Obligations de vigilance des établissements financiers face aux anomalies apparentes dans les transactions bancaires

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Obligations de vigilance des établissements financiers face aux anomalies apparentes dans les transactions bancaires

M. [M] a été démarché par des sociétés de courtage étrangères non autorisées en France pour investir dans des plateformes de trading en ligne, notamment sur le marché des changes Forex et les options binaires. Entre juillet 2014 et mars 2016, il a effectué 19 virements bancaires totalisant 107 000 euros vers des comptes à l’étranger. Il n’a pas pu récupérer ses fonds, les sociétés de courtage l’informant que ses investissements étaient perdus et devenant injoignables. Après avoir mis en demeure AXA Banque sans succès, M. [M] a assigné AXA Banque et la Société Générale en justice. Le tribunal a débouté M. [M] de ses demandes et l’a condamné à payer des frais. M. [M] a interjeté appel, demandant la réparation de son préjudice financier et moral, arguant qu’AXA Banque avait manqué à son devoir de vigilance en ne détectant pas les anomalies dans ses virements. AXA Banque a soutenu qu’elle avait exécuté les ordres de virement conformément à ses obligations. Le jugement a été confirmé en grande partie, sauf pour les frais irrépétibles, et M. [M] a été condamné aux dépens.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

11 septembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
22/12311
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRET DU 11 SEPTEMBRE 2024

(n° , 7 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/12311 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGCGA

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mai 2022 – tribunal judiciaire de Paris – 9ème chambre 2ème section – RG n° 19/01337

APPELANT

Monsieur [K] [M]

né le [Date naissance 2] 1966 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

INTIMÉE

S.A. AXA BANQUE

[Adresse 1]

[Localité 5]

N° SIRET : 542 016 993

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Thierry SERRA de la SELARL SERRA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0280

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 28 Mai 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Marc BAILLY, président de chambre chargé du rapport

M. Vincent BRAUD, président

Madame Laurence CHAINTRON, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

M. [M] indique s’être fait démarcher par les sociétés de courtages étrangères non autorisées en France Boursomarket et [T] en vue d’investir des fonds sur des plateformes de « trading » en ligne proposant des investissements sur le marché des changes Forex (foreign exchange), ainsi que des opérations de trading sur les options binaires.

Entre le 24 juillet 2014 et le 14 mars 2016, M. [M] a émis 19 virements bancaires pour un montant global de 107 000 euros depuis son compte bancaire ouvert dans les livres d’AXA Banque vers des comptes bancaires détenus dans les établissements bancaires Danske Bank, Ceskoslovenskà obchodna banka, la Banque Postale ou Barclays Bank Plc.

M. [M] s’est trouvé dans l’impossibilité de retirer les fonds investis, les sociétés de courtage l’ont informé que les fonds engagés avaient été entièrement perdus, ses interlocuteurs sont devenus injoignables et les sites des sociétés ont disparus.

M. [M] a mis en demeure AXA Banque de procéder au remboursement des fonds perdus, en vain.

Par exploits d’huissier des 23 et 29 janvier 2019, M. [M] a fait assigner la Société générale et AXA Banque devant le tribunal judiciaire de Paris en responsabilité.

Par un jugement contradictoire du 18 mai 2022 le tribunal judiciaire de Paris a :

-Débouté M. [K] [M] de l’intégralité de ses demandes,

-Condamné M. [K] [M] au paiement à la Société Générale d’une somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-Condamné M. [K] [M] au paiement à la société AXA Banque d’une somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-Condamné M. [K] [M] aux entiers dépens,

-Autorisé Me Dominique Santacru et Me Maud Bouhey à recouvrer directement ceux des dépens dont ils auraient fait l’avance sans avoir reçu provision suffisante,

-Dit n’y avoir lieu au prononcé de l’exécution provisoire.

