Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 3
ARRET DU 29 MARS 2023
(n° , 2 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/13339 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGFYL
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 30 Juin 2022 -Président du TC de PARIS – RG n° 2022011774
APPELANTE
S.A.S. CVI AM prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
N° SIRET : 828 75 5 5 95
représentée et assistée par Me Michael INDJEYAN – SICAKYUZ, avocat au barreau de PARIS, toque : D0611
INTIMÉE
S.A.S. CHALLENGER GROUP prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 5]
N° SIRET : 520 71 1 6 49
représentée et assistée par Me Tarik LAKSSIMI, avocat au barreau de PARIS, toque : B386
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre
Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre
Patricia LEFEVRE, conseillère
Greffier, lors des débats : Olivier POIX
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre et par Jeanne BELCOUR, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
*****
Par acte sous seing privé du 23 octobre 2017, la société Challenger Group a mis à la disposition de la société Conseil et valorisation immobilier Asset Management (CVI AM) des locaux à usage de bureaux situés [Adresse 1] à [Localité 5], pour une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction, moyennant le paiement d’une redevance annuelle calculée sur la base de 8 % du chiffre d’affaires net de la preneuse.
Affirmant que la société CVI AM n’avait jamais payé la redevance annuelle ni transmis ses bilans une fois par an pour déterminer son chiffre d’affaires, la société Challenger Group l’a fait assigner devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris par acte d’huissier du 25 février 2021 en demandant sa condamnation notamment à :
lui transmettre ses bilans comptables pour les années 2017, 2018, 2019 et 2020, afin de déterminer le son chiffre d’affaires net, sous astreinte de 1 000 euros par jour ;
lui payer à titre de provision la somme de 8 % de son chiffre d’affaires net pour chacune des années suivantes : 2017, 2018, 2019 et 2020, au titre du loyer, dès lors que ledit chiffre d’affaires annuel dépasse 100 000 euros ;
lui payer la somme de 10 000 euros au titre du préjudice subi en raison de l’inexécution du contrat de mise à disposition du 23 octobre 2017 ;
lui payer la somme de 10 000 euros au titre du préjudice subi en raison de sa résistance abusive.
Par ordonnance en date du 30 juin 2022, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :
condamné la société CVI AM sous astreinte de 100 euros par jour à compter de la signification de la présente décision, à transmettre à la société Challenger Group ses bilans comptables des années 2019 et 2020 afin de déterminer le chiffre d’affaires net de la société CVI AM en application de l’article 4 du contrat de mise à disposition du 23 octobre 2017 ;
renvoyé les autres demandes à l’audience en date du 11 octobre 2022 à 10h30 ;
dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;
réservé les dépens.
Par déclaration du 12 juillet 2022, la société CVI AM a interjeté appel de cette décision en critiquant l’ensemble de ses chefs de dispositif.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 1er février 2023 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, elle demande à la cour de :
réformer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau,
dire recevable ses demandes ;
prononcer l’irrecevabilité des demandes subsidiaires faites par la société Challenger Group pour la première fois en appel, l’en débouter purement et simplement ;
relever d’office l’incompétence matérielle du président du tribunal de commerce de Paris au profit du tribunal judiciaire de Paris et le cas échéant du président du tribunal judiciaire de Paris et la chambre des loyers commerciaux ;
En tout état de cause,
constater la nullité de la convention de sous-location du 23 octobre 2017 au regard des dispositions du bail originel ;
constater la nullité de la convention de sous-location du 23 octobre 2017 au regard des dispositions du code de commerce précités ;
constater la nullité de la clause de la convention de sous-location du 23 octobre 2017 fixant le montant du loyer du sous-locataire au regard des dispositions du bail originel et des dispositions légales et réglementaires applicables ;
constater à tout le moins le caractère non écrit de la clause de la convention de sous-location du 23 octobre 2017 fixant le montant du loyer du sous-locataire ;
En conséquence,
dire et juger que la société Challenger Group SAS ne justifie d’aucune qualité pour agir ;
constater dans tous les cas l’existence de contestations « plus que sérieuses qui justifie l’existence d’un différend qui échappe à la compétence du juge des référés, juge du fait et de l’évidence » (sic) ;
débouter la société Challenger Group de toutes ses demandes et la renvoyer à mieux se pourvoir ;
Dans tous les cas,
vu l’absence de précisions contenues dans la clause de fixation du sous-loyer, faute de base de calcul déterminée ou déterminable ;
débouter la société Challenger Group de toutes ses demandes ;
constater que dans tous les cas, les demandes se heurtent à de multiples contestations plus que sérieuses, vu les comptes à faire entre les parties pour l’indemnisation du préjudice matériel et moral (trouble de jouissance) résultant des dégâts des eaux récurrents, et débouter la société Challenger Group SAS de toutes ses demandes, fins et conclusions, dans tous les cas la renvoyer à mieux se pourvoir ;
condamner la société Challenger Group à lui payer la somme de 7 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, outre aux entiers dépens ;
débouter la société Challenger Group de toutes autres demandes, plus amples ou contraires.
