Nullité de dessin et modèle : 20 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/05076

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Nullité de dessin et modèle : 20 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/05076

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 10

ARRET DU 20 AVRIL 2023

(n° , 13 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/05076 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBU4A

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Janvier 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Paris RG n° 17/10944

APPELANTS

Monsieur [TE] [GS] [I] [N]

né le 17 Février 1951 à [Localité 8]

demeurant : [Adresse 9], assisté de son curateur l’UDAF de Gironde (Union Départementale des Associations Familiales), nommée à cette fonction suivant décision du Juge des tutelles du Tribunal d’instance de Libourne en date du 26 novembre 2015

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Madame [J] [U] [L] [N]

née le 21 Juin 1953 à [Localité 8]

demeurant [Adresse 7] assistée de son curateur l’A.T 92 (Association Tutélaire des Hauts de Seine) nommée à cette fonction suivant décision du Juge des tutelles du Tribunal d’instance de Puteaux en date du 16 juin 2014

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Monsieur [KM] [GT] [G] [N]

né le 12 Février 1960 à [Localité 13]

[Adresse 12]

[Adresse 12]

[Adresse 12]

Monsieur [XB] [W] [O] [N]

né le 21 Octobre 1975 à [Localité 13]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Madame [TG] [P] [N]

née le 14 Avril 1979 à [Localité 13]

[Adresse 2]

[Adresse 2] – NEVADA – USA

Représentés par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

Assistés à l’audience de Me Serge LEDERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : K0035

INTIMEES

Société DE BAYSER, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représentée par Me Sandra OHANA de l’AARPI OHANA ZERHAT CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Assisté à l’audience de Me Jean DE ROUX, avocat au barreau de PARIS, toque : A0417

SOCIETE DE VENTES VOLONTAIRES [X] DUBOURG ENCHERES, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Hélène RABUT, avocat au barreau de PARIS, toque : R144

Assisté à l’audience de Me Laurent PINIER, SELARL SULTAN LUCAS DE LOGIVIERE PINIER POIRIER, avocat au barreau d’ANGERS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée le 06 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Florence PAPIN, chargée de rapport, Présidente, et Madame Valérie MORLET, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Mme Florence PAPIN, Présidente

Mme Valérie MORLET, Conseillère

Monsieur Julien RICHAUD, conseiller,

Greffier, lors des débats : Mme Dominique CARMENT

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Florence PAPIN, Présidente, et par Catherine SILVAN, Greffière présente lors du prononcé.

***

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Début 2015, Madame [OH] [H] épouse [N], née le 23 juin 1928, assistée de son fils, Monsieur [KM] [N], a confié l’organisation de la vente aux enchères d’un grand nombre d’objets familiaux à la société de ventes volontaires [X] Dubourg enchères (la SVV).

La société Galerie de Bayser a été déclarée adjudicataire, le 3 juin 2015, d’une huile sur toile proposée à la vente sous la description suivante : « Une huile sur toile ‘Visage Alangui’ XIXème siècle 46 x 56 cm. Provenance du tableau : Héritiers de [C] [R] » pour un montant de 50 000 euros (60 500 euros frais de vente inclus). Cette ‘uvre avait été estimée entre 200 et 300 euros par Monsieur [X], commissaire priseur.

Le tableau a été revendu à la galerie Ambroselli, le 10 juin 2015, pour un prix de 90 000 euros et cette dernière l’a revendu avec le même descriptif ‘après un nettoyage superficiel’ le 15 juin 2015 à Monsieur [D] [OJ] demeurant à [Localité 10] pour le prix de 130 000 euros.

Ce dernier, interrogé par Monsieur [KM] [N], a refusé par mail en date du 12 février 2019 que le tableau soit expertisé.

Madame [OH] [N] est décédée le 5 février 2016.

Faisant valoir que la SVV avait commis des fautes et que le consentement de Madame [OH] [N] avait été vicié par l’erreur qu’elle avait commise sur les qualités substantielles de ce tableau, en ce qu’il existerait de fortes présomptions que l”uvre soit celle du peintre [V], par actes d’huissier en date des 27 et 28 juillet 2017, Monsieur [TE] [N] assisté de son curateur, l’UDAF de la Gironde, Madame [J] [N], assistée de son curateur l’AT 92, Monsieur [KM] [N], Monsieur [XB] [N], Madame [TG] [N] (ci-après désignés les consorts [N]) ont fait assigner la galerie de Bayser Sarl et la SVV [X] Dubourg enchères devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir à titre principal annuler pour erreur sur la substance le contrat de vente portant sur le tableau précité conclu avec la galerie de Bayser.

