N° RG 21/00579 – N° Portalis DBV2-V-B7F-IVXP
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 30 MARS 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 01 Février 2021
APPELANTE :
Madame [X] [W]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Nathalie VALLEE de la SCP VALLEE-LANGUIL, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Sandra MOLINERO, avocat au barreau de ROUEN
INTIMEE :
Société MUTUELLE ASSURANCE TRAVAILLEUR MUTUALISTE (MATMUT)
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Pierre POMERANTZ, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 22 Février 2023 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame POUGET, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 22 Février 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 30 Mars 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 30 Mars 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La société Mutuelle Assurance Travailleur Mutualiste (Matmut) a embauché Mme [W] en qualité de conseillère assurance aux termes d’un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 15 octobre 2007.
La relation de travail était soumise à la convention collective nationale des sociétés d’assurance.
Dans le cadre d’un partenariat développé entre la Matmut et la société BNP Paribas, la société Cardif Iard, spécialisée dans l’assurance dommage a été créée.
Il a été prévu pour les salariés de la société Matmut d’évoluer en intégrant cette société, ce changement d’employeur s’accompagnant d’une garantie de réembauche permettant aux salariés de solliciter la réintégration au sein de la société Matmut dans un délai d’un an à compter de leur départ de l’entreprise.
Mme [W] a candidaté à un nouveau poste au sein de la société Cardif Iard.
Sa candidature ayant été retenue, elle a signé un nouveau contrat de travail le 13 décembre 2017 avec la société Cardif Iard prévoyant son embauche à compter du 8 janvier 2018 en qualité de chargée de développement des compétences, classe 4 de la convention collective nationale des sociétés d’assurance et a démissionné de son emploi au sein de la société Matmut.
La relation de travail a pris fin le 7 janvier 2018.
Le 4 janvier 2018, la salariée a été destinataire d’un courrier de la Matmut lui rappelant qu’elle bénéficiait d’une garantie de réembauche au sein du groupe dans un emploi similaire à celui précédemment occupé au moment de son départ au terme d’une année à compter de sa démission, soit le 7 janvier 2019, l’ancienneté capitalisée au sein de la société Cardif Iard étant reprise et cumulée avec celle précédemment acquise au sein du groupe.
Le 27 avril 2018, la société Cardif Iard a mis un terme à la période d’essai de la salariée. La relation de travail a pris fin le 7 mai 2018.
Par courrier adressé à la société Matmut, la salariée a sollicité la mise en oeuvre de la garantie de réembauche.
Par courrier en date du 9 mai 2018, la société Matmut lui a indiqué ne pas pouvoir donner une suite favorable à sa demande au motif qu’il a été porté à sa connaissance par son service de lutte anti-blanchiment et anti-fraude de graves anomalies dans la gestion de l’un de ses dossiers.
Soutenant que la société Matmut a méconnu ses obligations de réembauchage dans des conditions qui lui ont causé un préjudice, affirmant avoir été victime de discrimination, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen.
Par jugement du 1er février 2021, le conseil de prud’hommes de Rouen a :
– débouté la salariée de l’ensemble de ses demandes,
– débouté la société Matmut de sa demande reconventionnelle au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Mme [W] aux entiers dépens.
Mme [W] a interjeté appel le 10 février 2021 à l’encontre de cette décision qui lui a été notifiée le 6 février précédent.
La société Matmut a constitué avocat par voie électronique le 2 mars 2021.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 28 avril 2021, l’appelante demande à la cour de :
– réformer en toutes ses dispositions le jugement,
– juger que la société Matmut a méconnu ses obligations au titre de la garantie de réembauche et en conséquence la condamner à lui verser la somme de 62 135,46 euros à titre de dommages et intérêts,
– constater la discrimination dont elle a été victime et lui allouer des dommages et intérêts à hauteur de 10 000 euros,
– débouter la société Matmut de l’ensemble de ses demandes,
– condamner la société Matmut à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Matmut aux entiers dépens.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 23 juillet 2021 la société intimée, réfutant les moyens et l’argumentation de la partie appelante, sollicite pour sa part la confirmation de la décision déférée sauf en ce qu’elle l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile et demande à la cour de débouter la salariée de l’intégralité de ses demandes, de la condamner à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles pour la procédure de première instance et la somme de 2 000 euros pour la procédure d’appel, de condamner l’appelante aux dépens.
Dans l’hypothèse où la cour considérerait fondées les demandes de dommages et intérêts formulées par Mme [W], la société demande qu’il soit jugé que les dommages et intérêts alloués s’entendent comme des sommes brutes avant CSG et CRDS.
