COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-2
ARRÊT AU FOND
DU 22 DECEMBRE 2023
N° 2023/360
Rôle N° RG 19/17210 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BFEJX
[B] [R]
C/
SAS EUROPEAN PALLETS PARTNERS
Copie exécutoire délivrée
le : 22 décembre 2023
à :
Me Véronique MONDINO-GROLLEAU, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
Me Maxime DE MARGERIE, avocat au barreau de MARSEILLE
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MARTIGUES en date du 20 Septembre 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 18/00598.
APPELANT
Monsieur [B] [R], demeurant [Adresse 3] – [Localité 2]
représenté par Me Véronique MONDINO-GROLLEAU, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE
INTIMEE
SAS EUROPEAN PALLETS PARTNERS Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège., demeurant [Adresse 4] – [Localité 1]
représentée par Me Maxime DE MARGERIE, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Anne-Charlotte VILLATIER, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 Novembre 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseillère, chargée du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre
Mme Marianne FEBVRE, Présidente de chambre suppléante
Madame Ursula BOURDON-PICQUOIN, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Nadège LAVIGNASSE puis Mme Cyrielle GOUNAUD.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 22 Décembre 2023.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 22 Décembre 2023
Signé par Madame Florence TREGUIER, Présidente de chambre et Mme Cyrielle GOUNAUD, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS ET PROCEDURE
M. [B] [R] a été embauché par la société European Pallets Partners (ci-après dénommée EPP) par contrat à durée déterminée en date du 22 septembre 2014 en qualité de chauffeur SPL.
Le 1er janvier 2015, les relations contractuelles se sont transformées en un contrat à durée indéterminée concernant un poste de chauffeur poids lourd, niveau II, échelon A, coefficient 160
de la convention collective des industries et commerce de la récupération.
Le 22 juin 2018, la société EPP a notifié un avertissement à M. [R] pour avoir utilisé le chariot d’un client sans son autorisation préalable.
Par courrier du 11 juillet 2018, le salarié a contesté l’avertissement, a notamment invoqué divers manquements de l’employeur en matière de sécurité et sollicité la communication de ses relevés d’heures pour les années 2016, 2017 et 2018.
Par courrier du 24 juillet 2018, il a demandé à nouveau la communication de ses relevés d’heures 2016, 2017 et 2018 et réclamé l’organisation d’élections de délégués du personnel en précisant envisager de se porter candidat.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 31 juillet 2018, M. [R] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement et mis à pied à titre conservatoire.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 21 août 2018, il a été licencié pour faute grave dans les termes suivants :
‘Monsieur,
Nous faisons suite à l’entretien préalable de licenciement qui s’est déroulé la 17 aout 2018 où vous étiez présent et assisté, et lors duquel nous vous avons exposé les motifs nous conduisant à envisager votre licenciement. Après avoir écouté vos observations, nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour faute grave pour les motifs suivants :
Vous appartenez à nos effectifs depuis le 22 septembre 2014 en qualité de Chauffeur.
Dans ce cadre, vous intervenez chez nos clients pour livrer nos marchandises et vous devez respecter les consignes de sécurité imposées par ces derniers. Le 23 juin 2018, nous avons été contraints de vous notifier un avertissement suite à la plainte d’un client quant au respect des règles de sécurité au sein de son entreprise.
A la suite de ce courrier, vous avez contesté cet avertissement, ce qui est votre droit le plus strict, mais vous n’avez pas craint dans ce courrier de vous montrer dénigrant à l’égard de l’entreprise et de son dirigeant.
Ainsi, vous faites preuve d’ironie en indiquant que le Président vous aurait sanctionné ‘avec l’élégance qui le caractérise’ et que celui-ci ferait à votre égard preuve de ‘discriminalité » sous-entendant ainsi qu’il commettrait une infraction pénale.
De même, vous dénigrez l’entreprise quant à son respect des règles de sécurité et vous estimez en droit de mettre le Président de l’entreprise ‘devant ses responsabiltés’. Or, de tels propos ne sont pas acceptables et démontrent un manquement à l’obligation de loyauté inhérente à votre contrat de travail.
Mais en outre, il apparait que vous n’hésitez pas à proférer des critiques et dénigrements tant auprès des salariés de l’entreprise qu’auprès des clients.
En effet, vous considérez que les trieurs exécutent mal leur travail en laissant du plastique sur les palettes alors même que cela n’est pas de votre ressort, ce qui a pour effet de dégrader le climat social de l’entreprise.
