Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d’un recours dirigé contre la loi pour l’initiative économique, adoptée le 21 juillet 2003. Les auteurs de la saisine critiquent les dispositions des articles 43, 44, 47, 48 et 49 de la loi.
Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
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I. – Sur les articles 43 et 44
A. – L’article 43 étend aux transmissions à titre gratuit d’entreprises réalisées entre vifs en pleine propriété le dispositif prévu en matière de successions. Les dispositions figurant actuellement aux articles 789 A et 789 B du code général des impôts pour les droits de mutation par décès sont à cette fin transférées respectivement aux articles 787 B et 787 C du même code. Les nouvelles dispositions traiteront ainsi également des transmissions à titre gratuit.
L’article 44, pour sa part, supprime le droit supplémentaire prévu à l’article 1840 G nonies du code général des impôts sanctionnant le manquement aux engagements pris par les héritiers bénéficiant de la réduction de droits d’enregistrement lors de la transmission successorale de parts ou d’actions de société ou d’immeubles et de biens meubles affectés à l’exploitation d’une entreprise en application respectivement des articles 789 A et 789 B, devenus 787 B et 787 C.
Les députés requérants soutiennent, d’une part, que la modification apportée par l’article 43 a pour effet d’accorder un avantage fiscal disproportionné, constitutif d’une rupture caractérisée de l’égalité devant l’impôt. Ils considèrent, d’autre part, que l’article 44 n’est pas dissociable de l’article 43 et qu’il devra être censuré en conséquence de la censure de l’article 43.
B. – Ces griefs ne pourront être retenus par le Conseil constitutionnel.
1. La législation actuelle en matière de transmission d’entreprise prévoit une exonération des droits de mutation par décès, à hauteur de 50 % de la valeur du bien transmis sous réserve de la satisfaction de certaines conditions. Cette exonération partielle résulte de deux dispositions du code général des impôts : l’article 789 A, qui concerne les transmissions de parts ou actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, et l’article 789 B, qui vise la transmission d’une entreprise individuelle ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
S’agissant de l’exonération partielle prévue par l’article 789 A, celle-ci est notamment soumise à la condition que le défunt et ses associés aient préalablement pris un engagement collectif de conserver pendant au moins deux ans les parts ou actions qui feront l’objet de l’exonération partielle. Par ailleurs, cet engagement collectif doit porter sur au moins 25 % des droits financiers et des droits de vote attachés aux titres émis par la société s’ils sont admis à la négociation sur un marché réglementé ou, à défaut, sur au moins 34 %, y compris les parts ou actions transmises.
Les conditions requises par les deux dispositifs sont notamment l’exercice effectif de l’activité professionnelle principale ou la poursuite de l’exploitation par l’un des héritiers, donataires ou légataires pendant les cinq années qui suivent la date de la transmission par décès, la souscription par chacun des héritiers, donataires ou légataires d’un engagement dans la déclaration de succession, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, de conserver les biens transmis pendant une durée de six ans à compter de la date d’expiration de l’engagement collectif (art. 789 A) ou de la date du décès (art. 789 B).
Par ailleurs, les transmissions d’entreprises effectuées par voie de donation bénéficient des dispositions générales prévues en matière de transmission anticipée de patrimoine et notamment des réductions de droits prévues par l’article 790 du code général des impôts selon l’âge du donateur, soit une réduction de 50 % si la donation est effectuée avant 65 ans ou de 30 % si la donation est consentie entre 65 et 75 ans.
2. Le principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte, dans le cadre de la compétence que lui reconnaît l’article 34 de la Constitution, des mesures d’incitation économique se traduisant par l’octroi d’avantages fiscaux, dès lors qu’ils répondent à des motifs suffisants d’intérêt général (par exemple décision n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002).
En l’espèce, le législateur a pris en considération la nécessité, pour l’économie nationale, d’assurer non seulement la création et le développement mais encore la bonne transmission des entreprises. Dans les dix années à venir, quelque 500 000 entreprises vont changer de dirigeants pour des raisons démographiques. Il importe, pour préserver le tissu économique, de veiller à ce que ces transmissions d’entreprise se passent dans des conditions permettant de garantir la pérennité de l’appareil productif et l’emploi. Ce motif d’intérêt général éminent justifie la mise en place de dispositifs fiscaux spécifiques et incitatifs.
