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Numérisation : 23 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/07468

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Numérisation : 23 février 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/07468

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRET DU 23 FEVRIER 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/07468 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCT24

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Juin 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/06779

APPELANTE

S.A.R.L. X BATIM

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

INTIMÉ

Monsieur [E] [L]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Géraldine KESPI-BUNAN, avocat au barreau de PARIS, toque : B0426

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Nicolette GUILLAUME, présidente

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

– signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [E] [L] a été engagé par la société à responsabilité limitée X Batim, pour accroissement temporaire d’activité, par contrat à durée déterminée à compter du 4 mai 2015, renouvelé le 3 février 2016, et ‘renouvelé pour une durée illimitée’ le 2 novembre 2016, en qualité d’ouvrier polyvalent, affecté notamment à des travaux de plomberie et de peinture dans des supermarchés.

Après avoir déclaré la perte de son permis de conduire, M. [L] a été sommé par son employeur par mail du 16 janvier 2019 de présenter un permis de conduire valide pour pouvoir reprendre son activité professionnelle au sein de l’entreprise.

À la suite de la demande de rupture conventionnelle présentée par le salarié le 14 février 2019, un entretien a eu lieu avec l’employeur, en présence d’un conseiller du salarié, au sujet d’un licenciement et de sa qualification.

M. [L] conteste avoir été convoqué par courrier du 26 février 2019 à un entretien préalable fixé au 5 mars suivant et avoir reçu en main propre le 11 mars 2019 la lettre contenant les motifs de son licenciement, expliquant que tous ces documents ont été présentés à sa signature le jour de la transaction, signée le 15 mars 2019.

Contestant la valeur de ladite transaction, M. [L] a saisi le 24 février 2019 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 17 juin 2020, notifié aux parties le 9 octobre 2020, a :

-déclaré la transaction entre la société X Batim et M. [L] nulle,

-condamné la société X Batim à verser à M. [L], sous déduction de la somme de 10 000 euros perçue au titre de la transaction conclue le 15 mars 2019, les sommes suivantes :

-3 042,50 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

-3 742,28 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

-374,28 euros au titre des congés payés afférents,

-9 357 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-13 111,35 euros au titre des heures supplémentaires,

-4 028,61 euros au titre du repos compensateur non pris,

-3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-débouté M. [L] du surplus de ses demandes,

-ordonné par application de l’article L 1235-4 du code du travail, le remboursement au Pôle Emploi par la société X Batim, des indemnités de chômage versées à M. [L],

-débouté la société X Batim de ses demandes et l’a condamnée au paiement des entiers dépens.

Par déclaration du 5 novembre 2020, la société X Batim a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 décembre 2022, la société X Batim demande à la cour :

-d’infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 17 juin 2020 en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau :

à titre principal :

-de juger que Monsieur [L] était parfaitement informé des motifs de son licenciement notamment parce qu’il était conseillé par Monsieur [P],

-de juger que la transaction conclue entre X Batim et Monsieur [L] le 15 mars 2019 n’est pas nulle et fait donc obstacle à l’introduction de la demande de Monsieur [L] de voir son licenciement qualifié sans cause réelle et sérieuse,

-de juger que Monsieur [L] n’a pas intérêt à agir en l’espèce,

à titre subsidiaire, si la Cour devait retenir que la transaction conclue entre X Batim et Monsieur [L] est nulle,

-de juger que le licenciement de Monsieur [L] est justifié par une cause réelle et sérieuse, -de juger que Monsieur [L] n’apporte par la preuve d’avoir effectué des heures supplémentaires,

-d’ordonner le remboursement de la somme de 1 633,43 euros en compensation des sommes trop perçues au titre de la transaction,

à titre infiniment subsidiaire, si la Cour devait entrer en voie de condamnation à l’encontre X Batim :

-de juger que X Batim est redevable de la somme de 574,37 euros au titre de l’indemnité de licenciement,

-de juger que X Batim est redevable de la somme de 2 997 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

-de juger que X Batim est redevable de la somme de 299,7 euros au titre de l’indemnité de congés payés y afférents,

-de juger que X Batim est redevable de la somme de 4 495,50 euros au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en tout état de cause :