Vous n’hésitez pas non plus à dénigrer Monsieur [P] [L] auprès des salariés distillant l’idée qu’il n’aurait pas la capacité de diriger ‘entreprise et que depuis le décès de son père, l’entreprise ne serait pas gérée.
De même, auprès des clients, vous faites part de prétendus manquements aux règles de sécurité et vous refusez, alors même que vous disposez du CACES de participer au déchargement lorsque les clients en sont d’accord.
Ces agissements ne sont pas acceptables et constituent des actes d’insubordination.
Bien plus, à la suite de cet avertissement, vous avez indiqué que vous refuseriez d’effectuer votre mission contractuelle de chauffeur de manière conforme à votre contrat de travail en ne tractant plus par exemple la remorque deux essieux.
Votre comportement rend de ce fait impossible votre maintien dans l’entreprise et nous contraint à vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave.’
M. [R] a saisi, par requête réceptionnée au greffe le 3 octobre 2018, le conseil de prud’hommes de Martigues pour voir déclarer son licenciement nul ou à défaut dépourvu de cause réelle et sérieuse et solliciter diverses sommes à caractère indemnitaire et salarial.
Par jugement du 20 septembre 2019 notifié le 29 octobre 2019, le conseil de prud’hommes de Martigues, section commerce, a ainsi statué :
– dit et juge M. [R] bien fondé en partie en son action,
– dit le licenciement de M. [R] entaché d’une nullité d’ordre public,
– dit et juge son licenciement nul,
– dit et juge que la demande d’heures supplémentaires n’est pas étayée selon un tableau précis,
– prend acte toutefois de ce que l’employeur se refuse de produire les disques chronotachygraphes et relevés d’heures,
– en conséquence condamne la société EPP prise en la personne de son représentant en exercice à payer à M. [R] les sommes suivantes :
– 4 882,78 euros à titre de l’indemnité de préavis,
– 488,27 euros à titre d’incidence congés payés sur préavis,
– 2 553,44 euros à titre de l’indemnité de licenciement,
– 1 514,27 euros à titre de rappel de salaire mise à pied conservatoire,
– 151,42 euros à titre d’incidence des congés payés sur rappel mise à pied,
– 340,35 euros au titre des rappels de salaires minimas conventionnels,
– 34,03 euros à titre d’incidence des congés payés sur rappel précité,
– rappelle que ces montants sont assortis de l’exécution provisoire de plein droit en application de l’article R 1454-14 et 28 du code du travail, fixé la moyenne sur ce dernier article à la somme de 2 500,00 euros,
– dit que l’employeur devra établir un bulletin de salaire comportant les sommes judiciairement fixées,
– en outre condamne la société EPP prise en la personne de son représentant en exercice à payer à M. [R] les sommes suivantes :
– 15 320,00 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
– 1 500,00 euros de frais de procédure,
– déboute M. [R] du surplus de ses demandes,
– déboute la société EPP de sa demande,
– dit que les intéréts légaux seront calculés à compter 3 octobre 2013, avec capitalisation, en application des articles 1231-7 et 1343-2 du code civil,
vu les articles 695 et 696 du code de procédure civile, mets les entiers dépens à la charge de la société EPP.
Par déclaration du 8 novembre 2019 notifiée par voie électronique, M. [R] a interjeté appel du jugement en renvoyant pour les chefs de jugement critiqués à une annexe jointe à cette déclaration, laquelle précise que l’appel porte sur le débouté du rappel d’heures supplémentaires et congés payés afférents ainsi que de la demande d’indemnité de travail dissimulé.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Dans ses dernières conclusions notifiées au greffe par voie électronique le 24 juillet 2020, M. [R], appelant, demande à la cour de :
– confirmer le jugement en date du 20 septembre 2019 en qu’il a :
– dit et jugé le licenciement entaché d’une nullité d’ordre public,
– dit et jugé le licenciement nul,
– condamné la société EPP à lui payer :
– 4 882,78 euros à titre d’indemnité de préavis, 488,27 euros à titre d’incidence congés payés sur préavis,
– 2 553,44 euros à titre d’indemnité de licenciement, 1 514,27 euros à titre de rappel de salaire mise à pied conservatoire, 151,42 euros à titre d’incidence congés payés sur rappel mise à pied,
– dit que l’employeur devra établir un bulletin de salaire comportant les sommes judiciairement fixées,
– condamné la société EPP à payer la somme de 15 320,00 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et 1 500,00 euros à titre des frais de procédure,
– dit que les intérêts légaux seront calculés à compter du 3 octobre 2018, avec capitalisation, en application des articles 1231-7 et 1343-2 du code civil,
– mis les entiers dépens à la charge de la société EPP,
– infirmer le jugement et,
– condamner la société EPP à lui payer les sommes de :
– 6 258,01 euros de rappel sur heures supplémentaires et 625,80 euros à titre de l’incidence congés payés sur les heures supplémentaires,
– 972,08 euros au titre de l’indemnisation des repos compensateurs et de 97,20 euros à titre d’incidence des congés payés,
– 14 648,34 euros à titre d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
– confirmer la somme de 1 500,00 euros qui lui a été allouée en première instance au titre des
frais de procédure et lui accorder une indemnité complémentaire de 2 000,00 euros en cause d’appel.