La législation actuelle favorise certes déjà les transmissions anticipées de patrimoine consenties par des donateurs âgés de moins de 75 ans par application d’une réduction de droits de mutation à titre gratuit dégressive selon l’âge du donateur. Cet avantage fiscal s’applique quelle que soit la nature des biens transmis, y compris lorsque la donation porte sur une entreprise. Par ailleurs, la spécificité de l’entreprise, par rapport à d’autres catégories de biens, est d’ores et déjà reconnue par l’octroi d’un abattement de 50 % sur la valeur de l’entreprise en cas de transmission par décès, sous certaines conditions permettant d’assurer la pérennité de l’entreprise. On peut noter que ce dernier dispositif, mis en place par la loi de finances pour 2000, n’a pas suscité de critiques de la part du Conseil constitutionnel.
Dans le cadre des dispositions existantes, la transmission d’une entreprise pouvait être envisagée, pour bénéficier d’avantages fiscaux, selon deux modalités différentes : ou bien procéder à une donation avant les 75 ans du donateur et bénéficier ainsi des réductions de droits mais sans qu’aucune contrainte liée à la conservation de l’entreprise ne soit imposée aux bénéficiaires ; ou bien préparer et organiser la succession, mais sans procéder à la transmission anticipée du patrimoine, et bénéficier de l’abattement de 50 % sur la valeur de l’entreprise après le décès. Aucune de ces deux situations n’est apparue pleinement satisfaisante : la première n’apporte aucune garantie quant à la conservation de l’entreprise ; la seconde n’est pas de nature à favoriser la transmission anticipée de biens.
Compte tenu du nombre d’entreprises susceptibles d’être transmises à court terme (un tiers des chefs d’entreprise ont plus de 50 ans et 7 % ont plus de 60 ans) et de l’enjeu économique et social qui s’attache à la réussite de ces transmissions, le législateur a souhaité étendre le dispositif prévu en faveur des successions aux transmissions d’entreprises réalisées par voie de donation et favoriser ainsi les donations d’entreprises pour lesquelles sont pris des engagements permettant d’assurer la stabilité de l’actionnariat et la pérennité de l’entreprise dans les années qui suivent la transmission.
Il est vrai que l’avantage fiscal décidé par le législateur peut apparaître significatif et qu’il pourra se cumuler avec l’application des dispositions de l’article 790 du code général des impôts. Mais il faut souligner que l’objet et le champ des dispositions critiquées sont très différents de celles de l’article 790. Il était nécessaire, au vu de la situation des entreprises et pour atteindre l’objectif d’intérêt général poursuivi par le législateur, de mettre en place un dispositif attractif. Ne pas permettre le cumul des dispositifs aurait fait perdre tout effet incitatif à la mesure, car avant 65 ans les donateurs auraient certainement utilisé, à l’exclusion de tout autre, le dispositif permettant des réductions de droits, en raison de l’absence de toute contrainte. Il n’était, par ailleurs, pas souhaitable de modifier les dispositions de l’article 790 qui ont un objet différent des dispositions modifiées par la loi déférée : elles visent, pour leur part, à favoriser la transmission anticipée de toute forme de patrimoine, sans s’attacher au cas particulier de la transmission d’entreprise.
Enfin, il faut souligner que l’avantage institué par le législateur est subordonné à une condition très exigeante, celle de transmettre l’entreprise en pleine propriété. Ainsi, l’allégement fiscal en cause ne pourra s’appliquer qu’aux seules transmissions d’entreprises pour lesquelles la transmission du capital sera concomitante à la transmission du pouvoir dirigeant au sein de l’entreprise.