Par jugement du 16 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Paris :

– Rejette les fins de non-recevoir ;

– De’boute les consorts [N] de l’ensemble de leurs demandes ;

– Condamne in solidum les consorts [N] a’ payer a’ la socie’te’ de ventes volontaires [X] Dubourg enchè’res la somme de 3 000 euros et a’ la S.A.R.L. de Bayser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamne in solidum les consorts [N] aux dépens.

Par déclaration du 11 mars 2020, les consorts [N] ont interjeté appel de ce jugement.

La SVV [X] Dubourg enchères a saisi le conseiller de la mise en état de conclusions d’incident.

Par ordonnance du 20 octobre 2021, le conseiller de la mise en état a pris la décision suivante :

– Rejetons la fin de non-recevoir formulée par la société de ventes volontaires [X]-Dubourg enchères et sa demande de constatation de caducité de la déclaration d’appel ;

-Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamnons la société de ventes volontaires [X]-Dubourg enchères à payer aux consorts [N] une somme de 1 000 euros ;

– Condamnons la société de ventes volontaires [X]-Dubourg enchères aux dépens de l’incident et disons que M. [T] [F], avocat au barreau de Paris, pourra recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont il a fait l’avance sans avoir reçu provision.

Cette décision a été confirmée par arrêt de la cour en date du 27 janvier 2022.

Par leurs dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 05 janvier 2023, les consorts [N] demandent à la cour de :

Vu les articles 1109 et 1110 (anciens) du code civil (remaniés au sein des articles 1130 et suivants), Vu l’article 1147 (ancien) du code civil (remanié au sein de l’article 1231-3 du code civil), Vu l’article 1382 (ancien) du code civil (remanié au sein des articles 1240 et suivants),

Vu l’article 1352 (nouveau) du code civil, vu l’article L. 321-17 du code de commerce,

– D’infirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce que les juges de première instance ont rejeté les fins de non-recevoir invoquées par la société de ventes volontaires [X] Dubourg enchères ;

– De débouter la société de ventes volontaires [X] Dubourg enchères de sa demande de nullité de la déclaration d’appel ;

En conséquence

– Débouter la société de ventes volontaires [X] Dubourg enchères de son appel incident ;

Statuant à nouveau :

– Dire et juger que le consentement de Madame [OH] [N] a été vicié par l’erreur qu’elle a commise sur les qualités substantielles du tableau « Visage Alangui » ;

– Annuler le contrat de vente pour erreur sur la substance portant sur le tableau « Visage Alangui » conclu avec la société De Bayser SARL ;

– Ordonner les restitutions réciproques et prononcer la compensation des créances réciproques, en conséquence, condamner la société de Bayser SARL à payer aux héritiers de Madame [N] la somme, obtenue après compensation, de 51 650 euros au titre de la restitution par équivalent consécutive à l’annulation du contrat de vente ;

– Dire et juger que la société de ventes volontaires [X] Dubourg enchères a commis de lourdes fautes contractuelles dans le cadre de son mandat qui engagent sa responsabilité de ce chef ;

Condamner la société de ventes volontaires [X] Dubourg enchères à payer la somme de 460 000 euros aux héritiers de Madame [N] en réparation de son préjudice décomposé comme suit :

– 310 000 euros au titre du préjudice financier et,

– 150 000 euros au titre du préjudice moral.

– Condamner la société de ventes volontaires [X] Dubourg enchères à rembourser aux héritiers de Madame [N] les frais de vente (8 400 euros) ainsi que la taxe de plus-value forfaitaire relative à la vente du tableau (3 250 euros) ;

– Ordonner la capitalisation des intérêts au taux légal.

– Condamner in solidum la société de Bayser SARL et la société de ventes volontaires [X] Dubourg enchères à payer aux héritiers de Madame [N] la somme de 25 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens ;

– Condamner in solidum la société de Bayser SARL et la société de ventes volontaires [X] Dubourg enchères aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Edmond Fromantin.

Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 05 janvier 2023, la SARL De Bayser demande à la cour de :

Confirmer le jugement du 16 janvier 2020 en ce qu’il a :

– Débouté Monsieur [TE] [N], assisté de son curateur, l’UDAF de la Gironde, Madame [J] [N], assistée de son curateur, l’A.T. 92, Monsieur [KM] [N], Monsieur [XB] [N], Madame [TG] [N] de l’ensemble de leurs demandes ;

– Condamné in solidum Monsieur [TE] [N], assisté de son curateur, l’UDAF de la Gironde, Madame [J] [N], assistée de son curateur, l’A.T. 92, Monsieur [KM] [N], Monsieur [XB] [N], Madame [TG] [N] à payer à la Société de ventes volontaires [X] Dubourg Enchères la somme de 3 000 euros et à la société. de Bayser somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamné in solidum Monsieur [TE] [N], assisté de son curateur, l’UDAF de la Gironde, Madame [J] [N], assistée de son curateur, l’A.T. 92, Monsieur [KM] [N], Monsieur [XB] [N], Madame [TG] [N] aux dépens.

Et statuant à nouveau :

– Subsidiairement, dans l’hypothèse où la vente du tableau serait annulée pour erreur, condamner la société de ventes volontaires [X] Dubourg enchères à relever et garantir la société de Bayser indemne de toute condamnation en principal, intérêts, frais irrépétibles et dépens qui pourrait prononcée à son encontre en raison de l’annulation de la vente du 3 juin 2015 ;

– En toute hypothèse, condamner in solidum Monsieur [TE] [N], assisté de son curateur, l’UDAF de la Gironde, Madame [J] [N], assistée de son curateur, l’A.T. 92, Monsieur [KM] [N], Monsieur [XB] [N], Madame [TG] [N], ou tout succombant, à payer à la société de Bayser une indemnité de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 14 janvier 2023, la SVV [X] Dubourg Enchères demande à la cour de :

Vu les dispositions des 31 et 32 du code de procédure civile,

Vu les dispositions des articles L. 321-5 et L. 321-17 du code de commerce,

Vu les dispositions de l’article 1231-3 du code civil,

A titre liminaire,

– Annuler la déclaration d’appel effectuée le 11 mars 2020 par les consorts [N];

– Dire et juger que la cour d’appel n’est pas valablement saisie ;

A titre principal,

– Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 16 janvier 2020 en ce qu’il a débouté la société de ventes volontaires [X] Dubourg enchères de sa fin de non-recevoir ;

– Dire et juger Monsieur [TE] [N], Madame [J] [N], Monsieur [KM] [N], Monsieur [XB] [N], Madame [TG] [N], irrecevables en l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

– Les en débouter en conséquence ;

A titre subsidiaire,

– Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 16 janvier 2020 en ce qu’il a débouté Monsieur [TE] [N], Madame [J] [N], Monsieur [KM] [N], Monsieur [XB] [N], Madame [TG] [N] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

– Débouter la société Galerie De Bayser de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions formulées à l’encontre de la société de ventes volontaires [X] Dubourg enchères ;

En tout état de cause,

– Condamner solidairement Monsieur [TE] [N], Madame [J] [N], Monsieur [KM] [N], Monsieur [XB] [N], Madame [TG] [N], à verser à la société de ventes volontaires [X] Dubourg enchères la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner solidairement Monsieur [TE] [N], Madame [J] [N], Monsieur [KM] [N], Monsieur [XB] [N], Madame [TG] [N], aux entiers dépens.

La clôture a été prononcée le 18 janvier 2023.

MOTIFS

La SVV [X] Dubourg Enchères soutient que la déclaration d’appel serait nulle au motif que l’adresse y figurant concernant Madame [TG] [N] serait inexacte ce qui ne pourrait plus être rectifié après expiration du délai d’appel.

Cette question a été définitivement tranchée par arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 27 janvier 2022 statuant sur déféré.

Il n’y a pas lieu de statuer à nouveau sur cette question.

Sur le défaut d’intérêt et de qualité à agir des héritiers de Madame [N] :

La SVV [X] Dubourg Enchères soutient que l’action n’a pas été engagée préalablement au décès de Madame [N], qu’une action en nullité d’une vente pour vice du consentement n’est pas transmissible aux héritiers et que dès lors la présente action intentée par ses héritiers est irrecevable.

