Nullité de dessin et modèle : 14 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/18632

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Nullité de dessin et modèle : 14 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/18632

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 14 JUIN 2023

(n° 116 , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 20/18632 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CC2VV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Novembre 2020 – Tribunal de Commerce de Paris – RG n° 2019048418

APPELANTE

S.A.S. BULKIT agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS d’AGEN sous le numéro 487 756 470

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Nicole DELAY PEUCH, avocat au barreau de PARIS, toque A0377, avocat postulant

Assistée de Me Stéphanie PERROT-BIELECKI de la SELARL VOXEL, avocat au barreau de TOULOUSE, avocat plaidant

INTIMEE

S.A.S. IMERYS CERAMICS FRANCE agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant, domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 490 096 591

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque C2477, avocat postulant

Assistée de Me Frédéric DEREUX de la SELARL GOWLING WLG, avocat au barreau de PARIS, toque P0127, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 11 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre

Madame Sophie Depelley, conseillère

Monsieur Julien Richaud, conseiller

Greffière, lors des débats : Madame Claudia Christophe

ARRÊT :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Brigitte Brun-Lallemand, première présidente de chambre et par Monsieur Martinez, greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

En 2018, la société Imerys Ceramics, qui a pour activité la fabrication de produits minéraux non métalliques, a lancé un appel d’offres pour la réalisation et l’installation d’un mélangeur d’argile avec convoyeurs en son établissement de [Localité 7] (36).

La société Bulkit, qui est spécialisée dans la conception, la fabrication, la vente et l’installation de machines pour l’industrie, est entrée en discussion avec elle.

Postérieurement :

– Bulkit a établi un devis (n°18/10/18) en date du 4 octobre 2018 pour la réalisation d’un mélangeur pour la somme de 227 829 euros HT, ramené par le 27 novembre 2018 à 203 500 euros HT ;

– Par courriel du 19 octobre 2018, soit entre ces deux dates, le responsable achats de la société Imerys avait adressé à la société Bulkit une “proposition de contrat d’intention de commande” fixant ses conditions d’achat, lequel n’a pas été signé par les parties ;

– Un responsable d’Imerys a envoyé le 3 décembre 2018 le mail suivant au dirigeant de Bulkit :

“Je viens d’avoir mes collègues, la commande vous parviendra sans tarder.

Comme convenu dès réception de celle-ci nous ferons le point ensemble pour le planning prévisionnel et sur les éléments à nous fournir pour la validation”.

– Par courriel du 4 décembre 2018, une assistante administrative de la société Imerys a adressé un message à l’adresse [Courriel 5], avec copie au responsable du site, dont la teneur est :

“je me permet de vous contacter suite au devis que vous nous avez fait parvenir et qui a été accepté (Devis n°18/10/18).

Nous aurions besoin au plus vite d’un RIB afin de vous créer comme fournisseur et de pouvoir effectuer au mieux les paiements”.

Par jugement en date du 5 décembre 2018, le tribunal de commerce d’Agen a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de Bulkit, la date de cessation des paiements étant fixée au 29 novembre 2018.

Le 21 décembre 2018, le responsable des achats de la société Bulkit a, par courriel, indiqué à Bulkit :

“En l’absence de formalisation de commande et suite à la non acceptation de votre part de notre contrat d’intention d’achat, nous avons continué de bonne foi nos négociations jusqu’à apprendre la mise en redressement de votre entreprise.

Le changement de la situation de votre entreprise est de nature à remettre en cause nos négociations passées par un accroissement significatif des risques sur des garanties de performance et du bon fonctionnement de l’installation proposée par l’entreprise Bulkit, et aussi des risques de non achèvement des travaux et des risques financiers.

Ces risques dans leur globalité ne sont pas acceptables en l’état pour nous et nous ne pourrons aboutir à une commande dans ce cadre.”

Ce message décline ensuite les modalités de commande présentant un caractère nouveau (confirmation d’un plan de redressement un mois après l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, 10 % d’acompte seulement après la levée des conditions suspensives, 50 % à la livraison et le solde après signature du procès-verbal de réception).

