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Numérisation : 28 septembre 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/04932

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Numérisation : 28 septembre 2023 Cour d’appel de Rennes RG n° 20/04932

7ème Ch Prud’homale

ARRÊT N°341/2023

N° RG 20/04932 – N° Portalis DBVL-V-B7E-Q7VF

Mme [Z] [O]

C/

S.A.R.L. AUDITION BIEN ETRE

Copie exécutoire délivrée

le : 28/09/2023

à : MAITRES

BLUTEAU

ERMENEUX

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 28 SEPTEMBRE 2023

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Hervé BALLEREAU, Président de chambre,

Assesseur : Madame Liliane LE MERLUS, Conseillère,

Assesseur : Madame Isabelle CHARPENTIER, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Françoise DELAUNAY, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 09 Mai 2023 devant Madame Isabelle CHARPENTIER, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

En présence de Monsieur [M], médiateur judiciaire

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 28 Septembre 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

Madame [Z] [O]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Karima BLUTEAU, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES substituée par Me Heloise HADE, avocat au barreau de RENNES

INTIMÉE :

S.A.R.L. AUDITION BIEN ETRE

[Adresse 3]

[Localité 6]

Comparante en la personne de sa gérante Madame [W], assistée de Me Bertrand ERMENEUX de la SELARL AVOXA RENNES, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Comparante en la personne de sa gérante Madame [W], assistée de Me Sophie BAUDET, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, substituée par Me Margaux LE FRIEC, avocat au barreau de PARIS

EXPOSÉ DU LITIGE

La SARL Audition bien-être, dont la gérante est Mme [W], audioprothésiste, exploite deux cabinets de correction auditive situés respectivement à [Localité 6](35) et à [Localité 5](44). Elle emploie habituellement deux secrétaires affectées dans chacun des cabinets et applique la convention collective du négoce et prestations de service dans les domaines médico-techniques.

Mme [Z] [O] a été engagée le 16 juin 2004 comme assistante administrative et commerciale par la SARL Audition Bien-Être dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée jusqu’au 30 juin 2004, suivi d’un contrat de qualification pour la période du 13 septembre 2004 au 31 août 2006.

La relation de travail s’est poursuivie à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2006, la salariée se voyant confier le poste de secrétaire polyvalente à temps partiel sur la base de 31 heures par semaine.

Il était stipulé que son lieu de travail était fixé en fonction des besoins de la société aux cabinets de [Localité 6] et de [Localité 5].

À compter du 25 juillet 2017, Mme [O], enceinte, a bénéficié d’un arrêt de travail sans rapport avec son état de grossesse ( découverte d’un gros kyste ovarien), suivi du congé maternité du 2 novembre 2017 au 20 février 2018.

A la suite d’une intervention chirurgicale le 6 avril 2018, la salariée a été placée en arrêt de travail jusqu’au 30 avril 2018.

Le 22 juin 2018, elle s’est vue prescrire un arrêt de travail pour ‘réaction à un facteur de stress’ jusqu’au 28 juin 2018, prolongé à plusieurs reprises.

Dans un courrier du 25 juin 2018, Mme [O] alertait l’inspection du travail, avec copie au médecin du travail, pour dénoncer ses conditions de travail, se disant victime d’actes de harcèlement moral de la part de son employeur.

Par courrier du 10 décembre 2018, le conseil de Mme [O] informait la gérante de la souffrance morale de la salariée en raison de ses conditions de travail, en lien avec des actes subis de harcèlement moral. Elle visait le manquement de l’employeur à ses obligations en matière de santé au travail, aucune visite médicale de reprise n’ayant été organisée suite à la grossesse de la salariée puis après son opération chirurgicale d’avril 2018.

Par requête du 7 mars 2019, Mme [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Rennes afin d’obtenir initialement la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur.

Une semaine plus tard, le 14 mars 2019, la salariée toujours en arrêt maladie, a pris acte de la rupture de son contrat de travail, en la motivant ainsi: ‘chère Madame, au vu de votre comportement à mon égard, il m’est impossible de rester travailler à vos côtés au sein de l’entreprise Audition Bien-Etre.