L’ordonnance de clôture en date du 2 février 2023 a renvoyé l’affaire pour être plaidée à l’audience du 22 février 2023.
Il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel aux écritures des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur le vice du consentement
La société soutient que la garantie de réembauche doit être déclarée non écrite car elle repose sur une erreur ayant vicié son consentement.
Elle indique que l’engagement a été conclu intuitu personae, en considération des qualités professionnelles, de l’intégrité et de la rectitude morale de Mme [W], qu’elle a découvert postérieurement à la signature de la promesse de réembauche l’existence de graves manquements de sa salariée.
Ainsi, elle expose avoir été informée en avril 2018 par la responsable de son service anti-fraude et anti-blanchiment d’une situation de complaisance de Mme [W] à l’égard d’un présumé terroriste.
La société indique que la direction a été informée qu’un dénommé [P] [B], né le 18 août 1985 à [Localité 7] en Belgique et demeurant à [Localité 6] faisait l’objet de mesures nationales de gels des avoirs par arrêté ministériel des 4 janvier 2017, 31 juillet 2017 et 28 mars 2018 en raison de ses liens avec l’islamisme radical et une filière djihadiste.
Cet individu était identifié dans le portefeuille Matmut en qualité de conjoint d’assurée dès le 6 janvier 2017 puis, le 22 novembre 2017, il a été désigné au contrat de sa compagne, Mme [L], en qualité de conducteur autorisé elle-même assurée à la Matmut depuis le 5 mai 2016 et, ce, en violation des règles en vigueur au sein de l’entreprise.
Cette désignation faisait suite selon la société à trois contacts de l’assurée avec l’accueil téléphonique du siège à [Localité 4] en dates des 31 octobre 2017, 20 novembre et 22 novembre 2017 auprès de la même téléconseillère, Mme [W].
Selon l’employeur plusieurs anomalies étaient identifiées :
– le non-respect par Mme [W] des consignes du Dico Prod consistant à vérifier si M. [B] figurait déjà dans l’application ‘relation client’, cette consultation, si elle avait été effectuée lui ayant permis de constater qu’il était mentionné la nécessité de contacter impérativement la direction générale adjointe production,
– le nom de l’individu a été tronqué lors de l’enregistrement en ce qu’il est désigné comme [I] [P] et non [B] [P] et sa date de naissance est mentionnée en août 1995 et non en août 1985,
– le relevé d’informations fourni par M. [B] mentionne une couverture d’assurance entre le 25 mars 2014 et le 27 août 2015 soit un ‘trou d’assurance’ de plus de 2 ans sans que Mme [W] n’ait apporté de précisions particulières à ce sujet en dépit des consignes figurant dans le Dico Prod,
– le fait que l’assuré ait pu entrer en relation trois fois avec une même conseillère téléphonique de la plate-forme est statistiquement impossible.
Au vu de ces éléments, la société considère que la salariée n’a pas respecté les procédures en vigueur, qu’elle a commis une faute permettant à une personne présumée terroriste faisant l’objet d’un gel des avoirs de souscrire un contrat d’assurance.
La gravité des fautes commises caractérise selon la société le manque d’intégrité et de probité de Mme [W], qualités essentielles à la tenue du poste de conseiller en assurance, la Matmut indiquant qu’elle n’aurait jamais souscrit à son bénéfice l’engagement de la réembaucher si elle avait eu connaissance des faits.
L’intimée demande en conséquence que le jugement entrepris qui a constaté le caractère non écrit de l’engagement de réembauche soit confirmé.
Mme [W], après avoir rappelé que pour que l’erreur soit une cause de nullité de l’engagement, il faut qu’elle soit déterminante et excusable, considère qu’en l’espèce aucune erreur n’est caractérisée, contestant tout manquement allégué par l’employeur et une quelconque complaisance à l’égard d’un présumé terroriste.
Elle expose qu’il ressort des conditions générales des contrats d’assurance automobiles de la Matmut que le conjoint de l’assuré est automatiquement garanti en cas de sinistre, qu’en conséquence, elle n’avait en réalité pas de démarche particulière à effectuer.
Elle indique que par précaution, elle a recherché dans le système informatique si M. [B] était référencé et faisait l’objet d’un signalement particulier, qu’elle a entré les coordonnées données par Mme [L], dont le code postal de son domicile (31 000), le système indiquant alors ‘aucun résultat’, aucune fiche GRC avec ce code postal n’étant enregistrée, la fiche concernant M. [B] étant enregistrée avec un code postal différent (10 500).
