Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur pour remplir ce formulaire.
Nom
(*) Vos données sont traitées conformément à notre Déclaration de Protection des Données Vous disposez d’un droit de rectification, de limitation du traitement, d’opposition et de portabilité.

Numérisation : 7 juin 2022 Cour d’appel de Riom RG n° 20/00041

·

·

Numérisation : 7 juin 2022 Cour d’appel de Riom RG n° 20/00041

07 JUIN 2022

Arrêt n°

ChR/NB/NS

Dossier N° RG 20/00041 – N° Portalis DBVU-V-B7E-FLBI

S.A.S. TERFACE

/

[N] [P]

Arrêt rendu ce SEPT JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors des débats et du délibéré de :

M. Christophe RUIN, Président

Mme Claude VICARD, Conseiller

Mme Karine VALLEE, Conseiller

En présence de Mme Nadia BELAROUI greffier lors des débats et du prononcé

ENTRE :

S.A.S. TERFACE

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me GAUME, avocat suppléant Me Barbara GUTTON PERRIN de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me Benjamin RENAUD de la SELARL RENAUD AVOCATS, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant

APPELANTE

ET :

M. [N] [P]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Jean-louis BORIE de la SCP BORIE & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND, avocat constitué, substitué par Me Elodie MIELLE, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE, avocat plaidant

INTIME

M. RUIN, Président et Mme VICARD, Conseiller après avoir entendu, M. RUIN, Président en son rapport, à l’audience publique du 04 avril 2022, tenue par ces deux magistrats, sans qu’ils ne s’y soient opposés, les représentants des parties en leurs explications, en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré après avoir informé les parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [N] [P], né le 25 mars 1969, a été embauché par la SAS TERFACE le 9 février 1998 en qualité d’attaché commercial avant d’évoluer en 2001 au poste d’ingénieur technico-commercial, dont les fonctions consistaient à vendre des produits de reliure et des destructeurs de documents commercialisés par la société. La convention collective en vigueur est celle des instruments à écrire et industries connexes.

Le salarié a signé un premier avenant à son contrat de travail le 12 décembre 2011 prévoyant que désormais les objectifs et résultats ne dépendaient plus du chiffre d’affaires réalisé mais de la marge brute réalisée, les modalités de calcul dépendant toujours du pourcentage de réalisation de l’objectif global.

Monsieur [N] [P] a ensuite refusé de signer la proposition d’avenant du 31 mai 2018 qui lui avait été soumise.

Monsieur [N] [P] a été convoqué le 6 juillet 2018 à un entretien préalable fixé le 18 du même mois en vue d’un licenciement pour motif économique.

Le 27 juillet 2018, la société TERFACE lui a adressé une lettre de licenciement à titre conservatoire, sans proposition de reclassement et n’a pas donné suite à sa demande de priorité de réembauchage.

Le courrier de notification du licenciement est ainsi libellé :

‘ Monsieur,

Nous avons le regret de vous notifier, parla présente, votre licenciement pour les raisons qui vous ont été exposées lors de notre entretien du 18 juillet 2018 au cours duquel vous étiez assisté de Monsieur [W], conseiller du salarié inscrit sur liste préfectorale, et que nous reprenons synthétiquement ci-après.

Comme vous le savez, la société TERFACE a pour activité la vente de destructeurs de documents et de machines à relier.

Dans un contexte d’évolution globale de notre marché, le secteur d’activité de la société est confronté à des mutations technologiques affectant fortement la demande, et nous devons faire face à un ralentissement de notre activité, ce qui impacte de plus en plus lourdement l’équilibre financier de la société.

En effet, à l’ère du tout numérique, les entreprises ont de moins en moins recours au papier et donc aux produits que nous proposons.

Des technologies comme le mail, les fichiers PDF, ou la GED entraînent

une chute considérable et inéluctable de notre marché.

Notre principale gamme de produits (‘Reliure Unibind’) qui représente 61 % de notre chiffre d’affaires décroît fortement avec une baisse de -19 % en 2017, et ce après plusieurs années de baisse consécutive (- 5 % en 2016 et – 10 % en 2015), dégradation une nouvelle fois confirmée sur le premier semestre 2018 (baisse de – 9 %).

Ce constat est particulièrement significatif sur notre c’ur de clientèle historique des experts comptables, ainsi que pour les administrations de tout type qui imposent la généralisation de la numérisation.

L’activité de vente des destructeurs de documents, également directement liée à l’usage du papier par les entreprises, voit ses ventes s’écrouler sur le premier semestre 2018 (-24,7 %).

Ce ralentissement d’activité lié aux mutations technologiques, que nous pensions au départ ponctuel et gérable, se révèle, données chiffrées a l’appui, être en réalité pérenne et de plus en plus difficile à juguler.

Force est de constater, en outre, que cette évolution structurelle se double de l’explosion du e-commerce BtoB avec de multiples places de marché, de puissants intervenants (Bureau Vallée, Bruneau, Wking, Office dépôt, Fiducial Office Solutions …) et de nouveaux redoutables acteurs comme Amazon. Cette compétition exacerbée est génératrice d’offres low-cost qui nous concurrencent fortement en rencontrant un écho de plus en plus favorable chez les clients.

Compte tenu de ce contexte de marché qui nous est très défavorable, sur ces trois dernières années, nous constatons en outre une baisse très significative des indicateurs suivants :

– chiffre d’affaires,

– résultat d’exploitation,

– excédant brut d’exploitation,

En effet, notre chiffre d’affaire ne cesse de se dégrader.

Ainsi, les deux premiers trimestres de l’année sont tous en baisse significative au regard des mêmes trimestres de l’année 2017. Cette tendance est malheureusement structurelle et rien ne semble de nature à l’endiguer.

Notre résultat d’exploitation a chuté de 33 % entre 2015 et 2016, puis à nouveau de plus de 38 % entre 2016 et 2017, ce qui représente une baisse particulièrement importante, ce d’autant que nos prévisionnels pour 2018 annoncent également une baisse par rapport à 2017.

Comme vous le savez certainement, le résultat d’exploitation est l’indicateur de référence de la performance économique d’une société. En l’espèce, les chiffres parlent d’eux-mêmes, notre activité et notre rentabilité sont en forte baisse. Notre excédant brut d’exploitation a lui chuté de presque 32 % entre 2015 et 2016, et de plus de 3% entre 2016 et 2017. Nous avons pu en limiter la baisse grâce au renforcement des outils web.

Les prévisions commerciales pour 2018 ne permettent pas d’envisager une amélioration de l’activité, et tendent au contraire à s’inscrire dans cette même tendance, avec une nouvelle baisse prévisible de l’ordre de 15 à 20 % menaçant directement l’équilibre et la pérennité de la société. Dès lors, nous devons impérativement réguler nos charges. Force est de constater, au regard des évolutions récentes du marché, que les mesures de maîtrise de nos charges et de réorganisation commerciale d’ores et déjà mises en place, notamment lancement du e-commerce, redécoupage des secteurs, recalibrage de la force de vente, demeurent insuffisantes.