La souffrance au travail dont j’ai été victime notamment durant les derniers mois avant mon arrêt de travail, ont eu un impact sur ma santé. Les faits de harcèlement moral dont la responsabilité vous incombe entièrement, me contraignent à vous notifier la présente prise d’acte de la rupture de mon contrat de travail.’

Mme [O] a présenté en dernier lieu auprès du conseil de prud’hommes de Rennes les demandes suivantes :

A titre principal, dire et juger que les agissements répétés pratiqués à l’égard de Mme [O] doivent être qualifiés harcèlement moral.

– Dire et juger que sa prise d’acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul.

– Condamner la société Audition Bien-Être à lui verser à titre de dommages et intérêts la somme de 30 000 Euros

A titre subsidiaire, dire et juger que la Société Audition Bien-Être a commis à l’encontre de Mme [O] des manquements suffisamment graves pour justifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur.

– Dire et juger que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

– Condamner la Société Audition Bien-Être à lui verser des dommages et intérêts en application des barèmes soit 21 786 euros

En tout état de cause.

– Condamner la société Audition Bien-Être à lui verser les sommes suivantes :

– Indemnité légale de licenciement : 6 703,39 Euros

– Indemnité compensatrice de préavis : 3 351,72 euros

– Congés payés afférents : 335,17 Euros

– Dire et juger que la moyenne des salaires est fixée à 1 675,86 euros bruts.

– Condamner la Société Audition Bien-Être au paiement au titre de l’article 700 du code de procédure civile de 2 500 euros

– Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir laquelle apparaît nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire.

La SARL Audition Bien-Être a demandé au conseil de prud’hommes de :

– Dire et juger que Mme [O] n’a subi aucun fait de harcèlement moral et la débouter de sa demande de requalification de la prise d’acte de rupture de son contrat de travail en licenciement nul.

– La débouter de l’intégralité de ses demandes.

– Dire et juger que la société Audition Bien-Être n’a commis envers Mme [O] aucun manquement ayant rendu impossible la poursuite de son contrat de travail.

– Dire et juger que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail doit produire les effets d’une démission.

– Débouter Mme [O] de l’ensemble de ses demandes.

– La condamner au paiement de l’indemnité compensatrice de préavis de 1 676 euros et des congés payés.

– Débouter Mme [O] de sa demande d’exécution provisoire.

– Condamner Mme [O] au paiement d’une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros

Par jugement en date du 23 septembre 2020, le conseil de prud’hommes de Rennes a :

– Dit et jugé que Madame [O] n’a subi aucun fait de harcèlement moral.

– Dit et jugé que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de Mme [O] produit le effets d’une démission.

– Débouté Mme [O] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

– Débouté la SARL Audition Bien-Être de l’ensemble de ses demandes.

– Condamné Mme [O] aux entiers dépens, y compris les frais éventuels d’exécution.

Mme [O] a interjeté appel de la décision par déclaration au greffe en date du 14 octobre 2020.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 18 décembre 2020, Mme [O] demande à la cour de :

– Réformer le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

A titre principal : dire et juger que les agissements répétés pratiqués à l’égard de Mme [O] doivent être qualifiés harcèlement moral,

– Dire et juger que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d’un licenciement nul,

– Condamner la Société Audition Bien-Être à lui verser la somme de 30 000 euros au titre de dommages et intérêts.

A titre subsidiaire, dire et juger que la Société Audition Bien-Être a commis envers Madame [O] des manquements suffisamment graves pour justifier la prise d’acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur,

– Dire et juger que la prise d’acte de la rupture de contrat de travail produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– Condamner la Société Audition Bien-Être à lui verser la somme de 21 786 euros au titre des dommages et intérêts, en application de l’article L1235-3 du code du travail ;

En tout état de cause,

– Condamner la Société Audition Bien-Être à lui verser les sommes suivantes :

– 6 703,39 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

– 3 351,72 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 335,17 euros pour les congés payés y afférents,

– Dire et juger que la moyenne des salaires est fixée à 1 675,86 euros bruts.

– Condamner la Société Audition Bien-Être au paiement de 2 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

En l’état de ses dernières conclusions transmises par RPVA le 16 mars 2021, la SARL Audition Bien-Être demande à la cour de :

– Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

‘ jugé que Madame [O] n’a subi aucun fait de harcèlement moral,

‘ jugé que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail de Madame [O] produit les effets d’une démission,

‘ débouté Madame [O] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

En conséquence, débouter Madame [O] de l’intégralité de ses demandes fins et conclusions.