Par déclaration remise au greffe de la cour le 1er juillet 2022, M. [M] a interjeté appel de cette décision contre AXA Banque.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 octobre 2022, M. [M] demande au visa de l’article 1147 ancien du code civil de :

-Infirmer le jugement du 18 mai 2022 le tribunal judiciaire de Paris en ce qu’il a :

-Débouté M. [K] [M] de l’intégralité de ses demandes,

-Condamné M. [K] [M] au paiement à la société AXA Banque d’une somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-Condamné M. [K] [M] aux entiers dépens,

-Autorisé Me Dominique Santacru et Me Maud Bouhey à recouvrer directement ceux des dépens dont ils auraient fait l’avance sans avoir reçu provision suffisante,

-Dit n’y avoir lieu au prononcé de l’exécution provisoir

Et statuant à nouveau,

-Condamner AXA Banque à payer à Monsieur [K] [M] la somme de 107 000 euros en réparation de son préjudice financier ;

A titre subsidiaire :

-Condamner AXA Banque à payer à Monsieur [K] [M] la somme de 85 600 euros en réparation de son préjudice de perte de chance ;

En tout état de cause :

-Condamner AXA Banque à payer à Monsieur [K] [M] la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

-Condamner AXA Banque à payer à Monsieur [K] [M] la somme de 5 000 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en faisant valoir :

– que la banque est tenue par un devoir de vigilance et de surveillance qui désigne l’obligation pour le banquier de déceler, parmi les opérations qu’on lui demande de traiter, celles qui présentent une anomalie apparente et, en présence d’une telle anomalie, de tout mettre en ‘uvre pour éviter le préjudice qui résulterait pour le client ou pour un tiers de la réalisation de cette opération et est consacré par la jurisprudence. Elle impose à la banque de déceler les anomalies apparentes, tant matérielles qu’intellectuelles, qui affectent le fonctionnement d’un compte bancaire. Cette anomalie apparente du devoir de vigilance est, sur le fondement des articles 1134 et 1147 du code civil, apprécié in concreto en ayant recours à un faisceau d’indices, en prenant en compte de multiples critères non cumulatifs, dont le montant élevé et inhabituel des virements ; les destinataires inconnus ; le libellé des virements ; le nom des bénéficiaires ; les comptes destinataires situés à l’étrangers ou encore l’existence d’une fraude répandue et connue des banques. La jurisprudence de la Cour de cassation exige des banques, selon les circonstances, de « procéder à une surveillance accrue » de leur client. En vertu de la jurisprudence, le principe de non-ingérence cède devant le devoir de vigilance du banquier, qui doit l’amener à détecter le fonctionnement anormal des comptes de son client, en particulier des mouvements anormaux. Si le banquier ne doit pas s’immiscer dans les affaires de ses clients, il doit toutefois s’informer sur les opérations qu’ils souhaitent réaliser, pour refuser de prêter son concours lorsque ces opérations présentent un risque de fraude. Or en l’espèce, AXA Banque avait connaissance des escroqueries aux investissements sur le marché des crypto-monnaies qui avaient cours lors des faits compte tenu des alertes diffusées par l’AMF, TRACFIN et l’ACPR. Par ailleurs, l’obligation de vigilance de droit commun du banquier a été renforcée par la mise en place d’une obligation de vigilance accentuée dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et imposent aux banques d’être plus vigilantes en cas de mouvements suspects sur les comptes de leurs clients, en particulier lorsque des sommes importantes sont transférées vers des banques étrangères sans justification. Les virements effectués par M. [M] sont anormaux car il a réalisé 19 virements entre le 25 septembre 2014 et le 14 mars 2016, le montant cumulé de ces opérations réalisée est de 107 000 euros, ce qui est exorbitant au regard des paiements habituellement effectués et des revenus de M. [M] et chaque virement était anormalement élevé. Ces opérations représentaient la totalité de son épargne. De plus les noms des bénéficiaires étaient atypiques et de nature à alerter la banque, notamment Naki Trade qui était sur la liste noire de l’AMF, les banques bénéficiaires étaient domiciliées à l’étranger et M. [M] n’avait aucune connaissance ni aucune expérience des marchés financiers. Le fait qu’il ait approvisionné son compte bancaire au moyen de virements provenant d’autres comptes bancaires ne peut en aucun cas justifier la négligence d’Axa Banque qui aurait, au contraire, dû être alertée par ces mouvements anormaux sur le compte de son client. AXA Banque n’a jamais pris contact avec son client pour l’interroger sur la nature des opérations menées et l’objet des sommes inhabituellement élevées transférées vers des comptes à l’étranger, ou à tout le moins pour l’alerter sur les risques encourus à l’occasion du transfert de sommes aussi importantes vers divers comptes bancaires étranger, alors que d’autres banques font remplir des formulaires de mise en garde avec des préconisations à leurs clients, quand elles décèlent un doute sur les destinataires de virements, envoient des courrier ou font signer des décharges de responsabilités. Dès lors, la banque a manqué à son devoir de vigilance en exécutant les virements litigieux sans procéder à aucune vérification auprès de son client ou auprès des banques destinataires des fonds,