La salariée indique avoir, dans un souci de qualité, sollicité la production d’un relevé d’informations alors qu’elle n’y était pas contrainte selon les process en vigueur. Ce document a été transmis sur l’adresse mail de son responsable et non sur sa propre adresse mail selon les procédures en vigueur le 20 novembre 2017.
Elle conteste l’existence d’un second contact téléphonique avec l’assuré tel qu’allégué par l’employeur indiquant que le contact identifié à cette date sur l’historique du dossier de Mme [L] résulte de l’archivage du mail dans le dossier.
Elle indique que le 22 novembre 2017, Mme [L] va adresser un nouveau mail au responsable d’équipe demandant à être recontactée, qu’à la demande du responsable, elle a donc téléphoné à Mme [L].
Sur l’absence de contrôle de la période de 2 années sans assurance, Mme [W] indique que la Matmut permet d’assurer un conducteur dans un tel cas.
L’appelante relève qu’au vu des pièces produites par la Matmut il n’est pas possible de déterminer à quelle date la fiche relative à M. [B] a été créée, que la société n’établit pas qu’elle existait au jour de la prise de contact par Mme [L].
Enfin, concernant le fait que le nom de M. [B] ait été tronqué lors de l’enregistrement et sa date de naissance modifiée, la salariée soutient qu’aucun élément ne permet de lui imputer cette erreur, qu’aucun élément ne permet d’affirmer que ces manoeuvres étaient volontaires, précisant qu’elle ne connaissait pas cette personne.
Mme [W], qui rappelle que tous les salariés ayant quitté la Matmut pour intégrer Cardif Iard ont bénéficié d’une promesse d’embauche sans considération de leur passé professionnel, considère que l’employeur ne caractérise pas en quoi cette erreur aurait été déterminante et excusable, précisant qu’à supposer qu’elle ait commis les manquements allégués, il est surprenant qu’au regard des process en vigueur dans l’entreprise, ceux-ci n’aient été découverts qu’en avril 2018.
Sur ce ;
L’article 1130 du code civil dispose que l’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.
Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.
L’article 1131 du même code précise que les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat.
Aux termes de l’article 1132 du code civil, l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant.
En l’espèce, la société Matmut soutient, sans être spécifiquement contredite que la promesse de réembauche au bénéfice de Mme [W] a été contractée intuitu personae et plus particulièrement au regard de ses qualités professionnelles, de son intégrité et de sa rectitude morale.
La société soutient que les manquements reprochés à la salariée, découverts postérieurement à la signature de la promesse de réembauche caractérisent son manquement d’intégrité et de probité flagrant, qu’elle n’aurait jamais souscrit un engagement de la réembaucher si elle en avait eu connaissance au jour de la signature, qu’elle a ainsi commis une erreur sur la personne, erreur qui a été déterminante de son engagement.
Il est établi par les éléments du dossier que Mme [W] a géré le dossier de Mme [L] et, par voie de conséquence, la demande de rattachement de M. [B] au contrat de sa compagne en qualité de conducteur.
Il n’est pas contesté que M. [B], en raison de sa situation, faisait l’objet d’un signalement.
Cependant, en l’état des pièces et documents produits, il n’est pas établi que Mme [W], en gérant ce dossier ait fait preuve d’un manque d’intégrité et de probité flagrant.
Ainsi, il ne résulte pas des éléments produits que l’enregistrement de M. [B] sous un nom et une date de naissance erronés ait procédé de la volonté de la salariée, celle-ci n’agissant que sous les directives de l’assurée, Mme [L].
Si le premier contact téléphonique le 31 octobre 2017 entre Mme [W] en sa qualité de conseillère et Mme [L] est établi, la société Matmut ne démontre pas que le second contact ne soit pas lié à la transmission du mail tel qu’allégué par l’appelante. La société ne verse pas aux débats les échanges de mails entre Mme [W] et son responsable d’équipe, de sorte que la cour n’est pas en mesure d’apprécier si la mention ‘téléphone’ précisée le 20 novembre 2017 résulte ou non de l’enrichissement du dossier par adjonction du mail.
Mme [W] affirme avoir recontacté Mme [L] par téléphone le 22 novembre 2017 à la demande de son responsable d’équipe.
Si l’employeur verse aux débats un ‘listing d’appels sortants’ relatifs à cette période aux fins d’établir qu’aucun appel n’a été émis par la salariée de son poste de téléphone, il n’est pas justifié de l’attribution d’un numéro particulier à Mme [W]. En l’absence de production des échanges entre la salariée et son supérieur hiérarchique, la cour ne peut avoir la certitude que Mme [W] a passé cet appel.