L’organisation actuelle de la société apparaît aujourd’hui inadaptée, en termes de volume d’activité et de compétitivité, pour assurer son équilibre financier.

La seule option, et la plus économique pour nous dans un tel contexte est de renforcer le recours au telemarketing et au e-commerce qui nous permettront de réduire nos coûts d’une manière significative et d’être plus compétitifs par rapport aux autres acteurs qui se démarquent sur le marché.

Sauf à risquer de mettre en péril l’ensemble de la société, cette situation induit pour nous la nécessité de mettre en ‘uvre une réorganisation de l’activité commerciale et de rationnaliser de manière efficiente l’ensemble de nos charges pour pouvoir faire face aux difficultés et contraintes économiques pesant sur la société et ainsi rétablir sa compétitivité.

Dans ces conditions, compte tenu des difficultés économiques que nous rencontrons, il s’avère aujourd’hui indispensable à la préservation de la compétitivité de la société de procéder à une adaptation de notre organisation actuelle et de nos ressources humaines en ce domaine aux contraintes économiques et à l’évolution du marché sur lequel nous intervenons.

Dans ces conditions, nous sommes contraints de supprimer votre poste d’ingénieur technico-commercial.

Après application des critères d’ordre, il s’avère que vous avez été désigné comme devant faire l’objet d’un licenciement pour motif économique.

Par transparence, et pour répondre à toute interrogation que vous pourriez avoir à cet égard, vous trouverez ci-joint la liste des critères que nous avons retenus pour déterminer l’ordre des licenciements, ainsi que le nombre de points que vous recueillez dans ce cadre. (cf : ANNEXE 1 : liste des critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements. ANNEXE 1 BIS : nombre de points vous concernant en application des critères d’ordre)

Nous vous indiquons à toutes fins utiles que les critères que nous avons retenus prennent en compte ceux imposés par la loi, dans le respect des dispositions de l’article L 1233-5 du Code du travail.

Toutefois, et afin d’éviter que cela n’aboutisse à la rupture de votre contrat de travail, nous avons procédé, en parallèle, et conformément aux dispositions légales, à des recherches de solution pour permettre votre reclassement au sein de la société.

Par LRAR en date du 13 juillet 2018 que vous avez reçue le 16 juillet 2018, nous vous avons sollicité sur le principe de recevoir des propositions de reclassement sur des postes de catégorie inférieure à la vôtre. A l’issue du délai de réflexion dont vous disposiez, vous avez accepté le principe de telles propositions.

Toutefois, nous vous informons que nous n’avons, pour l’heure, identifié aucune solution de reclassement envisageable à votre égard au sein de la société, correspondant ou non à votre catégorie. En conséquence, nous sommes contraints de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour motif économique.

Toutefois, la présente ne vaudra notification de licenciement qu’à défaut d’adhésion au dispositif de contrat de sécurisation professionnelle (CSP) à l’expiration du délai de réflexion dont vous disposez, selon les modalités que nous vous avons exposées dans le courrier accompagnant la remise du dossier de CSP.

En effet, nous vous rappelons que si vous manifestez votre accord dans le délai imparti, votre contrat de travail sera réputé rompu d’un commun accord a la date d’expiration du délai de réflexion, soit le 8 août 2018 au soir, c’est-a-dire sans préavis.

Dans ce cadre, et en application de I’article L. 1233-67 du Code du travail, toute contestation portant sur la rupture du contrat de travail ou son motif se prescrira par 12 mois a compter de l’adhésion au CSP.

Dans l’hypothèse où vous acceptiez le CSP, nous vous fixons d’ores et déjà un rendez-vous le 8 août 2018 à 09h45 au siège de l’entreprise, aux fins :

– de remise de votre attestation Pôle Emploi, et de votre certificat de travail ;

– de restitution de votre part des documents et matériels mis à votre disposition par la société pour l’exercice de vos fonctions.

A l’occasion de ce rendez-vous, nous vous prions donc de bien vouloir nous restituer, sans exception, et en parfait état de fonctionnement, les documents et matériels dont la liste est jointe en annexe (cf :ANNEXE 2 : liste des documents/matériels mise à votre disposition par la société pour l’exercice de vos fonctions á nous remettre impérativement.

A défaut d’adhésion au CSP, votre contrat de travail sera définitivement rompu à l’issue de votre préavis d’une durée de 3 mois qui débutera à la fin de votre période de congés payés (soit à compter du 27 août 2018).

Néanmoins, vous serez dispensé d’exécuter votre préavis, étant précisé que cette période vous sera rémunérée aux échéances normales de paie.

Dans l’hypothèse où vous refusiez le CSP, nous vous fixons d’ores et déjà un rendez-vous de restitution des documents et matériels mis à votre disposition par la société pour l’exercice de vos fonctions, lors de votre retour de congés payés, soit le 27 août 2018 à 15h30 au siège de l’entreprise.

A cette occasion, nous vous prions de bien vouloir nous restituer, sans exception et en parfait état de fonctionnement, les documents et matériels dont la liste est jointe en annexe (cf : ANNXE2).

Dès la fin de votre préavis, nous vous réglerons les sommes qui vous sont dues et vous enverrons par pli séparé votre attestation Pôle Emploi et votre certificat de travail. En toutes hypothèses, nous vous rappelons que vous pouvez conserver le bénéfice du régime de protection sociale complémentaire en vigueur dans l’entreprise selon les modalités qui vous seront communiquées par pli séparé.

En outre, nous vous indiquons qu’en application de l’article L. 1235-7 du Code du travail,vous disposerez d’un délai de 12 mois à compter de la notification de la présente pour contester la régularité ou la validité de votre licenciement.

Nous vous informons, en outre, que vous bénéficierez d’une priorité de réembauchage au sein de la société durant un délai d’un an à compter de la date de rupture de votre contrat. Cette priorité de réembauche prendra fin si, au cours de ce délai d’un an, vous deviez refuser une première offre de réembauchage que nous serions susceptible de vous faire.

Cette priorité concerne les postes correspondant à votre qualification actuelle mais, également, ceux qui seraient compatibles avec une nouvelle qualification que vous pourriez acquérir, sous réserve que vous nous en informiez.

Dès la cessation effective de votre activité, vous serez libre d’accepter tout emploi dans l’entreprise de votre choix, dans la mesure où nous renonçons à la clause de non-concurrence convenue avec vous.

Nous vous rappelons enfin expressément que, même après la rupture de votre contrat de travail, vous restez tenu, en vertu de vos obligations de loyauté, de confidentialité et de discrétion, de ne pas divulguer à des tiers et a fortiori à des concurrents des informations commerciales, techniques, financières, sociales ou stratégiques de toute nature sur la société.

