Monsieur [B] [K] [F] a contracté un prêt immobilier de 280 000 euros auprès de la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE le 16 août 2012, avec un taux d’intérêt de 4,30 % sur 300 mois. La société CRÉDIT LOGEMENT a été caution de ce prêt. En raison d’impayés, la banque a mis en demeure l’emprunteur en novembre 2018 et a prononcé la déchéance du terme en mai 2019. Les courriers de mise en demeure n’ont pas été retirés par Monsieur [K]. La société CRÉDIT LOGEMENT a ensuite réglé des sommes à la banque et a poursuivi Monsieur [K] en justice, ce qui a conduit à un jugement le condamnant à payer 246 570,02 euros.
Monsieur [K] a assigné la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE en 2020 pour défaut de conseil, et le tribunal a condamné la banque à lui verser 78 140,70 euros en dommages et intérêts en décembre 2022. La SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE a fait appel de cette décision. Les parties ont échangé leurs conclusions, et l’affaire a été fixée à l’audience du 15 avril 2024. La SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE conteste la décision et demande l’infirmation du jugement, tandis que Monsieur [K] souhaite la confirmation de la condamnation de la banque et des montants dus. La cour a finalement infirmé le jugement de première instance et a débouté Monsieur [K] de toutes ses demandes, le condamnant aux dépens. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRET N°
du 11 SEPTEMBRE 2024
N° RG 23/00032 – N° Portalis DBVE-V-B7H-CFSA TJ-V
Décision déférée à la Cour :
Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BASTIA, décision attaquée en date du 06 Décembre 2022, enregistrée sous le n° 20/00573
S.A. SOCIETE GENERALE
C/
[K] [F]
Copies exécutoires délivrées aux avocats le
COUR D’APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
ONZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE
APPELANTE :
S.A. SOCIETE GENERALE
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 5] [Localité 5]
Représentée par Me Frédérique GENISSIEUX de la SCP CABINET RETALI & ASSOCIES, avocat au barreau de BASTIA
INTIME :
M. [B] [L] [K] [F]
né le [Date naissance 2] 1984 à [Localité 6] (Portugal)
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté par Me Olivier PELLEGRI, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 15 avril 2024, devant Thierry JOUVE, président de chambre, chargé du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Thierry JOUVE, président de chambre
Marie-Ange BETTELANI, conseillère
Emmanuelle ZAMO, conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Sandrine FOURNET.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 26 juin 2024, prorogée par le magistrat par mention au plumitif au 11 septembre 2024.
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au troisième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Thierry JOUVE, président de chambre, et par Vykhanda CHENG à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur [B] [K] [F] a accepté le 16 août 2012 une offre de prêt immobilier émise par la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE d’un montant de 280 000 euros. Ce prêt a été consenti pour l’acquisition d’un appartement à titre de résidence principale de l’emprunteur avec un taux d’intérêt de 4,30 % pour une durée de 300 mois avec des échéances mensuelles d’un montant de 1 582,12 euros.
Par accord du 19 juillet 2012 la Société CRÉDIT LOGEMENT s’est portée caution de ce prêt.
Par courrier du 21 novembre 2018, des échéances étant demeurées impayées, la banque a mis en demeure l’emprunteur de payer, puis s’est prévalue par courrier du 13 mai 2019 de la déchéance du terme.
Ces deux courriers adressés en recommandé avec demande d’avis de réception n’ont pas été retirés par l’intéressé (A/R portant la mention « avisé et non réclamé »).
La société CRÉDIT LOGEMENT ayant réglé à la banque les sommes de 6 110,85 euros puis celle de 239 924,39 euros, a attrait Monsieur [K] [F] devant le tribunal judiciaire de Bastia qui, par jugement du 15 avril 2021, confirmé par la cour d’appel de Bastia par arrêt du 25 janvier 2023, l’a notamment condamné à payer à la SA CRÉDIT LOGEMENT la somme de 246 570,020 euros avec intérêt légal à compter du 28 novembre 2019 pour la somme de 246 121,83 euros et du 18 décembre 2019 pour le surplus.