– qu’il a subi un préjudice financier s’élevant à 107 000 euros correspondants aux virements effectués. A titre subsidiaire, si la demande d’indemnisation de la totalité du préjudice financier subi était rejetée, il est bien fondé à demander la réparation du préjudice né de la perte de chance de ne pas avoir investis ses fonds sur la plateforme frauduleuse car AXA Banque s’est abstenu de le mettre en garde sur les risques liés à ces investissements. L’existence d’une perte de chance relève de l’appréciation souveraine des juges du fond et, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, une perte de chance, même infime, peut être indemnisée. Le fait générateur de cette responsabilité est le défaut de mise en garde de la banque, la probabilité d’une éventualité favorable est la conservation des fonds par M. [M] suite à la mise en garde par sa banque et la disparition de la probabilité de réalisation de l’événement favorable en raison du fait générateur de responsabilité résulte de la perte des fonds, qui est indiscutable. La valeur des gains manqués peut être assimilée au montant des sommes perdues, soit 107.000 euros. La probabilité que M. [M] conserve ces fonds suite à la mise en garde de sa banque est extrêmement élevée, avoisinant les 100%. La perte de chance de ne pas réaliser les virements à l’étranger et ainsi de ne pas perdre les fonds, si sa Banque l’avait mis en garde, est ainsi évalué à 80% de sommes perdues soit 85.600 euros.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 21 décembre 2022, AXA Banque demande de :

-Confirmer le jugement du 18 mai 2022 rendu par le tribunal judiciaire de Paris, 9ème chambre, 2ème section, n° de RG 19/01337, dans toutes ses dispositions relatives à la société AXA Banque,

Y Ajoutant,

-Condamner M. [K] [M] à payer à la société AXA Banque une indemnité complémentaire de 5.000 Euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en exposant :

-qu’elle a exécuté ses obligations en présence d’un ordre de paiement de son client. Conformément à l’article L314-1 du code monétaire et financier, la banque ne peut refuser d’exécuter une opération de virement puisque son client dispose librement de l’utilisation de son compte. A défaut, ou en cas de simple retard dans l’exécution, la banque est susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle. En vertu de l’article 1993 du code civil, la qualité de mandataire du banquier lui interdit de refuser l’exécution de l’ordre de virement valable, ce qui est renforcée par le devoir de non-ingérence dans la gestion du compte de dépôt du banquier. En application de ce principe, consacré par la jurisprudence de la Cour de cassation, en l’absence d’obstacle relatif à la situation du compte ou celle de son titulaire, la banque ne peut s’opposer à l’exécution de l’opération pour laquelle elle a reçu instruction. Par ailleurs, le devoir de vigilance de la banque invoqué par M. [M] au visa des articles L561-5, L561-6, et L561-10-2 du code monétaire et financier ont trait à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme et est circonscrit à la poursuite de l’intérêt général. La banque n’a pas pour mission de protéger les intérêts individuels et privés de son client, lequel ne peut se prévaloir de ces dispositions pour rechercher la responsabilité de sa banque, comme l’a retenu la Cour de cassation. Les obligations de la banque dans l’exécution d’un ordre de virement se limitent à la vérification de la qualité et du pouvoir de la personne dont émane l’ordre et que des fonds soient disponibles. De plus les jurisprudences invoquées par M. [M] ne sont pas pertinentes à l’espèce puisqu’il s’agit d’ordre de virement non valable ou de décisions dont le caractère définitif n’est pas démontré et avec des circonstances ne pouvant être transposés à l’espèce. Le rapport TRACFIN de 2015 n’est pas pertinent car il ne vise que l’obligation, pour les banques, de déclarer auprès des autorités compétentes des opérations douteuses, et non une obligation de mise en garde de son client sur le risque potentiel d’une opération qu’il réalise. Les mises en gardes versés sont inapplicables à l’espèce car elles sont spécifiques aux investissements effectués par un client détenteur d’un compte-titres et non d’un compte de dépôt. L’article consacré aux investissements en crypto-monnaies est sans rapport aucun avec le litige. AXA Banque n’a fait qu’exécuter les ordres de virement émanant de M. [M], lequel ne l’avait pas informé de son projet d’investissement. Il ne conteste pas être l’auteur de ces virements, lesquels étaient réalisés depuis son compte de dépôt et non depuis un compte-titre. Aucun des produits financiers visés dans l’assignation n’a été proposé par AXA Banque. Les relevés de compte Société Générale produits par le M. [M] montrent qu’il percevait des dividendes provenant d’un portefeuille de titres et font apparaître d’autres virements vers ou depuis différents pays européens. Les banques bénéficiaires des virements ordonnés par M. [M] étaient connues et installées dans l’Union Européenne. En deuxième lieu des virements venaient approvisionner le compte, quasiment concomitamment aux débits, de sorte que le compte ne présentait jamais de solde débiteur et M. [M] faisait fonctionner son compte, au débit comme au crédit, de sorte que les ordres de virement régulièrement donnés par ce dernier ne présentaient aucun caractère exorbitant ni inhabituel susceptible d’alerter la banque. Enfin et comme l’a relevé le tribunal, ces virements portent sur une période de près de deux ans et chaque débit était compensé par un virement porté au crédit du compte et provenant d’autres comptes bancaires du client.