Regrettant le caractère inévitable de cette décision, nous vous prions d’agréer, Monsieur, l’expression de nos salutations distinguées. ‘

Le 18 juillet 2018, soit avant la notification du licenciement pour motif économique, Monsieur [P] a saisi le conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND aux fins notamment de voir ordonner la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société TERFACE produisant les effets d’un licenciement nul, outre obtenir diverses sommes à titre indemnitaire et de rappel de salaires.

L’audience devant le bureau de conciliation et d’orientation s’est tenue en date du 24 septembre 2018 et, comme suite au constat de l’absence de conciliation (convocation notifiée au défendeur le 20 juillet 2018), l’affaire a été renvoyée devant le bureau de jugement.

Par jugement contradictoire en date du 9 décembre 2019 (audience du 9 septembre 2019), le conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND a :

– écarté les pièces communiquées au Conseil par la société TERFACE en cours de délibéré pour non respect du principe du contradictoire ;

– prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [P] aux torts exclusifs de la société TERFACE et jugé que cette rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– déclaré recevables et partiellement fondées les demandes formulées par Monsieur [P] ;

– condamné la société TERFACE, prise en la personne de son représentant légal, à payer et porter à Monsieur [P], les sommes suivantes :

* 59.448,00 euros à titre de dommages et intérêts tous préjudices confondus ;

* 1.350,00 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

– débouté Monsieur [P] du surplus de ses demandes ;

– condamné d’office, en application de l’article L.1235-4 du code du travail, la société TERFACE, prise en la personne de son représentant légal, à rembourser à POLE EMPLOI le montant des indemnités chômage susceptibles d’avoir été versées à Monsieur [P], du jour de la rupture du contrat de travail au jour du présent jugement, et ce dans la limite de trois mois d’indemnités ;

– débouté la société TERFACE de sa demande reconventionnelle et l’a condamné aux frais et dépens.

Le 6 janvier 2020, la société TERFACE a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié à sa personne le 11 décembre 2019.

Vu les conclusions notifiées à la cour le 1er mars 2022 par la société TERFACE,

Vu les conclusions notifiées à la cour le 2 mars 2022 par Monsieur [P],

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 7 mars 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières écritures, la société TERFACE demande à la cour de :

– infirmer le jugement en ce qu’il a :

– prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [P] aux torts exclusifs de la société TERFACE et jugé que cette rupture devait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– condamné la Société TERFACE à verser à Monsieur [P] la somme de 59.448,00 euros à titre de dommages et intérêts tous préjudices confondus ;

– condamné la Société TERFACE à verser à Monsieur [P] la somme de 1.350 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;

Et, statuant à nouveau,

A titre principal :

– débouter Monsieur [P] de toutes ses demandes au titre de l’exécution du contrat de travail, à savoir de ses demandes à titre de rappels de salaire et au titre de l’exécution déloyale du contrat de travail et/ou harcèlement moral,

– le débouter de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société TERFACE, en l’absence de tout manquement grave faisant obstacle à la poursuite de l’exécution du contrat de travail, et de ses demandes indemnitaires subséquentes,

– juger que le licenciement pour motif économique de Monsieur [P] était bien-fondé et débouter ce dernier de l’intégralité de ses demandes afférentes à la rupture du contrat de travail, à savoir ses demandes au titre :

* Du licenciement nul ou abusif,

* De la violation des critères d’ordre,

* De la violation du droit à l’emploi,

* De la violation de la priorité de réembauchage ;

– donner acte à la société TERFACE de ce qu’elle a spontanément versé à Monsieur [P] la somme de 3.715 euros à titre de dommages-intérêts, en raison de l’absence de consultation des délégués du personnel dans le cadre de la procédure de licenciement ;

– le débouter de sa demande au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

A titre subsidiaire :

– faire application de l’article L. 1235-3 du Code du travail et, en conséquence, limiter à de bien plus juste proportions le montant des dommages-intérêts dont Monsieur [P] sollicite l’allocation au titre de son licenciement ;

– juger irrecevable sa demande de dommages-intérêts au titre de la violation du droit à l’emploi et, en tout état de cause, l’en débouter compte-tenu en application du principe de réparation intégrale.

En tout état de cause :

– condamner Monsieur [P] au paiement de la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

La société TERFACE soutient que, concernant l’exécution et la demande de résiliation judiciaire du contrat de Monsieur [P], elle n’a pas modifié unilatéralement la rémunération variable du demandeur en indiquant qu’elle avait seulement fixé un objectif stratégique, conformément aux stipulations de son contrat de travail.

En outre, au vu des éléments qu’elle verse aux débats, la société TERFACE estime justifier qu’elle était bien fondée à ne pas comptabiliser certaines ventes dans le chiffre d’affaires réalisé par Monsieur [P] pour le calcul de sa rémunération variable.

Concernant le coefficient conventionnel, la société TERFACE a fait valoir que lorsque Monsieur [P] lui avait signalé l’erreur matérielle, elle avait spontanément régularisé la situation au regard de la nouvelle classification conventionnelle applicable au sein de la branche. En revanche, elle considère que celui-ci ne peut pas prétendre au coefficient 1500 et qu’il a été intégralement rempli de ses droits au titre de sa rémunération minimale mensuelle garantie correspondant à son coefficient 1350. Elle affirme que le secteur géographique d’intervention de Monsieur [P] n’était pas un élément essentiel de son contrat de travail insusceptible d’être modifié sans son accord.

La société TERFACE soutient n’avoir commis aucun manquement grave faisant obstacle à la poursuite du contrat de travail entre les parties de sorte que la demande de résiliation judiciaire formulée est inopérante.

Sur le licenciement économique, la société TERFACE indique que les difficultés économiques rencontrées caractérisées par un chiffre d’affaire en diminution constante, un résultat d’exploitation déficitaire et une dégradation de l’excédent brut d’exploitation. Ainsi, après avoir identifié les causes de ces difficultés, elle estime qu’au regard des évolutions structurelles et conjoncturelles du marché, elle n’avait pas d’autre choix que de procéder a la réorganisation de sa troisième force de vente et de diminuer les effectifs au sein de la catégorie des ingénieurs technico-commerciaux.

Concernant l’absence de reclassement, la société TERFACE affirme produire son registre unique du personnel justifiant de l’absence de tout poste disponible et compatible avec les compétences professionnelles de Monsieur [P]. Elle fait également valoir avoir objectivement et loyalement appliqué les critères d’ordre de licenciement a la catégorie professionnelle des ingénieurs technico-commerciaux.

La société TERFACE reconnaît ne pas avoir procédé aux élections professionnelles des délégués du personnel mais, bien que M. [P] ait été assisté par un conseiller du salarié au cours de l’entretien préalable au licenciement, elle a accepté de lui verser une somme à titre de dommages et intérêts à ce titre.

La société TERFACE conteste ensuite avoir manqué à son obligation de réembauche en l’absence de tout poste disponible compatible avec les compétences et la qualification professionnelle de Monsieur [P].

