Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
4e chambre civile
ARRET DU 23 MARS 2023
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 20/03188 – N° Portalis DBVK-V-B7E-OUTU
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 07 JUILLET 2020 Tribunal Judiciaire de PERPIGNAN N° RG 18/02167
APPELANTE :
Madame [W] [M]
née le [Date naissance 1] 1963 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Gilles ARGELLIES substituant Me Emily APOLLIS de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS – AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant, et Me Frédéric LECLERC, avocat au barreau des PYRENEES ORIENTALES, avocat plaidant
INTIMEE :
S.A. Banque Populaire du Sud La Société Anonyme Coopérative de Banque Populaire à capital variable Banque Populaire du Sud, immatriculée au RCS de PERPIGNAN sous le n°554 200 808, dont le siège est [Adresse 3], et pour elle son représentant légal en exercice y domicilié es qualité
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Marjorie AGIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituant Me Harald KNOEPFFLER de la SCP VIAL-PECH DE LACLAUSE-ESCALE- KNOEPFFLER-HUOT-PIRET-JOUBES, avocat au barreau de PYRENEES-ORIENTALES, avocat postulant et plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 janvier 2023, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :
M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre
Madame Marianne FEBVRE, Conseillère
M. Frédéric DENJEAN, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Charlotte MONMOUSSEAU
ARRET :
– contradictoire ;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour prévu le 9 mars 2023, délibéré prorogé au 23 mars 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Charlotte MONMOUSSEAU, Greffière.
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* *
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par acte authentique du 13 mai 2013, la société Banque Populaire du Sud (la BPS, ci-après) a consenti à la société Cryosacs un prêt équipement d’un montant de 133.400 € au taux nominal de 3,80% l’an, destiné à financer l’aménagement de locaux professionnels.
Le 4 juin 2015, M. [M], qui était le gérant de la société Cryosacs, d’une part, et Mme [W] [M], son épouse, d’autre part, se sont respectivement portés cautions solidaires à hauteur de 39.000 € chacun des différents engagements passés la société Cryosacs avec la BPS pour une durée de 120 mois.
Après que la BPS a successivement émis les 4 et 15 janvier 2017 deux billets à ordre que la société Cryosacs n’a pas honoré à leur échéance le 31 mars 2017, cette société a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire le 22 mai 2017, laquelle a été convertie en liquidation judiciaire le 21 mars 2018. La créance de la BPS a été admise au passif de cette société pour une somme de 127.244,80 €.
C’est dans ce contexte que, suite à une mise en demeure infructueuse de lui payer la somme de 39.000 € en sa qualité de caution notifiée par une lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 27 mars 2018, la BPS a fait assigner Mme [M] le 15 juin 2018 devant le tribunal de grande instance de Perpignan.
