COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
15e chambre
ARRET N°
RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE
DU 30 MARS 2023
N° RG 21/00737 – N° Portalis DBV3-V-B7F-ULM5
AFFAIRE :
[D] [O]
C/
SCP [X] [N], mission conduite par Me [X] [N] ès qualité de mandataire liquidateur de la société HABITAT CONSEIL
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 05 Février 2021 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CHARTRES
N° Section : E
N° RG : 20/00119
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Jean Christophe LEDUC
Me Claude-Marc BENOIT
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TRENTE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, initialement fixé au 12 janvier 2023, prorogé au 16 février 2023, puis prorogé au 30 mars 2023, les parties ayant été avisées, dans l’affaire entre :
Monsieur [D] [O]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentant : Me Jean Christophe LEDUC, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000045
APPELANT
****************
SCP [X] [N], mission conduite par Me [X] [N] ès qualité de mandataire liquidateur de la société HABITAT CONSEIL
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 3]
Signification de la déclaration d’appel, des conclusions et assignation par acte d’huissier de justice le 06 mai 2021 par remise à Mme [B] [V], secrétaire, habilitée à recevoir la copie
L’UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA D'[Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentant : Me Claude-Marc BENOIT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1953
INTIMÉS
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 08 Novembre 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Régine CAPRA, Présidente chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Régine CAPRA, Présidente,
Monsieur Thierry CABALE, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,
EXPOSÉ DU LITIGE
La Sarl à associé unique Habitat Conseil, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 5 janvier 2018, a signé le 8 janvier 2018 un contrat de travail à durée indéterminée avec M. [D] [O] et un contrat de travail à durée indéterminée avec M. [F] [S] selon lesquels elle les engageait chacun à compter de cette date en qualité de responsable de secteur, agent de maîtrise assimilé cadre, moyennant une rémunération mensuelle nette fixe et forfaitaire de 5 000 euros. Leur contrat de travail et les bulletins de paie, visant le statut de cadre articles 4 et 4 bis, qui leur ont été délivrés se réfèrent à la convention collective des commerces de détail non alimentaires.
Par jugement du 20 septembre 2018, le tribunal de commerce de Chartres a prononcé la liquidation judiciaire de la société Habitat Conseil et désigné la SCP [X] [N], représentée par Me [X] [N], en qualité de liquidateur judiciaire de celle-ci.
Après avoir convoqué chacun des deux salariés par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 septembre 2018 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 1er octobre 2018, la SCP [X] [N], ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Habitat Conseil leur a notifié à chacun, par lettre recommandée avec accusé de réception du 2 octobre 2018, leur licenciement pour motif économique, sous réserve de la reconnaissance de leur statut de salarié.
Contestant leur qualité de salarié la SCP [X] [N], représentée par Me [X] [N], ès qualités de liquidateur de la société Habitat Conseil, a refusé de leur délivrer des documents de fin de contrat et d’inscrire les créances qu’ils revendiquaient sur l’état des créances salariales.
Par requête adressée au greffe le 30 mars 2019, M. [D] [O] a saisi le conseil de prud’hommes de Chartres afin d’obtenir, avec le bénéfice de l’exécution provisoire, la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société Habitat Conseil de diverses sommes : rappel de salaire pour le mois de septembre 2018 et congés payés afférents, indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, indemnité de licenciement, indemnité de congés payés et indemnité en application de l’article 700 du code de procédure civile. Il sollicitait en outre la garantie du paiement de ces sommes par l’AGS et la remise, sous astreinte des documents sociaux de fin de contrat.
Par jugement réputé contradictoire du 5 février 2021, auquel renvoie la cour pour l’exposé des demandes initiales des parties et de la procédure antérieure, le conseil de prud’hommes de Chartres a débouté M. [O] de l’intégralité de ses demandes et l’a condamné aux dépens.