Les consorts [N] répliquent que les actions en nullité fondées sur une erreur sur la substance sont transmissibles aux héritiers, sans qu’il soit nécessaire que l’action ait été introduite par le défunt.

Aux termes de l’article 724 alinéa 1er du code civil, les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt.

Les héritiers de Madame [N], décédée le 5 février 2016, ont été saisis de plein droit des actions de leur mère au titre du contrat de mandat qui la liait à la SVV [X] Dubourg Enchères et du contrat de vente conclu avec la galerie de Bayser, actions présentant un caractère patrimonial, le fait qu’elle n’ait pas engagé l’action avant son décès étant sans emport.

Le premier juge a, à juste titre, déclaré que les héritiers de Madame [N] étaient recevables à agir.

La décision déférée est confirmée de ce chef.

Sur l’erreur sur les qualités substantielles :

Les consorts [N] font valoir que :

– la venderesse était persuadée, au moment de la vente, que le tableau ne pouvait être une ‘uvre du peintre [V] ; la société [X] Dubourg enchères n’a jamais émis de doute sur le caractère ordinaire du tableau, ne les a pas avertis de l’effervescence engendrée par la perspective de la vente dans le milieu de l’art et pour leur part, ils s’en étaient remis à ce professionnel n’ayant pas de connaissance en la matière,

– elle a accepté de céder le tableau dans des conditions désavantageuses, noyé au milieu d’une multitude d’autres biens sans valeur et sans faire appel à un expert renommé concernant les oeuvres de ce peintre parce qu’elle ne connaissait pas les qualités de la chose vendue,

– son erreur a porté sur une qualité entrée dans le champ contractuel : la croyance erronée de l’absence de lien avec une oeuvre célèbre et de notoriété de l’auteur du tableau ; l’absence d’attribution sous-entend que le tableau était d’un peintre inconnu sans notoriété aucune ce qui est conforté par le prix très bas de l’estimation du commissaire-priseur ; la mention ‘ provenance héritiers [R]’, qui ne figurait pas sur la réquisition, a été rajoutée par la société [X] Dubourg enchères juste avant la vente sans en avertir son mandant,

-l’erreur de leur mère est entièrement excusable, en ce qu’elle n’a commis aucune faute ou négligence ; le contenu des archives familiales, qui étaient dans un garde- meubles depuis 16 années, n’était pas connu par elle et elles n’ont pu être récupérées qu’après la vente,

– il existe aujourd’hui de très fortes présomptions que le tableau soit l”uvre de [V].

Ils rajoutent :

-qu’un simple doute suffit à retenir l’erreur sur la substance,

-que l’erreur ne peut être écartée du seul fait que l’absence du tableau rend matériellement impossible la preuve qu’il est de [V],

– qu’il y a erreur dès lors qu’ils ignoraient l’attribution possible à ce peintre,

– qu’aucun élément du dossier ne permet d’exclure avec certitude cette attribution alors qu’au contraire plusieurs éléments concordent en sa faveur dont l’intérêt des professionnels et les reventes en cascade à des prix supérieurs,

-qu’enfin une étiquette apparue après sa restauration plaide pour la thèse qu’il constituerait une étude préparatoire au Radeau de la Méduse,

-que l’erreur sur la valeur découle de l’erreur sur la substance, conduit à l’annulation de la vente et à une restitution par équivalent.

La société De Bayser fait valoir :

– que l’authenticité du tableau n’est pas établie,

– qu’une simple hypothèse ne consacre pas un doute sauf à anéantir toute sécurité juridique dans les contrats,

– que les oeuvres de [V] sont rares et discutées, que son style a donné lieu à quantité d’oeuvres d’atelier, de suiveurs et de copistes rendant difficile l’authentification,

– que la seule source écrite de référence est le catalogue raisonné de Monsieur [E] paru en 1980 où l’on apprend que de nombreux tableaux attribués à [V] sont des faux,

– que si le tableau est un détail du célèbre Radeau de la Méduse, il peut avoir été peint par [K] son élève, par quelqu’un de son atelier, par un suiveur ou un copiste du [14] siècle,

– que ni Monsieur [CY], ni Monsieur [CX] ne se sont prononcés sur son authenticité,