Considérant qu’un contrat s’était formé entre la société Bulkit et la société Imerys et que ce contrat avait été rompu de manière abusive par cette dernière, ou de manière subsidiaire qu’Imerys avait rompu de manière brutale des négociations commerciales très avancées, la société Bulkit a, par acte du 29 juillet 2019, assigné à la société Imerys devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 23 novembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a :

– Débouté la société Bulkit de sa demande à hauteur de la somme de 151 750 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de chance,

– Débouté la société Bulkit de sa demande à hauteur de la somme de 118 510,18 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié aux frais engagés par elle,

– Condamné la société Imerys à payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié aux frais engagés par la société Bulkit,

– Débouté la société Bulkit de sa demande de la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral,

– Condamné la société Imerys à verser à la société Bulkit la somme de 3 000 euros à titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

– Ordonné l’exécution provisoire du présent jugement,

– Condamné la société Imerys aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 75,50 euros dont 12,20 euros de TVA.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 18 décembre 2020, la société Bulkit a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 17 mars 2021 la société Bulkit demande à la Cour de :

Vu les pièces versées aux débats,

Vu les dispositions des articles 1112, 1113, 1224, 1231-1 et 1231-2, 1240 et 1241 du code civil,

Vu les dispositions des articles L.110-3, L.622-13 et L.627-2 du code de commerce,

1°) A titre principal :

– Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 novembre 2020 en ce qu’il a débouté la société Bulkit de ses demandes en paiement de dommage et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture fautive du contrat liant les parties ;

Par conséquent :

– Dire qu’un contrat s’est formé entre la société Bulkit et la société Imerys Ceramics France ;

– Dire que la rupture du contrat par la société Imerys Ceramics France est fautive engageant sa responsabilité contractuelle ;

– Débouter la société Imerys Ceramics France de sa demande reconventionnelle en nullité du contrat sur le fondement de la réticence dolosive ;

– Condamner la société Imerys Ceramics France au paiement des dommages et intérêts suivants :

* 105.820 euros au titre du gain manqué correspondant à la perte de marge sur la commande annulée ;

* 19.267,12 euros au titre de la perte subie du fait des licenciements économiques que la société Bulkit a dû diligenter,

* 20.000 euros au titre du préjudice moral ;

2°) A titre subsidiaire, si la Cour considèrerait que le contrat n’est pas formé :

– Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 novembre 2020 en ce qu’il a jugé que la société Imerys a rompu de manière brutale les négociations entre les parties, constituant une faute qui engage sa responsabilité délictuelle ;

– Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 novembre 2020 en ce qu’il a limité le montant des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi à la somme de 20.000 euros et débouté la société Bulkit du surplus ;

– Condamner la société Imerys Ceramics France au paiement des dommages et intérêts suivants :

* 47.796,45 euros au titre de l’indemnisation des frais engagés

* 20.000 euros au titre du préjudice moral et de l’atteinte à l’image ;

3°) En tout état de cause :

– Condamner la Société Imerys Ceramics France à payer la somme de 8.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Condamner la société Imerys Ceramics France aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées 15 juin 2021, la société Imerys demande à la Cour de :

Vu les articles 1112, 1113, 1131, 1137 1240 et 1353 du code civil,

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

A titre principal,

– Juger qu’aucun contrat n’a été conclu entre les sociétés Bulkit et Imerys,

En conséquence :

– Confirmer le jugement en ce qu’il a conclu à l’absence de formation d’un contrat entre Imerys et Bulkit et a débouté Bulkit de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions de ce chef ;

A titre subsidiaire, si la Cour considère qu’un contrat a été conclu entre les parties :

– Prononcer la nullité de ce contrat sur le fondement de la réticence dolosive

En conséquence :

– Débouter Bulkit de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre infiniment subsidiaire, si la Cour considère qu’un contrat a été valablement conclu :

– Juger que Bulkit ne justifie d’aucun préjudice indemnisable ;En conséquence :

– Débouter Bulkit de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

En tout état de cause :

– Juger qu’aucune faute n’a été commise par Imerys dans l’arrêt des négociations menées avec la société Bulkit,

En conséquence :

– Infirmer le jugement en ce qu’il a :

– Déclaré Imerys responsable d’une rupture brutale des pourparlers avec Bulkit,

– Condamné Imerys à payer la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié aux frais engagés par Bulkit,

– Condamné Imerys à payer la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

Statuant à nouveau

– Débouter Bulkit de l’ensemble de ses demandes financières sur le fondement de la rupture brutale de pourparlers, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens de l’instance ;

Y ajoutant

– Condamner Bulkit à payer à Imerys la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et fixer cette somme au passif de la procédure de redressement judiciaire de Bulkit.