La société Challenger Group, aux termes de ses dernières conclusions en date du 1er février 2022 auxquelles il convient de se reporter pour l’exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour de :
A titre liminaire,
rejeter l’exception d’incompétence soulevée par l’appelante ;
juger que la société CVI AM ne justifie d’aucune qualité à agir au titre de sa demande de nullité du contrat ;
juger que la société CVI AM ne justifie d’aucun intérêt à agir au titre de la nullité du contrat ;
A titre principal,
confirmer l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
condamner la société CVI AM à lui payer la somme de 10 000 euros au titre du préjudice subi en raison de l’inexécution du contrat de mise à disposition du 23 octobre 2017 ;
A titre subsidiaire,
condamner la société CVI AM à lui payer la somme de 116 660 euros, au titre de l’indemnité d’occupation correspondant à la valeur locative du bien par mois d’occupation à compter du 23 octobre 2018 jusqu’au 12 mai 2020 ;
En toute hypothèse,
condamner la société CVI AM à lui payer la somme de 10 000 euros au titre du préjudice subi en raison de la résistance abusive de l’appelante ;
débouter la société CVI AM de l’ensemble de ses demandes ;
condamner la société CVI AM à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 2 février 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
SUR CE,
Sur l’exception d’incompétence
En vertu de l’article 74 du code de procédure civile, les exceptions doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, y compris lorsque les règles invoquées au soutien de l’exception seraient d’ordre public.
En l’espèce, la société CVI AM fait valoir que l’intimée invoque les dispositions de son bail commercial pour prétendre avoir pu valablement mettre en place une sous-location, et pour demander la communication de documents comptables pour la fixation du montant du sous-loyer qu’elle réclame. Elle soutient que, par application de l’article R. 145-23 du code de commerce, ces demandes échappent à la compétence du président du tribunal de commerce de Paris, puisque c’est le tribunal judiciaire de Paris qui est compétent pour l’application des dispositions relatives aux baux commerciaux, et que c’est le président du tribunal judiciaire de Paris qui serait compétent pour les litiges relatifs au loyer.
Il résulte cependant de l’ordonnance entreprise que la société CVI AM a conclu au fond devant le premier juge sans présenter d’exception d’incompétence. Elle est dès lors irrecevable à le faire en cause d’appel (Civ. 2e, 11 janv. 1989, 87-17.793).
Sur le défaut de qualité à agir
En vertu de l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
En vertu de l’article 122 du même code, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
La société CVI AM soutient que la convention litigieuse est une sous-location qui est irrégulière aux regards du bail principal, dès lors que l’intimée n’a pas obtenu l’accord préalable du propriétaire avant de conclure la sous-location. Elle en déduit que la convention de sous-location est nulle de plein droit et que la société Challenger Group est dépourvue du droit d’agir. Cette fin de non-recevoir sera rejetée dès lors que, s’appuyant sur une analyse du bail et des pièces produites par l’intimée, elle procède d’un examen au fond. En outre, la qualité à agir de la société Challenger Group découle manifestement de sa qualité de co-contractant de l’appelante, et son intérêt à agir de l’existence alléguée d’une dette de redevances d’occupation.
Sur la communication de pièces
En vertu du 2e alinéa de l’article 873 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut accorder en référé une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
Le premier juge a condamné la société CVI AM à transmettre à la société Challenger Group ses bilans comptables des années 2019 et 2020 afin de déterminer le chiffre d’affaires net de la société CVI AM pour permettre le calcul de la redevance rémunérant la mise à disposition.
Cependant, en vertu de l’article L. 145-31 du code de commerce, sauf stipulation contraire au bail ou accord du bailleur, toute sous-location totale ou partielle est interdite ; en cas de sous-location autorisée, le propriétaire est appelé à concourir à l’acte.