– Réformer le jugement entrepris en ce qu’il a :

‘ débouté la société Audition Bien-Être de sa demande d’indemnité compensatrice de préavis

En conséquence et statuant à nouveau :

– Condamner Madame [O] au paiement de la somme brute de 1 676 euros correspondant à l’indemnité compensatrice de préavis.

– Condamner Madame [O] au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 28 mars 2023 avec fixation de la présente affaire à l’audience du 09 mai 2023.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l’exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu’elles ont déposées et soutenues à l’audience.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prise d’acte

Mme [O] ayant pris acte de la rupture le 14 mars 2019 invoque des faits de harcèlement moral imputable à son employeur, de nature à constituer des manquements graves et répétés de l’employeur à ses obligations résultant du contrat de travail.

Si la salariée a rappelé avoir présenté initialement une requête en résiliation judiciaire de son contrat de travail, il convient de constater préalablement qu’elle n’a pas soutenu dans ses dernières écritures une demande de résiliation judiciaire en première instance ni dans le dispositif de ses conclusions devant la cour.

Selon l’article L 1231-1 du code du travail, le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l’initiative de l’employeur ou du salarié ou d’un commun accord.

En cas de prise d’acte de la rupture par le salarié, il lui appartient d’établir les faits qu’il allègue à l’encontre de l’employeur.

Lorsque le salarié invoque des manquements suffisamment graves de son employeur empêchant la poursuite de son contrat de travail, la prise d’acte produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse soit d’un licenciement nul en cas de harcèlement moral. A défaut, la prise d’acte est considérée comme une démission.

Selon l’article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L 1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement. Il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L1152-1 du code civil. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, Mme [O] soutient avoir été exposée à des faits de harcèlement moral de la part de la gérante, Mme [W], se traduisant par un comportement habituellement humiliant et vexatoire, accentué après son congé de maternité fin février 2018 et par un arrêt de travail pour une opération chirurgicale fin avril 2018, ce qui a entraîné la dégradation de son état de santé et des arrêts de travail successifs à compter du 22 juin 2018.

A l’appui, la salariée verse aux débats :

– le certificat de son médecin traitant du 22 juin 2018 ayant constaté une décompensation anxieuse, anxiété diffuse, Mme [O] lui disant être victime de conflit et de harcèlement moral de la part de son employeur.

– le courrier confidentiel qu’elle a adressé le 25 juin 2018 à l’inspection du travail après un entretien avec le médecin du travail, mis en copie, en signalant ‘les conditions de travail très compliquées depuis son retour de congé maternité’. Elle explique de manière circonstanciée les difficultés rencontrées avec Mme [W], décrite comme autoritaire et lunatique’ chaque matin, en arrivant au travail, je me demande toujours si elle sera de bonne humeur ou tyrannique.(..)’ :

– demande que le travail soit fait de telle manière et change d’avis sans prévenir,

– demande que la salariée aille aux toilettes avec le téléphone pour éviter d’être dérangée elle-même,

– reproches constants et continuels par exemple le nettoyage de la vitrine du magasin.

– exigence de tâches inutiles (compte rendu jamais envoyé au médecin,)

– décision si la lumière doit être allumée ou pas, si le chauffage doit l’être ou pas et même si la porte d’entrée doit restée ouverte en grand ou pas.

– à compter de juin 2017, Mme [W] l’a envoyée assurer le remplacement de sa collègue, en arrêt de travail, à [Localité 5] sur la base de deux jours et demi par semaine( 100 kmAR), par temps de canicule.

Elle a été placée en arrêt de travail fin juillet 2017 en lien avec des douleurs abdominales.

– installation d’une caméra de surveillance pendant son absence en février 2018, sans en informer la salariée: ‘Mon poste de travail est clairement dans l’axe.’

– virulence des propos tenus lors d’un entretien du 5 mai 2018- en lien avec des reproches sur la longueur de son arrêt de travail des suites de son opération chirurgicale du 6 avril 2018- ce qui a poussé la salariée à prendre rendez-vous avec le médecin du travail. Elle a éclaté en pleurs à la fin de l’entretien.