A l’appui de son recours, l’appelant fait valoir en substance que :
– il a effectué des heures supplémentaires qui n’ont pas été rémunérées,
– le nombre d’heures supplémentaires dépassait le contingent annuel fixé à 220 heures supplémentaires par an ;
– la société a intentionnellement mentionné sur les bulletins de salaire un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ;
– le licenciement est nul en ce qu’il a été prononcé sans autorisation émanant de l’inspection du travail alors même qu’il avait demandé l’organisation d’élections de délégués du personnel et indiqué envisager de se porter candidat ;
– à titre subsidiaire, il ne s’est pas montré dénigrant à l’égard de l’entreprise et de son dirigeant et n’a pas manqué à son obligation de loyauté ;
– il a simplement utilisé son droit de réponse lors de la contestation de l’avertissement et mis en avant des manquements de l’employeur aux règles de sécurité de sorte que le licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse.
Dans ses dernières écritures transmises au greffe par voie électronique le 30 avril 2020, la société EPP, relevant appel incident, demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [R] de ses demandes d’heures supplémentaires,
sur l’appel incident de la société EPP :
– la recevoir en son appel incident et l’y déclarée bien fondée,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a jugé le licenciement nul et l’a condamnée aux sommes suivantes :
– 4 882,78 euros à titre d’indemnité compensatrice de congés payés,
– 488,27 euros à titre de congés payés sur préavis,
– 1 514,27euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied,
– 151,42 euros à titre de congés payés sur rappel de salaire,
– 2 553,44 euros à titre d’indemnité de licenciement,
– 15.320,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
– 340,35 euros à titre de rappel de salaire sur minima conventionnel,
– 34,03 euros à titre de congés payés sur rappel de salaire,
– 1 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
statuant à nouveau,
– dire et juger que M. [R] ne dispose pas de la qualité de salarié protégé,
– dire et juger que le licenciement de M. [R] n’est pas frappé de nullité,
– dire et juger que le licenciement de M. [R] est bien fondé,
– dire et juger que M. [R] a été rempli de ses droits à salaire,
– débouter en conséquence M. [R] de l’ensemble de ses demandes,
– le condamner à verser la somme de 2 500,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’intimé réplique que :
– M. [R] n’apporte pas la preuve de la réalité de ses horaires de travail ou de la réalisation des heures qu’il affirme avoir effectuées ;
– aucune intention de dissimuler l’emploi salarié de M. [R] n’est établie ;
– le salarié n’établit avoir sollicité la prise des jours de repos de remplacement ;
– le premier juge en retenant seulement que la qualité de salarié protégé était acquise du simple fait de la demande des élections a commis un erreur de droit ;
– la candidature de M. [R] était frauduleuse en ce qu’elle ne visait qu’à obtenir une protection indue contre le licenciement et poursuivre le dénigrement de la direction ;
– le licenciement pour faute grave est justifié en ce que le salarié a de manière réitérée, critiqué
et dénigré la direction de l’entreprise mais aussi le travail de ses collègues de travail ;
– il s’est cru par ailleurs autorisé à refuser d’exécuter sa prestation de travail dans son courrier du 11 juillet 2018.
Une ordonnance de clôture est intervenue le 9 octobre 2023, renvoyant la cause et les parties à l’audience des plaidoiries du 8 novembre suivant.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens et de l’argumentation des parties, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties et au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’exécution du contrat de travail :
Sur le rappel de salaire au titre des heures supplémentaires :
Il résulte des dispositions de l’article L. 3171-4 du code du travail qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant (Soc., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-10.919).