M. [M] a de son coté fait l’objet d’une procédure en ce sens devant le tribunal de commerce.
Vu le jugement en date du 7 juillet 2020 par lequel le tribunal judiaire de Perpignan a :
– rejeté la demande de nullité de l’acte de cautionnement du 4 juin 2015 formulée par Mme [M],
– débouté Mme [M] de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts,
– rejeté le moyen tiré de la disproportion manifeste de l’engagement de caution,
– dit en conséquence que Mme [M] n’était pas déchargée de son engagement de caution souscrit le 4 juin 2015,
– condamné Mme [M] à payer à la BPS, en vertu et dans la limite de son engagement de caution souscrit le 4 juin 2015, la somme de 39.000 € en garantie des créances suivantes :
– 48.875,59 € pour le solde de deux billets à ordre émis par la société Cryosacs les 4 et 15 janviers 2017 à hauteur de 20.000 € et 30.000 € au bénéfice de la BPS,
– 46.471,90 € pour le solde du prêt de 133.400,00 € consenti le 13 mai 2013 à la société Cryosacs par la BPS,
– débouté les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire ou de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Mme [M] aux dépens,
Vu la déclaration d’appel de Mme [M] en date du 30 juillet 2020,
Vu ses premières conclusions, transmises le 29 octobre 2020, par lesquelles elle demande à la cour d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf sur le rejet de la demande de la BPS au titre de l’article 700 du code de procédure civile et, en substance de :
– constater la nullité du contrat de cautionnement en date du 4 juin 2015 dont se prévaut la BPS et débouter en conséquence cette dernière de toutes ses demandes fondées sur cet acte,
– dire qu’en émettant les billets à ordre au mois de janvier 2017, alors qu’elle connaissait parfaitement la situation financière de la société Cryosacs, la BPS a engagé sa responsabilité civile et condamner le prêteur à lui payer la somme de 39.000 € de ce chef,
– Ordonner la compensation entre cette somme et celle que la BPS lui réclame,
– Plus généralement débouter la BPS de toutes ses demandes,
– Condamner cette dernière à lui payer une indemnité de 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Vu les conclusions transmises le 15 janvier 2021 pour le compte de la BPS aux fins de confirmation du jugement, rejet des demandes de Mme [M] et paiement d’une indemnité de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en sus de l’indemnité allouée en première instance, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel,
Vu les conclusions n°2, prises le 26 décembre 2022 pour l’appelante, tendant en substance à voir :
– à titre principal, condamner la BPS à lui verser la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts du fait que la banque connaissait la situation financière de la société Cryosacs et du fait qu’elle a manqué à son devoir de mise en garde à son égard et ordonner la compensation de ces dommages et intérêts et de l’ensemble des sommes que la BPS estime pouvoir servir de fondement à sa demande de paiement à hauteur de 39.000 €,
– à titre subsidiaire, constater la nullité du contrat de cautionnement dont se prévaut la BPS et débouter en conséquence la BPS de toutes ses demandes,
– condamner BPS au versement de la somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Vu l’ordonnance de clôture en date 27 décembre 2022,
Vu les ‘conclusions récapitulatives et d’incident de rejet’ prises le 12 janvier 2023 par la BPS pour demander à la cour d’une part de déclarer irrecevables les conclusions n°2 signifiées la veille de la clôture par Mme [M] et écarter ces conclusions des débats et, d’autre part, réitérer les prétentions au fond formulées dans ses premières écritures,
Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur l’incident relatif aux dernières conclusions de l’appelante
Il résulte de la combinaison des articles 455 et 783 (devenu 802) du code de procédure civile que les conclusions notifiées après l’ordonnance de clôture sont recevables si elles ont pour objet soit de demander la révocation de cette ordonnance soit le rejet des débats des conclusions ou des productions de dernière heure de la partie adverse pour non-respect des principes résultant des articles 15 et 16 du même code.
En l’espèce, il y a donc lieu de recevoir les conclusions notifiées par l’intimée le 12 janvier 2023, mais seulement en ce qu’elles demandent à voir juger irrecevables pour violation du contradictoire les conclusions n°2 signifiées par l’appelante la veille de la clôture et à obtenir que ces écritures soient écartées des débats.
Sur le bien fondé de cette demande, la cour observe que l’appelante a tardé à conclure, puisqu’elle a attendu plus de deux ans après ses premières conclusions avant de prendre de nouvelles écritures qu’elle n’a transmis que le 26 décembre 2022. Or, les parties avaient été destinataires le 21 octobre 2022 d’un avis de fixation les informant de la date de l’audience (le 17 janvier 2023) et de celle prévue pour la clôture (le 27 décembre 2022).
En transmettant aussi tardivement – de surcroît pendant la période des fêtes de fin d’année – un deuxième jeu de conclusions par lesquelles elle présentait une demande indemnitaire supplémentaire, à savoir le paiement d’une somme de 50.000 € en réparation du préjudice lié à l’émission d’un billet à ordre en janvier 2017 malgré sa connaissance de la situation financière de la société Cryosacs, avec compensation entre cette somme et celle que la BPS lui réclamait, l’appelante a méconnu le principe du contradictoire visé à l’article 16 du code de procédure civile et celui – visé à l’article précédent – qui impose aux parties de se faire connaître en temps utile les moyens de fait et de droit sur lesquelles elles fondent leurs prétentions afin que chacun soit à même de préparer sa défense.
L’intimée – dont les écritures dataient de près de deux ans auparavant (15 janvier 2021) – s’est ainsi trouvée dans l’impossibilité matérielle de répondre avant la date prévue pour la clôture ou même – compte tenu de la période des fêtes – de demander le report de cette échéance avant le prononcé effectif de l’ordonnance de clôture.
Par suite, il convient d’accueillir l’incident et de rejeter des débats en les déclarant irrecevables, les conclusions n°2 de l’appelante.
Sur la nullité de l’acte de cautionnement
Même si elle n’invoque pas ce moyen en premier lieu dans la partie ‘dicussion’ de ses conclusions, la première demande formulée par l’appelante dans le dispositif de ses écritures a fort logiquement trait à la question de la nullité de l’acte au regard de la somme portée en lettres dans la mention manuscrite, en discordance selon elle avec celle portée en chiffres.
Or, ainsi que l’a justement constaté le tribunal, l’acte comporte une mention manuscrite en chiffre de 39.000 € et une mention manuscrite en lettres ‘trente mille’, avec un rajout entre ‘trente’ et ‘mille’ du mot ‘neuf’.
Mme [M] déclare que cet ajout n’émane pas de sa main mais, comme l’objecte à bon escient la BPS, il s’agit d’une contestation d’écriture qui ne dit pas son nom. Or, en vertu des articles 287 du code de procédure civile, il appartenait à l’intéressée de solliciter cette vérification à partir d’éléments de comparaison.
A défaut, la cour constatera comme le premier juge qu’il n’existe aucune dissemblance dans l’écriture qui permettrait d’attribuer le rajout du mot ‘neuf’ à un tiers.
Le moyen fondé sur le vice de forme de l’acte du fait d’une discordance entre les mentions en chiffres et en lettres relativement au montant garanti est par conséquent voué à l’échec.
Aussi, le jugement sera-t-il confirmé pour avoir rejeté la demande de nullité de l’acte.
Sur les dettes cautionnées
Au soutien de son appel, Mme [M] fait par ailleurs valoir que la déchéance du terme résultant de la liquidation judiciaire de la société Cryosacs ne lui est pas opposable, de sorte que sa garantie peut seulement être recherchée pour les deux billets à ordre de 20.000 € et 30.000 € et émis en janvier 2017 et non payés à leur échéance.
Cependant, et comme l’objecte à juste titre la BPS, l’acte de caution lui fait expressément interdiction – en son article 3 – de «subordonner l’exécution de (son) engagement à une mise en demeure préalable du débiteur principal par la banque, l’exigibilité des créances de cette dernière à l’égard du débiteur principal entrainant de plein droit l’exigibilité de (sa) dette de caution et les écritures de la banque (lui) étant à cet égard opposables », l’article en question précisant que « nonobstant l’impossibilité pour la banque de se prévaloir de la déchéance du terme de l’obligation ci-dessus en cas d’échéance impayée, le défaut de paiement par (ses) soins de ladite échéance après mise en jeu de (son) engagement par la banque entrainera de plein droit à mon égard l’exigibilité de l’intégralité des sommes dues au titre de cette obligation ».
Par ailleurs, le tribunal a constaté à bon droit que le jugement du 21 mars 2018 ayant prononcé la liquidation judiciaire de la société Cryosacs, débitrice principale du prêt litigieux, avait rendu exigible les créances non échues en application de l’article L.643-1 du code de commerce et que la déclaration de créance de la BPS la dispensait de toute mise en demeure à l’encontre de cette société. En conséquence de quoi, Mme [M] devait bien sa garantie au titre du prêt accordé à la société Cryosacs en vertu de l’acte de cautionnement qu’elle avait souscrit le 4 juin 2015, peu important que – suite à l’infarctus subi par M. [M] et la reconnaissance de son incapacité de travail en mars 2018 – la compagnie d’assurance CBP France ait accepté de prendre en charge les échéances dudit prêt.
Le jugement mérite donc d’être confirmé, au regard des clauses de l’acte de cautionnement, en ce qu’il a estimé que Mme [M] était tenue, en sa qualité de caution, à la fois sur la base du prêt souscrit par la société Cryosacs le 13 mai 2013 et au regard des deux billets à ordre émis en janvier 2017 et demeurés impayés à leur échéance le 31 mars suivant.
Au demeurant, l’engagement de cette caution étant limité à la somme de 39.000 €, son premier moyen est inopérant dès lors que la dette résultant du non paiement des deux billets à ordre s’éleve à la somme de 48.875,59 € au vu des pièces versées aux débats, ce qui suffit à justifier sa condamnation envers la BPS.
Sur la responsabilité de la banque et le caractère disproportionné de l’engagement souscrit
Mme [M] reprend en cause d’appel les moyens suivants :
– la BPS lui a imposé la signature de l’acte de cautionnement en juin 2015 alors qu’elle connaissait sa situation délicate – ne lui permettant pas de faire face à l’engagement souscrit – et qu’elle savait que celle de la société Cryosacs rendait sa défaillance quasi certaine,
– la BPS a commis une faute engageant sa responsabilité à son égard en émettant les deux billets à ordre en janvier 2017.
Or, le tribunal a écarté toute responsabilité de la banque à l’égard de la caution ainsi que le caractère disproportionné de l’engagement de Mme [M] par rapport à l’état de ses revenus et de patrimoine, cela après avoir parfaitement et précisément répondu à ces moyens par des motifs non utilement remis en cause dans le cadre du présent appel. Le jugement constate en effet en substance :
– d’une part, qu’il ne pouvait être reproché à la BPS un manquement à son devoir de mise en garde en juin 2015 alors qu’il est seulement justifié de difficultés de trésorerie mais pas d’une situation sérieusement compromise qui aurait été connue de la banque, que la société Cryosacs avait d’ailleurs fait face à ses échéances jusqu’au mois de février 2017 sans le moindre défaut de paiement, qu’il n’est pas justifié que la BPS ait eu connaissance de l’existence d’un compte débiteur au CIC Sud Ouest,
– d’autre part, qu’au regard de la situation patrimoniale et financière déclarée par l’intéressée (cf. La fiche de renseignements certifiée par elle sincère et conforme), son engagement à hauteur de 39.000 € était adapté à ses capacités financières,
– enfin, que l’émission de billets à ordre en janvier 2017 ne pouvait être pris en compte au regard de l’obligation de mise en garde en 2015.
Par ailleurs, la BPS objecte à juste titre que sa responsabilité ne peut être mise en cause pour octroi d’un crédit abusif alors qu’au jour de la déclaration de créance, il n’y avait que deux échéances de prêts impayées, à savoir celle du 10 février 2017 et celle du 10 mars 2017, si bien qu’elle n’était pas en mesure de connaître la situation financière de la société Cryosacs lorsqu’elle a émis les deux billets controversés, et qu’à défaut, Mme [M] aurait eu à faire face en sa qualité de caution à un découvert en compte d’un montant équivalent. L’appelante ne justifie donc pas de l’existence d’un préjudice en relation directe et certaine avec la faute reprochée.
Le jugement sera confirmé dans son intégralité.
Partie perdante au sens de l’article 696 du code de procédure civile, Mme [M] supportera les dépens d’appel et sera condamnée à payer à la BPS une indemnité au titre des frais par elle exposés en cause d’appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe
– Déclare recevable les conclusions d’incident notifiées par la BPS le 12 janvier 2023, mais seulement en ce qu’elles tendent à voir déclarer irrecevables les conclusions n°2 signifiées par l’appelante la veille de la clôture et à obtenir que ces écritures soient écartées des débats ;
– Déclare irrecevables les conclusions n°2 litigieuses, en date du 26 décembre 2022, et dit que la cour n’est donc pas saisie des prétentions qu’elles comportent ou des moyens qu’elles invoquent ;
– Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
– Condamne Mme [M] à payer à la BPS la somme de 2.000 € par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamne Mme [M] aux dépens d’appel.
Le Greffier Le Président