Nullité de contrat : 9 mars 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/00349

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Nullité de contrat : 9 mars 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 21/00349

N° RG 21/00349 – N° Portalis DBVX-V-B7F-NLDF

Décision du Tribunal de Commerce de SAINT ETIENNE

du 24 novembre 2020

RG : 2015J00879

S.A.R.L. LA BRUYERE BLANCHE

C/

S.A.S. LOCAM

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

6ème Chambre

ARRET DU 09 Mars 2023

APPELANTE :

LA SOCIETE LA BRUYERE BLANCHE

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES – LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938

assisté de Me Florence MULLER de la SELARL AUDREN & MULLER, avocat au barreau de BREST

INTIMEE :

S.A.S. LOCAM – LOCATION AUTOMOBILES MATERIELS

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Michel TROMBETTA de la SELARL LEXI, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 17 Mai 2022

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 07 Février 2023

Date de mise à disposition : 09 Mars 2023

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Dominique BOISSELET, président

– Evelyne ALLAIS, conseiller

– Stéphanie ROBIN, conseiller

assistés pendant les débats de Charlotte COMBAL, greffier

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Dominique BOISSELET, président, et par Clémence RUILLAT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES

La Sarl Abattoir Croissant (devenue Sarl La Bruyère Blanche) exerce une activité de transformation et conservation de viande de volailles à [Localité 4] (29).

Le 15 octobre 2014, elle a passé avec la SAS Locam un contrat de location d’un ‘régulateur varmétrique’ devant être fourni et installé par la société Solutions d’économies d’énergies pour les entreprises (S3e), moyennant 60 loyers mensuels de 217 euros ht, soit 260,40 euros ttc et une option d’achat de 15 euros.

Les sociétés Abattoir Croissant et S3e ont signé respectivement le 22 octobre et le 23 octobre 2014 un procès-verbal de livraison et de conformité remis au bailleur, portant sur une ‘batterie de condensateur’ (sic).

Par lettre recommandée avec avis de réception signé le 10 juin 2015, la société Locam a notifié à la société Abattoir Croissant la résiliation du contrat pour défaut de paiement de 6 loyers et réclamé la somme de 17.567,42 euros comprenant les loyers impayés, les intérêts de retard, les loyers à échoir et l’indemnité de clause pénale.

Par acte d’huissier de justice du 10 août 2015, la société Locam a fait assigner la société La Bruyère Blanche à comparaître devant le tribunal de commerce de Saint Etienne pour, en principal, obtenir paiement de la somme de 17.513,92 euros outre intérêts de retard.

La société La Bruyère Blanche a :

– soulevé l’incompétence du tribunal de commerce de Saint Etienne au profit du tribunal de commerce de Quimper,

– à titre subsidiaire, sollicité un sursis à statuer en attente d’une décision pénale devant être rendue en appel contre le dirigeant de la société S3e,

– à titre plus subsidiaire, soutenu la nullité du contrat de location ou sa résolution et demandé la restitution du premier loyer réglé.

Entretemps, la Sarl S3e a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Créteil du 14 octobre 2015 et la procédure a été clôturée pour insuffisance d’actif par jugement du 12 octobre 2017 du même tribunal.

Par arrêt du 26 mars 2019, la chambre correctionnelle de la cour d’appel de Paris, confirmant un jugement du tribunal correctionnel de Créteil du 24 octobre 2016, a condamné [J] [Z], gérant de la Sarl S3e, des chefs de démarchages illicites et pratiques commerciales trompeuses à l’égard de 15 victimes, dont la société La Bruyère Blanche.

Par jugement en date du 24 novembre 2020, le tribunal de commerce de Saint Etienne a :

– débouté la société La Bruyère Blanche de sa demande de sursis à statuer,

– débouté la société La Bruyère Blanche de ses demandes de résolution et de nullité du contrat ainsi que de l’ensemble de ses autres demandes,

– condamné la société La Bruyère Blanche à régler à la société Locam la somme principale de 17.513,92 euros outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 juin 2015,

– condamné la société La Bruyère Blanche à verser à la société Locam la somme de 250 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– dit que les dépens, dont frais de Greffe taxés et liquidés à 70,20 euros, sont à la charge de la société La Bruyère Blanche,

– et débouté la société Locam de sa demande d’exécution provisoire du jugement.

La Sarl La Bruyère Blanche a relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe de la Cour le 14 janvier 2021.

En ses dernières conclusions du 8 novembre 2021, la Sarl La Bruyère Blanche demande à la Cour d’infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Saint Etienne du 24 novembre 2020 et, statuant à nouveau,

à titre principal,

vu les anciens articles 1109 et 1116 du code civil,

– juger que le contrat de location du 15 octobre 2014 est nul et de nul effet,

– condamner la société Locam à rembourser à la Sarl La Bruyère Blanche la somme de 296,86 euros correspondant au premier loyer qui a été débité,

– débouter la société Locam de l’ensemble de ses demandes ;

à titre subsidiaire,

vu l’ancien article 1184 du code civil,

– prononcer la résolution du contrat de location du 15 octobre 2014,

– condamner la société Locam à rembourser à la Sarl La Bruyère Blanche la somme de 296,86 euros correspondant au premier loyer qui a été débité,

– débouter la société Locam de l’ensemble de ses demandes ;

en toutes hypothèses,

– condamner la société Locam à payer à la Sarl La Bruyère Blanche la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société Locam aux dépens.

