COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 30 JANVIER 2023
N° RG 21/03802 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MGCS
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 3]
c/
Monsieur [P] [X]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 mai 2021 (R.G. 20-570/571) par le Tribunal de Commerce de LIBOURNE suivant déclaration d’appel du 02 juillet 2021
APPELANTE :
CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 3], prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 1]
représentée par Maître Marjorie RODRIGUEZ de la SELARL RODRIGUEZ & CARTRON, avocat au barreau de LIBOURNE
INTIMÉ :
Monsieur [P] [X], de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
non représenté
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 21 novembre 2022 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie PIGNON, Président chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Nathalie PIGNON, Présidente,
Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
– réputé contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous-seing privé du 20 août 2016, la Sarl Elec Sécurité a emprunté auprès de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 3] une somme de 19 900 euros au taux de 1% sur 48 mois. Le même jour, M. [X], associé et fondateur de la société, s’est porté caution de cet engagement pour un montant limité à 5 970 euros.
Par acte sous-seing privé du 21 décembre 2016, la Sarl Elec Sécurité a emprunté de nouveau auprès de la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 3] une autre somme de 19 900 euros au taux de 1,05% sur 60 mois. Le même jour, M. [X], associé et fondateur de la société, s’est porté caution de cet engagement pour un montant de 19 900 euros.
La société Elec Sécurité a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 20 juin 2019. La banque a déclaré sa créance le 20 août 2019. Par lettre du 20 août 2019, M. [X] a été mis en demeure de respecter ses engagements de caution, l’impayé étant de 8 639,56 euros pour le premier prêt et de 12 768,55 euros pour le second.
Un troisième prêt a été souscrit le 16 mai 2018 auprès du même établissement par la société Applianceco, d’un montant de 73 000 euros, pour lequel M. [X] s’est porté caution à hauteur de 21 900 euros.
Enfin, par acte du 28 novembre 2018, le Crédit Mutuel de [Localité 3] a consenti à la société Applianceco un contrat de trésorerie de 13 000 euros, et M. [X] s’est porté caution de cet engagement pour ce même montant.
La société Applianceco a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 20 juin 2019, et M. [X] mis en demeure le 20 août 2019 de respecter ses engagements de caution.
A défaut d’exécution, le Crédit Mutuel de [Localité 3] a assigné M. [X] par deux fois le 13 février 2020 devant le tribunal de commerce de Libourne, pour demander sa condamnation à lui verser les sommes en principal de 12 768,55 euros, 21 900 euros, 12 187,90 euros, et 5 970 euros.
Par jugement contradictoire du 7 mai 2021, le tribunal de commerce de Libourne a joint les deux affaires, et :
Déclaré recevable et partiellement fondée la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 3],
Condamné M. [X], en sa qualité de caution de la société ELEC SECURITE, au versement d’une somme de 5 970 euros assortie des intérêts au taux de 4% à compter du 20 août 2019, date de la mise en demeure, et ce jusqu’au parfait paiement,
Débouté la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 3] du surplus de ses demandes,
Débouté M. [X] du surplus de ses demandes,
Dit n’y avoir lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Laissé les dépens à la charge de chaque partie y compris le coût du présent jugement liquidé à la somme de 146,44 euros.
Le tribunal a considéré que seul le premier engagement de caution de M. [X], d’un montant de 5 970 euros et relatif au premier prêt de 19 9900 euros n’était pas disproportionné, mais que les autres engagements l’étaient, ce qui les rendait inopposables à la caution.
Par déclaration du 2 juillet 2021, la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 3] a interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant M. [X].