M. [R] explique avoir accompli durant la relation de travail des heures supplémentaires en sus de celles déjà prévues au contrat de travail à hauteur de 30,31 heures par mois qui ne lui ont pas été payées.
Au soutien de sa demande, il produit un décompte détaillé d’heures concernant la période du 4 janvier 2016 à fin juillet 2018. Il indique que le décompte s’appuie sur les relevés d’heures de travail communiqués par l’employeur en avril 2020. Il précise qu’il les avait réclamés en première instance de même que les disques chronotachygraphes et que le conseil de prud’hommes de Martigues avait à son tour demandé leur transmission en délibéré. Il dit n’avoir pu vérifier les relevés d’heures en l’absence de production par la partie intimée des disques chronotachygraphes.
Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
La société EPP ne remet pas en cause ses propres relevés d’heures mais rétorque que l’ensemble des heures supplémentaires a été payé au salarié dont un reliquat dans le cadre du solde de tout compte (49 heures au titre de l’année 2016 et 48 heures au titre de l’année 2017).
A l’examen du tableau de calcul présenté par l’employeur (page 8 de ses écritures), la cour constate que les heures supplémentaires au titre des trois années ont été comptabilisées par année et non par semaine. La demande de rappel de salaire sur la base du décompte établi par le salarié est donc justifiée et il sera alloué à ce dernier un rappel d’heures supplémentaires fixé à la somme de 6 258,01 euros, outre 625,80 euros au titre des congés payés afférents.
Le jugement déféré est infirmé en ce sens.
Sur l’indemnisation des repos compensateurs obligatoires :
L’avenant du 24 mars 2015 relatif aux heures supplémentaires des chauffeurs et d’équipages de transport de la convention nationale des industries et du commerce de la récupération du 6 décembre 1971 prévoit que le contingent d’heures supplémentaires utilisables chaque année par les salariés affectés aux fonctions de chauffeurs et d’équipages de transport dans les entreprises de la branche est fixé à 350 heures, que toute heure effectuée au-delà d’un quota de 220 heures supplémentaires et jusqu’au contingent de 350 heures donnera lieu à l’attribution d’un repos de 35 % et que la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent est fixée à 50 % pour les entreprises de 20 salariés au plus et à 100 % pour les entreprises de plus de 20 salariés.
C’est à l’employeur de veiller à donner régulièrement au salarié une information complète sur ses droits à repos compensateur et à demander au salarié de prendre effectivement son repos si celui-ci a été informé de ses droits.
Aux termes des articles D. 3121-14 du même code, dans sa rédaction antérieure au décret nº2016-1551 du 18 novembre 2016, et D. 3121-23 dans sa rédaction applicable à compter du 1er janvier 2017, le salarié dont le contrat de travail prend fin avant qu’il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit, doit recevoir de son employeur une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis.
En l’espèce, ainsi que le relève le salarié, les seules heures contractualisées entraînaient un dépassement du contingent annuel d’heures supplémentaires de 220 heures à hauteur de 333,41 heures.
L’employeur rétorque que M. [R] n’a pas sollicité la prise des jours de repos de remplacement durant la relation de travail et ne peut donc en solliciter l’indemnisation.
La cour relève tout d’abord que les repos compensateurs litigieux ne sont pas des repos de remplacement mais des repos compensateurs obligatoires qui se surajoutent aux majorations de salaires dues en présence d’heures supplémentaires. Il n’est pas contesté ensuite que du fait de la seule exécution des heures supplémentaires contractualisées, le salarié a excédé le contingent annuel de 220 heures supplémentaires et n’a pas bénéficié du repos compensatoire obligatoire.
L’employeur ne justifiant pas avoir mis le salarié en mesure de prendre les repos compensateurs obligatoires auxquels il avait droit, il est octroyé à ce dernier une indemnisation à ce titre à hauteur de 972,08 euros. La demande de congés payés portant sur le rappel de salaire, qui n’a pas été intégrée à la demande d’indemnité, est rejetée.
Sur la demande d’indemnité pour travail dissimulé :
L’article L 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé, et l’article L 8221-5 2º du même code dispose notamment qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures inférieur à celui réellement accompli.
Au terme de l’article L 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l’employeur a recours en commettant les faits prévus à l’article L 8221-5 précité a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Toutefois la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes et ouvrant droit à indemnité forfaitaire n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle et l’élément intentionnel ne peut se déduire de la seule absence de mention des heures supplémentaires sur les bulletins de paie.