Par conclusions du 19 juillet 2021, la SAS Locam demande à la Cour, au visa des articles 1134 et suivants, 1108 et suivants, 1149 et 1184 anciens du même code civil et 14 du code de procédure civile, de :

– dire non fondé l’appel de la société La Bruyère Blanche ;

– la débouter de toutes ses demandes ;

– confirmer le jugement entrepris ;

– condamner la société La Bruyère Blanche à régler à la société Locam une nouvelle indemnité de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– la condamner en tous les dépens d’instance et d’appel.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 17 mai 2022.

Il est expressément renvoyé aux dernières conclusions des parties pour l’exposé exhaustif de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre préliminaire, la Cour relève que la compétence territoriale de la juridiction ne fait plus débat, non plus que la demande de sursis à statuer qui était déjà sans objet lorsque le tribunal de commerce de Saint Etienne s’est prononcé.

La société La Bruyère Blanche reproche au premier juge de n’avoir pas tenu compte de la condamnation pénale du dirigeant de la société S3e. Cette condamnation porte sur des infractions aux règles du démarchage et à l’emploi de pratiques trompeuses qui ont conduit les victimes, dont l’appelante, à contracter.

En l’espèce, la société S3e a démarché la société La Bruyère Blanche en se prévalant faussement d’une délégation d’EDF et lui a proposé un appareillage présenté tout aussi faussement comme de nature à entraîner des économies d’énergie, l’installation étant de surcroît non conforme aux normes de sécurité.

La gérante de la société La Bruyère Blanche a exposé dans sa plainte qu’elle a signé le contrat sans que le démarcheur lui remette un exemplaire et qu’elle n’a pas compris qu’il prévoyait un financement par la société Locam dans le cadre d’un contrat de location.

Ses déclarations sont confirmées par le procès-verbal d’enquête des services de la Direction départementale de la Protection des Populations du Val-de-Marne du 10 juillet 2015 (pages 23/24), dont il ressort que la démarcheuse de la société S3e, [T] [F], a reconnu faire usage d’un gilet la présentant comme partenaire EDF.

Il ressort également de ce procès-verbal que les commerciaux de la société S3e étaient présentés comme des techniciens alors qu’ils n’avaient pas de compétences particulières et qu’ils laissaient croire aux clients démarchés que leur dossier devait ‘passer en commission’ alors qu’il ne s’agissait que de la validation par Locam. (pages 24/25).

La décision pénale et les éléments de la procédure versés aux débats établissent que la souscription du contrat de location affecté à la fourniture et livraison de l’installation électrique est bien affectée d’un vice du consentement de la locataire à la suite des pratiques illicites du représentant de la société S3e.

Il est constant que le contrat litigieux a été signé par la gérante de la société La Bruyère Blanche par l’intermédiaire du démarcheur de la société S3e, sans démarche directe de la locataire auprès du bailleur. Le dol commis par la société S3e est donc opposable à la société Locam qui a cru bon de la déléguer en lui confiant ses formulaires de contrat de bail.

S’il était besoin, l’appelante met en exergue le peu d’attention de la société Locam qui ne s’est pas interrogée sur le défaut de concordance des documents quant au bien loué (un ‘régulateur varmétrique’) et au bien livré (une ‘batterie de condensateur’), le régulateur varmétrique ne se confondant pas avec une batterie de condensateurs dont il permet le pilotage automatique.

En outre, le bailleur s’est contenté d’un procès-verbal de livraison et de conformité qui comporte bien le cachet de la société S3e mais sans mention ‘lu et approuvé’ ni signature de son représentant.

Par ailleurs, les démarches engagées par la gérante de la société La Bruyère Blanche montrent qu’elle n’a jamais entendu exécuter le contrat après avoir découvert que son consentement avait été abusé. Elle a d’ailleurs très vite bloqué les prélèvements, avant même la seconde échéance mensuelle, ce pourquoi il n’est réclamé que la restitution de la première mensualité.

En conséquence, le contrat de location, indissociable du contrat de fourniture de l’appareil financé, est manifestement nul à raison du vice du consentement de la locataire et c’est à tort que le premier juge a considéré qu’il devait recevoir exécution.

La nullité du contrat de location remet les parties dans l’état qui aurait été le leur si elles n’avaient pas contracté, de sorte que le bailleur doit restituer le loyer perçu. Il importe peu que la société La Bruyère Blanche, qui affirme n’avoir rien perçu de M. [Z], dirigeant condamné pénalement, n’ait pas communiqué le jugement rendu sur intérêts civils correctionnels : la condamnation indemnitaire prononcée à l’encontre de M. [Z] ne se compense pas avec l’obligation de restitution des loyers perçus par le bailleur.

La société Locam, partie perdante en principal, supporte les dépens de première instance et d’appel, conserve la charge des frais irrépétibles qu’elle a exposés et doit indemniser la société La Bruyère Blanche de ses propres frais à hauteur de 3.000 euros.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Réforme, en toutes ses dispositions, le jugement prononcé le 24 novembre 2020 par le tribunal de commerce de Saint Etienne ;

Statuant à nouveau,

Dit le contrat de location passé en date du 15 octobre 2014 entre la Sarl La Bruyère Blanche et la SAS Locam est nul et de nul effet ;

En conséquence, condamne la SAS Locam à rembourser à la Sarl La Bruyère Blanche la somme de 296,86 euros correspondant au premier loyer débité ;

Condamne la SAS Locam aux dépens de première instance et d’appel ;

Condamne la SAS Locam à payer à la Sarl La Bruyère Blanche la somme de 3.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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