La date de clôture de l’ordonnance a été fixée au 28 février 2023.

La Cour renvoie à la décision attaquée et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la rupture abusive du contrat alléguée

Exposé des moyens des parties

La société Bulkit prétend que selon l’article 1113 du code civil, un contrat avait été formé. Elle fait valoir avoir échangé avec la société Imerys pendant de nombreux mois, entre avril et octobre 2018, ce qui a permis à la société Bulkit d’établir une étude aboutie sur le projet de mélangeur et de faire une proposition de prix. Elle rappelle qu’aucun formalisme n’est requis pour la formation d’un contrat, qu’il suffit que l’accord des parties soit non équivoque, lequel peut être démontré par tout moyen, notamment par l’échange d’emails. Elle estime qu’il ressort de la proposition de contrat d’intention de commande adressée par la société Imerys le 19 octobre 2018, à laquelle ont été annexées ses conditions générales d’achat, qu’il a été mis en place une procédure interne pour la passation des commandes.

La société Bulkit soutient que la commande qui devait être adressée instamment compte tenu des échanges d’emails des 3 et 4 décembre 2018 (les parties étant d’accord sur la chose et le prix), n’a pas été envoyée du seul fait de l’annonce, en toute bonne foi et transparence, par le dirigeant de Bulkit, de l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire. Elle en déduit que la société Imerys est à l’origine de la rupture des relations contractuelles en ayant tenté d’imposer postérieurement des conditions de paiement que la société Bulkit ne pouvait assumer, et ce en raison du seul fait de l’ouverture de la procédure collective, en violation des dispositions de l’article L.622-13 du code de commerce. Il s’en suit selon elle que le contrat portant sur l’installation d’un mélangeur d’argile avec convoyeurs a été résolu de manière fautive par la société Imerys.

Elle ajoute que la situation de cessation des paiements de la société Bulkit ne démontre nullement qu’elle aurait été incapable d’exécuter le contrat. Il résulte en effet des pièces que le dirigeant de la société Bulkit avait justifié que le contrat pouvait être exécuté conformément à la commande passée par la société Imerys, notamment avec les fournisseurs qui indiquaient poursuivre les relations contractuelles avec la société Bulkit et les garanties de maintenance ultérieure de l’installation. Elle observe enfin qu’il ne ressort à aucun moment des échanges entre les parties, avant le 5 décembre 2018, que la conclusion du contrat était subordonnée à la situation financière de Bulkit.

La société Imerys répond qu’il appartient à la partie qui se prévaut de l’existence d’un contrat de démontrer l’existence de celui-ci. Elle relève que l’email d’accompagnement du devis adressé par Bulkit le 4 octobre 2018 contient plusieurs formules démontrant que ce devis n’est qu’une ébauche de négociation et en aucun cas une offre ferme et définitive de contrat. Elle soutient plus spécifiquement que l’emploi du conditionnel et des termes “éventuel contrat” démontre qu’à cette date, aucun contrat n’était conclu entre les parties et qu’Imerys n’avait pas manifesté la volonté d’être liée à Bulkit par les termes d’un contrat de sorte qu’aucune rencontre de volonté n’est caractérisée ni aucun contrat formé.

Elle se prévaut en outre d’un email de Bulkit du 16 décembre 2018 duquel il lui ressort selon elle qu’à cette date aucune commande n’avait été formalisée, des points restant à valider : “nous sommes en attente de formalisation de votre commande” ; “j’ai compris que vous deviez en interne valider encore quelques points”. Elle ajoute que la circonstance qu’une salariée d’Imerys, non impliquée dans les discussions, ait écrit par erreur dans un email que le devis du 4 octobre 2018 aurait été accepté n’a pas vocation à changer le fait constant et objectif de l’absence d’élément démontrant une rencontre de volonté entre les parties. Dans le cas contraire, Bulkit n’aurait pas manqué d’agir en référés ou auprès le juge commissaire afin de les saisir de la situation.

Elle soutient qu’aucun contrat n’existait entre les parties et qu’elle n’aurait pas pu prendre le risque de s’engager avec un partenaire dont la pérennité n’était pas assurée. Dans l’hypothèse où il serait considéré qu’un contrat a été conclu, il l’aurait donc été sur le fondement d’une réticence dolosive de Bulkit à partager avec Imerys une information déterminante (son état financier) de son consentement de sorte que le contrat encourt la sanction de la nullité.