– que la preuve d’un doute sérieux à ce sujet n’est pas rapportée,

– qu’aucune exclusion d’attribution n’a été faite et que le descriptif ‘ huile sur toile : visage alangui ; provenance héritiers de [C] [R] ‘ est précis, qu’aucune autre mention n’aurait pu y figurer,

– que la mention sortie des archives familiales ‘tête d’homme attribuée à [V]’ ne signifie pas qu’il est ‘de’ [V],

– qu’il y a eu une simple erreur sur la valeur qui ne permet pas d’annuler la vente, le fait que cette oeuvre fasse penser au Radeau de la Méduse présentant une valeur pour les professionnels,

– que les éléments figurant dans les archives familiales et découverts après la vente prouvent une erreur inexcusable, qu’on ne se dessaisit pas de telles archives sans en faire un inventaire et les examiner, d’autant qu’ils sont des descendants du peintre [R],

– que l’existence d’une étiquette au dos du tableau aurait dû aussi les alerter.

La société [X] Dubourg enchères fait valoir :

-que rien n’indique que le tableau serait de la main de [V] ou d’un de ses élèves, de simples doutes ne suffisant pas à obtenir la nullité,

-que le tableau n’est pas signé,

-que les acquéreurs successifs ne l’ont jamais attribué à [V],

-que les documents d’archives sont inopérants leur origine n’étant pas certifiée ni que la peinture mentionnée soit celle vendue dont les dimensions diffèrent,

-que l’authentification de ce peintre est difficile et que la comparaison de photos ne suffit pas,

-que les reventes successives ne sont pas un indice de sa paternité,

-que rien ne permet d’affirmer que le tableau examiné par Monsieur [CX] soit celui qui a été vendu,

-que Monsieur [KM] [N], qui a passé deux jours dans ses locaux pour trier les documents personnels, a eu toute latitude de les examiner et qu’une faute inexcusable a été commise par le vendeur ne l’avertissant pas de documents de nature à établir la paternité de l’oeuvre,

-que l’attribution du tableau à [V] n’est pas entrée dans le champ contractuel.

Sur ce,

Selon l’article 1110 alinéa 1 ancien du code civil applicable en l’espèce au regard de la date de la vente aux enchères ‘l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet.’

L’authenticité d’un tableau ou son attribution est une qualité substantielle de l’oeuvre.

Pour apprécier l’existence d’une erreur, il n’est pas indispensable de disposer d’une certitude absolue à laquelle puisse être confrontée la croyance du contractant. Le doute n’interdit pas le constat d’une erreur.

Cependant l’erreur n’est une cause d’annulation du contrat que si elle est excusable. L’erreur inexcusable est une erreur fautive.

La réquisition de vente en date du 24 avril 2015, signée par Madame [N], mentionne : ‘Une huile sur toile ‘Visage Alangui’ XIXème siècle 46 x 56 cm’.

Dans cette description, qui fixe l’objet du contrat, ne figurent aucune allusion à une attribution possible de l’oeuvre au peintre [V] ou à son style ou à son école ni référence à son tableau ‘ [11]’.

La valeur du tableau, non signée, a été estimée par Monsieur [X], commissaire-priseur, entre 200 et 300 euros sans occasionner de contestation de la mandante.

Il résulte de ces éléments qu’au moment de la vente, Madame [N] était persuadée du caractère ordinaire de la peinture et de l’absence de notoriété possible de son auteur.

Les intimés justifient que les oeuvres de [V] sont rares et discutées et que la seule source écrite de référence, le catalogue raisonné de Monsieur [E] paru en 1980, mentionne que de nombreux tableaux attribués à [V] (390 sur 1024 pour les dessins et peintures avant 1815) sont des faux.

Monsieur [AY] [CX], qui a été commissaire de l’exposition [V] au Grand Palais en 1991 et qui a examiné le tableau à la demande de Monsieur [CY], expert en tableau ancien, rappelle dans son courrier du 23 octobre 2022 ces doutes concernant les oeuvres de ce peintre et concernant le tableau litigieux écrit : ‘je ne suis pas parvenu à une certitude et n’ai exprimé une opinion dans un sens ou un autre.’ (pièce 74 des appelants).

Il résulte de son email du 19 juin 2020 (pièce 54 des appelants) qu’il a photographié l’étiquette ancienne qui serait apparue après restauration au dos du tableau : ‘ (…)/ D’après son grand tableau du/naufrage de la Méduse ( ….)/(… mor)t(‘) À [Localité 13]’.