M. [X] n’ayant pas constitué avocat, le Crédit Mutuel lui a fait signifier une assignation et sa déclaration d’appel par acte d’huissier de justice du 10 août 2021 déposé en l’étude de l’huissier après vérification de son domicile.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions déposées en dernier lieu le 12 octobre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, le Crédit Mutuel de [Localité 3] demande à la cour de :
Dire la CAISSE DE CREDIT MUTUEL de [Localité 3] recevable et bien fondée en son appel
Infirmer et reformer le jugement en date du 07 mai 2021 rendu par le Tribunal de Commerce de Libourne
– en ce qu’il a débouté la CAISSE DE CREDIT MUTUEL de [Localité 3] du surplus de ses demandes de condamnation contre Monsieur [X] et notamment d’avoir à lui verser :
– Une somme de 12768,55 assortie des intérêts au taux de 4,05% jusqu’à parfait
paiement à compter du 20 août 2019
– Une somme de 21900 euros assortie des intérêts au taux de 3,95% jusqu’à parfait
paiement à compter du 20 août 2019
– Une somme de 12187,90 euros assortie des intérêts au taux des découverts irréguliers mentionnés aux conditions générales de la banque en date du 02 janvier 2020 jusqu’à parfait paiement
– Une somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du CPC
– Le condamner aux entiers dépens.
– Ayant dit n’y a pas lieu à faire application des dispositions de l’article 700 du CPC
– Laissant les dépens de la procédure à la charge de chaque partie y compris le coût du jugement liquidé à la somme de 146,44 euros.
Par voie de conséquence, il est demandé à la Cour de
Condamner Monsieur [X] à:
– une somme de 12 768,55 euros assortie des intérêts au taux de 4,05% jusqu’à parfait paiement à compter du 20 août 2019
– une somme de 21 900 euros assortie des intérêts au taux de 3,95 % jusqu’à parfait paiement à compter du 20 août 2019
– une somme de 12 187,90 euros assortie des intérêts au taux des découverts
irréguliers mentionnés aux conditions générales de la banque en date du 02 janvier 2020 jusqu’à parfait paiement
Le Condamner à une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile en première instance
Le Condamner à une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile en appel
Le Condamner aux entiers dépens de la procédure y compris devant le Tribunal de Commerce et devant la Cour d’Appel
Le Crédit Mutuel de [Localité 3] fait notamment valoir que M. [X] ne rapporte pas la preuve d’une disproportion de ses engagements ; qu’il a tenté de dissimuler au tribunal la valeur de son bien immobilier et celle des sociétés qui entraient dans son patrimoine ; que ce n’est que si la disproportion est démontrée à la date de l’engagement que le créancier peut démontrer que la caution dispose d’un patrimoine suffisant au moment où il l’appelle ; que M. [X] ne produit ni ses comptes, ni l’état de son patrimoine, ni les comptes détaillés de ses sociétés ; que la banque établit le respect de son obligation d’information.
M. [X] n’a pas constitué avocat ni comparu. La Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 3] lui a fait signifier ses conclusions par acte de commissaire de justice du 12 octobre 2022, qui a donné lieu à un procès-verbal de vaines recherches, M. [X] ne s’étant plus présenté sur place en 2022 selon les renseignements recueillis.
La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 7 novembre 2022 et l’audience fixée au 21 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Il est à observer que la cour n’est saisie que d’un appel partiel par le Crédit Mutuel de [Localité 3], qui ne porte que sur son débouté du surplus de ses demandes, sur l’article 700 et sur les dépens. M. [X], défaillant devant la cour d’appel, n’a pas interjeté d’appel incident.
Il en résulte que la disposition du jugement qui a : « Condamné M. [X], en sa qualité de caution de la société ELEC SECURITE, au versement d’une somme de 5 970 euros assortie des intérêts au taux de 4% à compter du 20 août 2019, date de la mise en demeure, et ce jusqu’au parfait paiement », non frappée par l’appel principal, est désormais définitive.
Le Crédit Mutuel demande de nouveau devant la cour, en sus, la condamnation de M. [X] à lui payer, à titre principal, en sa qualité de caution des sociétés Elec Sécurité et Applicanceco :
12 768 euros au titre du prêt du 21 décembre 2016 consenti à la société Elec Sécurité,
21 900 euros au titre du prêt du 16 mai 2018 consenti à la société Applianceco,
12 187,90 euros au titre du contrat de trésorerie du 28 novembre 2018 consenti à la société Applianceco.
M. [X], défaillant, n’oppose aucun moyen à la demande et ne soutient notamment plus le moyen de disproportion qu’il soutenait devant le tribunal.
En tout état de cause, le tribunal de commerce a appliqué de manière erronée les textes relatifs à ce moyen de disproportion.