– depuis cette date, sentiment d’oppression, de stress, de boule au ventre pour venir travailler. ‘(..) Je fais d’ailleurs plus d’erreurs ces dernières semaines car je sais que peu importe ce que je devais faire, ce ne sera pas ce qu’il fallait faire et je vais me faire réprimander, je vis dans l’angoisse que ma fille soit malade et que je doive m’absenter au travail au dernier moment.’

– enfin, ‘le 19 juin 2018, avant la pause du midi, Mme [W] lui demande, en plus de ses missions habituelles à effectuer en urgence pour des clients, d’effectuer des tâches supplémentaires et la réprimande de ne pas avoir rempli l’ensemble des tâches à 16h45.’

– ses arrêts de travail entre le 25 juillet 2017 et le 1er novembre 2017, sans rapport avec son état de grossesse en raison de douleurs abdominales liées à un volumineux kyste ovarien,

– ses arrêts de travail correspondant à son opération chirurgicale (du 5 au 30 avril 2018),

– ses arrêts de travail pour maladie entre le 22 juin 2018 et le 4 novembre 2018, comportant la mention

‘ Réaction à un facteur de stress’.

– le courrier de son médecin traitant du 12 septembre 2018 expliquant avoir placé Mme [O] en arrêt maladie depuis le 22 juin 2018 pour

‘ décompensation anxieuse et psychologique en relation avec un harcèlement moral de la part de son employeur’, le conflit n’est pas réglé avec son employeur et au vu des échanges qu’elle a eu avec elle, il ne semble pas possible d’envisager une rupture conventionnelle(…) Que le retour au travail dans ce cadre me semble inenvisageable (..)que la situation génère encore beaucoup d’angoisses et de mal-être vis-à-vis de l’attitude de l’employeur et des éléments de harcèlement.’

– le courriel de Mme [W] transmis le 20 septembre 2018 ‘ après ce qui s’est passé aujourd’hui, il me semble évident que tu ne veux pas revenir dans l’entreprise, même une demi-journée . Alors après 3 mois d’arrêt dans quelques semaines, plus de 4 mois d’arrêt, ne penses-tu pas qu’il serait temps d’envisager autre chose’ Aller voir son médecin tous les 15 jours ou tous les mois, pour se déclarer malade et ne pas aller travailler, ce n’est pas une solution.’

– le courrier de son avocat du 10 décembre 2018 alertant l’employeur sur les mauvaises conditions de travail de la salariée, de l’absence de visite médicale de reprise suite à sa grossesse fin février 2018 et suite à son opération chirurgicale fin avril 2018,

– le courrier du 14 mars 2019 notifiant sa prise d’acte de son contrat de travail en se fondant sur le harcèlement moral de la part de son employeur,

– la requête du 7 mars 2019 de résiliation judiciaire pour les mêmes motifs,

– la fiche du médecin de l’assurance maladie du 7 octobre 2019 signalant au médecin du travail que la salariée est apte à une activité salariée mais pas à son activité actuelle et lui demandant ce qu’il envisageait de faire pour elle.

– l’attestation de Mme [S], cliente du cabinet’ en mai juin 2014 en rendez-vous dans le cabinet de [Localité 6]. Elle a aperçu [Z] [O] qui était à son poste de travail, avec les yeux rougis et le regard fuyant. Mme [W] semblait mal à l’aise lorsqu’elle a compris que nous nous connaissions.(..)je connais [Z] depuis le lycée. Depuis des années, je l’entends me parler de ses conditions de travail: elle doit après chaque utilisation remettre le stylo dans le pot à crayons, tête en haut pour éviter que l’encre ne sèche. Mme [W] pose ses congés en priorité et les ponts et Mme [O] pose ses congés en fonction. De multiples erreurs sur le calcul des salaires et des jours de congés. Pas de souplesse dans l’organisation du travail. Enceinte de quelques mois, Mme [W] a demandé à [Z] [O] de nettoyer les vitres (baies vitrées) et d’enlever les mauvaises herbes devant l’entreprise. Dernièrement, [Z] m’a fait part de son malaise concernant la caméra, placée en face d’elle qui la filme en permanence. Mme [W] ne l’a pas prévenue, ni demandé son autorisation pour la filmer. [Z] était très gênée par cette caméra quelque peu intrusive.’