Si l’employeur reproche à la salariée de ne pas avoir relevé l’existence d’une fiche prospect sur laquelle était mentionné la nécessité de contacter impérativement la DGAP, il résulte des éléments produits que M. [B] avait été enregistré par la salariée sous le nom ‘[I]’, l’employeur ne démontrant pas la possibilité, avec cette erreur, de retrouver la fiche évoquée.
Enfin, la société ne contredit pas utilement l’appelante lorsque cette dernière justifie du fait que le conjoint d’un assuré automobile peut bénéficier de l’assurance de l’assuré sans démarche particulière.
En l’état s’il est établi que M. [B], enregistré en qualité de conjoint d’une assurée, a été désigné au contrat de sa compagne, Mme [L], le 22 novembre 2017 aux termes d’échanges avec Mme [W], alors qu’un risque existait, il n’est pas établi l’existence d’une complaisance imputable à la salariée; son manquement d’intégrité et de probité flagrant tel qu’allégué par l’employeur n’étant pas davantage établi.
En l’absence de démonstration faite par l’employeur d’une erreur déterminante sur les qualités de la personne de Mme [W], le moyen tiré de la nullité de la promesse d’embauche est inopérant.
2/ Sur l’impossibilité pour la société d’appliquer la garantie de réembauche
La société soutient qu’elle doit respecter un cadre légal et réglementaire contraint, rappelle qu’elle exerce son activité sous la tutelle du Trésor et sous le contrôle vigilant de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR). Elle précise que le non-respect des dispositions légales et réglementaires est susceptible d’entraîner sa responsabilité civile voire pénale.
La société affirme que le respect de la garantie de réembauche stipulée au profit de Mme [W] l’aurait conduite à violer ses obligations légales en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Mme [W] considère que la société fait preuve d’une particulière mauvaise foi, que seule la force majeure pouvait l’exonérer de son obligation, qu’en l’espèce aucune force majeure n’est établie voire même alléguée par la société.
Au surplus, elle précise que la société, consciente de ses faiblesses a diffusé à ses employés de nouvelles consignes concernant la lutte contre le blanchiment et le terrorisme en 2019, postérieurement à son départ.
Enfin, la salariée relève que la Matmut est mal fondée à arguer de ses obligations au regard du code monétaire et financier en ce qu’elle s’est engagée avec la BNP pour créer Cardif Iard alors même que la BNP a été condamnée à une amende de 10 millions d’euros en matière de blanchiment en 2014.
Sur ce ;
L’article 1103 du code civil dispose que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
En dehors des cas prévus par la loi, le contrat ne peut être révoqué unilatéralement.
Si en application de l’article 1218 du code civil, la force majeure peut empêcher l’exécution de son obligation par le débiteur, il y a lieu de constater qu’en l’espèce, la société n’invoque ni n’établit l’existence d’une force majeure.
Au regard de ces éléments, le moyen tiré de l’impossibilité pour la société d’exécuter est inopérant.
3/ Sur le préjudice de Mme [W]
Il a été précédemment jugé que la société Matmut était dans l’obligation d’exécuter la garantie d’embauche stipulée au profit de Mme [W].
Le non-respect de cette garantie par la société a causé un préjudice à la salariée qui s’est retrouvée sans emploi.
Mme [W] établit qu’au jour de son départ, son salaire mensuel brut moyen s’élevait à 3 451,97 euros, qu’elle disposait d’une ancienneté de près de 10 années, qu’elle a perçu l’allocation de retour à l’emploi jusqu’en janvier 2019.
Elle indique, sans en justifier, avoir retrouvé un emploi dont elle ne précise pas les conditions de rémunération.
Au regard de ces éléments, il y a lieu de condamner la société Matmut à lui verser la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice.
Il sera rappelé qu’une somme accordée à titre de dommages et intérêts est toujours exprimée en net.
4/ Sur la discrimination
Aux termes de l’article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L.3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’action, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de ses activités syndicales.
Selon l’article L.1134-1 du code du travail, en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
En l’espèce, Mme [W] soutient avoir été victime de discrimination au regard du contenu des conclusions de la société Matmut et du mail de Mme [D] découvert dans les pièces produites, mail qui est manifestement à l’origine du refus de réembauche.
Elle considère que la société a fait un lien entre ses origines, sa profession et le blanchiment ou financement de terrorisme.
A l’appui de ses allégations elle verse aux débats le mail de Mme [D], membre du service anti-fraude et anti-blanchiment, du 13 avril 2018 adressé à la direction des ressources humaines de la société Matmut.