Par exploit en date du 1er juin 2020, Monsieur [B] [K] [F] a assigné la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE devant le tribunal judiciaire de Bastia en garantie et en défaut de son devoir de conseil.
Par jugement contradictoire en date du 6 décembre 2022, cette juridiction a :
– condamné la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à payer à Monsieur [B] [K] [F] la somme de 78 140,70 euros à titre de dommages et intérêts outre intérêts de droit à compter du jugement,
– rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires,
– condamné la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à payer à Monsieur [B] [K] [F] la somme de 2 000 euros sur le fondement de1’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE aux dépens et dit qu’ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.
La SA Société Générale a fait appel de cette décision le 16 janvier 2023.
Elle a notifié ses dernières conclusions par voie électronique le 8 janvier 2024.
Monsieur [B] [K] a notifié ses dernières écritures par voie électronique le 27 février 2024.
Par ordonnance rendue le 6 mars 2024, la clôture a été fixée au jour même et l’affaire a été fixée à l’audience du 15 avril 2024 où elle a été retenue. Le délibéré initialement fixé au 26 juin 2024, a été prorogé au 11 septembre 2024.
PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
La SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE qui conclut à une infirmation partielle de la décision déférée, sollicite :
– l’infirmation du jugement en ce qu’il a :
condamné la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à payer à Monsieur [B] [K] [F] la somme de 78 140,70 euros à titre de dommages et intérêts outre intérêts de droit à compter du jugement,
rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires,
condamné la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à payer à Monsieur [B] [K] [F] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
condamné la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE aux dépens et dit qu’ils seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
et statuant a nouveau,
– qu’il soit dit et jugé que Monsieur [K] est un emprunteur averti,
– qu’il soit dit et jugé que la banque était dégagée de son devoir d’information et de conseil,
subsidiairement,
– le constat que la banque n’est pas tenue d’une obligation de conseil ou de mise en garde envers l’emprunteur qui dispose de ressources en patrimoine ou en revenus lui permettant de faire face à l’engagement qu’il souscrit et qui n’a pas à s’immiscer dans la gestion des affaires de son client, a vérifié que le prêt était parfaitement adapté aux capacités de la société au jour de sa souscription et qu’il n’y avait aucun risque d’endettement,
– qu’il soit dit et jugé que la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE n’a commis aucune faute et qu’il n’existe aucun préjudice,
dans tous les cas,
– le rejet de l’ensemble des demandes adverses,
– la condamnation de Monsieur [B] [K] [F] au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Monsieur [B] [K] sollicite :
à titre principal,
– la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a condamné la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à lui payer des dommages et intérêts,
– l’infirmation du jugement déféré en ce qu’il a :
condamné la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à lui payer la seule somme de 78 140,70 à titre de dommages et intérêts outre intérêts de droit et seulement à compter du présent jugement,
rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires,
et statuant à nouveau :
– le rejet de toutes fins, moyens et conclusions contraires,
vu les articles 1382 ancien, 1194 et anciens 1134 et 1147 du code civil,
– la condamnation de la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à lui payer à la somme de 246 121,83 euros avec intérêt légal à compter du 28 novembre 2019,
à titre subsidiaire,
– la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a condamné la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à lui payer la somme de 78 140,70 euros à titre de dommages et intérêts outre intérêts de droit,
– l’infirmation du jugement déféré en ce qu’il a :
condamné la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à lui payer la somme de 78 140,70 euros à titre de dommages et intérêts outre intérêts de droit seulement à compter du présent jugement,
rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires,
et statuant à nouveau :
– le rejet de toutes fins, moyens et conclusions contraires,
vu les articles 1382 ancien, 1194 et anciens 1134 et 1147 du code civil,
– la condamnation de la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à lui payer la somme de 78 140,70 euros à titre principal outre intérêts de droit à compter de l’exploit introductif d’instance,
en tout état de cause,
– la condamnation de la SA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions et aux pièces déposées et soutenues à l’audience, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Sur la recevabilité de l’appel :
La recevabilité de l’appel n’est pas discutée et les éléments du dossier ne conduisent pas la cour à le faire d’office.