Cette étiquette, en très mauvais état et lacunaire, crée cependant un lien entre le tableau litigieux et l’oeuvre de [V].

Monsieur [B], spécialiste de [V] écrit le 1er novembre 2016 (pièce 25 des appelants) que la photographie du tableau litigieux lui a fait penser au Radeau de la Méduse, que les liens entre [V] et [R] sont connus des spécialistes, ce dernier connaissant [K], élève de [V], qui pourrait avoir servi de modèle pour le tableau litigieux mais s’interdit d”aller plus loin’ sans voir l’original de l’oeuvre et la soumettre à des examens scientifiques.

Un inventaire datant de 1918 émanant de Madame [AZ] [M], fille du peintre [R], mentionne parmi une liste de tableaux ‘ tête’ par [V], étude pour le Naufrage de la Méduse’. Un courrier en date du 14 mai 1943, un devis de restauration, indique que le tableau litigieux était ‘attribué’ à [V] (pièce 38).

Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’il existe un doute sur l’attribution possible du tableau à [V], doute qui ne peut être levé en l’absence d’expertise.

Si le doute n’interdit pas le constat d’une erreur, elle n’est une cause d’annulation du contrat que si elle est excusable.

Les consorts [N] font valoir s’être rangés à l’avis du commissaire-priseur mais ne rapportent pas la preuve de l’avoir questionné au sujet de ce tableau.

Madame [OH] [N] était en possession de ce tableau dans sa famille depuis de nombreuses années.

Elle n’ignorait pas qu’un de ses ancêtres était le peintre [Y] [R], né le 3 mars 1803 et mort le 22 août 1860, d’une certaine notoriété et qui avait pu constituer une collection personnelle.

Page 36 de leurs conclusions, au visa de leur pièce 42, les appelants mentionnent également qu'[Z] [R], frère d'[Y] [R], était critique d’art et qu’il s’est positionné en tant que défenseur du peintre [V] dont l’oeuvre Le Radeau de la Méduse était à l’époque décriée.

Dans son courrier adressé au commissaire du gouvernement le 23 juin 2015, soit quelques semaines après la vente critiquée, Monsieur [KM] [N] écrit que ‘cette oeuvre est dans la famille car nous avons des membres qui étaient dans le monde des arts au 19ème siècle comme l’éditeur [A] [S]’.

Il résulte du dossier que les archives familiales ont été confiées pour être vendues aux enchères sans avoir fait l’objet par Madame [OH] [N] ou son fils [KM] [N] qui l’assistait pour ses démarches auprès de la SVV d’un examen préalable.

Le classement et le tri effectués par Monsieur [KN], expert en livre ancien, à la demande de Me [X] ont conduit les vendeurs à racheter deux lots d’archives parmi lesquelles figuraient les deux documents précités, l’inventaire de Madame [AZ] [M] et le devis de restauration.

Ces deux documents, s’ils avaient été examinés en temps utile par la venderesse, auraient dû la conduire à s’interroger sur une possibilité d’attribution de l’oeuvre au peintre [V].

L’absence d’examen préalable des archives par Madame [N], assistée par son fils, Monsieur [KM] [N], alors qu’elle avait connaissance que le peintre [R] et d’autres membres de sa famille faisaient partie du monde des arts au XIX ème siècle, amène à considérer l’erreur commise par elle comme inexcusable ce qui fait obstacle à ce qu’elle puisse être une cause d’annulation du contrat de vente avec la SARL de Bayser.

La décision déférée est confirmée en ce qu’elle a débouté les consorts [N] de leur demande en annulation du contrat de vente conclu avec la SARL De Bayser et condamnation de cette dernière à leur payer la somme de 51 650 euros correspondant à la différence entre la somme perçue par eux suite à la vente aux enchères et celle obtenue par la société De Bayser suite à la revente de l’oeuvre à la galerie Ambroselli.