M. [O] a interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe du 3 mars 2021.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 4 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, M. [O] demande à la cour de :
– le recevoir en son appel,
– infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
– fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Habitat conseil aux sommes suivantes :
» 6 326,75 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de septembre 2018 ;
» 632,67 euros au titre des congés payés afférents ;
» 5 690,83 euros à titre d’indemnité de congés payés ;
» 12 653,50 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;
» 1 265,35 euros au titre des congés payés afférents ;
» 1 555,32 euros à titre d’indemnité légale de licenciement ;
» 4 000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– décerner injonction à la SCP [X] [N], ès qualité de liquidateur de la société Habitat conseil, d’avoir à lui remettre, sous astreinte journalière de 100 euros, qui courra passé un délai de huitaine suivant la signification de l’arrêt à intervenir :
» un bulletin de salaire conforme ;
» une attestation destinée au Pôle emploi conforme ;
» un certificat de travail conforme ;
– ordonner à la SCP [X] [N], ès qualités, de diligenter la procédure de remboursement auprès du CGEA ;
– déclarer opposable la décision à intervenir au CGEA, pris en sa qualité d’assurance garantie des salaires ;
– débouter les parties de toutes demandes plus amples ou contraires ;
– statuer ce que de droit quant aux dépens.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 7 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour l’exposé des moyens, l’AGS CGEA d'[Localité 6] demande à la cour :
¿ à titre principal, de :
– confirmer le jugement entrepris,
– débouter l’appelant de ses demandes,
– condamner celui-ci à 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
¿ à titre subsidiaire :
Vu l’article 1131 du code civil, de :
– déclarer la nullité du contrat de travail,
– débouter le demandeur de ses demandes ;
¿ à titre subsidiaire, de :
– fixer au passif de la liquidation les créances retenues,
– dire le jugement opposable à l’AGS dans les termes et conditions de l’article L. 3253-19 du code du travail,
Vu l’article L. 3253-8 du code du travail,
– exclure l’astreinte de la garantie de l’AGS,
– exclure de l’opposabilité à l’AGS la créance éventuellement fixée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– Vu les articles L. 3253-6, L. 3253-8 et L. 3253-17 du code du travail, dire le jugement opposable dans la limite du plafond 4 toutes créances brutes confondues,
– Vu l’article L. 621-8 du code de commerce, de rejeter la demande d’intérêts légaux,
– dire ce que de droit quant aux dépens sans qu’ils puissent être mis à la charge de l’AGS.
La SCP [X] [N], ès qualités de mandataire liquidateur de la société Habitat Conseil, à qui M. [O] a régulièrement signifié par acte d’huissier du 6 mai 2021 sa déclaration d’appel, ses conclusions et une assignation à comparaître devant la présente cour n’a pas constitué avocat.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 19 octobre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
M. [O] produit le contrat de travail à effet au 8 janvier 2018 qu’il a signé à cette date avec la société Habitat Conseil, dont il résulte des pièces versées aux débats qu’il a été signé par le gérant de celle-ci, M. [K] [Y], les bulletins de paie qui lui ont été délivrés par Habitat Conseil pour les mois de janvier à août 2018, mentionnant chacun un salaire mensuel brut de 6 315,93 euros et un net à payer de 5 000 euros.
Le contrat de travail et les bulletins de paie produits caractérisent l’existence d’un contrat de travail apparent, même si M. [O] ne justifie pas du paiement effectif du salaire convenu.
Il résulte de l’article 1353 du code civil et de l’article L. 1221-1 du code du travail qu’en présence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d’en rapporter la preuve. Il appartient donc à l’AGS de rapporter la preuve du caractère fictif du contrat de travail de M. [O].
L’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à la convention, mais des conditions de fait dans laquelle s’est exercée l’activité. Le contrat de travail se caractérise par l’existence d’un lien de subordination, lequel est lui-même caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
L’AGS établit qu’avant de signer, le 8 janvier 2018, un contrat de travail avec la société Habitat Conseil,
– M. [O] était depuis le 18 avril 2014 l’associé et le directeur général de la Sas Isoreno, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 2 décembre 2011, qui avait pour objet social : ‘Exploitation et gestion, pour le compte de tiers, achat et vente, notamment par le démarchage à domicile, de portes, de fenêtres, de tous produits de menuiseries industrielles y compris de vérandas, de chauffage, de climatisation et de tous accessoires associés ainsi que toutes prestations de services y afférentes ; ainsi que tous produits et prestations de service afférentes à l’isolation intérieur et extérieur, des combles et le traitement de bois ; la prise en gérance ou en gestion de toutes entreprises ou sociétés susceptible de développer les affaires de la société…’, dont M. [F] [S] était l’autre associé et le président et qui a fait l’objet d’une liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Chartres du 4 janvier 2018 ;
-M. [O] a créé avec M. [F] [S] et M. [P] [S], la Sarl Iso France Conseil, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 25 novembre 2014, qui avait pour objet social ‘tous produits et prestations de service afférentes à isolation intérieur, extérieur, des combles et le traitement de bois et à titre accessoire achat et vente, notamment par le démarchage à domicile, de portes, de fenêtres, de tous produits de menuiseries industrielles y compris de vérandas, de chauffage, de climatisation et de tous accessoires associés ainsi que toutes prestations de services y afférentes’, dont M. [P] [S], qui en était le gérant, est devenu l’associé unique le 25 octobre 2015, qui a fait l’objet d’une liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Chartres du 12 février 2018, avec fixation de la date de cessation des paiements au 1er novembre 2017.