Réponse de la Cour

La Cour rappelle, en premier lieu, qu’un devis est un état préparatoire à un contrat d’entreprise contenant l’énumération et la spécification des travaux à effectuer, avec indication du prix des matériaux et de la main d’oeuvre.

Elle retient que le devis transmis le 4 octobre 2018, qui comprend 8 pages et de nombreux schémas et spécifications, constitue certes un projet particulièrement élaboré, mais qui reste un état préparatoire pour Bulkit, ainsi qu’il résulte notamment des formules du mail qui le transmet (“tous chez Bulkit souhaitons pouvoir travailler avec vous” ; “Je suis convaincu qu’ensemble nous trouverons le modèle adapté à votre besoin” ; “pour les sujets des conditions de l’éventuel contrat nous unissant” ; “si vous nous faites confiance”). C’est à raison, que le tribunal a de surcroit observé que ce devis n’est pas signé par Imerys.

La Cour relève, en deuxième lieu, que le document de 12 pages présenté dans le courriel d’Imerys du 19 octobre 2018 comme une “proposition d’intention de commande”, s’il est lui aussi particulièrement précis, contient des paragraphes préliminaires suivants : “Le présent contrat a pour but de permettre au fournisseur sélectionné d’engager des travaux d’étude afin de garantir les délais de livraison. (…) Il est entendu qu’aucune facturation ne pourra être émise tant que le fournisseur n’aura pas reçu de commande officielle portant un numéro de commande. Ce document permet donc de fixer l’intention de commande et les modalités techniques et commerciales de la commande qui confirmera cette intention. Ce contrat ne sera valide qu’en cas de signature par les deux parties”.

La Cour observe que ce contrat n’a pas été signé par les deux parties et qu’aucune commande n’a été adressée postérieurement par Imerys.

La Cour constate, en troisième lieu, qu’il est constant qu’un second devis avec un nouveau tarif a été transmis le 27 novembre 2018 par Burkit ; qu’Imerys a annoncé par mail du 3 décembre 2018 l’envoi prochain de la commande et demandé le lendemain, par le biais du secrétariat administratif du signataire potentiel du contrat, le relevé d’identité bancaire de la société ; que Bulkit lui a fait connaitre oralement le même jour relever du droit des procédures collectives ; que par jugement en date du 5 décembre 2018, le tribunal de commerce d’Agen a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de Bulkit, la date de cessation des paiements étant fixée le 29 novembre 2018.

La Cour en déduit que c’est à raison que le tribunal a estimé que dans ces circonstances, du fait notamment de la juxtaposition des évenements des 4 et 5 décembre 2018 et de la méconnaissance par Imerys, jusqu’à cette date, des difficultés financières rencontrées par la société Bulkit, il y avait lieu de retenir qu’à la date du 5 décembre 2018, si les pourparlers étaient en voie de finalisation, Bulkit échoue à démontrer, aucun bon de commande n’ayant été émis, que les conditions et termes contractuels étaient réunis dans leur intégralité.

Il ressort par ailleurs qu’au cours du mois de décembre, les parties ont continué d’échanger, et qu’aucun accord de volonté ne peut être caractérisé à une date postérieure.

Il s’en suit qu’aucun contrat ne s’est formé en l’espèce entre les parties, et que le jugement attaqué doit être confirmé en ce qu’il a débouté Bulkit de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture abusive du contrat.

Sur la rupture brutale alléguée des pourparlers

Exposé des moyens des parties

A titre subsidiaire, la société bulkit fait valoir qu’ainsi que l’a relevé le tribunal dans le jugement attaqué, le principe de la liberté des négociations contractuelles doit être gouverné, jusqu’à leur rupture éventuelle, par le principe de bonne foi. Elle soutient qu’en l’espèce, les discussions ont duré 9 mois et que les négociations entre les parties étaient fortement avancées, tout laissant penser à la société Bulkit que la commande allait se concrétiser de manière imminente. Compte tenu des échanges entre les parties, elle avait d’ailleurs d’ors et déjà fabriqué les trémies. L’annonce de la mise en redressement judiciaire ne pouvait justifier à elle seule la rupture des pourparlers, ainsi que l’a jugé le tribunal, dont la décision doit être confirmée.