Sur la responsabilité de la société [X] Dubourg enchères :

Les consorts [N] font valoir :

-que la société [X] Dubourg enchères a fait preuve d’une particulière négligence, son comportement confinant à de la négligence dolosive,

-qu’elle n’a pas accompli les diligences dont on pouvait s’attendre d’un professionnel, qu’elle était tenue d’effectuer les recherches appropriées pour identifier le bien qui lui était confié en recourant le cas échéant à l’assistance d’un expert, qu’elle devait s’efforcer de retracer la provenance de l’oeuvre,

-qu’il n’est rapporté la preuve d’aucune vérification ni investigation, qui lui aurait permis de déceler la qualité du tableau voire l’existence de l’étiquette au verso et d’ajuster une estimation dérisoire,

-qu’elle aurait dû au moins s’apercevoir qu’elle était en présence d’un beau romantique et chercher à confirmer qu’il s’agissait d’une oeuvre sans valeur,

-que l’effervescence qui a entouré la vente alors que le tableau ne figurait pas sur le catalogue papier aurait dû éveiller sa curiosité et la conduire à informer son mandant, d’autant que des discussions ont eu lieu, qui l’ont conduite à rajouter la mention d’un lien avec le peintre [R] qui n’est pas anodine et à s’interroger sur un rapprochement par rapport au Radeau de la Méduse de [V],

-que ce n’est pas au profane d’attirer l’attention du professionnel sur les oeuvres à expertiser,

-que l’adjudication aurait pu atteindre un prix supérieur à 400 000 euros,

-que la perte de chance, au vu le montant de la vente atteint sans publicité et réalisée dans des conditions désavantageuses, est démontrée,

-qu’ils ont le sentiment d’avoir été dépossédés d’un héritage familial important d’où leur préjudice moral.

La société [X] Dubourg enchères réplique :

– que rien ne lui impose de faire appel à un expert, qu’elle n’est tenue qu’à une obligation de moyens, le marché définissant le prix à un moment donné, qu’elle n’a commis aucune erreur dans la description de l’oeuvre,

-qu’il y a rien d’exceptionnel à ce que les enchérisseurs potentiels sollicitent des informations avant une vente, que rien ne permet d’affirmer que leurs demandes auraient dû les conduire à approfondir la piste d’un tableau en rapport avec le Radeau de la Méduse,

-qu’il n’y a rien d’étonnant à la mention ‘héritiers de la famille du peintre [C] [R]’ qui avait été indiquée par Monsieur [N] dans son courrier du 23 juin 2015,

-qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le préjudice dont il est demandé réparation et la faute reprochée, en raison du caractère aléatoire des ventes,

-que faute de rapporter la preuve que le tableau serait de [V], les appelants ne peuvent se prévaloir d’une perte de chance,

-que les oeuvres attribuées à [V] sont estimées entre 30 000 et 60 000 euros soit des sommes éloignées de celles réclamées.

Sur ce,

Le commissaire-priseur est tenu d’une obligation contractuelle de moyens vis à vis de son mandant.

Il résulte du recueil des obligations déontologiques dont le texte de référence est l’article L.321-18 du code de commerce issu de le loi n°2011-850 du 20 juillet 2011, dispositions applicables lors de la vente litigieuse, que l’opérateur de ventes volontaires est tenu d’un devoir de transparence et de diligence à l’égard du vendeur lors de l’établissement du mandat et tout au long du processus de vente, qu’il lui apporte tous éléments d’information dont il dispose pour éclairer sa décision quant aux conditions de mise en vente (paragraphe 1.2.2. page 17), qu’il effectue les recherches appropriées pour identifier le bien… le cas échéant, il recourt à l’assistance d’un expert (paragraphe 1.5.4 page 22).

En l’espèce il n’est ni rapporté la preuve, ni allégué d’investigations particulières de la part du commissaire-priseur.

Cependant ses obligations s’apprécient à l’aune des circonstances de la vente et de l’attitude de la mandante, le recours à une expertise n’étant pas obligatoire selon le texte précité.

La vente portait sur plus de 200 lots ; tous ne pouvaient pas faire l’objet d’une expertise au regard du coût de telles investigations.

Madame [N] n’a attiré l’attention du commissaire- priseur que sur des meubles, argenteries et une reproduction du peintre [R] (pièce 2 des appelants).

Selon mail du 8 avril 2015 de Monsieur [KM] [N] (pièce 6 des appelants), les objets de grande valeur devant être expertisés sont constitués par les meubles d’époque, l’argenterie, les belles vaisselles et bibelots.

Il résulte du dossier que Madame [N] ou son fils n’ont jamais alerté ni interrogé le commissaire-priseur sur le tableau litigieux ni demandé qu’il soit expertisé.