A titre subsidiaire, la société TERFACE fait observer qu’en application de l’article L.1235-3 du code du travail, il convient de réduire à trois mois le montant des dommages et intérêts sollicités au titre du licenciement, de juger irrecevable la demande de dommages et intérêts au titre de la violation du droit à l’emploi et, en tout état de cause, l’en débouter en application du principe de réparation intégrale.

Enfin, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, la société TERFACE a sollicité l’allocation d’une somme, outre la condamnation de Monsieur [P] à supporter les entiers dépens de l’instance.

Dans ses dernières écritures, Monsieur [P] demande à la cour de :

A titre principal :

– confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND en ce qu’il a constaté que la société TERFACE a modifié unilatéralement le contrat de travail de Monsieur [P] ;

– infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND en ce qu’il n’a pas retenu que la société TERFACE n’a pas respecté la classification conventionnelle 1500 à laquelle Monsieur [P] pouvait prétendre ;

– infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND en ce qu’il n’a pas retenu que la société TERFACE n’a pas versé à Monsieur [P] le salaire minimum conventionnel ;

– infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAD en ce qu’il n’a pas retenu que la société TERFACE n’a pas comptabilisé plusieurs ventes dans le chiffre d’affaires réalisé par Monsieur [P], le lésant ainsi dans le calcul de sa rémunération variable ;

– infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND en ce qu’il n’a pas retenu que Monsieur [P] a été victime de harcèlement moral de la part de la société TERFACE en ce qu’elle n’a cessé de dégrader ses conditions de travail ;

– confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND en ce qu’il a constaté que la société TERFACE n’a pas procédé à l’organisation des élections professionnelles depuis plus de 4 ans ;

En conséquence,

– confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND en ce qu’il a jugé que la demande de résiliation judiciaire de Monsieur [P] aux torts de la société TERFACE est bien fondée ;

– infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND en ce qu’il a dit et jugé que la rupture produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et limité la condamnation de la société TERFACE à la somme de 59.448 euros à titre de dommages et intérêts tous préjudices confondus .

Et statuant à nouveau :

– prononcer la résiliation judiciaire de Monsieur [P] aux torts de la société TERFACE, cette rupture produisant les effets d’un licenciement nul ;

– en conséquence, condamner la société TERFACE à verser à Monsieur [P] 133.762 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

– à défaut de considérer que la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement nul, juger que la résiliation judiciaire produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– en conséquence, condamner la société TERFACE à verser à Monsieur [P] les sommes suivantes :

* écarter le barème de l’article L 1235-3 du Code du travail, en conséquence condamner la société TERFACE à payer à Monsieur [P] 133.762 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en réparation de l’ensemble des préjudices professionnels, financiers et moraux subis dans le cadre de son licenciement ;

* subsidiairement, à défaut d’écarter le barème de l’article L 1235-3 du Code du travail :

* condamner la société TERFACE à payer à Monsieur [P] 57.591 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* et condamner la société TERFACE à payer à Monsieur [P] 76.170 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de sa violation du droit à l’emploi ;

A titre subsidiaire :

– juger que le motif économique évoqué à l’appui du licenciement de Monsieur [P] n’est pas fondé ;

– juger que la société TERFACE a failli dans son obligation de recherche de reclassement ;

En conséquence,

– juger que le licenciement pour motif économique de Monsieur [P] est sans cause réelle et sérieuse ;

– condamner la société TERFACE à verser à Monsieur [P] les sommes suivantes :

* écarter le barème de l’article L 1235-3 du Code du travail, en conséquence condamner la société TERFACE à payer à Monsieur [P] 133.762 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en réparation de l’ensemble des préjudices professionnels, financiers et moraux subis dans le cadre de son licenciement pour motif économique ;

* subsidiairement, à défaut d’écarter le barème de l’article L 1235-3 du Code du travail :

* condamner la société TERFACE à payer à Monsieur [P] 57.591 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* condamner la société TERFACE à payer à Monsieur [P] 76.170 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de sa violation du droit à l’emploi ;

A titre infiniment subsidiaire :

– constater que la société TERFACE a violé les critères de l’ordre du licenciement ;

– en conséquence, condamner la société TERFACE à verser à Monsieur [P] la somme de 133.762 euros d’indemnités pour violation des critères de l’ordre du licenciement ;

En tout état de cause :

– juger que la procédure de licenciement économique est irrégulière, faute de mise en place des représentants du personnel ;

– infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND en ce qu’il a débouté Monsieur [P] de sa demande de dommages et intérêts pour violation de la priorité de réembauchage ;

Et, statuant à nouveau,

– juger que la société TERFACE a violé la priorité de réembauchage de Monsieur [P] ;

– en conséquence, condamner la société TERFACE à verser à Monsieur [P] la somme de 11.145 euros de dommages et intérêts pour violation de la priorité de réembauchage ;

– infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND en ce qu’il a débouté Monsieur [P] de sa demande de rappel de salaire ;

Et, statuant à nouveau,

– condamner la société TERFACE à verser à Monsieur [P] la somme de 7.963,95 euros bruts de rappel de salaire sur la base du coefficient 1500 de la convention collective des Instruments à écrire et industries connexes, outre 796,39 euros bruts d’indemnité compensatrice de congés payés y afférents ;

– faute de reconnaître que Monsieur [P] est bien fondé à revendiquer le coefficient 1500, condamner la société TERFACE à lui régler la somme de 4.654,95 euros bruts de rappels de salaire sur la base du coefficient 1350, outre 465,49 euros bruts de congés payés y afférents ;

– infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND en ce qu’il a débouté Monsieur [P] de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail et harcèlement moral ;

Et, statuant à nouveau,

– condamner la société TERFACE à verser à Monsieur [P] 10.000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale de son contrat de travail et harcèlement moral ;

– ordonner la délivrance des bulletins de salaire et de l’attestation Pôle Emploi rectifiée, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la date de l’arrêt rendu par la Cour d’appel ;

– condamner la société TERFACE à verser à Monsieur [P] la somme de 2.400 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

– condamner la société TERFACE à rembourser à Pôle Emploi tout ou partie des indemnités de chômage versées à Monsieur [P], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage, en application des dispositions de l’article L 1235-4 du Code du travail ;

– condamner la société TERFACE aux entiers dépens.

Monsieur [P] explique avoir signé un premier avenant à son contrat de travail le 12 décembre 2011 prévoyant que désormais les objectifs et résultats ne dépendaient plus du chiffre d’affaires réalisé mais de la marge brute réalisée, les modalités de calcul dépendant toujours du pourcentage de réalisation de l’objectif global. Il affirme que si, dans un premier temps, la société TERFACE lui a adressé trimestriellement les objectifs de chiffre d`affaires à réaliser, face à son refus de signer ces objectifs qui le lésaient, l’employeur a cessé de recueillir son accord et lui a fixé unilatéralement ses objectifs malgré ses contestations.