En l’espèce, il n’est pas démontré que la société EPP a, de manière intentionnelle, mentionné sur les bulletins de salaire de M. [R] un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement effectué.
La demande d’indemnité du salarié doit donc être rejetée. Le jugement est confirmé de ce chef.
Sur la rupture du contrat de travail :
Sur la nullité du licenciement :
Selon l’article L.2411-9 du code du travail, ‘l’autorisation de licenciement est requise pendant six mois pour le candidat aux fonctions de représentant de proximité, à partir du dépôt de sa candidature.
Cette autorisation est également requise lorsque le salarié a fait la preuve que l’employeur a eu connaissance de l’imminence de sa candidature avant que le candidat ait été convoqué à l’entretien préalable au licenciement.
La protection joue pendant six mois y compris pour le salarié qui prouve que l’employeur a eu connaissance de l’imminence de sa candidature avant qu’il ait été convoqué à un entretien préalable au licenciement.’
Doit être considérée comme imminente la candidature d’un salarié aux fonctions de délégué du personnel, dont l’employeur a connaissance avant la convocation de ce dernier à l’entretien préalable à son licenciement, alors même que cette candidature aurait été présentée avant l’organisation du premier tour des élections, pour lequel les syndicats représentatifs ont le monopole des candidatures.
Le caractère frauduleux d’une candidature exclut l’application du statut protecteur. Relève du pouvoir souverain des juges du fond l’appréciation du caractère frauduleux d’une candidature aux élections des délégués du personnel dont l’employeur a eu connaissance de l’imminence. (Soc., 12 juillet 1994, n° 92-41.411)
En l’espèce, par courrier recommandé avec accusé de réception daté du 24 juillet 2018, M. [R] a demandé l’organisation d’élections de délégués du personnel en indiquant envisager de se porter candidat.
Le 31 juillet 2018, le salarié a reçu un SMS rédigé comme suit : ‘Demain récupération’. M. [R] précise, sans être contredit, qu’il n’avait jamais bénéficié de ce type de repos jusqu’alors. Par courrier daté du même jour, il a été convoqué à un entretien préalable en vue d’une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement et mis à pied à titre conservatoire.
Dans un courrier du 22 août 2018 adressé à la la société EPP, l’inspectrice du travail, interpellée par M. [R] le 2 août 2018, indique à l’employeur :
‘Vous indiquez que la demande d’organisation des élections ainsi que la candidature de ce salarié n’ayant pas été faite par une organisation syndicale, Monsieur [R] ne peut donc se prévaloir d’une quelconque protection.
Vous ne niez pourtant pas avoir été destinataire du courrier du 24 juillet que le salarié vous adressait dans lequel il sollicitait l’organisation des élections des représentants du personnel et vous indiquait qu’il envisageait de se porter candidat.
Par suite par courrier daté du 31 juillet 2018, vous convoquiez Monsieur [R] à un entretien préalable à licenciement le 10 août 2018.’
Il résulte de ces éléments (par ailleurs non contestés) que l’employeur avait connaissance de l’imminence de la candidature du salarié avant la date d’envoi de la lettre de convocation à l’entretien préalable au licenciement.
La société EPP objecte que cette candidature était frauduleuse et visait uniquement à obtenir une protection contre le licenciement.
Pour en justifier, elle verse aux débats des attestations de collègues de travail mettant en évidence selon elle le fait que M. [R] n’a évoqué sa candidature qu’à compter de l’avertissement et à l’issue d’une discussion au mois de juillet 2018 avec le président de la société, M. [L], au cours de laquelle il lui aurait été indiqué que son comportement pouvait entraîner son licenciement.
Les différentes attestations seront examinées.
Dans une attestation du 3 décembre 2018, M. [D], ouvrier, indique : ‘Je n’ai jamais entendu parler que Mr [R] avant ses problèmes avec Mr [L], voulait se présenter comme délégué du personnel. Malgré tout on a conseillé a Mr [R] de se revoir avec Mr [L] pour trouver un terrain de entente, et malgré tout nos conseils Mr [R] n’a rien voulu savoir et il voulait absolument mettre Mr [L] aux Prud’hommes’.