Ils ne rapportent pas la preuve de l’avoir informé, comme mentionné dans le courrier adressé par Monsieur [KM] [N] au commissaire du gouvernement, quelques semaines après la vente, que l’éditeur [A] [S] appartenait à leur famille.

Il y a lieu de rappeler que les éléments les plus pertinents pouvant rattacher cette oeuvre au Radeau de la Méduse étaient leurs propres archives familiales qu’ils n’ont mises en exergue que postérieurement à la vente.

Les consorts [N] reprochent au commissaire-priseur de ne pas les avoir avertis de l”effervescence’ engendrée par la vente de ce tableau qui aurait également dû éveiller sa curiosité.

Cependant il n’est pas rapporté la preuve que ‘l’effervescence’ suite à la publicité effectuée sur le site des commissaires-priseurs interenchères ait présenté un caractère inhabituel pour ce type de vente et de nature, par les questions posées à l’occasion des appels téléphoniques, à conduire Monsieur [X] à solliciter une expertise du tableau.

Interrogé sur ce point par Monsieur [KM] [N] de La Batut, Monsieur [B], qui ne connaissait pas les circonstances de la vente, n’affirme pas, dans son courrier précité en date du 1er novembre 2016 qu’un expert généraliste pouvait nécessairement penser en voyant le tableau litigieux à [V].

Il se contente de répondre ‘(..) un bon expert généraliste aurait dû ressentir qu’il était, au moins, en face d’un très beau tableau romantique anonyme.’, ce seul fait n’imposant pas de faire expertiser le tableau.

Il rajoute que les liens entre [V] et [R] sont connus des spécialistes. Cependant il résulte du dossier qu’un autre spécialiste du peintre, Monsieur [CX] (pièce 54) n’en avait pas connaissance.

Dès lors aucune faute ne peut être retenue à l’encontre de Monsieur [X] de ne pas avoir averti son mandant de l”effervescence’ autour de la vente de l’oeuvre ni de ne pas avoir sollicité son expertise au vu des éléments qui lui ont été communiqués par la mandante et de son examen personnel de généraliste et non de spécialiste du peintre [V].

L’estimation décrite par les appelants comme dérisoire du tableau n’est pas une faute en lien de causalité avec le préjudice dont ils demandent réparation en ce qu’elle n’a pas fait obstacle à sa vente au prix de 50.000 euros laquelle résulte du feu des enchères.

L’ajout de l’indication que le tableau provenait des héritiers [R], de nature à valoriser le tableau en ce qu’il le situait dans un certain entourage et qui n’avait pas à donner lieu à une information particulière du mandant en ce qu’elle n’était que le reflet de la réalité, ne peut constituer une faute en lien de causalité avec le préjudice dont la réparation est demandée.

Dès lors la preuve d’une faute de la SVV en lien de causalité avec le préjudice n’étant pas rapportée, la décision déférée est confirmée en ce qu’elle a débouté les consorts [N] de leurs demandes d’indemnisation de leurs préjudices financier et moral et de remboursement des frais de vente et de taxe de plus-value forfaitaire formées à son encontre.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

La décision déférée est confirmée en ce qui concerne les dépens et l’article 700 du code de procédure civile.

Les consorts [N] sont condamnés aux dépens d’appel qui seront recouvrés par Me Edmond Fromantin, qui seul en fait la demande, conformément aux dispositions de l ‘article 699 du code de procédure civile et à payer aux intimés la somme de 3 000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme la décision entreprise,

Y ajoutant,

Condamne in solidum Monsieur [TE] [N], assisté de son curateur, l’UDAF de la Gironde, Madame [J] [N], assistée de son curateur, l’A.T. 92, Monsieur [KM] [N], Monsieur [XB] [N], Madame [TG] [N] à payer à la Société de ventes volontaires [X] Dubourg enchères la somme de 3 000 euros et à la société de Bayser somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum Monsieur [TE] [N], assisté de son curateur, l’UDAF de la Gironde, Madame [J] [N], assistée de son curateur, l’A.T. 92, Monsieur [KM] [N], Monsieur [XB] [N], Madame [TG] [N] aux dépens de l’appel qui seront recouvrés par Me Edmond Fromantin conformément aux dispositions de l ‘article 699 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires,

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

 


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