3. S’agissant de l’article 44 de la loi déférée, on peut observer que les saisissants se bornent à soutenir qu’il devrait faire l’objet d’une censure en conséquence d’une censure de l’article 43. Cette argumentation ne pourra qu’être écartée, dès lors, d’une part, que la critique adressée à l’article 43 ne pourra, ainsi qu’il vient d’être exposé, pas être suivie et, d’autre part, et surtout, qu’il n’existe pas entre l’article 43 et l’article 44 de lien juridique tel qu’il puisse justifier une censure par voie de conséquence.
II. – Sur l’article 47
A. – L’article 47 de la loi déférée ajoute un article 885 I bis au code général des impôts qui prévoit que les parts ou les actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ne sont pas comprises, sous certaines conditions, dans les bases d’imposition de l’impôt de solidarité sur la fortune à concurrence de la moitié de leur valeur. Pour bénéficier d’un tel avantage, les personnes concernées doivent souscrire un engagement collectif de conservation des titres pour une durée qui ne peut être inférieure à six années. En outre, il est exigé que les titres détenus par le redevable au 1er janvier de l’année d’imposition doivent faire l’objet d’un engagement collectif de conservation avec d’autres associés et que l’un des associés doit exercer dans la société dont les titres sont soumis à engagement collectif soit son activité principale, soit une fonction de direction. L’engagement collectif de conservation doit porter sur au moins 20 % des droits financiers et droits de vote attachés à des titres cotés et sur au moins 34 % pour les parts et autres actions de société. Le non-respect de cet engagement au cours des six premières années entraîne pour le cédant la remise en cause totale des exonérations sur le passé.
Les auteurs du recours soutiennent que les règles résultant de l’article 47 et conduisant, sous certaines conditions, à ne pas comprendre dans les bases d’imposition de l’impôt de solidarité sur la fortune les parts ou actions d’une société à concurrence de la moitié de leur valeur ne reposeraient pas sur des critères objectifs et rationnels et entraîneraient une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Selon eux, la disposition critiquée instituerait un avantage fiscal disproportionné par rapport à l’objectif poursuivi et introduirait vis-à-vis des autres assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune des différences de traitement qui ne sont pas en relation directe avec l’objectif d’intérêt général poursuivi. Ils soutiennent, en outre, que la condition imposant que l’engagement collectif de conservation porte sur au moins 20 % des droits financiers et droits de vote attachés aux titres introduit une différence de traitement injustifiée par rapport au seuil de 25 % résultant des dispositions applicables aux biens professionnels. Ils considèrent, enfin, qu’en traitant différemment les détenteurs d’une entreprise selon qu’elle est constituée sous forme de société ou sous forme d’entreprise individuelle, l’article 47 porte atteinte au principe d’égalité.
B. – Ces griefs seront écartés.
1. On peut rappeler, en premier lieu, qu’il appartient au législateur de déterminer librement l’assiette et le taux d’une imposition, sous réserve du respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle et que le principe constitutionnel d’égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte, pour des motifs d’intérêt général, des mesures d’incitation économique se traduisant par l’octroi d’avantages fiscaux.
Au cas présent, il faut relever que l’article 47 de la loi déférée a pour objet d’inciter les actionnaires à conserver les parts et actions qu’ils détiennent dans le capital d’une société, de façon à assurer la stabilité du capital social des entreprises. Ce faisant, le législateur a entendu répondre, par un dispositif approprié, à une situation préoccupante : l’expérience récente a, en effet, montré que les actionnaires minoritaires d’un grand nombre d’entreprises, redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune sans pouvoir bénéficier de l’exonération prévue pour les biens professionnels, sont incités à vendre leurs parts ou actions, ce qui se traduit par la prise de contrôle de ces entreprises par des actionnaires extérieurs. Or, de telles prises de contrôle sont susceptibles de nuire à la pérennité ou au développement des entreprises et peuvent conduire à la délocalisation d’activités et à des pertes d’emplois. Cette situation concerne, au premier chef, les actionnaires familiaux, mais elle vaut aussi, de façon plus générale, pour toutes les entreprises à l’actionnariat éclaté.