La société Imerys répond qu’il s’est écoulé tout au plus deux mois entre la première négociation financière (octobre 2018) et la fin des négociations (décembre 2018) ce qui ne correspond pas, selon l’intimée, à des négociations d’une durée importante. Elle fait en outre valoir qu’aux termes du jugement d’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, la date de cessation des paiements a été fixée au 29 novembre 2018, soit antérieurement à la fin des pourparlers qui a eu lieu en décembre 2018. Il n’existe donc aucun lien de causalité entre le comportement d’Imerys consistant en la rupture de négociations en vue d’un projet devant se concrétiser en 2019 au plus tôt et les difficultés financières rencontrées par Bulkit qui existaient avant même le début des discussions avec Imerys.

Elle soutient que par ailleurs, Bulkit ne pouvait suite à l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire à son encontre le 5 décembre 2018, ignorer qu’Imerys serait amenée à prendre un délai supplémentaire pour, dans un tel contexte, s’informer sur les risques pouvant naitre de cette mise en en redressement. Elle ajoute que les pourparlersportaient sur la conception et l’installation chez Imerys d’un mélangeur d’argile avec convoyeurs. Il s’agissait donc de concevoir une machine industrielle dotée d’une certaine technicité et de l’installer. Cette situation diffère de l’achat d’un produit standardisé en ce que cela exige un suivi dans le temps par le concepteur, en l’espèce Bulkit, pour en assurer la maintenance et les éventuelles réparations qui pourraient être nécessaires. Aucun abus dans la rupture des pourparlers ne lui parait donc constitué, Imerys n’ayant fait selon elle que d’exercer la faculté qui lui était ouverte de mettre un terme aux discussions.

Réponse de la Cour

La Cour retient qu’en l’espèce, après l’envoi d’un devis modifié en date du 27 novembre 2018, suivi du courriel du 3 décembre 2018 confirmant que “la commande vous parviendra sans tarder” et la demande d’un “RIB afin de vous créer comme fournisseur”, Bulkit pouvait légitimement penser que le bon de commande allait lui être adressé dans les plus brefs délais.

Dans ces circonstances, l’annonce du placement en redressement judiciaire de Bulkit le 5 décembre 2018 a certes logiquement conduit Imerys à chercher à s’informer et à envisager de prendre des garanties complémentaires. Il n’est pas pour autant établi, ni au demeurant allégué de façon concrète, que Bulkit n’ait plus, ensuite, été en mesure d’honorer la commande.

C’est en conséquence de manière pertinente que le tribunal a considéré, dans la décision attaquée, qu’il ressort des débats, et notamment du mail du 21 décembre 2018, qu’Imerys a fait preuve d’exigences de paiement qui ne pouvaient conduire qu’à une dégradation financière de Bulkit, et donc au refus de cette dernière de contracter, ce qui caractérise la mauvaise foi d’Imerys.

Il s’en déduit qu’eu égard à la durée et à l’avancement des pourparlers, au niveau d’expérience professionnelle des participants aux négociations et à la définition par Imerys d’exigences assez spécifiques qui ne pouvaient pas être remplies suite au changement de la situation de Bulkit, l’intimée a engagé sa responsabilité en commettant une faute dans la rupture des pourparlers contractuels en cours.

Le jugement est confirmé en ce qu’il retient que la responsabilité délictuelle d’Imerys est engagée sur ce fondement.

Sur la réparation du préjudice subi par la société Bukit

Exposé des moyens des parties

La société Bulkit se prévaut de l’article 1112 alinéa 2 du code civil et fait valoir avoir mis au profit de la société Imerys de nombreux moyens humains et financiers pour rencontrer ses équipes, étudier sa demande, comprendre ses besoins afin de concevoir un devis adapté à ses sollicitations puis effectuer des achats pour démarrer la conception de la commande. Elle décline plus spécifiquement sa demande en réparation s’agissant des frais de déplacements exposés (4 922, 30 euros), des coûts salariaux temps passé (29 998, 27 euros) et du coût d’achat des matières premières (12 875, 88 euros). Elle sollicite enfin la réparation du préjudice moral et de l’atteinte à l’image de l’entreprise. Elle fait notamment valoir avoir largement diminué son activité économique pour éviter d’avoir d’autres commandes à traiter, ces moyens étant concentrés sur le projet Imerys.

La société Imerys répond que la condamnation d’Imerys doit se limiter au seul préjudice indemnisable démontré par Bulkit. Elle estime que la somme de 20.000 € accordée par le jugement à Bulkit en réparation de son prétendu préjudice a été retenue de manière totalement arbitraire. Seuls les frais de rencontres liés à la négociation, sous réserve de la justification de leur lien effectif avec celle-ci sont suceptibles d’être indemnisés, justification non apportée selon elle en l’état.