-de condamner Monsieur [L] à payer à X Batim la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 janvier 2023, qui n’ont pas à être rejetées, comme l’a sollicité par la société X Batim, dans la mesure où, antérieures à l’ordonnance de clôture, elles ne comportent qu’un ajout sans conséquence sur leur économie générale et leur teneur, M. [L] demande à la cour :

sur la transaction conclue avec la société X Batim :

-de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris en date du 17 juin 2020 en ce qu’il a déclaré la transaction conclue le 15 mars 2019 entre la société X Batim et Monsieur [E] [L] nulle,

sur le salaire mensuel de référence rectifié du salarié :

-d’infirmer le jugement rendu le 17 juin 2020 par le conseil de prud’hommes de Paris en ce qu’il a retenu que le salaire mensuel de référence rectifié de Monsieur [E] [L] s’établissait à 1330,79 euros,

en conséquence, statuant à nouveau ;

-de fixer le salaire mensuel moyen rectifié et tenant compte des heures supplémentaires effectuées par Monsieur [E] [L] à la somme de 1 871,40 euros,

sur le quantum de l’indemnité de licenciement :

à titre principal :

-de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris en date du 17 juin 2020 condamnant la société X Batim à verser à Monsieur [E] [L] la somme de 3 042,50 euros,

à titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour devait réformer le jugement déféré sur le quantum de l’indemnité de licenciement :

-de condamner la société X Batim à verser à Monsieur [E] [L] la somme de 1 442,38 euros à titre d’indemnité de licenciement,

sur l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents :

-de confirmer le jugement rendu le 17 juin 2020 par le conseil de prud’hommes de Paris, en ce qu’il a condamné la société X Batim à verser à Monsieur [E] [L] les sommes de :

-3 742,80 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

-374,28 euros au titre des congés payés afférents,

sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

-d’infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris en date du 17 juin 2020 condamnant la société X Batim à verser à Monsieur [E] [L] la somme de 9 357 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

à titre principal

-de condamner la société X Batim à verser à Monsieur [E] [L] la somme de 22 456,80 euros (12 mois de salaire) à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

à titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour devait faire application du barème fixé par les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail,

-de condamner la société X-Batim à verser à Monsieur [E] [L] la somme de 7 485,60 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse eu égard au préjudice subi par le salarié,

sur le quantum du rappel d’heures supplémentaires :

-d’infirmer le jugement rendu le 17 juin 2020 par le conseil de prud’hommes de Paris ayant condamné la société X Batim à verser à Monsieur [E] [L] la somme de 13 111,35 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires,

en conséquence, statuant à nouveau ;

-de condamner la société X Batim à verser à Monsieur [E] [L] la somme de 24 207,04 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires sur les années 2015 à 2019,

sur le quantum de l’indemnité pour repos compensateur non pris :

-d’infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 17 juin 2020 condamnant la société X Batim à verser à Monsieur [E] [L] la somme de 4 028,61 euros au titre du repos compensateur non pris,

en conséquence, statuant à nouveau :

-de condamner la société X Batim à verser à Monsieur [E] [L] la somme de 7 541,33 euros au titre du repos compensateur non pris,

sur le quantum de l’indemnité pour travail dissimulé :

-d’infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 17 juin 2020 en ce qu’il a débouté Monsieur [E] [L] de sa demande visant à voir la société X Batim condamnée à une indemnité forfaitaire égale à 6 mois de salaire pour travail non dissimulé,

en conséquence, statuant à nouveau :

-de condamner la société X Batim à verser à Monsieur [E] [L] la somme de 11 226 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

en tout état de cause :

-de confirmer le jugement entrepris sur les autres dispositions,

-de condamner la société X Batim à verser à Monsieur [E] [L] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-de condamner la société X Batim aux entiers dépens de l’instance.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 3 janvier 2023.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur la nullité de la transaction :

La société X Batim soutient que la transaction a été valablement formée, que M. [L] connaissait les motifs de son licenciement au moment de la conclusion de la transaction puisqu’il s’en était entretenu avec l’employeur le 25 février 2019, date à laquelle il était assisté par un conseiller du salarié, qui a pu s’entretenir à nouveau avec l’employeur le 4 mars suivant.

M. [L] soulève que, faute de notification préalable par lettre recommandée de son licenciement, la transaction est nulle. L’intimé précise que son licenciement lui a été notifié par lettre remise en main propre contre décharge, ce qui ne permet pas de lui attribuer date certaine.

Selon l’article L1231-4 du code du travail, l’employeur et le salarié ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles prévues par le titre III dudit code, relatif à la rupture des contrats à durée indéterminée.

Aux termes de l’article 2044 du Code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit.

La transaction, ayant pour objet de prévenir ou terminer une contestation, ne peut être

valablement conclue par le salarié licencié que lorsqu’il a eu connaissance effective des motifs du licenciement par la réception de la lettre de licenciement prévue à l’article L 1232-6 du code du travail.

La notification préalable du licenciement par lettre recommandée avec accusé de réception est une formalité substantielle, en matière de transaction; sa violation est sanctionnée par la nullité de la transaction.

En l’espèce, si la signature de M. [L] est apposée sur les différents documents de la procédure de licenciement (convocation à entretien préalable et notification de la lettre de licenciement) dans une rubrique ‘remise en mains propres contre décharge’, elle ne saurait en l’absence de tout élément objectif permettant de la corroborer, conférer date certaine à ladite procédure, et ce d’autant les contestations de l’intéressé sur cette datation sont confirmées par l’attestation de M. [P], conseiller du salarié, déclarant que ‘tous les documents relatifs à la transaction contestée ont été signés le même jour c’est-à-dire le 15 mars 2019’, le salarié n’ayant ‘jamais reçu en mains propres avant la signature de la transaction un quelconque document’ […]

Par conséquent, nonobstant l’information préalable du salarié quant aux motifs de la rupture, la transaction conclue est atteinte de nullité. Le jugement de première instance doit donc être confirmé sur ce point.

Sur le licenciement :

Fixant les limites du litige, la lettre de licenciement adressée à M. [L] contient les motifs suivants, strictement reproduits :

‘Vous avez égaré votre permis de conduire. Vous n’avez pas effectué de déclaration de perte auprès des services compétents.

Vous avez ainsi roulé pendant près de 8 mois sans être capable de justifier que vous étiez toujours titulaire de votre permis, malgré nos multiples relances.

La société n’a aucun moyen de vérifier que vous avez simplement matériellement perdu votre permis sans que cette perte ne soit en réalité un retrait policier, administratif ou judiciaire.

Cette situation, a occasionné de votre part, des retards répétés à votre poste de travail, puisque vous n’étiez plus autorisé par la société à utiliser le véhicule qui était mis à votre disposition.

Ces faits sont de nature à justifier votre licenciement pour faute.

Pour l’ensemble des motifs invoqués ci-dessous, je vous notifie, par la présente votre licenciement pour faute’.

La société X Batim soutient que le licenciement de M. [L] est fondé et conclut à l’infirmation du jugement entrepris.

M. [L] conteste le bien-fondé de son licenciement, rappelle être titulaire d’un permis de conduire depuis le 27 avril 2012 et avoir reçu délivrance d’un nouveau permis le 16 janvier 2019, soit avant son licenciement.

Selon l’article L1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l’administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n’incombe pas spécialement à l’une ou l’autre des parties, l’employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

En l’espèce, il résulte des pièces produites que la société X Batim a été informée par M. [L] de la perte de son permis de conduire, de la déclaration de perte effectuée par ce dernier au commissariat, puis de l’autorisation provisoire de conduire obtenue par l’intéressé ( cf le courriel de l’employeur en date du 16 janvier 2019, pièce 10 du salarié, indiquant ‘suite à la déclaration de perte effectuée au commissariat, tu as reçu une autorisation provisoire limitée dans le temps. Ce délai étant passé, tu ne peux plus conduire’).

En revanche, s’il affirme avoir reçu délivrance de son nouveau permis de conduire le 16 janvier 2019 et en avoir informé l’employeur, M. [L] n’en rapporte pas la preuve.

Il convient donc de constater, au vu des éléments recueillis, que le premier grief fait au salarié dans la lettre de licenciement ‘vous n’avez pas effectué de déclaration de perte aux services compétents’ ne saurait être retenu et que la société X Batim ne peut pas non plus invoquer être dans l’impossibilité de vérifier la situation effective du salarié, d’autant que dans des échanges WhatsApp du 9 janvier 2019 avec l’entreprise, ce dernier a justifié de sa demande de permis de conduire auprès de la préfecture et du dépôt de sa photographie et de sa signature pour numérisation (pièce 14 du salarié) .

Au surplus, les retards invoqués par l’employeur du fait de cette situation administrative, ne sont nullement documentés.

En l’absence de démonstration des faits ayant motivé le licenciement, il convient de dire la rupture dépourvue de cause réelle et sérieuse.

Sur les heures supplémentaires :

La société X Batim affirme que l’accomplissement d’heures supplémentaires par M. [L] n’a nullement été évoqué à l’occasion de la transaction et que la demande à ce titre est partiellement prescrite.

M. [L] estime démontrer la réalisation d’ heures supplémentaires et leur connaissance par la société X Batim. Il réclame la somme de 24’207,04 euros à ce titre pour les années 2015 à 2019.

Il résulte de l’article L. 3171-4 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des

exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des

pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.

Au soutien de sa demande, M. [L] produit des fiches d’heures de mai 2015 à mars 2019, la synthèse du décompte des heures supplémentaires réalisées semaine par semaine en fonction desdites fiches, ainsi que ses bulletins de salaire pour la période de référence. Il verse également l’attestation de deux ex-salariés de l’entreprise, chacun d’eux indiquant avoir fait ‘des journées de 10 à 12 heures de travail’, ‘(sans compter les temps de trajets), souvent en finissant tard le soir (souvent afin de terminer une intervention pour ne pas avoir à y retourner le lendemain) et recommencions tôt le lendemain matin’.

Les fiches d’heures produites permettent de déterminer semaine après semaine l’adresse des travaux, le nombre d’ heures effectuées, les heures non facturées ainsi qu’un « code trajet » ; elles récapitulent enfin le total des heures travaillées par semaine.

À la lecture de ces pièces, M. [L] présente des éléments suffisamment précis sur sa durée de travail effective pour permettre à la société X Batim d’y répondre utilement.

La société employeur conteste toute heure supplémentaire effectuée par M. [L], critique la valeur des décomptes incompréhensibles présentés sur des documents sans en-tête, renseignés de façon manuscrite et parfois illisible, jamais contresignés par elle, ni transmis pour information et souligne que seul le rapport de prestation de services (RPS) rempli par le technicien constitue la preuve du travail effectué, permettant ensuite de facturer le client. Elle fait état également d’un avertissement adressé à l’intimé pour avoir quitté son poste de travail afin de rentrer à son domicile, le décrivant comme fort éloigné de l’employé modèle réalisant des heures supplémentaires. Elle conclut au rejet de la demande, par infirmation du jugement entrepris.

La société X Batim verse aux débats un extrait K-bis la concernant, une attestation d’assurance, l’attestation URSSAF des déclarations sociales et paiements des cotisations et contributions sociales, les attestations de ses salariés certifiant que les heures travaillées sont celles qui sont indiquées sur leurs bulletins de salaire et payées et que les éventuelles heures supplémentaires réalisées ont toujours été récupérées sous forme de repos compensateur, ainsi qu’une attestation de régularité fiscale. Elle verse également les deux avertissements notifiés à M. [L].

Il convient de relever que les différentes attestations sur l’honneur versées au débat, émanant de salariés de la société, sont en majeure partie dactylographiées, stéréotypées, et ne contiennent pas toutes les mentions requises par l’article 202 du code de procédure civile; manifestement établis de façon systématique, dans le cadre du lien de subordination, ces documents ne sauraient avoir valeur probante.

Les autres pièces fournies ne sauraient constituer des marqueurs du décompte de la durée réelle de travail accomplie par M. [L], alors même qu’il appartient à l’employeur d’en assurer le contrôle.

Il convient donc de retenir l’existence d’heures supplémentaires accomplies par M. [L], et restant non rémunérées.

Cependant, en l’état des différentes anomalies relevées par la société appelante et de la prescription triennale atteignant les heures supplémentaires réclamées de mai 2015 à mars 2016, il y a lieu de condamner la société X Batim à payer à M. [L] la somme retenue par le conseil de prud’hommes au titre des heures supplémentaires accomplies et non rémunérées, ni compensées, du 11 mars 2016 jusqu’au licenciement.

Sur le repos compensateur :

En l’état du contingent annuel découlant de la convention collective nationale des ouvriers employés dans les entreprises du bâtiment, applicable en l’espèce, ouvrant droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos, et en l’absence d’éléments pertinents permettant de critiquer le raisonnement retenu par le conseil de prud’hommes au titre du repos compensateur non pris, il convient de confirmer sa décision.

Sur le travail dissimulé :

M. [L] sollicite une indemnité pour travail dissimulé, considérant que son employeur, parfaitement informé du nombre d’heures réalisées par lui semaine après semaine grâce aux fiches d’heures qu’il renseignait, a intentionnellement dissimulé sur les bulletins de salaire les heures supplémentaires accomplies.

L’article L8221-5 du code du travail dans sa version applicable au litige dispose qu” est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.’

L’article L 8223-1 du code du travail prévoit qu’ ‘en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l’article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l’article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.’

La preuve de la dissimulation intentionnelle, qui incombe au salarié, ne saurait résulter de la seule omission des heures supplémentaires sur les bulletins de salaire.

En l’espèce, si M. [L] produit des fiches d’heures, renseignées par lui quant au temps de travail accompli, il ne démontre pas les avoir transmises à la société X Batim qui ne les a pas contresignées et qui utilisait les rapports de prestations de services (RPS) remplis par les employés pour effectuer les facturations à destination des clients.

La preuve de l’omission intentionnelle des heures supplémentaires sur les bulletins de salaire n’étant pas rapportée, la demande d’indemnité de travail dissimulé doit être rejetée, par confirmation du jugement entrepris de ce chef.

Sur l’indemnisation du licenciement :

En l’état des heures supplémentaires retenues, le salaire mensuel moyen de M. [L] s’élève à la somme qu’il réclame, soit 1 871,40€.

L’article L. 1235-3 du code du travail a pour objet de définir le montant de l’indemnité octroyée par le juge au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse.

Ce barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse n’est pas contraire à l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail.

Le juge français ne peut écarter, même au cas par cas, l’application du barème au regard de cette convention internationale.

Par ailleurs, la loi française ne peut faire l’objet d’un contrôle de conformité à l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui n’est pas d’effet direct.

Tenant compte de l’âge du salarié ( 28 ans) au moment de la rupture, de son ancienneté

(3 ans et 10 mois), de l’absence de justification de sa situation professionnelle après la rupture, il y a lieu de fixer à 6 000 € la réparation de ce licenciement sans cause réelle et sérieuse, par application de l’article L1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige.

M. [L] doit en outre être accueilli en sa demande d’indemnité compensatrice de préavis, à hauteur du montant réclamé, ainsi qu’en sa demande de congés payés y afférents.

La demande d’indemnité légale de licenciement à hauteur de 1 442,38 €, par infirmation du jugement entrepris, doit être accueillie également.

Sur le remboursement des indemnités de chômage :

Les dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail permettent, dans le cas d’espèce, le licenciement de M. [L] étant sans cause réelle et sérieuse, d’ordonner le remboursement par la société X Batim des indemnités chômage éventuellement perçues par l’intéressé, dans la limite de trois mois d’indemnités.

Le présent arrêt devra, pour assurer son effectivité, être porté à la connaissance de Pôle Emploi, conformément aux dispositions de l’article R 1235-2 alinéas 2 et 3 du code du travail.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

L’employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d’appel.

L’équité commande d’infirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l’article 700 du code de procédure civile pour la première instance et l’appel et d’allouer à ce titre la somme globale de 3 000 €.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives aux montants de l’indemnité de licenciement, de l’indemnité compensatrice de préavis, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des frais irrépétibles,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT le licenciement de M. [E] [L] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société X Batim à payer à Monsieur [E] [L], sous déduction de la somme perçue au titre de la transaction, les sommes de :

– 3 742,80 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 1 442,38 € à titre d’indemnité légale de licenciement,

– 6 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d’appel,

ORDONNE le remboursement par la société X Batim aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage éventuellement payées à M. [E] [L] dans la limite de trois mois,

ORDONNE l’envoi par le greffe d’une copie certifiée conforme du présent arrêt, par lettre simple, à la Direction Générale de Pôle Emploi,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE la société X Batim aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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