Ce mail indique ‘nous venons de découvrir la présence d’un présumé terroriste dans notre portefeuille clients, et suspectons que le risque ait été souscrit avec la complaisance d’une collaboratrice Matmut.’
Après avoir exposé et résumé les faits découverts, Mme [D] précise :
‘Il s’avère par ailleurs que la conseillère en cause, Mme [W] [X], s’est déjà faite remarquer par le service ‘anti fraude anti blanchiment’ suite à un sinistre déclaré par son mari, pour lequel l’analyse suivante avait été communiquée à l’UGS 66 le 01/09/17 en mentionnant l’existence d’un risque ‘blanchiment’:
– BMW assurée le 16/12/16, en remplacement de la précédente Audi qui avait été volée le 15/08/16 ( la conjointe avait également déclarée un vol à plus de 28 000 euros en 2013)
– l’assuré déclare un changement de pare-brise sur la BMW dès le 16/01/17; alors que le contrôle technique du 14/12/16 montre que le pare-brise était déjà endommagé avant l’achat et la prise d’effet du contrat,
– le véhicule est incendié dès le 11/07/17 (garantie valeur d’achat applicable)
– l’assuré aurait acheté le 16/12/16 véhicule chez Auto Occasions Sevran ( dépôt vente/gérant roumain), entreprise immatriculée au RCS le 22/12/15 et radiée le 25/04/17, avec cessation d’activité le 15/01/17
– le certificat de cession est établi au nom d’une autre entreprise LEO Auto à [Localité 5] (gérant roumain), entreprise radiée d’office du RCS le 04/11/16, soit après la vente,
– la facture mentionne 219 943km alors qu’il est démontré que le véhicule avait plus de 380 000km le 23/10/14,
– l’adresse de LEO Auto( [Adresse 2]) correspond à un appartement, dans lequel sont domiciliées deux autres entreprises ‘roumaines’ de ventes de véhicules (M. Auto et Autodo Occasion)
– la facture de vente mentionne que l’assuré aurait acheté la voiture 7800€, dont 1800€ en espèces et 6000€ par chèque de banque ; l’assuré justifie d’un débit de 5800€ le 5/01/17 ( on ne connaît pas le nom du bénéficiaire)
– le paiement en espèces est illégal ( L112-6 CMF/fraude fiscale) et l’assuré ne justifie pas du retrait correspondant
– le contrat prévoit une non application de la valeur d’achat en raison du paiement illégal, voire une exclusion de garantie (art 25)
– le tout pourrait également justifier une déclaration de soupçon à TRACFIN
– je suggère une évocation avec M. [S].
En mettant en lumière ce sinistre avec les liens avec l’islamisme radical, nous pouvons suspecter un risque de financement du terrorisme.’
Si la salariée soutient qu’au sein de ses conclusions et de ce mail, son employeur a établi un lien entre ses origines et l’islamisme radical, il y a lieu de constater d’une part que ce mail ne mentionne aucun lien entre les origines de Mme [W] et les faits reprochés en ce qu’il est relaté un risque de blanchiment et non des faits de terrorisme ou d’appartenance à l’islamisme radical, qu’il est mentionné ‘l’assuré’ après précision du fait que son mari était propriétaire du véhicule concerné et que les faits reprochés à la salariée, ci-dessus évoqués, pour refuser de faire application de la clause de réembauche étaient liés aux fonctions même de Mme [W], sans aucune mention de ses origines.
Au vu de ces éléments, la cour considère que la salariée ne présente pas d’éléments de faits laissant supposer l’existence d’une discrimination.
Par confirmation du jugement entrepris, Mme [W] est déboutée de sa demande.
5/ Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il serait inéquitable de laisser à la charge de Mme [W] les frais non compris dans les dépens qu’elle a pu exposer.
Il convient en l’espèce de condamner la société Matmut à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure.
Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société les frais irrépétibles exposés par elle.
Il y a également lieu de condamner la société Matmut aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement, en dernier ressort ;
Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Rouen du 1er février 2021 sauf en ce qu’il a débouté Mme [W] de sa demande au titre de la discrimination ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant:
Déboute la société Matmut de sa demande de nullité de l’engagement de réembauche souscrit au bénéfice de Mme [X] [W] ;
Dit que la société Matmut a méconnu ses obligations au titre de la garantie de réembauche ;
Condamne la société Matmut à verser à Mme [X] [W] la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;
Condamne la société Matmut à verser à Mme [X] [W] la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne la société Matmut aux entiers dépens de première instance et d’appel.
La greffière La présidente