– un extrait du site de la CNIL selon lequel il est interdit d’installer des video-surveillance dans les locaux de travail afin de surveiller ses employés, et une décision de la CNIL du 5 novembre 2019 mettant en demeure un employeur notamment de retirer un dispositif de videosurveillance conduisant à placer un salarié occupant un poste sous surveillance permanente.

– les fiches d’aptitude établies par le médecin du travail entre 2008 (embauche hors délai) et 2015. Aucune visite n’a été organisée à son retour de congé maladie suivi du congé-maternité ( juillet 2017-fin février 2018).

L’appelante produit également les attestations circonstanciées de Mme [H] (2009-2016) à [Localité 5] et à [Localité 4] (3ème cabinet de la société cédé en 2016), Mme [E]-[D] ancienne gendarme (2015-2018), Mme [R]-[F] ( 2011-2014), anciennes salariées ayant occupé le poste de secrétaire dans les cabinets de [Localité 6] et [Localité 5], sur le comportement humiliant et vexatoire adopté par Mme [W] à leur égard, générant une dégradation de leurs conditions de travail et une souffrance morale.

Elle y joint:

– le signalement de Mme [E] effectué le 14 novembre 2017 auprès de l’inspection du travail, se plaignant de l’attitude de son employeur durant son arrêt de travail pour grossesse pathologique faute de l’envoi de l’attestation de salaire nécessaire au paiement des indemnités journalières,

– un long courrier (3 pages) remis et lu par Mme [R]-[F] lors de son départ en 2014 aux termes duquel elle se dit victime de harcèlement moral de la part de Mme [W], décrivant une ‘ ambiance de travail lourde, des brimades, des humiliations perpétuelles’, un comportement irrespectueux de la dirigeante qui la prenait pour une imbécile, en lui déposant sur son bureau un ‘Bescherelle’ collège et un dictionnaire en soulignant avec dédain qu’elle avait des lacunes en orthographe, juste pour un ‘ e’ oublié dans une lettre type, et en lui riant au nez lorsque la salariée lui a répondu que l’orthographe était son point fort.

Mme [O] présente ainsi des éléments de fait suffisamment précis et concordants, lesquels pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral.

Pour sa part, la société Audition Bien-Etre fait valoir que si des critiques étaient faites sur le travail de Mme [O], elles étaient toujours justifiées, que la salariée se borne à faire état de son sentiment constant d’être punie et harcelée alors qu’il s’agit d’une interprétation personnelle des faits, que l’inspection du travail n’a d’ailleurs pas réagi au courrier de la salariée du mois de juin 2018 tout comme la médecine du travail alertée le 4 juin 2018. Le fait de retirer à Mme [O] en 2015 une tâche ponctuelle, liée à l’enregistrement des factures, ne constituait pas un acte de harcèlement moral et s’inscrivait dans le cadre du pouvoir de direction de l’employeur ayant changé de cabinet comptable, chargé de la numérisation et de l’enregistrement des factures. S’agissant de la décision d’installer une vidéo surveillance courant février 2018, il s’agissait de protéger la salariée des incivilités de certains patients, évoquées par celle-ci lors de ses entretiens annuels. Ce dispositif orienté vers le comptoir de l’accueil et non pas le poste de travail de la salariée n’a pas porté atteinte à la dignité de Mme [O] et ne nécessitait pas l’autorisation de la CNIL, qui n’a donc pas été sollicitée. Enfin, elle considère que l’absence de visite médicale de reprise à l’issue du congé de maternité fin février 2018 n’est due qu’à la méconnaissance de la règle par la dirigeante d’une petite structure et ne peut pas être considérée comme suffisamment grave pour justifier une demande de résiliation judiciaire, plus d’un an plus tard. Concernant l’arrêt de travail d’avril 2018, il était inférieur à 30 jours et ne nécessitait pas de visite médicale de reprise.

Toutefois, la société Audition Bien Etre se garde d’expliquer les difficultés qu’elle a rencontrées avec d’anciennes salariées dont les plaintes sur les conditions de travail au quotidien recoupent celles de Mme [O]. Elle ne produit pas la moindre pièce propre à établir que Mme [O] aurait commis des erreurs dans l’exécution de ses tâches et que cette dernière se serait montrée particulièrement inorganisée et défaillante.

Dans le dernier entretien annuel du 23 mars 2017 -produit par l’employeur -, la dirigeante exprimait pourtant sa satisfaction sur le travail accompli par Mme [O] ayant une très bonne connaissance et maîtrise de l’ensemble de ses missions, ce qui contredit la version de l’employeur. A supposer même que Mme [O] ait pu commettre des erreurs et présenter des défauts, ils ne sauraient justifier des agissements répétés commis à son encontre ayant créé un environnement hostile et entraîné une dégradation de ses conditions de travail préjudiciable à sa dignité et à sa santé.

Le courriel du 20 septembre 2018 de Mme [W], même s’il ne comporte aucun terme injurieux, est rédigé sur un ton particulièrement désagréable et suspicieux à l’égard de la salariée.

L’employeur, alerté par le conseil de Mme [O] le 10 décembre 2018, de l’état de souffrance morale de la salariée et sur l’absence d’organisation des visites médicales de reprise en 2018 ne s’explique pas sur son absence totale de réaction et sur l’absence de régularisation de la situation auprès de la médecine du travail.

La société Audition Bien-Etre ne prouve pas que les faits présentés ne sont pas constitutifs d’un harcèlement moral et que ses agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au vu de ces éléments, la rupture du contrat étant imputable à des manquements graves de l’employeur à ses obligations rendant impossible la poursuite de la relation de travail, la prise d’acte de Mme [O] était justifiée.

Le jugement qui a qualifié la prise d’acte en une démission de la salariée, doit être infirmé de ce chef.

Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail

La prise d’acte de Mme [O] produisant les effets d’un licenciement nul pour harcèlement moral, Mme [O] qui ne sollicite pas sa réintégration est fondée à obtenir, en sus des indemnités de rupture, à des dommages-intérêts réparant le préjudice résultant du caractère illicite de la rupture de son contrat de travail et d’au moins six mois de salaire quels que soient son ancienneté et l’effectif de l’entreprise, en application de l’article L 1225-3-1 du code du travail.

Compte tenu de la situation de la salariée, notamment de son âge (37 ans), de son ancienneté (plus de 14 ans), de son salaire (1 675,86 euros brut), il convient d’indemniser le préjudice subi par l’appelante à la somme de 20 000 euros que l’employeur devra lui verser, par voie d’infirmation du jugement.

Il sera fait droit à sa demande en paiement de 3351,72 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, et au titre de l’indemnité légale de licenciement de 6 703,39 euros, dont le calcul n’est pas remis en cause par l’employeur.

Le jugement sera infirmé de ces chefs.

Sur la demande reconventionnelle de l’employeur

La demande reconventionnelle de la société Audition Bien-Etre tendant au paiement de l’indemnité de préavis non exécuté doit être rejetée, la rupture produisant les effets d’un licenciement nul. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les autres demandes et les dépens

Il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Mme [O] les frais non compris dans les dépens . L’employeur sera condamné à lui payer la somme de

2 500 euros au titre des frais irrépétibles , le jugement déféré étant infirmé en ses dispositions relatives de l’article 700 du code de procédure civile

L’employeur qui doit être débouté de sa demande d’indemnité de procédure sera condamné aux entiers dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

– Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu’il a rejeté la demande en paiement de la Sarl Audition Bien-Etre d’une indemnité compensatrice de préavis non exécuté

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

– Dit que la prise d’acte de Mme [O] le 14 mars 2019 aux torts de l’employeur était justifiée et qu’elle doit produire les effets d’un licenciement nul pour harcèlement moral,

– Condamne la Sarl Audition Bien-Etre à payer à Mme [O] les sommes suivantes :

– 3 351.72 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 335.17 euros pour les congés payés y afférents,

– 6 703.39 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

– 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

– 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

– Déboute la Sarl Audition Bien-Etre de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

– Condamne la la Sarl Audition Bien-Etre aux dépens de première instance et d’appel.

Le Greffier Le Président

 


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