L’article 47 répond ainsi, comme il a été exposé au cours des débats parlementaires, au motif d’intérêt général qui vise à garantir la stabilité du capital social des entreprises, et partant leur pérennité, et d’éviter qu’il y soit porté atteinte par la vente de parts ou d’actions motivée par des considérations fiscales. En exigeant un engagement collectif de conservation pendant au moins six ans des parts et actions de la société, le législateur a déterminé une condition en rapport avec l’intérêt général poursuivi. L’engagement collectif de conservation implique, en effet, une cessibilité très réduite des titres en ce que le redevable lié par cet engagement ne pourra pas céder ses parts ou actions, sauf au bénéfice des autres parties à l’engagement.
On doit souligner, de plus, que le législateur a précisément encadré le bénéfice de l’avantage fiscal qu’il instituait. Outre la condition tenant à l’engagement collectif de conservation d’actions pour une durée minimale de six années, il résulte des termes mêmes de la loi que l’exonération de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune ne porte que sur 50 % de la valeur des parts ou actions de sociétés. L’engagement collectif doit en outre porter, selon la nature des valeurs mobilières cotées ou non cotées, sur au moins 20 % des droits financiers ou des droits de vote ou au moins 34 % des mêmes droits. A cet égard, on peut noter qu’il est justifié de fixer un seuil de l’ordre du tiers pour les sociétés non cotées, plus élevé que celui du cinquième applicable aux sociétés cotées, pour tenir compte de l’existence d’un actionnariat nécessairement plus diversifié dans les sociétés cotées.
Eu égard à ces limitations et conditions, l’avantage résultant de l’article 47 ne peut être regardé comme disproportionné. Il n’emporte pas de rupture caractérisée du principe d’égalité devant les charges publiques. On peut d’ailleurs relever que le droit positif connaît déjà plusieurs dispositions qui excluent certains biens de l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune : il en va ainsi, en particulier, pour les biens professionnels (V. les articles 885 A et 885 N et suivants du code général des impôts ; V. aussi la décision n° 83-164 DC du 29 décembre 1983), pour les objets d’antiquité, d’art ou de collection, les droits de propriété industrielle ou de propriété littéraire et artistique (V. l’article 885 I), pour certaines parts de groupements fonciers agricoles considérées comme des biens professionnels (V. l’article 885 Q). La loi prévoit également certaines exonérations de l’impôt (V. l’article 885 H sur des biens donnés à bail en vertu du code rural). Dans ces conditions, il n’apparaît pas que l’exclusion de la base de l’imposition de 50 % de la valeur des parts et actions ayant fait l’objet d’un engagement collectif de conservation présente un caractère disproportionné au regard du motif d’intérêt général que le législateur a entendu poursuivre.
2. En deuxième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, il était loisible au législateur de fixer au cas présent une condition tenant à ce que l’engagement collectif de conservation porte sur au moins 20 % des droits financiers ou des droits de vote, ou sur au moins 34 % des parts ou actions, selon que la société est ou non cotée.
Le législateur n’était nullement tenu de se référer au même seuil que celui qu’il a retenu à l’article 885 O bis du code général des impôts, pour assimiler certaines parts et actions de société à des biens professionnels. Les articles 885 I bis résultant de la loi déférée et l’article 885 O bis n’ont, en effet, ni le même objet ni la même portée. Le seuil de 20 % ou de 34 % permet de garantir que les actionnaires liés par un engagement collectif exerceront effectivement le contrôle de la société ; il est ainsi adapté à l’objet de la disposition. En revanche, le seuil de 25 % mentionné à l’article 885 O bis vise à s’assurer, pour satisfaire à la notion de bien professionnel, du pouvoir du dirigeant sur la société et de l’influence qu’il exerce sur sa gestion. Les dispositions n’ayant pas la même portée, le législateur pouvait dès lors, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, fixer comme il l’a fait la condition tenant à la substance de l’engagement collectif des actionnaires.