Monsieur [P] soutient que dans un premier temps, par mail du 16 janvier 2017, la société TERFACE a procédé à la modification unilatérale de la nature des objectifs à remplir et a inséré, toujours unilatéralement, une nouvelle condition pour percevoir la rémunération variable. Il indique que par mail du 27 janvier 2017, l’employeur a modifié unilatéralement les modalités de calcul de la rémunération variable. Il avance que la prime d’objectif stratégique (POS) avait toujours existé au sein de la société mais qu’à compter de 2017 sa perception avait été soumise à la réalisation d’un sous-objectif en plus à savoir la réalisation, par trimestre, de 4.500 euros de marge brute de matériels de relieurs UNIBIND News. Il affirme qu’il lui a été imposé par l’employeur d’équiper uniquement en relieur UNIBIND les clients inactifs depuis 86 mois alors qu’auparavant tous les clients pouvaient être équipés.

Il fait valoir que les nouvelles modalités de calcul imposées par la société hors de tout cadre contractuel l’ont considérablement lésé. Il rappelle qu’il a contesté une nouvelle fois ses objectifs fixés unilatéralement pour l’année 2018. Il indique en outre que ses conditions de travail n’ont cessé de se dégrader et que ses secteurs contractuellement attribués ont été modifiés sans son accord. Il affirme que l’employeur n’a pas pris en compte plusieurs dossiers dans son chiffre d’affaire.

Il expose ensuite que la société TERFACE l’a lésé en refusant de prendre en compte plusieurs de ses ventes et que la classification 1350 attribuée suite à sa réclamation ne correspond pas à ses responsabilités qui relèvent du coefficient 1500. Il fait valoir qu’en outre l’employeur n’a pas respecté et ne lui pas reversé le salaire minimum prévu dans la convention collective des instruments à écrire et industries connexes.

Il ajoute qu’il n’a pas été organisé d’élections professionnelles au sein de l’entreprise depuis 2009.

Au regard tous ces éléments, il soutient être fondé à solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail devant produire les effets d’un licenciement nul. Il sollicite les conséquences indemnitaires de son licenciement nul.

A titre subsidiaire, Monsieur [P] fait valoir que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse. Il avance que le motif économique avancé par l’employeur ne repose sur rien de concret et que l’employeur n’a en outre pas effectué de recherches sérieuses de reclassement.

A titre infiniment subsidiaire, Monsieur [P] fait valoir que la procédure de licenciement pour motif économique a été menée de manière irrégulière par la société TERFACE et notamment du fait que les critères d’ordre n’ont pas été respectés. Il rappelle en outre que l’employeur a violé sa priorité de réembauchage. Il sollicite le paiement de rappel de salaires au titre de la classification professionnelle et le versement de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et harcèlement moral de la part de l’employeur.

Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.

MOTIFS

– Sur la rupture du contrat de travail –

Le salarié peut demander au juge prud’homal la résiliation judiciaire de son contrat de travail s’il estime que l’employeur manque à ses obligations.

L’action en résiliation judiciaire du contrat de travail, qui ne constitue pas une prise d’acte de la rupture, ne met pas fin au contrat de travail et implique la poursuite des relations contractuelles dans l’attente de la décision du juge du fond.

Si les manquements de l’employeur invoqués par le salarié sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail, et donc la rupture de celui-ci aux torts de l’employeur, au jour de sa décision, sauf si le contrat de travail a déjà été interrompu et que le salarié n’est plus au service de son employeur.

En matière de résiliation judiciaire du contrat de travail, la prise d’effet ne peut être fixée qu’à la date de la décision judiciaire le prononçant, dès lors qu’à cette date le contrat de travail n’a pas été rompu et que le salarié est toujours au service de son employeur.

Cette rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ou nul en cas de harcèlement ou de discrimination ou si le salarié est protégé ou si le salarié était victime d’un accident du travail ou en cas de caractérisation d’un autre cas de nullité de la rupture.

La réalité et la gravité des manquements de l’employeur invoqués par le salarié sont souverainement appréciés par les juges du fond.

C’est au salarié de rapporter la preuve des manquements de l’employeur qu’il invoque. Les juges du fond doivent examiner l’ensemble des manquement de l’employeur invoqués par la salarié, en tenant compte de toutes les circonstances intervenues jusqu’au jour du jugement. En cas de doute sur la réalité des faits allégués, il profite à l’employeur.

En l’espèce, Monsieur [N] [P] a saisi le conseil de prud’hommes le 18 juillet 2018 aux fins de voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, alors que le licenciement pour motif économique a été notifié au salarié le 27 juillet 2018.

La cour va donc d’abord examiner la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail.

– Sur la modification unilatérale du contrat de travail –

La mesure qui affecte un ou plusieurs éléments ayant déterminé le consentement à l’engagement contractuel d’un salarié correspond à une modification du contrat nécessitant l’accord de l’intéressé, lequel doit être formalisé selon une procédure particulière, qui diffère selon que le motif de la modification soit ou non de nature économique.

Dans le cas où la modification repose sur un motif économique tel que défini à l’article L.1233-3 du code du travail, l’employeur doit proposer à chaque salarié concerné la modification envisagée par lettre recommandée avec avis de réception, en l’informant de ses nouvelles conditions d’emploi et des éventuelles mesures d’accompagnement, et en lui précisant qu’il dispose d’un délai d’un mois, voire de 15 jours en cas de redressement ou liquidation judiciaire, à compter de sa réception pour faire connaître son refus. S’il ne respecte pas la procédure de proposition préalable, l’employeur ne peut se prévaloir ni d’une acception ni d’un refus du salarié et le licenciement prononcé en raison de ce dernier est sans cause réelle et sérieuse.

Dans les autres cas de modification, et sauf disposition conventionnelle contraire, l’information est obligatoire mais n’est soumise à aucune condition de forme. L’employeur demeure toutefois tenu de laisser à l’intéressé un délai suffisant pour faire connaître sa position, étant observé que lorsque la modification envisagée repose sur un motif disciplinaire, il doit mettre en oeuvre la procédure spécifique prévue à ce titre par le code du travail.

En cas de refus par le salarié de la modification de son contrat, l’employeur dispose d’une option: poursuivre le contrat aux conditions initiales ou prendre l’initiative d’un licenciement. L’employeur qui décide d’imposer une modification unilatérale du contrat de travail s’expose à la résiliation judiciaire ou à une prise d’acte de la rupture à ses torts lorsqu’elle est de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, ce qu’il appartient aux juges du fond de déterminer.