L’AGS établit que la Sarl unipersonnelle Habitat Conseil a été créée et immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 5 janvier 2018 par M. [K] [Y] [J], après cessation des paiements de la Sarl Isoreno et de la Sarl Iso France Conseil, pour exercer une activité identique à celle de ces dernières ; qu’elle occupait un local commercial dont M. [D] [O] et son épouse étaient les bailleurs ; que suite au jugement du tribunal de commerce de Chartres du 20 septembre 2018 prononçant l’ouverture de la liquidation judiciaire de la société Habitat Conseil, M. [K] [Y] [J] a déclaré, le 17 octobre 2018, que la société n’avait aucun actif et a produit un document établi par ses soins en date du 5 septembre 2018 et contresigné par M. [O] énonçant qu’il rompt à l’amiable le bail commercial consenti par les époux [O] en renonçant à sa caution de 3 000 euros, en dédommagement selon lui des dégâts faits au bâtiment (parquets, murs, fenêtre) ; que par jugement du 22 juillet 2020, le tribunal de commerce de Chartres a prononcé la faillite personnelle de M. [K] [Y] pour une durée de 10 ans.
Il résulte de ces éléments que M. [D] [O] et M. [F] [S] ont signé chacun un contrat de travail comportant une rémunération mensuelle d’un niveau très élevé, 6 315,93 euros brut, soit près du double du minimum conventionnel, excluant toute période d’essai, avec la société Habitat Conseil, sise dans un local appartenant à M. [D] [O] et sa femme et constituée le lendemain même de la liquidation judiciaire de la société Isoreno, dont les deux hommes étaient respectivement le président et le directeur général. Leur savoir-faire propre en tant qu’anciens dirigeants de la société Isoreno, tandis que selon l’AGS, non contredite sur ce point, M. [K] [Y] avait un parcours professionnel de manutentionnaire, leur position déterminante dans la société, dont ils étaient les seuls salariés, et leur capacité d’influence au regard du bail commercial consenti, révèlent que M. [F] [S] n’exécutait pas une prestation de travail pour le compte de la société Habitat Conseil dans un lien de subordination.
Si M. [O] produit deux attestations en date du 12 avril 2019, dont l’auteur, Mme [U] demeurant à [Localité 7] pour l’une, M. [Z] demeurant à [Localité 8] pour l’autre, indique que :
– la société Habitat Conseil a effectué en 2018 (début 2018 pour M. [Z]) des travaux de rénovation à son domicile, dont le devis (ou contrat) a été établi par M. [O] et M. [S] ;
– que le devis (ou contrat) a été validé par M. [Y], qui s’est présenté en qualité de gérant ;
– que les travaux ont été réalisés ‘par M. [O] et M. [S] sous les ordres et directives de M. [Y]’ (attestation de M. [Z]) ou ‘ par M. [O] et M. [S] sous les ordres de M. [Y]. Ce dernier passait contrôler le chantier régulièrement durant la durée des travaux’ (attestation de Mme [U]) ;
ces attestations rédigées en termes similaires, qui ne sont corroborées par aucune pièce, et notamment aucun document justifiant de la validation de M. [Y], et dont la précision sur l’identité du gérant de l’entreprise de nombreux mois après la fin des travaux évoqués, contraste avec leur imprécision concernant la date des travaux, ne sont pas suffisantes pour contredire les éléments établis par l’AGS.
Il est dès lors établi que M. [O] n’exécutait pas une prestation de travail pour le compte de la société Habitat Conseil dans un lien de subordination avec celle-ci. Il s’ensuit que le contrat de travail dont il se prévaut vis-à-vis de la société Habitat Conseil a un caractère fictif. M. [O] est dès lors mal fondé à se prévaloir de créances nées de l’exécution et de la rupture d’un contrat de travail.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu’il a débouté M. [O] de l’intégralité de ses demandes et l’a condamné aux dépens de première instance.
Il y a lieu de condamner l’appelant à supporter les dépens d’appel et à payer à l’AGS la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La COUR,
Statuant par arrêt RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Chartres en date du 5 février 2021,
Y ajoutant,
Condamne M. [D] [O] à payer à l’AGS-CGEA d'[Localité 6] la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [D] [O] aux dépens d’appel.
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Régine CAPRA, Présidente et par Madame Sophie RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,