3. Le législateur n’a, enfin, pas méconnu le principe d’égalité des contribuables en traitant différemment les détenteurs d’une entreprise selon qu’elle est constituée sous forme de société ou sous forme d’entreprise individuelle. En effet, en raison des différences qui séparent le régime juridique de ces deux formes d’entreprise, les contribuables en cause ne sont pas placés dans la même situation au regard de l’objet de la disposition.
Dans le cas d’un entrepreneur individuel, la confusion entre son patrimoine personnel et professionnel, selon la règle de l’unicité du patrimoine, implique que le capital de l’entreprise individuelle est nécessairement détenu par son propriétaire. La participation des tiers au financement de l’entreprise ne peut s’effectuer que sous la forme de prêts, contrairement à ce qui peut se faire dans les entreprises sous forme sociale. Or, le prêteur procède à une simple mise à disposition de fonds au profit de l’entreprise dont il reste créancier ; sa situation économique et juridique diffère ainsi de celle des actionnaires qui font un apport définitif au capital de l’entreprise.
Sans doute peut-on imaginer que des biens affectés à l’exploitation d’une entreprise individuelle pourraient être partagés, dans certains cas exceptionnels, en cas notamment d’indivision successorale. Mais cet exemple ne peut constituer un mode normal de gestion d’une entreprise industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ; elle ne peut qu’être temporaire et exceptionnelle. En tout état de cause, elle diffère de la gestion d’une société où les associés sont propriétaires du capital au prorata de leurs apports.
III. – Sur l’article 48
A. – L’article 48 de la loi déférée complète le code général des impôts par un article 885 I ter qui instaure une exonération totale d’impôt de solidarité sur la fortune pour des titres reçus en contrepartie de souscription en numéraire ou en nature au capital des petites et moyennes entreprises telles que définies par la réglementation européenne. Ces entreprises doivent exercer exclusivement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Sont exclues les activités de gestion de patrimoine mobilier pour compte propre ainsi que celles des organismes de placement en valeurs mobilières, de même que des activités de gestion ou de location d’immeubles.
Les députés requérants critiquent l’article 48 de la loi déférée au motif qu’il introduirait une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques entre redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune. Ils soutiennent, en particulier, que l’exclusion du bénéfice des dispositions en cause réservée aux activités de gestion du patrimoine mobilier ou immobilier ne repose pas sur des critères objectifs et rationnels, que l’exclusion des entreprises individuelles est contraire au principe d’égalité et que l’exonération des apports en nature est sans lien avec l’objectif poursuivi par le législateur.
B. – Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne cette argumentation.
1. En premier lieu, ainsi qu’il a été dit précédemment, le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur décide d’instituer des avantages fiscaux spécifiques pour des raisons d’intérêt général.
Au cas particulier, l’article 48 de la loi déférée prévoit, sous certaines conditions, une exonération totale de l’impôt de solidarité sur la fortune pour les détenteurs de titres reçus en contrepartie de la souscription au capital de certaines petites et moyennes entreprises. Ce faisant, le législateur a entendu inciter l’investissement productif dans les petites et moyennes entreprises et ainsi favoriser la création et le développement de ces entreprises. Or, il faut mesurer que de tels investissements présentent un caractère plus risqué que d’autres et que, dans bien des cas, ils ne distribuent pas de dividendes. Compte tenu de ces risques spécifiques de perte de valeur du capital investi, l’avantage fiscal doit être significatif pour inciter à cette forme d’investissement. Le dispositif institué par l’article 48 répond ainsi à des considérations d’intérêt général éminentes qui tiennent au rôle essentiel que jouent ces entreprises dans la vie économique nationale. En incitant des redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune à apporter au capital des petites et moyennes entreprises les liquidités ou les biens qui sont nécessaires à leur développement, l’article 48 a adopté une mesure proportionnée à cet objectif d’intérêt général qui n’emporte pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.
On peut d’ailleurs relever, comme précédemment, que le législateur a déjà institué des exonérations totales de l’impôt de solidarité sur la fortune, notamment en faveur des biens professionnels, sans que de telles exonérations aient été jugées contraires à la Constitution (décision n° 83-164 DC du 29 décembre 1983).