– qu’elle n’a commis aucune faute pouvant engager sa responsabilité et M. [M] ne procède que par affirmation pour prouver que les fonds auraient été perdus et il n’indique pas avoir introduit la moindre procédure judiciaire contre les auteurs présumés des détournements. La demande de retrait d’un investissement ne démontre pas que les fonds aient été perdus. Même dans l’hypothèse où les fonds auraient été perdus, rien ne permet d’affirmer que la perte résulterait d’agissements frauduleux et non d’investissements infructueux. La réalisation des opérations sur une période longue démontre la volonté et la détermination de M. [M] d’effectuer ces placements et ce n’est qu’a posteriori qu’il conteste les opérations réalisées en connaissance de cause. Aucun préjudice susceptible d’être imputable à la Société AXA Banque n’est établi. Concernant la perte de chance invoquée à titre subsidiaire, aucun des critères retenus par la jurisprudence n’est caractérisé, notamment le caractère certain de la disparition d’une éventualité favorable qui fait défaut en l’espèce. Contrairement à ce qu’affirme M. [M] une demande d’indemnisation en l’absence de preuve du préjudice ne peut aboutir. De plus rien ne permet d’établir qu’il aurait conservé les fonds investis s’il avait été informé de la nature d’investissements. Enfin aucune faute n’est imputable à la banque de sorte qu’il n’y a de de fait générateur de la perte de chance.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2024.

MOTIFS

Il ressort des pièces produites et des explications des parties que M. [M] a ordonné, au moyen de l’interface internet de son compte dans les livres de la société Axa banque un total de 19 virements – de montants s’élevant de la somme de 2 500 euros à celle de 7 500 euros – sur une période temps allant du 25 septembre 2014 au 14 mars 2016, leur totalité représentant la somme de 107 000 euros.

Les huit premiers virements ainsi que deux autres ont été fait à destination d’un compte dans les livres de la Danske Bank, cinq d’entre eux vers la Banque Ceskolovskà obchodnà, un autre vers La Banque Postale et les deux derniers vers la Barclay’s Bank en Chine.

C’est à juste titre que le tribunal a retenu que les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et que les victimes d’agissements frauduleux ne peuvent s’en prévaloir pour réclamer des dommages-intérêts à l’organisme financier.

Il résulte de l’article 1147 du code civil applicable au contrat conclu avant le 1er octobre 2016 que la banque, en sa qualité de teneur de compte de M. [M], est tenue d’une obligation de vigilance la contraignant à vérifier les anomalies apparentes, matérielles ou intellectuelles.

C’est encore à juste titre que le tribunal n’a pas vu dans les virements en eux-mêmes dont ni la fréquence, ni la destination ni les montants, pris isolément ou en totalité, ne constituait une anomalie intellectuelle, une source de manquement de la banque à ses obligations étant observé que M. [M] ne conteste pas que les sommes ont rejoint le titulaire des Iban qu’il désignait comme les destinataires, que son compte était approvisionné alors qu’il ne revient pas à la banque de déconseiller des placements éventuellement hasardeux ou de prévenir le risque auquel ses clients, qui disposent librement de leur épargne, choisissent de s’exposer.