La modification unilatérale du contrat de travail ne peut être retenue qu’en cas de modification d’un ou plusieurs éléments déterminants, tels la rémunération, la qualification ou l’emploi, la durée du travail, la distinction entre modification du contrat de travail et modification des conditions de travail, laquelle procède de l’exercice du pouvoir de direction conféré à l’employeur, relève de l’appréciation des juges du fond. A la différence de la modification du contrat, la modification des conditions de travail s’impose au salarié qui, s’il refuse de s’y soumettre, commet une faute susceptible d’entraîner le prononcé d’une sanction disciplinaire.

En l’espèce, il ressort du contrat de travail signé par les parties que le montant de la rémunération variable du salarié était fonction de la réalisation de différents chiffres d’affaires, appelée prime de réalisation globale (PRG), se décomposant de la façon suivante :

– une prime d’objectifs stratégiques (POS), correspondant à la vente de machines ‘haut de gamme’ ;

– une prime de parc (PP), basée sur la vente de consommables de renouvellement et de machines ‘bas de gamme’.

Par avenant en date du 12 septembre 2011, signé par les parties, il était convenu que les objectifs et résultats ne dépendaient plus du chiffre d’affaires réalisé mais de la marge brute réalisée selon les termes suivants:

‘Les objectifs et résultats sont exprimés en valeur de marge brute du chiffre d’affaires net. Les objectifs et résultats sont exprimés mensuellement et agrégés trimestriellement.

Réalisation:

La PRG mensuelle est soumise au coefficient de réalisation de l’objectif mensuel suivant le barème ci-après:

– Réalisation

– Réalisation > 100%: PRG plafonnée à son montant nominal

Régularisation:

La PRG mensuelle ci-dessus est soumise à régularisation suivant les conditions de réalisation cumulée du trimestre ci-après:

– En cas de réalisation globale trimestrielle inférieure à 50%, le collaborateur perd sa PRG

– En cas de réalisation globale trimestrielle comprise entre 50% et 75%, un coefficient de 0,5 est appliqué

– En cas de réalisation globale trimestrielle comprise entre 75% et 100%, la PRG est maintenue au coefficient 1

– En cas de réalisation globale trimestrielle supérieure à 100%, le collaborateur percevra un complément de PRG rapporté à son montant nominal trimestriel multiplié par un surcoefficient correspondant au taux de réalisation de l’objectif trimestriel. Ce surcoefficient est limité à 2, soit un montant de cumul de PRG du trimestre limité à 200%.’

Il résulte de la lecture des mails et notes internes produits que par suite de la signature de cet avenant l’employeur a fixé des objectifs de chiffres d’affaires trimestriels au salarié, lequel s’y est opposé notamment par mail en date du 12 avril 2013, considérant que les objectifs fixés étaient irréalisables.

Des objectifs définis hors de tout cadre contractuel ont également été imposés au salarié, notamment en mettant en place des ‘sous-objectifs’ pour percevoir la prime d’objectifs stratégiques (POS) impliquant une vente par trimestre de 4.500 euros de marge brute de matériels de relieurs UNIBIND News, l’employeur imposant ainsi une rémunération variable basée sur la vente d’un seul ‘produit phare’ de la société au lieu de porter sur la réalisation globale du salarié, comme prévu contractuellement.

En parallèle, le salarié établit qu’alors que son contrat de travail ne mentionnait qu’un secteur d’attribution, celui d’Auvergne-Loire, il est progressivement passé, sans qu’aucun avenant ultérieur ne régularise cette situation, d’un secteur d’attribution de 11 départements en 2016 à celui de 16 départements en 2018.

Au vu de ces éléments, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a considéré que les modifications successives apportées par l’employeur en ce qui concerne les objectifs fixés au salarié, les modalités de calcul de sa rémunération variable ainsi que des secteurs de prospection et d’activité constituent des modifications unilatérales du contrat de travail susceptibles de justifier, en l’absence d’accord du salarié, de la résiliation judiciaire dudit contrat, ces modifications portant sur des éléments déterminants du contrat de travail, tels que la rémunération.

– Sur le défaut de comptabilisation de plusieurs dossiers dans le chiffre d’affaires réalisé –

Monsieur [P] reproche à son employeur de l’avoir lésé en refusant de lui attribuer plusieurs ventes réalisées dans le cadre des dossiers GETTE, GCS, KOBRA CYCLONE et NEWS UNIBIND.

Il ressort cependant de la lecture des mails produits par Monsieur [P] que ces derniers n’établissent aucunement une intervention de l’employeur pour le priver des primes associées aux ventes en question, uniquement le fait que Monsieur [P] est à un moment intervenu dans la négociation des ventes qui ont ensuite été finalisées par d’autres salariés de la structure.

Ainsi, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a considéré que Monsieur [P] n’apportait pas la preuve du manquement allégué de son employeur de ce chef.

– Sur le non-respect de la classification conventionnelle et le non-respect du salaire minimum conventionnel –

En principe, le contrat de travail précise la qualification professionnelle du salarié en référence à la classification fixée par la convention collective applicable dans l’entreprise.

La classification professionnelle d’un salarié dépend des fonctions effectivement exercées.

Il appartient au salarié d’établir que les fonctions qu’il exerce réellement correspondent à la classification revendiquée. Un salarié ne peut pas revendiquer une qualification subordonnée à un diplôme qu’il n’a pas ou à des fonctions qu’il n’exerce pas. Toutefois, l’employeur ne peut se prévaloir ni de l’absence de réclamation d’une autre classification par le salarié au cours de l’exécution du contrat de travail ni de la renonciation du salarié au coefficient correspondant à ses fonctions.

En cas de litige, il appartient au juge d’apprécier les fonctions réellement exercées par le salarié en référence à la classification fixée par la convention collective applicable dans l’entreprise.

Le juge doit appliquer les dispositions des conventions collectives à la lettre et ne peut les dénaturer. Lorsque la convention collective prête à interprétations, le juge fait prévaloir la classification qui se rapproche des fonctions exercées par le salarié. Si l’emploi réellement occupé par le salarié n’est pas prévu par la convention collective applicable, le classement se fait au niveau correspondant au poste le plus proche.

En cas de sous-classement, le salarié doit être replacé de manière rétroactive au niveau de classification et de rémunération auquel son poste correspond. Dans les limites de la prescription extinctive, le salarié peut alors prétendre à un rappel de salaire correspondant au minimum conventionnel afférent à ce coefficient et à des dommages-intérêts s’il justifie d’un préjudice particulier (comme la perte d’une partie de ses droits à retraite).

Monsieur [P] fait valoir que la classification 1350, dont il bénéficiait, ne correspond pas à la réalité des fonctions exercées. Il réclame l’application de la classification 1500 et sollicite également un rappel de salaire en raison d’une erreur dans le respect du salaire minimal conventionnel.

Aux termes de la convention collective des instruments à écrire et industries connexes:

– Le coefficient 1350 est défini comme: ‘ingénieurs et cadres ayant une pratique professionnelle confirmée. Ils agissent dans le cadre de directives générales, s’approprient rapidement tous les aspects de leur fonction afin de gérer l’organisation de leur travail, mais la prise de décisions importantes relève le plus souvent de leur hiérarchie. La fonction peut entraîner un commandement de cadres de la position inférieure ou d’employés, de techniciens, de dessinateurs et d’agents de maîtrise de haut niveau’ ;

– Le coefficient 1500 est défini comme: ‘ingénieurs et cadres administratifs ou commerciaux ayant une maîtrise complète de leur spécialité agissant dans le cadre de directives générales qui ont à diriger ou à coordonner les travaux dont ils ont la responsabilité ; la place hiérarchique de ce cadre se situe éventuellement sous l’autorité d’un chef de service. Ils reçoivent des orientations et des objectifs, et prennent les mesures nécessaires à la réalisation des objectifs et indications reçus ainsi que les décisions adaptées découlant.’

Il ressort en outre de l’article 2 de l’avenant du 19 juin 2017 de la convention collective des instruments à écrire et industries connexes que:

‘Le principe de la garantie d’un salaire mensuel conventionnel ne permet pas de tenir compte des pratiques salariales souvent retenues pour les salariés cadres qui perçoivent un fixe mensuel auquel s’ajoute une part variable dont la périodicité de versement est autre que mensuelle.

Afin de préserver cette spécificité tout en appliquant un principe de garantie conventionnelle de salaire, ces salariés ont la garantie de percevoir annuellement, comme tous les salariés, au minimum 12 fois le salaire mensuel minimal garanti correspondant à leur coefficient.

Mensuellement, ces salariés sont assurés de percevoir un salaire mensuel égal au minimum à 90% du salaire mensuel conventionnel correspondant à leur coefficient. Cette disposition spécifique ne peut en aucun cas remettre en cause les accord et avantages existant au sein des entreprises, et notamment la prime dite de treizième mois.

Il est prévu que les salariés cadres confirmés, positionnés au coefficient 1350 de la grille, perçoivent en plus de la garantie mensuelle de 3.205 euros d’un minimum annuel garanti de 38.460 euros bruts toutes primes comprises.’

En l’espèce, la société TERFACE verse aux débats des mails d’échanges entre Monsieur [P] et son supérieur hiérarchique, Monsieur [L], qui démontrent son peu d’autonomie professionnelle, le salarié devant solliciter son chef de requêtes pour obtenir l’adresse d’un prospect ou se faire rappeler comme procéder pour la créer une invitation Outlook.

Par ailleurs, comme l’ont relevé les juges de première instance, Monsieur [P] apparaît mal fondé à réclamer un rappel de salaire suivant les termes de l’article 2 de l’avenant du 19 juin 2017 de la convention collective des instruments à écrire et industries connexes dès lors que l’avenant du 12 décembre 2011, signé par les parties, précise que ses objectifs et résultats sont ‘exprimés mensuellement et agrégés trimestriellement’.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a dit que le salarié ne rapporte pas la preuve des manquements de l’employeur en lien avec la demande de rappel de salaire pour non-respect de la classification professionnelle et du minimum conventionnel.

– Sur l’absence d’organisation des élections professionnelles –

En l’espèce, il est constant que les dernières élections professionnelles ont eu lieu en novembre 2009 et que de nouvelles élections professionnelles aurait dû avoir lieu en 2013 et en 2017. L’employeur ne conteste pas l’absence d’organisation ultérieure d’élections professionnelle, se contentant de souligner qu’il s’agit d’une entreprise familiale qui privilégie le dialogue direct avec les salariés.

Ainsi, le manquement tenant à l’absence d’organisation des élections professionnelles apparaît bien établi.

Au vu de l’ensemble de ces éléments et des principes de droit sus-visés, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a retenu que compte tenu des modifications unilatérales apportées au contrat de travail et de l’absence d’organisation par l’employeur des élections professionnelles, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur est fondée.

La cour estimant que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur est fondée, il n’y a pas lieu de se prononcer sur son licenciement pour motif économique. Monsieur [P] sera débouté de toutes ses demandes indemnitaires subséquentes au licenciement pour motif économique.

– Sur les effets de la rupture du contrat de travail –

Le harcèlement, sexuel ou moral, s’intègre désormais dans une problématique plus vaste, à savoir la prévention des risques psycho-sociaux et la prise en compte juridique de la souffrance au travail.

Aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Ne répond pas à cette définition un acte isolé (telle une rétrogradation) ou la publicité donnée à la mise en cause de méthodes de management.

Le harcèlement moral suppose l’existence d’agissements répétés, peu importe que les agissements soient ou non de même nature, qu’ils se répètent sur une brève période ou soient espacés dans le temps, sauf si le salarié se disant victime peut le relier à une discrimination prohibée. La loi 2008-496 du 27 mai 2008 assimile à une discrimination les faits de harcèlement moral qu’elle définit comme tout agissement (singulier et non pluriel) lié à un motif discriminatoire subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement hostile, dégradant, humiliant ou offensant. Une demande fondée sur un acte isolé ou unique peut donc être rejetée par le juge au titre du harcèlement moral mais retenue au titre d’une discrimination prohibée si les deux fondements sont invoqués par le salarié.

Le harcèlement peut être constitué même si son auteur n’avait pas d’intention de nuire et peu importe que l’auteur du harcèlement ait mésestimé la portée de ses actes. La mauvaise foi n’a pas à être caractérisée.

Les méthodes de gestion, l’environnement de travail, les conditions de travail peuvent aussi caractériser un harcèlement moral, même si aucune différence de traitement entre salariés n’est constatée.

La loi n’exige pas la caractérisation ou démonstration d’un préjudice du salarié se disant victime pour retenir le harcèlement puisqu’il suffit que les agissements soient susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. La simple possibilité d’une atteinte aux droits ou à la dignité, d’une altération de la santé physique ou mentale, d’une atteinte à l’avenir professionnel du salarié suffit. Toutefois, le plus souvent, les faits de harcèlement moral ont un impact direct sur l’état de santé du salarié.

Par contre, il faut que le salarié qui se plaint de harcèlement moral ait personnellement été victime des agissements dénoncés. Le salarié qui n’a pas été personnellement victime d’une dégradation de ses conditions de travail à la suite des agissements d’un supérieur hiérarchique subis par un autre salarié n’est pas fondé à se prévaloir d’un manquement de l’employeur à ses obligations à son égard.

Ne constituent pas notamment un harcèlement moral :

– l’exercice légitime par l’employeur de son pouvoir disciplinaire lorsque la sanction prononcée est justifiée et proportionnée ;

– la mise en oeuvre de mesures imposées ou justifiées par la loi ;

– des mesures prises par l’employeur ayant pour seule finalité de permettre le fonctionnement permanent du service ;

– des demandes de travaux ou tâches figurant dans la fiche de poste ;

– des décisions objectives et non-discriminatoires concernant l’évolution professionnelle du salarié.