Sur le respect par la banque de son obligation de mise en garde :
La banque, en sa qualité de professionnel du crédit, en vertu de l’ancien article 1147 du code civil (devenu l’article 1231-1 ) applicable à l’espèce, est tenue, dans le cadre d’un contrat de prêt, d’un devoir d’information à l’égard de son client profane et doit le mettre en garde en cas de risque d`endettement excessif au regard de ses capacités de remboursement. Lors de la conclusion du contrat conclu par une personne physique, elle doit apprécier si l’engagement est manifestement disproportionné à ses biens et revenus. Elle est cependant dispensée de cette obligation en présence d’un cocontractant avisé, sauf à détenir des informations ignorées de celui-ci et qu’il convient donc de porter à sa connaissance.
Le 16 août 2012, lors de l’acceptation de l’offre de prêt litigieuse portant sur une somme de 280 000 euros, la situation financière de Monsieur [B] [K] [F] est susceptible de devenir fortement obérée puisque celui-ci s’est déjà personnellement porté caution solidaire, pour les besoins de son entreprise de maçonnerie, de plusieurs emprunts et crédit-baux accordés à la SARL TP CONSTRUCTION via laquelle il exerce sa profession et à la SCI la Colombe, propriétaire du hangar abritant son activité, sociétés dont il est le gérant. L’ensemble de ces engagements bancaires s’élevant à 797 500 euros.
Pour le qualifier de profane, les premiers juges, dans la décision déférée en date du 6 décembre 2022, ont retenu qu’à la date de souscription du prêt, il était âgé de 28 ans et qu’après avoir exercé à titre individuel en qualité de maçon, il venait de créer une société de travaux de maçonnerie dont il était le gérant, ce qui implicitement ne lui conférait aucune compétence particulière en matière financière.
Ce raisonnement contredisait pourtant celui adopté par la même juridiction, dans un jugement précédemment rendu le 7 décembre 2021 aux termes duquel, au sujet du prêt consenti par la même banque, le 7 octobre 2011, la SCI la Colombe qu’il représentait et lui même personnellement ont été considérés comme emprunteuse et caution avisées en raison du rôle manifestement actif joué par l’intéressé qui apparaissait comme un chef d’entreprise en mesure d’évaluer la portée de ses engagements et ne pouvant en cette qualité ignorer l’aspect financier de l’entreprise qu’il contrôlait.
Moins d’un an plus tard, le constat ne peut être que le même, s’il est vrai que la notion d’emprunteur averti ne peut se déduire automatiquement de sa situation de professionnel et de dirigeant, l’appréciation par l’intéressé non d’un état avéré d’endettement personnel excessif mais du risque évident de sa réalisation en cas de difficultés que pourrait rencontrer son entreprise, relevait du simple bon sens et ne nécessitait aucune compétence juridique ou financière particulière de sa part, sachant de surcroît qu’en sa qualité de gérant des deux sociétés concernées, il connaissait parfaitement leur situation économique et par rapport à la sienne, le revenu qu’il pouvait en tirer pour lui permettre de faire face à ses futures échéances.
En conséquence, en présence d’un emprunteur averti, la banque n’a pas manqué à son devoir de mise en garde. La demande de dommages et intérêts présentée par l’intimée sera rejetée.
Le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions.
Sur les frais irrépétibles et les dépens :
Aucune considération d’équité n’impose qu’il soit fait application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Succombant, Monsieur [B] [K] [F] supportera les dépens de première instance et d’appel.
LA COUR : statuant par arrêt contradictoire,
– INFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré rendu le 6 décembre 2022,
et statuant à nouveau,
– DÉBOUTE Monsieur [B] [K] [F] de toutes ses demandes,
– DIT n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– CONDAMNE Monsieur [B] [K] [F] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER
LE PRESIDENT