Aux termes des dispositions de l’article L. 341-4 ancien du code de la consommation, en vigueur à la date de l’engagement et devenu l’article L. 343-4 à compter du 1er juillet 2016, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.
Ce texte est applicable à une caution personne physique, qu’elle soit ou non commerçante ou dirigeante de société. La sanction de la disproportion est non pas la nullité du contrat, mais l’impossibilité pour le créancier de se prévaloir du cautionnement.
Il appartient à la caution de prouver qu’au moment de la conclusion du contrat, l’engagement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus. L’appréciation de la disproportion se fait objectivement, en comparant, au jour de l’engagement, le montant de la dette garantie aux biens et revenus de la caution, à ses facultés contributives.
Un cautionnement est disproportionné si la caution ne peut manifestement pas y faire face avec ses biens et revenus.
Ainsi, c’est à tort que le tribunal, sans s’en expliquer autrement, a affirmé par une phrase générale que « la charge mensuelle de remboursement ne doit pas être supérieure à 33% des revenus mensuels de la caution », confondant manifestement l’examen d’une disproportion pour une caution commerciale, comme en l’espèce, avec l’allocation d’un prêt à un consommateur. Le tribunal, aux termes de ses motifs, n’a statué que sur la seule affirmation par la caution de revenus de 18 000 euros de salaire annuel que M. [X] prétendait recevoir, sans examiner la composition du reste de son patrimoine qu’il n’établissait pas. Par ailleurs, l’invocation par le tribunal de l’absence d’une fiche de renseignements est en réalité sans portée, un tel document n’étant pas obligatoire.
Or, le Crédit Mutuel, sur qui ne repose pourtant pas la charge de la preuve, établit (ses pièces n° 26 et 27) que M. [X] était, au moment de la signature des 4 engagements, propriétaire avec son épouse de l’époque d’une maison d’habitation située à [Localité 4] (Gironde), dont la valeur était supérieure aux engagements, outre les revenus de la caution et la valeur de ses parts dans les sociétés Elec Sécurité et Applianceco.
Il en résulte que c’est à tort que le tribunal de commerce a retenu qu’il y aurait eu disproportion entre 3 des 4 engagements de M. [X] et ses biens et revenus, et le jugement sera infirmé à l’exception de la disposition non frappée d’appel.
Comme le relève à juste titre la banque, l’engagement n’étant pas disproportionné aux biens et revenus au moment de l’engagement, les considérations sur la situation de la caution au jour où elle est appelée sont sans objet. En effet, ce n’est que lorsque un créancier professionnel entend se prévaloir d’un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, qu’il doit établir qu’au moment où il l’appelle, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation. Tel n’est pas le cas en l’espèce.
De manière surabondante, le Crédit Mutuel établit son respect de l’obligation d’information annuelle de la caution, qui n’est d’ailleurs pas contestée par M. [X], pas plus que l’information d’un éventuel premier incident.
Sur les autres demandes
Partie tenue aux dépens de première instance et d’appel, M. [X] paiera au Crédit Mutuel la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce de Libourne le 7 mai 2021,
A l’exception de la condamnation de M. [X] à payer la somme en principal de 5 970 euros, non frappée d’appel,
Et statuant à nouveau pour le surplus,
Condamne M. [X] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 3] :
En sa qualité de caution de la société Elec Sécurité, 12 768 euros au titre du prêt du 21 décembre 2016 consenti à cette société, outre intérêts au aux de 4,05% à compter du 20 août 2019,
En sa qualité de caution de la société Applianceco, 21 900 euros au titre du prêt du 16 mai 2018 consenti à cette société, outre intérêts au taux de 3,95% à compter du 20 août 2019,
En sa qualité de caution de la société Applianceco, 12 187,90 euros au titre du contrat de trésorerie du 28 novembre 2018 consenti à cette société, outre intérêts au taux des découverts irréguliers mentionnés aux conditions générales du 2 janvier 2020,
Condamne M. [X] à payer à la Caisse de Crédit Mutuel de [Localité 3] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [X] aux dépens de première instance et d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Mme Pignon, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.