En application de l’article L.1154-1 du même code, en cas de litige relatif à l’application de l’article L.1152-1 et de l’article L.1153-1, il appartient au salarié concerné de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, y compris les documents médicaux éventuellement produits, puis d’apprécier si les faits matériellement établis dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Sous ses conditions, contrôlées par la Cour de cassation, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits permettant de présumer l’existence de harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.

Monsieur [P] considère que la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur doit produire les effets d’un licenciement nul dans la mesure où il a été victime de harcèlement moral ou à défaut ceux d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Au soutien de la nullité de son licenciement, Monsieur [P] expose avoir fait l’objet de conditions de travail dégradées, qui lui ont occasionné plusieurs arrêts de travail pour maladie courant 2018, du fait des manquements à l’origine de la résiliation de son contrat de travail.

Cependant, la cour a déjà retenu que si certains des manquements mis en avant par le salarié justifiaient de la résiliation judiciaire de son contrat de travail, ces manquements consistaient en des modifications unilatérales apportées au contrat de travail et de l’absence d’organisation par l’employeur des élections professionnelles, les autres manquements dénoncés n’étant pas démontrés.

Ces deux seuls manquements ne sauraient s’analyser en des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité, d’altérer la santé physique ou mentale ou de compromettre l’avenir professionnel du salarié conformément aux termes de l’article L.1152-1 et suivants du code du travail.

Ainsi, en l’absence de faits matériels, précis et concordants, qui pris dans leur ensemble, laissent présumer l’existence d’un harcèlement moral, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris et de dire que la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

– Sur les conséquences indemnitaires de la rupture du contrat de travail –

Si le salarié a été licencié avant la date de prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail, c’est à la date d’envoi de la notification du licenciement qu’est fixée la prise d’effet de la résiliation judiciaire, soit en l’espèce le 27 juillet 2018.

Au moment de la rupture du contrat de travail, Monsieur [P] était âgé de 49 ans et avait plus de 20, mais moins de 21, années d’ancienneté dans une entreprise employant habituellement plus de dix salariés.

Le salaire mensuel brut de référence de Monsieur [P] retenu par la cour est d’un montant de 3.715,55 euros.

Vu l’ancienneté de Monsieur [P], en application des dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, le montant maximal de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse serait fixé à 15,5 mois de salaire mensuel brut, soit 57.591 euros, et le montant minimal à 3 mois de salaire mensuel brut, soit 11.146,65 euros.

Monsieur [P] demande à la cour de lui allouer une indemnité d’un montant supérieur au plafond du barème précité afin d’assurer une réparation adéquate et intégrale de son préjudice.

Il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation que la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue.

Pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse notifiés à compter du 24 septembre 2017, l’article L. 1235-3 du code du travail prévoit que si l’une ou l’autre des parties refuse la réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans un tableau différent selon que l’entreprise emploie habituellement plus de dix ou moins de onze salariés.

Le nouvel article L. 1235-3 du Code du travail définit des montant minimaux (plancher) et maximaux (plafond) d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse calculés en mois de salaire, en fonction de l’ancienneté et du nombre de salariés dans l’entreprise.

Ainsi, dans les entreprises employant habituellement 11 salariés ou plus, l’article L. 1235-3 prévoit que l’indemnité de licenciement varie de 1 à 20 mois de salaire brut suivant l’ancienneté dans l’entreprise, en fixant des montants minimaux et maximaux. Dans les entreprises de moins de 11 salariés, l’article L. 1235-3 fixe un régime dérogatoire au barème précédent pour les seules indemnités minimales, qui oscillent de 0,5 à 2,5 mois de salaire brut entre 0 et 10 années d’ancienneté dans l’entreprise.

La Convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail, d’application directe en droit interne, prévoit en son article 10 que les juges doivent être « habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ». L’article 24 de la Charte Sociale Européenne contient une disposition similaire. L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme garantit le droit à un procès équitable.

Le barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail a été critiqué devant le Conseil d’Etat et le Conseil Constitutionnel. Le Conseil d’État a, le 7 décembre 2017, dans sa décision 415-243, validé ce barème. Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018, a déclaré le mécanisme du barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail conforme à la Constitution.

Saisi pour avis, la Cour de cassation a déclaré (avis numéros 19-70010 et 19-7001 du 17 juillet 2019), d’une part, que ce barème était compatible avec les stipulations de l’article 10 de la convention 158 de l’OIT et, d’autre part, que les dispositions de l’article 24 de la charte sociale européenne révisée étaient dépourvues d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. La Cour de cassation a par ailleurs considéré que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail n’entraient pas dans le champ d’application de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Le barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail apparaît donc conforme aux textes européens et internationaux.

Il n’est pas justifié par Monsieur [P] que l’application du barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail porterait une atteinte disproportionnée à ses droits, notamment à son droit d’obtenir une réparation adéquate, appropriée ou intégrale du préjudice par lui subi du fait de la perte injustifiée de son emploi.

En conséquence, il sera alloué une somme de 57.591 euros au salarié en réparation du préjudice subi du fait de la perte injustifiée de son emploi.

La SAS TERFACE sera donc condamnée à payer à Monsieur [N] [P] une somme de 57.591 euros (brut), à titre de dommages-intérêts, pour rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera réformé sur ce point.

– Sur les demandes de rappels de salaire –

La cour ayant déjà retenu que le salarié ne rapportait pas la preuve des manquements de l’employeur liés au non-respect de la classification professionnelle et du minimum conventionnel de salaire, il échet de débouter Monsieur [N] [P] de ses demandes de rappels de salaire à ces deux titres.

– Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et harcèlement moral –

La cour a déjà retenu que les manquements retenus contre l’employeur ne pouvaient s’analyser en des faits de harcèlement moral.

En outre, alors que la notion de préjudice nécessaire a été abandonnée par la Cour de cassation en 2016, il doit être observé que la réalité d’un préjudice distinct à celui déjà indemnisé par la cour n’est pas rapportée.

Il échet dès lors de débouter Monsieur [N] [P] de sa demande à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et harcèlement moral.

– Sur les frais irrépétibles et les dépens –

Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et aux frais irrépétibles de première instance seront confirmées.

La société TERFACE, qui succombe en son recours, sera condamnée à payer à Monsieur [N] [P] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ainsi qu’au paiement des dépens d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,

– Réformant le jugement déféré sur le seul montant de l’indemnisation de la perte injustifiée d’emploi du salarié, condamne la SAS TERFACE à payer à Monsieur [N] [P] une somme de 57.591 euros (brut), à titre de dommages-intérêts, pour rupture du contrat de travail produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions;

– Y ajoutant, condamne la société TERFACE à payer à Monsieur [N] [P] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

– Condamne la société TERFACE aux dépens d’appel ;

– Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.

Le greffier, Le Président,

N. BELAROUI C. RUIN

 


0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest
0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Chat Icon
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x