Dans une attestation du 5 décembre 2018, M. [G], cariste, atteste que ‘quand j’ai appris ce qui s’était passé entre mon employeur et Monsieur [B] [R] j’ai essayé de discuter avec ce dernier pour trouver un terrain d’entente entre les deux, sachant que Monsieur [R] était en tort, le fait de se servir du chariot élévateur d’un client sans l’autorisation de celui-ci est une faute grave mais sa réponse à été ‘je vais aux prud’hommes’. J’affirme n’avoir jamais su que Monsieur [R] s’était présenté au conseil syndical après ce problème’.
Dans une attestation du 5 décembre 2018, M. [E], cariste, indique avoir travaillé avec M. [R] pendant 3 ans et demi et constaté que ce dernier contestait différents aspects de la relation de travail : ‘Régulièrement, j’ai pu constater que Mr [R] contestait la manière dont été élaboré le planning. Selon lui, la répartition du travail été mal effectuée. (…) Il affirmait également que les horaires n’étaient pas adaptés à sa tournée journalière. J’ai pu constater que les rapport entre Mr [L] [P] et Mr [R] [B] se sont dégradés progressivement au fil des mois. Le ton était très tendu. Ils se sont quelques fois disputé pour des problèmes de tournées, au sujet de l’amplitude horaire. Mr [R] à souvent ouvertement manifesté son mécontentement auprès de la direction. Du jour où Mr [R] à reçu son 1’avertissement dans lequel on lui reprochait d’être sans autorisation monté sur le chariot de notre client ROYAL CANIN, j’en ai déduit, au vu des disputes et des échanges verbaux houleux qui ont eu lieu, en ma présence, sur le parc avec Mr [L] [P], que la relation de travail ne pouvait plus perdurer. (…)’.
Dans une attestation du 6 décembre 2018, M. [S], réparateur, relate l’entretien préalable au licenciement du 17 août 2018 et indique que M. [R] a dès le début de la conversation reproché à son employeur l’avertissement qui lui avait été adressé : ‘Il a insisté en disant que c’était injuste. Il a reproché beaucoup de choses au patron : sur ses tâches de travail en disant que ce n’était pas à lui d’enlever le plastique des pallettes mises sur le camion. Il a aussi reproché au patron sa manière de travailler en général’. M. [S] ajoute : ‘[B] reproche à [P] [L] sa manière de gérer la société en le comparant à son père décédé. La patron est resté sur ses positions (…)’.
M. [R] communique quant à lui les pièces suivantes :
– son courrier du 11 juillet 2018 de contestation de l’avertissement du 22 juin 2018 dans lequel il explique que son initiative de décharger son camion à la société Royal Canin (en utilisant un chariot) partait d’une ‘bonne intention’ en relevant qu’il disposait du ‘CACES’. Il observe qu’à d’autres occasions, cela n’avait posé aucune difficulté en terme de sécurité alors même qu’il n’était pas alors titulaire du CACES. Il précise que n’étant pas pas cariste, il ne conduira par conséquent plus de chariot élévateur. Il exprime son incompréhension par rapport au non-respect de règles de sécurité qui lui a été reproché et un sentiment d’un ‘2 poids 2 mesures’ en évoquant des manquements en la matière de la part de l’employeur. Il précise qu’il ne tractera ‘plus la remorque 2 essieux (…) dépassant largement le PTAC’, pointe ‘l’état d’entretien des planchers des remorques pleine de trous’ et son caractère dangereux ‘pour les biens et les personnes’. Il conclut que désormais, il consignera ‘sur un cahier tout manquement à la sécurité avec les dates et les lieux que j’utiliserais à des fins utile au moment venu’ et demande la remise de son ‘relevé d’heures d’activité mensuel’ à compter du mois de juillet ainsi que tous ceux des années 2016, 2017 et 2018 ;
– son courrier du 24 juillet 2018 dans lequel il réitère sa demande de relevés d’heures pour les années 2016 à 2018, sollicite l’organisation d’élections de délégués du personnel et exprime le souhait de se présenter comme candidat. Il demande enfin à son employeur de cesser de le placer en congés payés sans l’en aviser (par exemple le 22 mai 2018, jour où le camion était en panne et le 7 juin 2018 lorsqu’il s’est rendu à des obsèques) ;
– un courrier du 20 novembre 2018 de l’inspectrice du travail l’informant de la transmission au procureur de la république d’un procès-verbal établi après enquête à l’encontre de la société EPP pour infractions aux dispositions du code du travail (rupture du contrat de travail d’un salarié dont la candidature aux élections de la délégation du personnel au comité social économique était imminente ; le fait d’entraver la libre désignation des membres de la délégation du personnel au comité social économique en empêchant la constitution régulière des listes de candidatures) ;
– une attestation du 19 novembre 2018 de M. [Z], chauffeur tractionnaire, qui dit avoir été informé de ‘l’intention’ de M. [R] de se porter ‘candidat’ en qualité de ‘délégué du personnel’ et ‘témoin’ qu’il avait informé tous les collègues de la société et ‘avait l’intention d’amélioré beaucoup de choses dans le travail et aussi du point de vue de la stée’.