En revanche, il doit être observé que les relevés d’opérations produits par la banque, confirmés par les attestations de virements ultérieurement adressés à M. [M] à sa demande, mentionnent, dès le premier d’entre eux en date du 25 septembre 2014, en qualité de titulaire du compte bénéficiaire ‘[T]’, qu’il en est ensuite de même des virements des 1er, 7, 10 octobre, 13, 14, 18, 19 novembre 2014, 15 et 29 janvier et 4 février 2015 tandis que deux autres virements sont sans indication du bénéficiaire et que les autres mentionnent en cette qualité Trust [Localité 7] ou Optimal Paiements ou encore ‘[I] [Z]’.

M. [M] produit toutefois un extrait de diffusion de l’Autorité des Marchés Financiers et de l’Autorité de Contrôle Prudentiel du 23 septembre 2014 de mise à jour de sa liste de sites non autorisés offrant un service de trading en option binaire promettant de fort rendements en une courte période où figure le site www.[T].com /[T] avec l’avertissement qu’il revient au candidat investisseur de vérifier que son interlocuteur est autorisé à proposer des services d’investissement en France et que, dans le cas contraire, il est fortement recommandé de ne pas recourir aux services offerts par ces sociétés en violation de la législation applicable notamment sur la protection des investisseurs, la délivrance d’information et le traitement des plaintes.

Or, la mention existante sur l’ordre de virement d’un bénéficiaire, dûment répertorié par l’autorité de régulation comme non agréé, constitue une anomalie apparente justifiant que la société Axa Banque satisfasse à son obligation de vigilance, à tout le moins, en alertant son client sur cette circonstance.

C’est en effet vainement que la société Axa banque invoque son devoir de non ingérence dans les affaires de son client à cet égard dès lors qu’il cède devant son obligation de vigilance lorsqu’il est dûment porté à sa connaissance, comme en l’espèce, que les sommes objets du virement sont destinées à une société répertoriée sur une telle liste de l’autorité de régulation.

De même, les dispositions du code monétaire et financier sur la bonne et prompte exécution du virement dans les délais prescrits ne l’exonèrent pas des conséquences de son abstention en matière de vigilance dans cette hypothèse d’une anomalie apparente, en l’espèce manifeste, l’authenticité et l’exactitude de l’IBAN communiqué ou le consentement de M. [M] à voir créditer le compte désigné n’étant pas discutés et sans conséquences sur le sort du litige.

Ce manquement à l’obligation de vigilance peut être à l’origine d’une perte de chance du client de s’abstenir d’investir dans de telles conditions compte tenu de l’alerte qui lui est faite par sa banque sur la circonstance qu’elle compte au nombre des sociétés ou sites répertoriés par l’autorité de régulation et c’est à M. [M] de démontrer cette perte de chance.

Si, contrairement à ce que soutient la banque, il ne saurait lui incomber de démonter le fait négatif qu’il n’a reçu aucun prétendu dividende des investissements qu’il pensait réaliser, il ne peut toutefois qu’être constaté :

– qu’il n’a déposé aucune plainte pénale,

– qu’il ne produit, sur la dissipation alléguée de ses fonds, qu’une réponse qui a été faite par la société [T] à sa demande de récupération des fonds lui indiquant la marche à suivre datée du 20 janvier 2015 étant observé, que taisant sur ce qui est advenu par la suite, il a encore procédé, postérieurement, à six nouveaux virements non seulement dans les jours qui ont suivis immédiatement, les 22, 29 janvier, 4 février 2015 mais encore près d’une année après les 5 janvier, 2 mars et enfin 14 mars 2016,

– qu’à l’exception d’une documentation au nom de [T], il ne produit aucun autre échange avec celle-ci, les courriels versés aux débats étant ceux d’une société Boursomarket, pas plus éclairants sur le devenir des sommes versées ou sur leur perte.

En conséquence, il ne peut qu’être relevé que M. [M] ne démontre pas l’existence d’une perte de chance formant un préjudice qui soit en lien avec le manquement relevé de la banque, et le jugement doit donc être confirmé en toutes ses dispositions, sauf du chef des dépens irrépétibles, l’équité commandant de ne pas prononcer de condamnation de ce chef.

PAR CES MOTIFS

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf du chef des frais irrépétibles ;

Statuant à nouveau de ce chef,

DIT n’y avoir lieu au prononcé d’une condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Y ajoutant,

CONDAMNE M. [K] [M] aux dépens de la présente instance qui seront recouvrés par Maître Thierry Serra, comme il est disposé à l’article 699 du code de procédure civile.

* * * * *

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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