Il faut encore souligner que l’exonération décidée par cet article est circonscrite et ciblée. Elle ne peut bénéficier qu’aux apports au capital des petites et moyennes entreprises telles qu’elles sont définies, au plan communautaire, par l’annexe 1 au règlement CE/70/2001 du 12 janvier 2001 concernant l’application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides d’Etat en faveur des petites et moyennes entreprises. L’avantage est ainsi réservé aux apports au capital des entreprises qui emploient moins de 250 personnes, ont un chiffre d’affaires inférieur à 40 MEUR ou un total de bilan inférieur à 27 MEUR, et ne sont pas détenues à hauteur de 25 % ou plus par une entreprise ou conjointement par plusieurs entreprises ne correspondant pas à cette définition de la petite et moyenne entreprise. La loi impose, en outre, le respect de plusieurs conditions : la souscription doit avoir été effectuée en numéraire ou en nature par apport de biens nécessaires à l’exercice de l’activité autres que des actifs immobiliers et des valeurs mobilières ; la société doit exercer au 1er janvier de chaque année une activité exclusivement industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, à l’exclusion des activités de gestion de patrimoine mobilier au sens de l’article 885 O quater et des activités de gestion ou de location immobilière ; la société doit avoir son siège de direction effective dans un Etat membre de la Communauté européenne au 1er janvier de chaque année.
2. En deuxième lieu, la définition précise du champ de l’exonération ne souffre pas de critiques au regard du principe d’égalité. La détermination de ce champ d’application est, en effet, adaptée à l’objet de la mesure, qui est d’inciter à l’investissement dans les petites et moyennes entreprises lorsque cet investissement est soumis à des risques particuliers.
C’est pourquoi les investissements réalisés dans les sociétés exerçant des activités de gestion de patrimoine mobilier au sens de l’article 885 O quater ou de gestion ou de location immobilière ont pu valablement être exclus du bénéfice de la mesure au motif que ces activités n’impliquent pas d’investissements à risque. En particulier, l’exclusion des activités de gestion de patrimoine mobilier au sens de l’article 885 O quater (c’est-à-dire celles exercées pour compte propre) concerne essentiellement les structures de placement mises en place par des professionnels (par exemple sous forme d’OPCVM) qui écartent toute prise de risque de la part des investisseurs. Et, pour ce qui concerne les activités de gestion ou de location immobilière, il apparaît aussi, dans la conjoncture actuelle où l’immobilier constitue une valeur refuge, que la prise de risque est faible.
En revanche, il n’y avait pas lieu, au nom même du principe d’égalité, d’exclure par principe du bénéfice de l’exonération les activités bancaire, financière et d’assurance qui présentent un caractère commercial. Il faut toutefois noter que la mesure étant réservée à l’investissement dans les petites et moyennes entreprises, seules les petites et moyennes sociétés exerçant une activité bancaire, financière ou d’assurance seront susceptibles de bénéficier de l’exonération.
3. En troisième lieu, il sera rappelé que la différence de régime juridique entre les entreprises individuelles et les sociétés justifie que l’avantage institué par l’article 48 ne bénéficie qu’aux investissements effectués dans des sociétés.
Une entreprise individuelle constitue un bien appartenant au patrimoine d’un individu. C’est pourquoi l’entrepreneur est libre d’y affecter les fonds qu’il estime nécessaires à l’exercice de l’activité et qu’il est libre de les en retirer. C’est aussi pourquoi l’investissement que réalise un tiers dans une entreprise individuelle n’est jamais rémunéré par des droits sociaux : le tiers ne peut que prêter des biens à l’entreprise individuelle. Or, une telle opération de prêt ne peut justifier l’octroi d’une exonération, dès lors que le prêteur dispose d’un droit de créance sur l’entreprise et également sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur.
En revanche, une société est une personne juridique distincte de ses membres et dispose d’un patrimoine propre. Les associés ne sont pas libres d’apporter les fonds en capital et de les en retirer ; seule une décision des organes sociaux peut décider d’une augmentation ou d’une diminution. On peut relever que lorsqu’elles sont consenties à des sociétés, les opérations de prêts de fonds et de donation n’ouvrent pas davantage droit au bénéfice de l’exonération.