La société Challenger Group ne conteste pas la nature de sous-location mais fait valoir que le bail commercial principal, qui la liait à M. [E], stipulait expressément : « Il est expressément convenu entre les parties que le «preneur» pourra librement, sans l’accord préalable du «Bailleur» domicilier le siège social ou administratif de toute société du même groupe ou extérieure à ce groupe ou exercer l’activité de centre d’affaire sans que ces contrats de domiciliation ou les sous-locations dans le cadre de L’activité de centre d’affaire ne puissent être assimilés à une sous-location interdite au sens de l’article L 145-31 du Code de Commerce. En effet dans ces cas précis, la sous-location est l’objet même de l’activité principale ou accessoire du « preneur » au sens de la jurisprudence de la Cour de Cassation (Cass 3ème Civ 15 avril 2015 n°14-15976) qui dispense le preneur d’appeler le bailleur ou d’obtenir son agrément préalable à l’acte de sous- location. »
Ce moyen manque en fait dès lors que c’est par pure allégation que la société Challenger Group affirme que la mise à disposition de locaux constituait son activité principale, alors qu’elle ne démontre pas qu’elle exerçait une activité de centre d’affaires ou de domiciliation ‘ au demeurant réglementée par l’article L. 123-11-3 du code de commerce et soumise à agrément de l’autorité administrative.
La société Challenger Group fait valoir qu’elle acquis les locaux courant 2019, de sorte que la régularité du bail ne se pose plus à cette date. Or, d’une part, l’intimée ne produit l’acte authentique d’achat des murs, mais une simple offre sous seing privé qui pourrait avoir été acceptée par mention manuscrite ; la preuve de l’achat n’est donc pas ramenée en l’état. D’autre part, la nature de la convention n’est pas rendue plus lisible avec le changement de statut du bailleur, puisqu’elle est stipulée expressément (article 3) prendre fin à l’expiration du bail commercial principal.
Les demandes de la société CVI AM en vu de la constatation de la nullité de la convention de sous-location du 23 octobre 2017 au regard des dispositions du bail originel ; de la nullité de la convention de sous-location du 23 octobre 2017 au regard des dispositions du code de commerce précités ; de la nullité de la clause de la convention de sous-location du 23 octobre 2017 fixant le montant du loyer du sous-locataire au regard des dispositions du bail originel et des dispositions légales et réglementaires applicables ; de la constatation du caractère non écrit de la clause de la convention de sous-location du 23 octobre 2017 fixant le montant du loyer du sous-locataire, excèdent les pouvoirs du juge des référés. En revanche, l’obligation de la société CVI AM est sérieusement contestable dès lors qu’elle est contenue dans une convention dont la régularité n’apparaît pas avec l’évidence requise en référé.
Pour cette raison, dès lors que l’obligation de communiquer les bilans comptables était motivée par la mise en ‘uvre de l’obligation au paiement par provision, l’ordonnance entreprise sera infirmée et la demande de communication de pièces rejetée.
Sur les autres demandes
L’existence d’une obligation sérieusement contestable doit également conduire à dire qu’il n’y a lieu à référé sur la demande subsidiaire de la société Challenger Group en vue de condamner de la société CVI AM à lui payer la somme de 116 660 euros, au titre de l’indemnité d’occupation, d’autant qu’il ne peut y être fait droit dans cette formulation, puisque le juge des référés a seulement le pouvoir d’accorder une provision.
Pour les mêmes raisons, il ne peut être fait droit à la demande de condamnation de la société CVI AM à lui payer la somme de 10 000 euros au titre du préjudice subi en raison de l’inexécution du contrat.
Par ailleurs, la demande de la société Challenger Group tendant à la condamnation de la société CVI AM à lui payer la somme de 10 000 euros au titre du préjudice subi en raison de la résistance abusive sera nécessairement rejetée, puisque celle-ci a eu gain de cause au principal.
La société Challenger Group sera tenue aux entiers dépens et au paiement d’une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Déclare irrecevable l’exception d’incompétence soulevée par la société Conseil et valorisation immobilier Asset Management (CVI AM) ;
Rejette la fin de non-recevoir formée par la société Conseil et valorisation immobilier Asset Management (CVI AM) ;
Infirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Rejette la demande de communication de pièces ;
Dit n’y avoir lieu à référé sur les autres demandes ;
Y ajoutant,
Condamne la société Challenger Group à payer à la société Conseil et valorisation immobilier Asset Management (CVI AM) une somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Challenger Group aux entiers dépens de première instance et d’appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT