Nullité de contrat : 26 avril 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 22/05185

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Nullité de contrat : 26 avril 2023 Cour d’appel de Lyon RG n° 22/05185

N° RG 22/05185 – N° Portalis DBVX-V-B7G-ONRS

Décision du Président du TJ à compétence commerciale de Lyon en référé du 20 juin 2022

RG : 22/00134

[J]

S.A.S.U. SAS NETPRIX

C/

S.C.I. LES FLEURS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE LYON

8ème chambre

ARRÊT DU 26 Avril 2023

APPELANTS :

1 – Monsieur [Y] [J], né le 7 avril 1986 à [Localité 3] (RHÔNE), Entrepreneur, de nationalité française, domicilié [Adresse 2] (ISERE).

Agissant au nom et pour le compte de la SASU NETPRIX.

2 – NETPRIX (société par actions simplifiées à associé unique), immatriculée au RCS de LYON sous le numéro 910 479 625, dont le siège social est situé [Adresse 1], gérée et représentée par Monsieur [Y] [J] dûment habilité à agir au nom de la présente société.

Représentés par Me Kamel AISSAOUI, avocat au barreau de LYON, toque : 865

INTIMÉE :

La SCI LES FLEURS, au capital de 1 000 euros dont le siège social est à [Adresse 4] ‘ Inscrite au RCS de PARIS sous le numéro 534 798 152 ‘ représentée par son gérant en exercice.

Représentée par Me Bertrand BALAS de la SELARL BALAS METRAL & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 773

* * * * * *

Date de clôture de l’instruction : 21 Février 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 21 Février 2023

Date de mise à disposition : 26 Avril 2023

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

– Bénédicte BOISSELET, président

– Karen STELLA, conseiller

– Véronique MASSON-BESSOU, conseiller

assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier

A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l’article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

Exposé du litige

Par acte sous seing privé du 1er juillet 2020, la SCI Les fleurs a donné à bail à la société Netprix, en cours de constitution, représentée par [Y] [J], un local à usage exclusif d’entreposage, sis [Adresse 1]).

S’agissant de la destination du local, le bail prévoyait en son article 5 que le preneur ferait son affaire personnelle de toutes les autorisations administratives ou techniques nécessaires à son activité sans qu’il puisse se retourner contre le bailleur, que l’activité d’entreprosage projetée par le preneur était de sa seule responsabilité concernant les règles du plan local d’urbanisme, auxquelles il doit se conformer, que le preneur reconnaissait avoir consulté les services de l’urbanisme et que si cette activité devait être interdite, le preneur en assumerait la pleine responsabilité sans pouvoir se retourner contre le bailleur.

Par exploit d’huissier délivré le 29 décembre 2021, [Y] [J] a assigné la SCI Les Fleurs devant le Tribunal Judiciaire de Lyon aux fins d’obtenir sa condamnation à remettre en conformité le local loué, à lui régler la somme de 206 816,30 € au titre de sa perte de chance outre 15 000 € à titre de dommages-intérêts.

En parallèle, le 19 janvier 2022, [Y] [J], aux motifs que l’activité d’entreposage prévue au bail était interdite par les services de l’urbanisme et qu’il n’avait jamais pu exploiter les lieux loués, a assigné la SCI Les fleurs devant le Juge des référés du Tribunal Judiciaire de Lyon aux fins d’être autorisé à séquestrer les loyers à échoir dans l’attente d’une décision définitive sur le fond.

La société Netprix est intervenue volontairement à l’instance par conclusions du 20 février 2022, demandant que la SCI Les fleurs soit condamnée à mettre en conformité le local sous astreinte et sa condamnation à lui payer la somme de 206 816,33 € au titre de la perte de chance et de 15 000 € à titre de dommages et intérêts.

En défense, la SCI Les fleurs a soulevé l’incompétence du juge des référés au profit du juge de la mise en état désigné dans le cadre de l’instance au fond, l’irrecevabilité des demandes d'[Y] [J] pour défaut de qualité à agir, a sollicité l’expulsion de la société Netprix et d'[Y] [J] compte tenu de la nullité du bail en ce qu’il a été conclu par la société Netprix en cours de constitution et a demandé qu’ils soient condamnés à lui payer à titre provisionnel l’arriéré de loyers et indemnités d’occupation.

Par ordonnance du 20 juin 2022, le Juge des référés s’est déclaré compétent pour statuer sur les demandes et a :

Déclaré irrecevable l’action d'[Y] [J] pour défaut de qualité à agir ;

Rejeté les demandes de la société Netprix ;

Déclaré son incompétence pour statuer sur la demande reconventionnelle de la SCI Les Fleurs visant à voir prononcer la nullité du contrat ;

Condamné la société Netprix, in solidum avec [Y] [J], à payer à la SCI Les Fleurs la somme provisionnelle de 7 200 € au titre des loyers et des charges échus au 1er trimestre 2022 ;

Condamné in solidum la société Netprix et [Y] [J] aux dépens et dit que chacune des parties conservera la charge de ses frais irrépétibles.

Le juge des référés a retenu en substance :

qu’il est bien compétent pour statuer sur les demandes, l’audience d’orientation de la procédure au fond étant fixée au 14 février 2022, soit postérieurement à la délivrance de l’assignation ;

qu'[Y] [J] n’a pas qualité à agir en son nom propre dès lors que le bail a été conclu au nom de la société Netprix en cours de constitution, ce qui rend ses demandes irrecevables ;

que les demandes de la société Netprix ne sont pas fondées dès lors que la preuve n’est pas rapportée de difficultés particulières pour affecter le local pris à bail à l’activité d’entreposage prévue au contrat, le PLU autorisant cette activité, et que les fautes qui auraient été commises par la SCI Les fleurs de nature à priver la société Netprix de la chance d’une exploitation lucrative ne sont pas établies ;

que la nullité du bail suppose une appréciation de fond qui ne relève pas des pouvoirs du juge des référés ;

qu’en revanche, la société Netprix et [Y] [J] doivent être condamnés in solidum à régler à titre provisionnel l’arriéré de loyers.

Par acte régularisé par RPVA le 14 juillet 2022, [Y] [J] et la société Netprix ont interjeté appel des dispositions de l’ordonnance de référé du 20 juin 2022 qui ont :

Déclaré irrecevable l’action d'[Y] [J] pour défaut de qualité à agir ;

Rejeté les demandes de la société Netprix ;

Ccondamné la société Netprix, in solidum avec [Y] [J], à payer à la SCI Les fleurs la somme provisionnelle de 7 200 € au titre des loyers et des charges échus au 1er trimestre 2022 ;

Condamné in solidum la société Netprix et [Y] [J] aux dépens.

Aux termes de leurs dernières écritures, régularisées par RPVA le 10 octobre 2022, les appelants demandent à la Cour, de :

Vu l’article 524 du Code de procédure civile, les articles 834, 835, 837 du Code de procédure civile, les articles 1719, 1720, 1170, 1171, 1961, 1962, 1963 du Code civil,

Infirmer l’ordonnance de référé du 20 juin 2022.

Et ainsi, à nouveau,

Ordonner la suspension des loyers à échoir issus du contrat de bail commercial en date du 1er juillet 2020, à compter de la signification de la décision à venir et jusqu’à intervention d’une décision définitive sur le fond ;

Condamner la SCI Les Fleurs à verser à [Y] [J] la somme de 3 000 € au titre des frais irrépétibles ;

Condamner la SCI Les Fleurs aux entiers dépens.

Les appelants exposent :

qu'[Y] [J] est le gérant de la société Netprix et qu’il a signé le contrat de bail avec la SCI Les Fleurs pour exercer l’objet social de sa société, soit la vente de produits divers tels que boissons, viandes, crèmes, etc… et tous autres produits utilisés dans le cadre de la restauration ;

qu’en effet, pour exploiter l’objet social de sa société, il avait besoin de louer un local de stockage ;

qu’il est apparu toutefois que le local donné à bail ne permettait pas le stockage et l’entreposage, qui était interdit du fait de sa non-conformité aux règles d’urbanisme ;

qu'[Y] [J] a été trompé, puisque l’article 5 figurant au projet de bail n’est pas le même que celui qui figure au bail définitif, et qu’il y a été rajouté notamment que si l’activité d’entreposage devait être interdite, le preneur en assume la pleine responsabilité sans pouvoir se retourner contre le bailleur ;

qu’un accord amiable s’avérant impossible, il a engagé le 29 décembre 2021 une action au fond devant le Tribunal judiciaire de Lyon visant à voir contraindre le bailleur à mettre le local en conformité avec le bail commercial et à lui verser des dommages et intérêts, compte tenu de sa responsabilité.

Les appelants soutiennent que l’existence d’un trouble de jouissance, en contravention notamment avec les dispositions des articles 1719, 1720, 1170 du Code civil, est à l’évidence établie, en ce que :

depuis la conclusion du contrat de bail, [Y] [J] n’a jamais pu prendre possession du local commercial, ni démarrer son activité et paye donc un loyer mensuel pour jouir d’un local qu’il ne pourra jamais exploiter ;

en effet, les professionnels en bâtiment qu’il a sollicités pour entreprendre les travaux nécessaires à la réalisation de son activité l’ont informé que l’étendue considérable des travaux à réaliser, tels notamment la mise aux normes de l’électricité et de l’eau, incombait exclusivement au bailleur ;

l’article 5 du contrat de bail constitue donc une clause manifestement abusive puisqu’elle prive de sa substance l’obligation essentielle de délivrance pesant sur le bailleur, ce d’autant qu’elle lui a été préalablement imposée et qu’il n’a pu en négocier le contenu, ni même en prendre régulièrement connaissance ;

en outre, au-delà de la non-conformité du local commercial, il s’avère que le propriétaire a bloqué l’entrée du local par une barre de fer, ce dont il justifie par deux constats d’huissier ;

il y a donc une violation évidente de la règle de droit, justifiant en référé les mesures conservatoires demandées.

Les appelants en déduisent être fondés à opposer l’exception d’inexécution telle que résultant des dispositions de l’article 1219 du Code civil, et à solliciter à titre de mesure conservatoire, la suspension des loyers, dès lors que la procédure au fond est pendante, à fin de préserver les intérêts réciproques des parties durant le procès.

Ils précisent à ce titre que, si, en première instance, seul le séquestre des loyers était demandé, [Y] [J] est désormais en droit de solliciter la suspension des loyers, compte tenu du manquement grave du propriétaire à son obligation de délivrance.

En réplique aux écritures de la SCI Les Fleurs, ils font par ailleurs valoir :

que la SCI Les Fleurs a déposé le 25 octobre 2013 un permis de construire qui empêche l’activité d’entreposage ;

que la suspension des loyers est bien une mesure à caractère conservatoire et provisoire qui doit être mise en place jusqu’à ce qu’une transaction intervienne entre les parties ou qu’un tribunal tranche le litige ;

qu'[Y] [J] justifie bien de l’urgence de sa demande, dès lors que l’article 5 du contrat de bail constitue une clause manifestement abusive, qui prive de sa substance l’obligation essentielle de délivrance pesant sur le bailleur et qu’il doit satisfaire à son obligation de paiement des loyers sans contrepartie.

Ils ajoutent que la décision de première instance est paradoxale puisqu’elle condamne in solidum [Y] [J] et sa société alors qu’elle déclare [Y] [J] irrecevable en son action pour défaut de qualité à agir.

Aux termes de ses dernières écritures, régularisées par RPVA le 8 novembre 2022, la SCI Les Fleurs demande à la Cour de :

Vu les articles 31 et 32, 834 et 835 du Code de procédure civile, Vu l’article 1353 du Code civil,

Confirmer l’ordonnance rendue par le juge des référés du Tribunal Judiciaire de Lyon le 20 juin 2022 en toutes ses dispositions sauf s’agissant du quantum de la condamnation provisionnelle prononcée au titre des loyers et des charges échus.

Et statuant de nouveau :

Condamner in solidum [Y] [J] et la société Netprix à payer à titre provisionnel à la SCI Les Fleurs la somme de 31 861,94 € due au titre des loyers et charges échus au 1er octobre 2022, outre actualisation au jour de l’audience.

En toutes hypothèses :

Condamner in solidum [Y] [J] et la SAS Netprix à payer à la SCI Les Fleurs la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner in solidum [Y] [J] et la SAS Netprix aux entiers dépens de l’instance.

La SCI Les fleurs expose :

qu'[Y] [J] qui a visité les locaux avant la signature du bail avait parfaitement connaissance de l’ampleur des travaux, et que d’ailleurs le montant du loyer a été fixé pour en tenir compte, puisqu’il s’est vu accorder une gratuité de trois mois, puis un loyer de 1 000 € par mois jusqu’au 30 septembre 2021, au lieu du loyer de 2 000 € mensuel ;

qu’en réalité, plus de six mois après la signature du bail, faute d’avoir trouvé des partenaires financiers, et sans nullement évoquer une difficulté administrative relative à l’activité d’entreposage, il l’a sollicitée pour modifier la destination prévue au bail par celle de restauration, déspécialisation qui lui a été refusée par le bailleur ;

qu’en parallèle, [Y] [J] a cessé de régler les loyers, raison pour laquelle il lui a été délivré, le 30 novembre 2021, un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire ;

qu’en réaction à ce commandement de payer et au refus de son bailleur de lui accorder une déspécialisation pour l’activité de restauration, [Y] [J] a, en date du 29 décembre 2021, assigné la SCI Les fleurs devant le Tribunal Judiciaire de Lyon en sollicitant sa condamnation à remettre en conformité le local loué et à lui régler la somme de 206 816,30 € au titre de sa perte de chance, outre des dommages et intérêts ;

qu’en parallèle, il a également saisi le juge des référés aux fins d’être autorisé à séquestrer les loyers dans l’attente d’une décision définitive sur le fond, la société Netprix, constituée en février 2022, étant intervenue volontairement à l’instance.

La SCI Les fleurs soutient en premier lieu qu'[Y] [J], au visa des articles 31 et 32 du Code de procédure civile, n’a pas qualité à agir, alors qu’il agit en son nom propre en vertu d’un bail consenti par la SCI Les Fleurs à la SAS Netprix et qu’il n’est pas partie au contrat litigieux, ses prétentions devant en conséquence être déclarées irrecevables.

La SCI Les fleurs fait valoir en second lieu que les conditions d’une exception d’inexécution, qui justifierait la mesure de suspension des loyers, ne sont pas remplies en l’espèce.

Elle relève à ce titre qu’il n’existe aucune impossibilité d’exploiter le local à des fins d’entreposage, observant :

qu'[Y] [J] ne justifie d’aucune démarche entreprise auprès des services de l’urbanisme, ni d’aucun refus ;

qu’en réalité, contrairement à ce qu’il soutient, le PLU autorise l’activité d’entreposage prévue au bail puisque sont autorisées les constructions à destination d’entrepôt ;

que l’argument tiré du fait que le local loué ne pourrait être exploité à titre d’entrepôt en raison du permis de construire de 2013 n’est pas pertinent dans la mesure où ce permis de construire n’a jamais été mis en ‘uvre, ce que confirment les différents constats d’huissier versés aux débats ;

que faute pour le permis de construire d’avoir été mis ‘uvre, le local ne peut surement pas être exploité à usage de restaurant et que c’est notamment pour cette raison, qu’un bail à destination de restauration ne saurait lui être consenti sur le local, sauf pour le bailleur à commettre un manquement à son obligation de délivrance ;

qu’en réalité, elle justifie que ce n’est pas pour des raisons administratives qu’il ne pourrait pas exploiter le local à usage de stockage mais pour des raisons financières et qu’il s’est orienté en définitive vers un nouveau projet consistant en une activité de restauration.

La Sci Les fleurs conteste fermement par ailleurs avoir procédé à une obstruction du local, précisant en justifier par un constat d’huissier, relevant à ce titre :

que le local est constitué d’un portail avec deux vantaux, le vantail de droite disposant d’un petit portillon dont seul [Y] [J] détient les clés et le vantail de gauche disposant d’une barre de blocage permettant de sécuriser l’accès, qui doit être enlevée lorsqu’on veut ouvrir les deux vantaux, mais qui n’empêche absolument pas l’accès au local ;

qu’il est donc établi que le propriétaire n’obstrue pas l’accès au local loué.

Elle en conclut que la demande de suspension de loyers d'[Y] [J] et de la société Netprix se heurte manifestement à des contestations sérieuses et qu’il n’est pas plus justifié d’un dommage imminent ou d’un trouble manifestement illicite au sens de l’article 835 du Code de procédure civile.

L’intimée fait valoir par ailleurs qu’une mesure de suspension des loyers aurait des conséquences disproportionnées, eu égard aux délais particulièrement long des procédures au fond devant le Tribunal Judiciaire de Lyon, dans un contexte où elle a contracté des prêts importants pour acquérir l’ensemble immobilier et pourrait se trouver en grande difficulté pour rembourser ses prêts.

La SCI Les fleurs indique enfin être fondée à solliciter la confirmation de la décision déférée s’agissant de la condamnation d'[Y] [J] et la société Netprix, in solidum, à payer l’arriéré de loyers, sauf à actualiser la demande puisque, si au 1er trimestre 2022, il était dû à ce titre la somme de 7 200 €, la dette de loyer s’élève désormais, au 1er octobre 2022, à la somme de 31.861,94 €, 4ème trimestre 2022 inclus.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé, par application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La Cour observe au préalable que les appelants limitent désormais les termes de leur appel au seul chef de décision ayant rejeté leur demande de suspension de loyers.

1) Sur le défaut de qualité à agir d'[Y] [J]

Il ressort des dispositions des 31 et 32 du Code de procédure civile :

que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combatre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé ;

qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.

En l’espèce, le bail commercial litigieux, daté du 1er Juillet 2020, est intervenu entre la SCI Les Fleurs, représentée par son gérant, bailleur et la SAS Netprix en cours de constitution, représentée par [Y] [J], preneur.

Il ressort de l’extrait K Bis de la société Netprix qu’elle a été immatriculée au registre du commerce le 18 février 2022 et que son président est [Y] [J].

En vertu de l’article L 210-6 du Code de commerce, les sociétés commerciales jouissent de la personnalité morale à dater de leur immatriculation au registre du commerce.

Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation avant qu’elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits.

Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l’origine par cette société.

En l’espèce, la société Netprix ayant été immatriculée le 18 février 2022, c’est à compter de cette date qu’elle a la personnalité morale.

Par application des dispositions précitées, [Y] [J], qui a agi au nom de la société en cours de formation en signant le 1er Juillet 2020 le contrat de bail commercial, est tenu solidairement responsable des engagements souscrits aux termes du contrat de bail litigieux au nom de la société Netprix en cours de constitution, sauf à ce que celle-ci, après avoir été immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits.

Or, il ressort de l’état des actes accomplis par le fondateur [Y] [J] en date du 15 juin 2022, versé aux débats (pièce 17 appelants), qui comprend notamment le contrat de bail commercial et le paiement des loyers, que la société Netprix a repris les engagements pris par [Y] [J] en son nom.

Il en résulte que ces engagements sont réputés avoir été souscrits dès l’origine par la société Netprix et qu'[Y] [J] est dégagé de toute obligation à ce titre.

Pour autant, la Cour observe :

qu'[Y] [J] avait qualité pour agir lorsqu’il a introduit l’instance en référé, puisqu’il a introduit sa demande de séquestre de loyers le 19 janvier 2022, soit avant l’immatriculation de la société Netprix et représentait alors la société Netprix en cours de constitution ;

qu’il avait toujours qualité à agir lors de l’audience de référé, qui s’est tenue le 30 mai 2022, puisque si la société Netprix était effectivement immatriculée et dotée de la personnalité morale à cette date, elle n’avait pas repris en son nom les engagements antérieurement pris par [Y] [J], lequel était alors tenu solidairement responsable des engagements pris au titre du bail ;

qu’en revanche, [Y] [J], à compter du 15 juin 2022, n’a plus qualité à agir puisque, la société Netprix reprenant en son nom les engagements qu’il avait pris antérieurement, elle seule est désormais tenue aux obligations du bail, [Y] [J] en étant totalement déchargé.

Dès lors, il apparaît que c’est à tort que le premier juge a déclaré [Y] [J] irrecevable à agir en son nom propre pour défaut de qualité, alors qu’il était, à la date de l’audience de référé, toujours tenu solidairement des obligations souscrites par la société Netprix et justifiait donc d’un intérêt à exercer son action en séquestre des loyers.

En revanche, dans le cadre de l’appel, [Y] [J], en son nom propre, n’a plus qualité à agir puisqu’il n’est plus aucunement tenu des engagements pris au nom de la société Netprix, et qu’il n’a aucune légitimité à présenter des demandes en son nom propre pour le compte de la société Netprix désormais dotée de la personnalité morale.

La Cour en conséquence infirme la décision déférée en ce qu’elle a déclaré [Y] [J] irrecevable à agir pour défaut de qualité, et statuant à nouveau :

Dit qu'[Y] [J] était recevable à agir au stade de la première instance en référé.

Y ajoutant :

Déclare [Y] [J] irrecevable à agir en cause d’appel.

2) Sur la demande de suspension des loyers présentée par la société Netprix

La société Netprix demande que les loyers à échoir du contrat de bail litigieux soient suspendus jusqu’à intervention de la décision du Tribunal judiciaire saisi de l’instance au fond, à titre de mesure à caractère conservatoire, considérant être fondée à opposer l’exception d’inexécution telle que résultant des dispositions de l’article 1219 du Code civil, dans un contexte où la procédure au fond est pendante et où il convient de préserver les intérêts réciproques des parties durant le procès.

Elle soutient en substance à ce titre :

que le bailleur a manqué à ses obligation de délivrance, d’assurer au preneur la jouissance paisible des lieux loués, en contravention avec les dispositions de l’article 1719 du Code civil ;

qu’en effet, depuis la conclusion du contrat de bail, elle n’a jamais pu exploiter les lieux, puisque si la destination des lieux loués est à usage exclusif d’entreposage, l’exercice d’une telle activité est interdite par le PLU, et qu’elle paye donc un loyer sans contrepartie pour un local qu’elle ne pourra jamais exploiter ;

qu’en outre, le bailleur a bloqué l’entrée du local par une barre de fer, et qu’elle ne peut donc plus y pénétrer.

La Cour rappelle au préalable que le juge des référés n’est pas juge du fond et qu’il ne peut se prononcer sur les demandes dont il est saisi qu’au regard des seules dispositions des articles 834 et 835 du Code de procédure civile.

La Cour observe à ce titre que, que si la société Netprix fait référence dans ses écritures aux dispositions des articles 834 et 835 du Code de procédure civile, pour autant, elle ne procède à aucun développement sur le fondement de ces dispositions, et qu’elle développe essentiellement ses moyens sur le fondement de différentes dispositions du Code civil.

Or, dès lors qu’il n’appartient pas à la juridiction des référés de statuer au fond, les demandes de la société Netprix ne peuvent être appréciées qu’au regard des conditions énoncées aux articles 834 et 835 du Code de procédure civile.

En application de l’article 12 alinéa 2 du Code de procédure civile, il appartient donc à la Cour de resituer la demande de la société Netprix au regard des textes qui régissent la procédure de référé.

L’article 834 du Code de procédure civile dispose :

Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.

En l’espèce, il peut être retenu que l’urgence, qui est un préalable à l’application de ces dispositions, est bien caractérisée, dès lors qu’il n’est pas contesté que la société Netprix n’exploite pas le local loué et qu’elle fait valoir qu’elle est tenue au paiement des loyers sans contrepartie.

Pour autant, il ne peut être fait droit à sa demande de suspension des loyers, au sens du texte précité, que si cette demande ne se heurte à aucune contestation sérieuse et donc s’il est démontré de façon incontestable que le bailleur a gravement failli à ses obligations.

La Cour observe à ce titre :

que si la société Netprix fait valoir qu’elle ne peut exercer l’activité d’entreposage prévue à titre exclusif au contrat de bail qui serait interdite par le PLU, il ressort de l’examen du PLU (pièce 5 intimée) qu’une telle activité est autorisée ;

que si la société Netprix soutient que le permis de construire déposé par la SCI Les Fleurs le 25 octobre 2013 interdit l’exercice d’une activité d’entreposage, l’examen des termes de ce permis de construire (pièce 5 appelante) ne le démontre pas mais qu’en revanche, la société Netprix produit un courriel de la direction de l’urbanisme en date du 19 octobre 2021 indiquant que le permis de construire en cours fait obstacle à une activité d’entreposage, sans pour autant que les raisons en soient clairement explicitées ;

qu’il est versé aux débats par la SCI Les Fleurs différents SMS émanant d'[Y] [J] dont il ressort qu’en réalité, c’est pour des raisons financières qu’il n’a pas pu exploiter (Pièce 6 intimée).

La Cour ne peut que constater qu’il n’est pas clairement établi à ce stade que le bailleur aurait gravement manqué à ses obligations, notamment son obligation de délivrance, et surtout que l’inexploitation des lieux lui serait incontestablement imputable, appréciation qui se heurte de ce fait à une contestation sérieuse et ne relève pas des pouvoirs du juge des référés, juge de l’évidence et qui ne saurait justifier la demande de suspension de loyers présentée.

Quant à la clause insérée à l’article 5 du contrat de bail, que la société Netprix qualifie d’abusive, la Cour rappelle qu’il n’appartient pas à la juridiction des référés de se prononcer à ce titre, dès lors qu’il est nécessaire de porter une appréciation de fond qui ne relève pas de ses pouvoirs.

La société Netprix indique également qu’elle ne serait pas en mesure d’exploiter les locaux du fait du bailleur qui en aurait bloqué l’accès. Elle justifie effectivement par deux constats d’huissier des 18 janvier et 1er février 2022 qu’il n’est pas possible d’accéder au local loué, une barre de fer bloquant l’ouverture de la porte.

Pour autant, la SCI Les fleurs produit de son côté un constat établi le 21 mars 2022 dans lequel l’huissier constate qu’aucune barre de fer ne bloque la porte.

Surtout, outre cette contradiction, ces constats ont été réalisés au 1er trimestre 2022, soit près de deux ans après la signature du bail et et ne sont pas suffisants pour qu’il en soit déduit que la société Netprix n’a jamais eu accès à ses locaux, ce que d’ailleurs, elle ne soutient pas.

Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que l’absence de contestation sérieuse à la demande de suspension des loyers n’est pas caractérisée.

Enfin s’agissant de l’existence d’un différend au sens de l’article 834 du Code de procédure civile, la seule existence d’une procédure au fond opposant [Y] [J] au bailleur n’est pas suffisante pour qu’il soit fait droit à la demande de supension des loyers présentée dès lors qu’il n’est pas établi de façon non contestable que le bailleur a failli à ses obligations (outre qu’à la lecture de l’assignation (Pièce 3 intimée) la société Netprix n’apparait pas comme étant partie à cette procédure.

La Cour retient en conséquence que la demande de la société Netprix ne peut prospérer sur le fondement de l’article 834 du Code de procédure civile.

La demande de la société Netprix doit également être analysée au regard des dispositions de l’article 835 du Code de procédure civile, selon lequel :

Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

Si la demande de la société Netprix ne peut rentrer par sa nature dans le cadre du deuxième alinéa de ce texte, puisqu’il s’agit d’une demande de suspension de loyers, il convient de déterminer si cette demande se justifie à titre de mesure conservatoire en raison d’un trouble manifestement illicite ou d’un dommage imminent, tel que prévu par l’alinéa 1er du texte susvisé.

S’agissant du trouble manifestement illicite, la Cour rappelle qu’au sens des dispositions de l’article 835 alinéa 1er du Code de procédure civile, il consiste en toute perturbation qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.

Or, dès lors qu’il n’est pas établi de façon manifeste que le bailleur a failli à ses obligations, au regard des éléments contradictoires précédemment retenus, il apparaît qu’un trouble manifestement illicite ne peut en l’état être considéré à ce stade comme caractérisé.

Enfin, s’agissant du dommage imminent, la Cour observe que la seule obligation pour la société Netprix de payer son loyer, qui résulte des engagements qu’elle a souscrit aux termes du contrat de bail, ne peut être retenue comme constitutive d’un dommage, de surcroît imminent, étant rappelé qu’à la lecture de l’assignation, la société Netprix n’apparait pas comme étant partie à cette procédure.

La Cour en conséquence, mais pour les motifs précédemment exposés, confirme la décision déférée qui a rejeté la demande de séquestre ou de suspension de loyers présentée par la société Netprix et dit n’y avoir lieu à référé sur cette demande.

3) sur la demande de provision de la SCI Les Fleurs

Aux termes de l’article 835 alinéa 2 du Code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

Le premier juge a condamné la société Netprix et [Y] [J] à payer à la SCI Les fleurs la somme provisionnelle de 7 200 € au titre de l’arriéré de loyers et charges échus au 1er trimestre 2022.

La Cour observe que le premier juge ne pouvait retenir qu'[Y] [J] n’avait pas qualité à agir au titre du bail querellé, comme n’étant pas partie au contrat de bail et le condamner par ailleurs in solidum à payer un arriéré de loyers et charges dont il avait indiqué précédemment qu’il n’y était pas tenu, puisque non partie au contrat de bail.

Si une telle condamnation au stade de la première instance peut être considérée néanmoins comme fondée, puisque la Cour a retenu qu’à l’audience de première instance, [Y] [J] avait bien qualité à agir, pour autant, la Cour à hauteur d’appel a retenu qu'[Y] [J], qui n’était plus tenu des engagements pris au nom de la société Netprix, n’avait plus qualité à agir.

Il ne saurait en conséquence être tenu in solidum avec la société Netprix au paiement de l’arriéré locatif.

En revanche, par application des dispositions du contrat de bail, la société Netprix demeure tenue au règlement de l’arriéré locatif, cette obligation n’étant pas sérieusement contestable.

La SCI Les Fleurs indique par production d’un décompte actualisé au 1er octobre 2022 que la dette locative s’élève à cette date à la somme de 31 861,94 €, 4ème trimestre 2022 inclus, comprenant à hauteur de 3 000 € la taxe foncière prévue à l’article 8-2 du contrat de bail.

Pour autant, elle ne produit aucun justificatif concernant cette taxe foncière.

La Cour retient en conséquence qu’il n’existe une obligation non sérieusement contestable qu’à hauteur de la somme de 28 861,94 €, après déduction de la taxe foncière.

En conséquence, la Cour :

Confirme la décision déférée en ce qu’elle a condamné la société Netprix à payer à la SCI Les Fleurs la somme provisionnelle de 7 200 € au titre de l’arriéré locatif arrêté au 1er trimestre 2022 inclus, y ajoutant :

Condamne après actualisation la société Netprix à payer à la SCI Les Fleurs la somme de 28 861,94 €, 4ème trimestre 2022 inclus ;

L’infirme en ce qu’elle a condamné in solidum [Y] [J] au paiement de la somme provisionnelle de 7 200 € au titre de l’arriéré locatif arrêté au 1er trimestre 2022 inclus et statuant à nouveau :

Dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de condamnation provisionnelle d’ [Y] [J] au titre de l’arriéré locatif.

4) Sur les demandes accessoires

[Y] [J] étant à l’origine de l’action initiale et la société Netprix succombant, la Cour confirme la décision déférée qui a condamné in solidum la société Netprix et [Y] [J] aux dépens de la procédure de première instance.

Pour la même raison, la Cour condamne in solidum la société Netprix et [Y] [J] aux dépens à hauteur d’appel.

Enfin, la Cour condamne la société Netprix à payer à la SCI Les Fleurs la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile à hauteur d’appel, justifiée en équité.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme la décision déférée en ce qu’elle a déclaré [Y] [J] irrecevable à agir pour défaut de qualité et,

Statuant à nouveau :

Déclare [Y] [J] recevable à agir au stade de la première instance en référé,

Et y ajoutant :

Déclare [Y] [J] irrecevable à agir en cause d’appel.

Confirme la décision déférée qui a rejeté la demande de séquestre ou de suspension de loyers présentée par la société Netprix et dit n’y avoir lieu à référé sur cette demande ;

Confirme la décision déférée en ce qu’elle a condamné la société Netprix à payer à la SCI Les Fleurs la somme provisionnelle de 7 200 € au titre de l’arriéré locatif arrêté au 1er trimestre 2022 inclus, y ajoutant :

Condamne après actualisation la société Netprix à payer à la SCI Les Fleurs la somme de 28 861,94 €, 4ème trimestre 2022 inclus;

L’infirme en ce qu’elle a condamné in solidum [Y] [J] au paiement de la somme provisionnelle de 7 200 € au titre de l’arriéré locatif arrêté au 1er trimestre 2022 inclus et statuant à nouveau :

Dit n’y avoir lieu à référé sur la demande de condamnation provisionnelle d'[Y] [J] au titre de l’arriéré locatif ;

Confirme la décision déférée pour le surplus ;

Condamne in solidum la société Netprix et [Y] [J] aux dépens à hauteur d’appel ;

Condamne la société Netprix à payer à la SCI Les Fleurs la somme de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile à hauteur d’appel ;

Rejette toute autre demande plus ample ou contraire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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