La société EPP communique une seconde attestation datée du 6 avril 2019 de M. [Z], retraité, qui expose avoir écrit une ‘lettre’ pour M. [R] pour lui ‘faire plaisir’ et ‘sous la contrainte’ et espérer qu’elle ne lui portera pas préjudice. Il conclut en ‘signalant’ que ‘Mr [L] [P] est quelqu’un d’honnête sérieux avec ses ouvriers. Je vous en parle en connaissance de cause’.
Si M. [Z] ne remet pas clairement en cause la teneur de son premier témoignage, les conditions dans lesquelles il dit avoir rédigé sa première attestation mettent en doute sa valeur probatoire, de sorte qu’elle sera écartée.
Il résulte de ce qu’il précède que M. [R] contestait déjà depuis plusieurs mois ses plannings et notamment son amplitude horaire ; qu’après la notification de l’avertissement du 22 juin 2018 pour non-respect d’une règle de sécurité, il a pointé à son tour différents manquements de l’entreprise, notamment en matière de sécurité ; que c’est dans ce contexte qu’il a sollicité l’organisation d’élections professionnelles le 24 juillet 2018 et fait part de sa volonté de se présenter candidat en qualité de délégué du personnel ; qu’il n’apparaît donc pas que l’objectif du salarié visait, en annonçant cette candidature, à obtenir une protection contre un licenciement dont il n’est alors absolument pas question ; que M. [R] montre au contraire une volonté de dénoncer voire tenter de faire modifier certaines pratiques de la société.
La cour en conclut que le caractère frauduleux de la candidature du salarié aux élections des délégués du personnel n’est pas établi. En annonçant cette candidature, M. [R] s’est exposé face à son employeur et devait bénéficier de la protection prévue par l’article L. 2411-7 du code du travail. Or, aucune autorisation de l’inspectrice du travail n’a été sollicitée, y compris après que celle-ci ait interpelé l’employeur dans un premier courrier du 5 août 2018.
Le jugement entrepris est par conséquent confirmé en ce qu’il a déclaré le licenciement nul en l’absence d’autorisation administrative au licenciement.
Sur les conséquences financières de la rupture :
Les sommes octroyées au titre du rappel de salaire de la mise à pied conservatoire, de l’indemnité de préavis et des congés payés afférents et de l’indemnité de licenciement, qui ne sont pas critiquées par la société EPP, sont confirmées.
Le salarié victime d’un licenciement nul, et dont la réintégration est impossible ou qui ne la demande pas, a droit, quelles que soient son ancienneté et la taille de l’entreprise, à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.
En l’espèce, M. [R], qui percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle brute de 2 441,39 euros, ne réclame pas sa réintégration.
En considération de l’âge du salarié (55 ans), de son ancienneté (près de 4 ans), de son aptitude à retrouver du travail et des éléments produits (justification de la perception de l’allocation de retour à l’emploi du 4 octobre 2018 à avril 2019), le jugement déféré est confirmé en ce qu’il lui a octroyé la somme de 15 320,00 euros en réparation du préjudice subi.
Sur les demandes accessoires :
Il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
La société EPP est condamnée aux dépens d’appel et condamnée à payer à Monsieur [R] la somme de 2 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, cette condamnation emportant nécessairement rejet de ses prétentions formées à ce titre.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu’il a rejeté les demandes de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents,
Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Condamne la société European Pallets Partners (EPP) à payer à M. [B] [R] les sommes suivantes :
– 6 258,01 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires, outre 625,80 euros au titre des congés payés afférents,
– 972,08 euros au titre de l’indemnisation des repos compensateurs obligatoires,
Condamne la société société European Pallets Partners (EPP) aux dépens d’appel,
Condamne la société société European Pallets Partners (EPP) à payer à M. [B] [R] la somme de 2 000,00 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en appel.
Le greffier Le président