interprètes.
On observera, enfin, qu’on ne voit pas en quoi les dispositions critiquées porteraient atteinte au droit constitutionnel au respect de la vie privée, ni aux « droits fondamentaux »