Ces différences objectives de situation permettent de considérer que le législateur n’a pas méconnu le principe d’égalité en réservant aux apports en capital des sociétés le bénéfice de l’exonération de l’impôt de solidarité sur la fortune instituée par l’article 48 de la loi déférée. On peut d’ailleurs remarquer qu’il existe d’ores et déjà des traitements différenciés s’appuyant sur cette distinction : ainsi, la réduction d’impôt sur le revenu pour souscription au capital de sociétés non cotées, prévue par l’article 199 terdecies 0 A du code général des impôts, ne s’applique-t-elle pas aux versements effectués dans des entreprises individuelles.
IV. – Sur l’article 49
A. – L’article 49 de la loi déférée modifie une des conditions fixées par les articles 885 O bis et 885 O quinquies du code général des impôts pour considérer comme des biens professionnels exonérés d’impôt de solidarité sur la fortune des parts ou actions d’une société détenues directement par le dirigeant de cette société. L’article 49 abaisse de 75 % à 50 % la proportion que doivent représenter ces parts ou actions dans le patrimoine du redevable pour qu’elles puissent être considérées comme des biens professionnels.
Les saisissants soutiennent que l’abaissement du seuil de 75 % à 50 % conduirait à accorder un avantage fiscal disproportionné, contraire au principe d’égalité.
B. – Ce grief n’est pas fondé.
Ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel, il appartient au législateur de décider si les biens nécessaires à l’exercie d’une profession doivent ou non être pris en compte pour l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune. En particulier, il a été admis que les parts sociales ou actions, par le pouvoir qu’elles confèrent à leur propriétaire dans la société où il jouit de l’influence liée à une fonction de direction donnent à celui-ci une maîtrise telle de son instrument de travail qu’elles peuvent être considérées comme des biens professionnels, dès lors qu’elles représentent une part substantielle du capital (décision n° 83-164 DC du 29 décembre 1983).
Au cas présent, le législateur est intervenu pour adapter la définition donnée à l’article 885 O bis de certains biens considérés comme des biens professionnels. Cette adaptation ne dénature pas la notion de biens professionnels, mais se borne à en faire évoluer les contours pour tenir compte de l’évolution de la réalité économique : la proportion de 50 % de la valeur brute des biens imposables, retenue par la loi déférée, alliée à l’exercice d’un pouvoir de direction de l’entreprise, caractérisent toujours une maîtrise de l’instrument de travail telle que les parts ou actions en cause peuvent être regardés comme des biens professionnels.
Il faut relever, à cet égard, que la situation économique récente s’est traduite par une volatilité des valeurs boursières et par une hausse simultanée des actifs immobiliers, devenus valeur refuge. Dans ces conditions, la fixation du seuil de l’avant-dernier alinéa de l’article 885 O bis à 75 % du patrimoine est devenue, en pratique, d’application très exceptionnelle et a perdu, de ce fait, tout caractère réaliste sur un plan économique et patrimonial. Ces évolutions divergentes ont même pu avoir pour effet de faire perdre à certains redevables le bénéfice de l’exonération quand bien même ils n’auraient pas modifié la répartition de leur patrimoine entre actifs professionnels et non professionnels. La diminution du seuil à 50 % permettra de neutraliser le traitement fiscal de leur patrimoine professionnel, atténuant fortement les effets pervers de la volatilité, aujourd’hui acquise, des marchés financiers. En outre, cette diminution du seuil permettra de maintenir un avantage fiscal pour les seules personnes qui continuent de prendre un risque important tant économique que patrimonial.
Dans ces conditions, l’adaptation de la notion de biens professionnels à laquelle procède l’article 49 de la loi déférée ne peut être regardée comme instituant un avantage fiscal disproportionné, constitutif d’une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.
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En définitive, le Gouvernement considère que les critiques adressées par les auteurs de la saisine ne sont pas de nature à justifier la censure de la loi déférée. C’est pourquoi il estime que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.
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