Réponse de la Cour

S’agissant des frais engagés, il convient de constater, en premier lieu, que la société Imerys ne conteste que les parties se soient rencontrées en présentiel les 21 avril, 6 septembre, 22 octobre, 19 novembre et 20 décembre 2018, dans quatre cas sur le site de Tounon (36), Bulkit justifiant par ailleurs de la location d’une salle pour un séminaire au [Localité 6] (47). La présence aux cotés de Bulkit de [C]. [K], “jeune retraité de bureau d’étude indépendant” ressort en outre d’un mail du 26 octobre 2018. La circonstance, enfin, que Bulkit applique un forfait de 110 euros par personne au titre de chaque déplacement professionnel pour la restauration et l’hébergement ne soulève pas de critique, étant observé que le trajet aller et retour dont s’agit est de 439 km. Il se déduit en conséquence des pièces (n°17) versées par Bulkit que les frais de voyage et de déplacement en lien avec les pourparlers litigieux sont étayés par des justificatifs suffisants pour chiffrer le préjudice subi à ce titre à la somme de 4 922, 30 euros.

En deuxième lieu, la société Bulkit justifie de l’achat notamment d’une trémie (facture Oxymetal pièce BDX29493) d’un montant de 2 021, 44 euros et verse des factures des sociétés LR MESURES, Bassaler, Baldas, Oxymetal, WAM, KDI, Joyau et Bovesia correspondant à des achats de pièces pour vis, de paliers, de tubes carrés 50x50x3 et 100x100x4, de filet de vis ainsi qu’à la réalisation d’un calcul de dimensionnement électrique, le détail de ces documents n’étant pas critiqué par Imerys. La Cour retient que ces frais engagés pour la conception de la commande sont suffisamment étayés par les pièces (n° 22) versées par Bulkit et que les matières premières acquises dans ce cadre s’élèvent en conséquence à la somme de 12 875, 88 euros.

La société Bulkit verse, en troisième lieu, les plans d’implantation, l’analyse fonctionnelle multi-trémie, des photographies de la trémie ainsi que les bulletins de salaire de six salariés (un automaticien, un dessinateur, un chargé d’affaires, le directeur commercial, un chaudronnier et un ouvrier). Il ne ressort pas des débats que les tâches réalisées au moment des pourparlers aient impliqué un temps passé – de un, deux ou dans un cas (étude d’automatisme) trois mois – inférieur à celui allégué par Burkit. La Cour retient en conséquence que les pièces (n°18 à 21) versées par Bulkit au titre du temps passé constituent des justificatifs suffisants pour faire droit à la demande de dommages et intérêts d’un montant de 29 998, 27 euros à ce titre.

La société Imerys sera donc condamnée à payer la somme totale de 47 796,45 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié aux frais engagés par la société Bulkit. Le jugement attaqué est infirmé sur ce point.

S’agissant du préjudice moral, la Cour relève que la société Bukit allègue de manière pertinente que la concrétisation du projet était très importante pour elle, en ce qu’elle l’ouvrait sur les marchés des minéraux et parce qu’elle la conduisait à mettre au point une nouvelle technique de dosage en continu.

La non-concrétisation de ce marché, qui est concomitante avec son placement en redressement judiciaire, lui a causé un préjudice moral certain, qui sera justement réparé à hauteur de la somme de 5 000 euros.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Il serait inéquitable de laisser à la charge de l’appelante les frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’exposer pour faire valoir ses droits en justice.

La société Imerys sera condamnée à leur verser la somme de 4 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

Imerys, qui succombe en ses prétentions, sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 novembre 2020 en ce qu’il a :

– Condamné la société Imerys à payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié aux frais engagés par la société Bulkit,

– Débouté la société Bulkit de sa demande de la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral ;

Statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société Imerys Ceramics France à réparer le préjudice que la société Bukit a subi en raison de la rupture fautive des pourparlers à hauteur de :

* 47 796,45 euros, au titre de l’indemnisation des frais engagés,

* 5 000 euros, au titre du préjudice moral ;

Condamne Imerys Ceramics France à verser à la société Bulkit la somme de 4 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur d’appel.

Condamne la société Imerys Ceramics France aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

 


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